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Qui était Jules Méline ?

mercredi 21 février 2024

Jules Méline

Source Une France sans Paysans (M. Gervais, C. Servolin, J. Weil - 1965)

Jules Méline (1838-1926) est un personnage-clé de cette histoire. Jeune député des Vosges, en 1871, ce fut d’abord pour le compte des cotonnades de ce département qu’il se fit le défenseur des thèses protectionnistes. Plus tard, il comprit quel parti on pouvait tirer de l’exploitation démagogique des inquiétudes paysannes et combien cela profiterait à la stabilité de l’électorat radical modéré.

C’est lui qui fit voter les premières lois protectionnistes, en 1884, et il paracheva son oeuvre, en 1892, comme chef d’un gouvernement dans lequel il avait eu la coquetterie de se réserver le portefeuille de l’Agriculture. Comme le note Augé-Laribé, qui fut, pendant cinquante ans, l’un des observateurs les plus perspicaces de l’agriculture française, : "il convient de marquer ce moment de notre histoire agricole ; c’est celui où elle quitte la route qui monte pour prendre celle qui descend".

"Celle qui descend" ? La formule est à peine exagérée. Les statistiques, retraçant aussi bien l’évolution des techniques que celle des structures de production, enregistrent avec une saisissante netteté le coup d’arrêt que reçut alors le progrès agricole.

L’agriculture française avait entamé sa "révolution " avec beaucoup de retard sur la plupart des pays occidentaux, et ses progrès vers la réalisation complète du modèle de polyculture-élevage n’avaient pas été particulièrement rapide. Après les événements de 1884-92, l’allure se ralentit encore. On allait voir subsister, jusqu’en 1945, une agriculture d’un type particulier, où l’immense majorité des exploitants pratiquait un système de polyculture-élevage peu élaboré, peu intensif, ayant des caractères nettement archaïques. Adoptant très lentement les progrès techniques, ce système, d’une faible productivité, allait dégager très peu d’excédent de main-d’oeuvre. Pendant un demi-siècle, tout le monde pensa que cette routine somnolente participait à l’essence éternelle de l’agriculture.

Méline, défenseur de la paysannerie

Source : La Révolution Rurale en France (G. Wright-1964)

La clé de voûte de la législation agricole de la IIIème république fut la loi douanière de 1892, à laquelle reste attaché le nom de Jules Méline.

Cette loi assit la réputation de Méline, preux chevalier de la paysannerie, et amena par la suite les ministres de l’Agriculture à mettre toujours son portrait à une place d’honneur au mur des cabinets ministériels. Et pourtant on a quelques raisons de douter que le tarif Méline fût adopté pour donner satisfaction aux pressions de la paysannerie, et qu’il convînt réellement aux besoins de l’agriculture française. Des intérêts industriels—en particulier ceux des produits textiles—furent les principaux promoteurs de la protection garantie par des tarifs élevés ; et Méline fut assez rusé pour raccrocher la protection de l’agriculture au projet de loi et en assurer ainsi l’adoption. Il trouva appui auprès des grands producteurs de céréales du Nord-Est, qui se trouvaient sérieusement menacés depuis 1880 par les bas prix du grain en provenance d’Amérique, de Russie et d’Australie.

La grande masse des petits paysans ne s’en trouva que peu affectée, car il leur fallu supporter de perdre autant qu’ils gagnaient à l’application d’un système tarifaire maintenant les prix à un niveau élevé. Pourtant ils furent séduits par l’idée que l’agriculture allait être sur un pid d’ "égalité" avec l’industrie dans une protection douanière, et ils furent sensibles à la menace d’une invasion de produits agricoles importés qui eût pu les contraindre à des changements radicaux—changements incalculables, et donc redoutables—dans leur mode de vie.

Même les petits paysans se montrèrent donc accueillants à la légende qui voulait que Méline les eût sauvés de la perdition. Quant aux grands producteurs de céréales, ils bénéficièrent sans aucun doute des tarifs de Méline, car beaucoup auraient jugé difficile ou impossible de se reconvertir à d’autres cultures.

A l’époque, quelques hommes dénoncèrent le tarif Méline comme une erreur desastreuse, et beaucoup leur ont fait écho par la suite. Selon ces critiques, l’effet de ce tarif fut d’orienter l’agriculture française vers une sorte de semi-autarcie, et de pétrifier l’agriculture française dans sa structure du XIXème siècle—juste au moment où une évolution naturelle aurait pu la pousser vers une modernisation. L’accusation est fondée, quoique en partie seulement. Le tarif ne condamna pas l’agriculture française à une stagnation inévitable ; il donna simplement une excuse toute faite tant aux paysans qu’aux hommes politiques pour se laisser aller à des habitudes de paresse et de routine. Certains cultivateurs résistèrent à la tentation et se tournèrent vers les méthodes modernes, même sans être pressés par l’aiguillon de la nécessité économique. Ce fut surtout le cas dans des régions telles que les grandes régions céréalières du Bassin parisien et du Nord-Est, dans la zone de petite exploitation hautement productive limitrophe de la frontière belge et dans la région proche de la côte bretonne où primeurs et cultures fruitières avaient pris une extension récente.

Les hommes politiques, en revanche, n’eurent aucun mal à se persuader que l’agriculture avait reçu son dû de l’Etat et que les paysans pouvaient désormais venir à bout de leurs propres problèmes sous l’aile protectrice du tarif. Durant le quart de siècle qui suivit, aucun ministère ne proposa de programme agricole sérieux. Le système national d’éducation agricole restait débile et vétuste. Le corps pubic de conseillers agricoles était trop clairsemé pour pouvoir donner une grande impulsion à la modernisation des techniques agricoles ou tracer des perspectives d’action à la nouvelle génération paysanne. Les crédits annuels de l’Etat pour l’équipement rural (routes, lignes à haute tension, adduction d’eau, irrigation et drainage, amélioration de l’habitat) étaient ridiculement faibles. Il ne fau sans doute pas en accuser les hommes politiques ; leurs électeurs ruraux ne demandaient qu’une chose : qu’on les laissât tranquilles ; et ils se seraient sans doute opposés à tout programme un tant soit peu sérieux de réforme de réforme de l’agriculture. Tout ce qu’on peut dire, c’est que les dirigeants politiques français ne surent pas proposer à leurs électeurs autre chose que la stagnation.

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