mardi 4 août 2009
Pourquoi la bourgeoisie et son Etat tolèrent en France les explosions de colère des ouvriers, sans trop réprimer, sans jeter de l’huile sur le feu...
parce qu’il pensent qu’ils provoqueraient une explosion ouvrière en agissant autrement, parce qu’ils comptent sur les dirigeants syndicaux pour organiser des "lâchers de vapeur" et calmer les choses en évitant la lute d’ensemble des travailleurs, et surtout parce que l’opinion, pour le moment, comprend les ouvriers. Donc les classes dirigeantes rongent leur frein, laissent dire et un peu faire. Quitte à attaquer plus tard, dès que l’on aura réussi à supprimer le caractère émotionnel de l’opinion à l’égard des ouveirs qui sont jetés à la rue ....
« Le Nouvel Economiste » qui s’intitule « journal des directions d’aujourd’hui », donc bien évidemment un journal qui se veut un organe de réflexion des patrons, écrit le 9 juillet 2009 :
« Les raisins de la colère
Et si la violence était une constante du dialogue social à la française ?
(…) Les Français… un peuple perpétuellement en colère, porté sur la révolte et la contestation et dont l’Histoire – des grandes révolutions à Mai 68 – s’apparente à une succession de grands spasmes contestataires, de vifs mouvements de révolte. Peuple qui, depuis qu’il a pris la Bastille et guillotiné un roi, a le fantasme de la révolution. D’où sa tendance naturelle à tempêter et à se soulever et surtout, à user de la colère comme d’un argument classique de négociation sociale, toléré par les politiques et accepté par l’opinion publique (…) comme les séquestrations des dernières semaines et les spectaculaires montagnes de pneus en flammes… révoltes sourdes, spontanées. Incontrôlables car dépourvues de cadre collectif et donc, potentiellement dangereuses. A surveiller.
Des dirigeants d’entreprise à la cravate dénouée et à la barbe naissante émergeant, hagards, d’une nuit de séquestration dans leur bureau, d’autres fuyant sous une volée d’œufs, des pneus brûlés, une sous-préfecture attaquée au lisier, des locaux saccagés… Difficile d’ignorer ces manifestations de « violences visibles » qui, depuis quelques mois, se multiplient aux quatre coins du pays. Signe d’une évidence : le climat social se tend et chez les salariés de tous bords, la colère gronde. Au point que, après la référence de Dominique de Villepin à un climat « pré-révolutionnaire », certains observateurs n’hésitent plus à prédire une crise ouverte pour la rentrée. Certes, les raisons objectives de mécontentement ne manquent pas : annonces de licenciements, de délocalisations – dans le meilleur des cas assorties de propositions de reclassement improbables – fermetures de sites, le tout sur fond de révélations choc sur les niveaux de rémunérations de certains grands dirigeants. De quoi répandre une belle traînée de poudre dans les rues et les consciences. (…) En septembre, tout va se compliquer : ces annonces des mois derniers arriveront en phase de concrétisation et déboucheront sur un surcroît de chômage. On attend un million de chômeurs supplémentaires pour la fin de l’année dont 600.000 dus à des licenciements collectifs. Dans tous les domaines économiques, il ya aura des baisses d’effectifs. (…) Sur le plan social, les syndicats ont la capacité de canaliser la colère, la rendre vivable (…) Les irruptions de colère maîtrisée et à la loghorrhée révolutionnaire ont une fonction de soupape. (…) C’est le paradoxe d’un pays qui éprouve une véritable attirance pour les postures rédicales tout en étant doté d’une conscience collective beaucoup plus mâture qu’il n’y paraît et de syndicats parfaitement conscients du fait que, si les petites crises occasionnelles sont acceptées, aller plus loin dans les expressions de colère ne déboucherait sur rien socialement et politiquement. (…) Dirigeants et DRH savent qu’il faut accepter de consacrer du temps et de l’énergie sur des enjeux secondaires sous peine de s’exposer à une crise réelle. C’est pourquoi certains DRH consacrent parfois 50 à 60% de leur temps à dialoguer sur des questions qui peuvent paraître mineures – aménagement de l’espace de travail, charge mentale, horaires, etc. – mais qui, toutes, constituent des motifs de colère susceptibles un jour de se cristalliser pour déboucher sur une crise ouverte. Dans ce rapport, les CHSCT sont une instance incontournable du dialogue social : c’est le lieu d’expression officiel de la colère, là où s’évacue une grande partie des motifs de mécontentement. C’est admis et intégré par les directions qui savent que, en matière de dialogue social, aucun accord n’est jamais définitif puisqu’en France, les revendications sont sans fin. Et les motifs de révolte illimités. La dernière chose à faire consisterait à chercher à interdire la colère. L’expression d’une juste colère, voire d’une certaine forme de révolte, est non seulement nécessaire – surtout par rapport aux questions de santé au travail et aux risques psychosociaux en entreprise – mais aussi salutaire. Voilà pourquoi la colère doit trouver des espaces d’expression. Pour cela, le rôle joué par les syndicats est essentiel, surtout lorsqu’ils sont accompagnés d’experts indépendants, non inféodés à la direction de l’entreprise qui, en jouant un rôle de contre-pouvoirs, permettent de créer un véritable espace de dialogue équilibré, puis une équité dans la négociation. C’est pourquoi le seul moyen que la colère soit entendue et évacuée est que la prise de parole qui en découle soit légitimée. La dernière chose à chercher consisterait à chercher à interdire la colère (…) Cela reviendrait à multiplier les risques de la voir déboucher sur des formes réelles de violence (…) »