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Ils pleurent Shimon Peres, pas nous !

mardi 4 octobre 2016

Shimon Peres (1923-2016)

Par Patrick Martin - WSWS

Les funérailles nationales de Shimon Peres, l’ex-président et par deux fois Premier ministre d’Israël, vendredi, ont rassemblé les dirigeants impérialistes du monde entier pour rendre hommage moins à Peres lui-même qu’à l’État prédateur, expansionniste et militariste à la construction duquel il aura tant contribué.
Peres à Davos en 2005

Peres, décédé mercredi à 93 ans, était le dernier de la génération des fondateurs de l’État israélien en 1947 à rester actif et influent dans la vie politique du pays.

Dans son éloge funèbre, le président américain Barack Obama a classé Peres parmi « les autres géants du 20me siècle que j’ai eu l’honneur de rencontrer, comme Nelson Mandela et Sa Majesté la reine Elizabeth ».

Comme souvent, la rhétorique du président américain est parvenue à mettre la réalité à l’envers. La vie de Peres, a-t-il affirmé, « nous a montré que la justice et l’espoir sont au cœur de l’idée sioniste ».

Au contraire, la vie de Peres, qui suit les origines et le développement de l’État israélien, démontre que le sionisme moderne était un mouvement fondé non sur l’espoir, mais sur les désillusions et le désespoir. C’était le produit des défaites historiques de la classe ouvrière, des trahisons commises par le stalinisme et leur impact sur une génération de travailleurs juifs qui s’était tournée vers le socialisme et aussi, bien sûr, des crimes monstrueux du fascisme allemand.

Né en 1923 dans un territoire alors sous contrôle polonais, Peres a émigré en Palestine en 1934. Tous les membres de sa famille qui sont restés en Pologne ont été tués durant l’Holocauste.

La solution sioniste à ce que l’on appelait alors le « problème juif » était de se tailler un État juif en Palestine, avec l’aide de l’impérialisme et en expulsant plus de 750.000 Palestiniens de leurs foyers par des massacres, la terreur et l’intimidation.

Le parti auquel Peres était affilié, le Mapaï (Parti des travailleurs de l’État d’Israël), était la force politique dominante de la période qui précéda la fondation d’Israël jusqu’à sa fusion dans le Parti travailliste israélien dans les années 1960.

Ce fut ce parti, surtout, qui propagea le mythe que la fondation d’Israël était liée à un nouveau genre de société égalitaire et même socialiste.

Le mouvement dit du « sionisme travailliste », cependant, rejetait farouchement une perspective réellement socialiste basée sur l’unité des travailleurs juifs et arabes dans une lutte commune contre l’impérialisme et ses agents locaux. À la place, il donnait un vernis de « socialisme » à un mouvement nationaliste bourgeois réactionnaire aux références ethniques et religieuses, fondé sur l’expropriation de la population arabe palestinienne. La logique de cette orientation politique devait produire ses fruits amers au cours de la vie politique de Peres.

Les oraisons funèbres de vendredi, comme les nécrologies des médias, débordaient d’hypocrisie et de mensonges historiques. Elles présentaient Peres comme un apôtre intrépide de la « paix », en s’appuyant en partie sur son rôle dans les accords avortés d’Oslo en 1993, et en partie sur son rôle de critique modéré des actes les plus barbares du gouvernement israélien (notamment lorsqu’il fut président de 2007 à 2014, et encore plus lorsque Benjamin Netanyahu était Premier ministre).

En réalité, Peres était profondément impliqué dans un grand nombre des pires crimes de l’histoire commis lors de la fondation, l’expansion et la militarisation de l’État d’Israël. Tout au long de sa carrière de soixante-dix ans dans l’État sioniste, il a incarné l’homme proverbial qui « sait où tous les cadavres sont enterrés ».

À 21 ans, Peres reçut sa première mission dans le domaine militaire et des renseignements, de David Ben-Gourion, le dirigeant du Mapaï, chef de l’Agence juive et premier président d’Israël : dresser des cartes de reconnaissance du désert du Sinaï en préparation de la guerre à venir entre les colons juifs et la population arabe de la région.

Il a rapidement grimpé les échelons des opérations logistiques qui soutenaient d’abord la Haganah (la milice juive), puis, une fois l’État israélien établi en 1947, qui fournissaient du matériel et du ravitaillement à la marine israélienne. En 1951, Ben-Gourion l’a nommé directeur général du ministère de la défense, poste où il était responsable du développement de l’industrie d’armement israélienne, négociant avec la France pour obtenir des armes, dont des chasseurs Mirage, ainsi que de l’assistance pour le centre de recherche nucléaire de Dimona qui est parvenu à produire le stock israélien d’armes nucléaires.

Ses bonnes relations avec l’impérialisme français ont facilité l’alliance entre Israël, la Grande-Bretagne et la France pour la guerre de 1956 contre l’Égypte, qui a entraîné la première conquête israélienne du Sinaï. Cependant, les forces anglo-françaises ont été contraintes à se retirer du Canal de Suez devant l’opposition du président américain Dwight Eisenhower, l’impérialisme américain prenant le pas sur les anciennes puissances coloniales au Moyen-Orient.

Peres s’est lancé en politique devant les électeurs en 1959 et Ben Gourion lui assura une bonne place sur la liste électorale du Parti travailliste. Il a conservé un siège à la Knesset (parlement) pendant 48 ans, obtenant des postes au gouvernement à chaque fois que le Parti travailliste était au pouvoir ou participait à une coalition gouvernementale.

Durant la plus grande partie de cette période, Peres était considéré comme le manipulateur ultime de la politique israélienne, toujours prêt à poignarder les gens dans le dos, haïs par ses rivaux au sein même du parti et impopulaire parmi les Israéliens. Son ascension politique coïncidait avec le déclin du Parti travailliste, et il n’est jamais parvenu à gagner une élection générale en tant que chef du Parti travailliste, échouant par cinq fois.

Sans en détailler tous les tours et détours, la carrière de Peres l’a mené au poste de Premier ministre par deux fois, en 1984-86 dans une coalition avec le parti de droite Likoud (Consolidation), où il accepta d’alterner avec Yitzhak Shamir, et en 1995 après l’assassinat de son rival au sein du Parti travailliste, Yitzhak Rabin.

Peres a joué un rôle majeur dans les crimes de l’État sioniste tout au long de cette période. Après la guerre de 1967, dans laquelle Israël s’est emparé du Sinaï une seconde fois et a également conquis la Cisjordanie et le Plateau du Golan, Peres a contribué au développement de la colonisation de la Cisjordanie par ce que l’on peut maintenant appeler une armée de colons, plus de 200.000, dont la plupart est issue de milieux réactionnaires ultra-nationalistes ou ultra-religieux, notamment des Juifs américains qui ont apporté avec eux le mépris typique de l’impérialisme américain pour les « peuples inférieurs » tels que les Palestiniens.

Lorsqu’il était ministre de la Défense au milieu des années 1970, chargé de reconstruire la machine militaire israélienne après la débâcle de la guerre de 1973, Peres a donné une énorme impulsion à la colonisation de la Cisjordanie sous le slogan « des colonies partout », qualifiant ces dernières de « racines et yeux d’Israël ». Plus tard, après les accords d’Oslo, il a soutenu la campagne de colonisation qui a augmenté la population de colons en Cisjordanie de 50 pour cent, en violation flagrante des garanties données à l’OLP.

Sa réputation de « faiseur de paix » dans les médias est principalement liée à son rôle de ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement d’Ytzhak Rabin durant les négociations des accords d’Oslo sous les auspices du président américain Bill Clinton qui se sont terminées par la cérémonie de signature à la Maison-Blanche et l’attribution d’un Prix Nobel de la paix commun à Peres, Rabin et au président de l’OLP, Yasser Arafat.

Cet accord représentait une capitulation historique pour l’OLP, le plus militant de tous les mouvements de libération nationale qui avaient émergé dans les années 1960-70. Dans le sillage de l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, qui mettait fin à la possibilité pour ces organisations de manœuvrer entre les États-Unis et le bloc soviétique et de maintenir ainsi un certain degré d’indépendance, tous les mouvements nationalistes bourgeois se sont réconciliés avec l’impérialisme.

Rabin fut assassiné deux ans plus tard par un fanatique israélien ; Arafat est mort en 2004, peut-être assassiné par des agents d’Israël ; Peres en revanche a continué pendant encore 20 ans à occuper des postes importants de l’État israélien, succédant à Rabin comme Premier ministre en 1995, dirigeant de l’opposition à une série de gouvernements de droite, puis, après avoir quitté le Parti travailliste pour le parti « centriste » Kadima (En avant) créé par un autre criminel de guerre israélien, Ariel Sharon, il fut élu par la Knesset en 2007, à 83 ans, pour un mandat de 7 ans comme président du pays, une position essentiellement honorifique.

Ce fut au cours de son second mandat de Premier ministre, en 1995-96, que Peres se rendit coupable d’un crime particulièrement sanglant, lorsque le gouvernement qu’il dirigeait lança l’opération Raisins de la colère, un assaut militaire contre le Hezbollah au Liban. Au cours de cette opération, l’armée israélienne a bombardé un camp des Nations unies à Qana, au Liban, tuant plus de 100 civils libanais qui s’y étaient réfugiés.

Robert Fisk, correspondant de longue date au Moyen-Orient pour le journal britannique The Independent, fut un témoin direct du massacre de Qana. Il a écrit à ce sujet mercredi dans un article intitulé, « le boucher de Qana » : « Lorsque le monde a appris la mort de Shimon Peres, il s’est exclamé "le faiseur de paix" ! Mais quand moi j’ai appris que Peres était mort, j’ai pensé sang, feu et massacre. »

Il a décrit ainsi la scène : « Des bébés démembrés, des réfugiés hurlant, des corps calcinés. C’était un endroit appelé Qana et la plupart des 106 corps – pour moitié des enfants – sont maintenant enterrés sous le camp de l’ONU, là où ils ont été mutilés par les obus israéliens en 1996. Je faisais partie d’un convoi d’aide de l’ONU juste devant ce village du sud Liban. Ces obus fusaient juste au-dessus de nos têtes vers les réfugiés rassemblés plus bas. Cela a duré 17 minutes. »

Peres a lancé cette opération en partie pour renforcer sa crédibilité de chef militaire pour les élections qu’il perdra tout de même face à Netanyahu quelques mois plus tard.

Un autre critique, Gideon Levy, a noté dans Haaretz : « On ne peut pas soutenir qu’il [Peres] est une figure formidable, comme le fait le monde entier maintenant, sans décrire également son pays. Si Peres a été un héros de la paix, alors l’État d’Israël est un pays qui veut la paix. Qui peut y croire ? On ne peut pas dire de ce pays que c’est un occupant, un voleur de terres, un paria, tout en disant de Peres que c’est un géant de la paix. »

Le fait que Peres, un militariste et un partisan des massacres, l’un des fondateurs de l’État d’Israël, soit considéré comme un gauchiste ou un pacifiste par l’actuel gouvernement Netanyahu, témoigne de toute la dérive droitière de la politique officielle israélienne. Avant sa mort, le Parti travailliste israélien avec lequel il était identifié n’était plus que l’ombre de ce qu’il fut, déclarant « inatteignable » la « solution à deux États » qu’il avait préconisée et défendant un projet d’apartheid pour emprisonner les Palestiniens dans des territoires fragmentés, des bantoustans, par un vaste développement des murs de séparation.

Dans une déclaration publiée par la Maison-Blanche, le président Obama a décrit Peres comme « l’essence même d’Israël ». Étant donné le bilan de sa vie, à savoir le militarisme, les expropriations de Palestiniens, les assassinats et les massacres, c’est bien une condamnation de l’État d’Israël.

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