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La lutte syndicale vue par Pierre Monatte : le groupe d’études syndicalistes au centre d’un cercle ouvrier

lundi 18 décembre 2023

Dans ce texte qui fait suite à celui sur la culture de soi-même, P. Monatte décrit, en 1917 dans es tranchées, l’étape suivante pour la reconstruction du syndicalisme révolutionnaire après la guerre : le groupe d’études syndicaliste.

Ce groupe d’études syndicaliste organise autour de lui des groupements spécialisés (jeunes, ouvriers étrangers, etc), le tout formant un cercle ouvrier

C’est une erreur courante que notre pensée se forme et mûrit vers la vingtaine. En réalité, c’est généralement beaucoup plus tard, autour de la trentaine, sur les résultats de notre connaissance personnelle de la vie.
Mais la guerre aura activé cette connaissance, précipité cette maturé pour un certain nombre de générations.

Autrefois, des quantités de jeunes gens ne pouvaient faire franchir à leurs idées le cap de la mise en ménage et de l’installation dans la vie. Des opinions révolutionnaires, ça faisait partie de la morve à jeter par la jeunesse.

Combien les rejetaient ! Leur nombre était énorme. En France, le déchet fait par toutes nos organisation était formidable. Nos syndicats, comme les groupes socialistes ou anarchistes, étaient des lieux e passage ; on y restait quelques mois ou quelques années, bien peu y étaient, s’y sentaient pour la vie.

Je ne puis croire que le mouvement d’aucun pays ait souffert d’une telle déperdition de forces. Et le plus triste, c’est qu’il restait en chemin beaucoup de natures sérieuses et ardentes. Peut-être les plus sérieuses et les plus ardentes.

Notre ami Brupbacher, de Zurich, passe son temps de guerre, m’a dit dernièrement quelqu’un qui lit de loin en loin son petit journal Der Revoluzionner, à faire une enquête sur la manière dont on vient au socialisme. Il pourrait employer plus mal son temps. une telle enquête psychologique ne peut manquer d’intérêt ; ce qui est vrai pour Zurich a bien des chances d’être vrai pour toutes les villes industrielles ; aussi un camarade lisant l’allemand ferait-il bien, sinon de traduire tout ce travail, probablement étendu, au moins de nous en donner dans l’Ecole une bonne analyse.

Si j’avais connu son projet, j’aurais conseillé à Brupbacher de ne pas rechercher seulement comment on vient au socialisme, mais encore comment on s’en retire. Là-bas, le mal est probablement moins grave, mais il y sévit aussi, sans doute.

Pourquoi tant de gens nous faussent-ils compagnie ? Pour quelles raisons ? Sous quelles influences ?

Oui, je sais, dans l’atmosphère universelle d’égoïsme où se préparait si bien l’orage sanglant de cette guerre, beaucoup nous quittaient pour ne penser qu’à leur intérêt personnel, pour se donner plus complètement au foyer qu’ils venaient de fonder.

Ils ne voyaient pas qu’ainsi ils exposaient aux pires dangers le foyer lui-même et les têtes chères qu’ils croyaient mieux sauvegarder.

Ce n’était pas la seule cause de dispersion ; ce n’était peut-être pas la plus importante. Il y en avait d’autres qui tenaient au contenu de notre action, à l’état d’esprit fiévreux qui régnait dans nos milieux, à nos habitudes de criaillerie, de dénigrement, au manque de confiance et de fraternité entre nous, au manque de sérieux de nos débats qui nous amenait à prendre des décisions que nous étions régulièrement incapables d’appliquer.

Qu’au bout dune série de déceptions graves certains parmi les meilleurs nous aient plnaté là, n’est-ce pas compréhensible ? D’autant plus compréhensible que nos idées les avaient seulement effleurés, qu’elles n’étaient pas entrées au fond de leur raison et de leur coeur.

Nous devons procéder à une révision sérieuse de nos idées. La dure leçon de cette guerre nous le commande. Mais, je suis bien tranquille, les bases de notre syndicalisme révolutionnaire n’en seront pas ébranlées ; elles en seront, au contraire, renforcées, inébranlablement cimentées.

Mais quelle révision de nos méthodes de propagande il nous faut accomplir au plus vite ! Quelle part d’efforts plus grande nous devrons donner à l’éducation et quelle importance parmi toutes les oeuvres d’éducation au groupe d’études des aînés !

Nous avons jadis surestimé la valeur actuelle du syndicat ; nous avions enfermé toute notre activité dans ce cadre. N’avons nous pas confondu ce qui sera sinon le point d’aboutissement, au moins un stade ultérieur de développement, avec le point de départ ? Je me représente fort bien, pour un lendemain assez proche, un vaste réseau d’oeuvres éducatives autour du syndicat et sous son aile. Mais pour le moment quelles oeuvres sont nées, se sont développées, se sont épanouies dans son champ ? Il est vide aujourd’hui. Pourtant, les essais ne manquèrent pas. L’ombre du syndicat leur fut-elle mauvaise ?

Pour aujourd’hui, je crois à la nécessité provisoire de la séparation, de l’indépendance de ces oeuvres éducatives. Les luttes intérieures qui se sont déchainées et qui ne manqueront pas de prendre toute leur intensité une fois la guerre finie, nous en feront d’ailleurs une obligation matérielle.

La renaissance syndicaliste est subordonnée à un vigoureux coup de balai dans la maison, c’est entendu ; mais les mêmes mains qui procèderont au nettoiement devront remettre de l’ordre et poursuivre le travail positif. Deux opérations à mener ensemble, aussi importante l’une que l’utre, deux aspects d’une même tâche.

Le meilleur groupe de défense syndicaliste, ce sera le vrai groupe d’études syndicalistes, le groupe d’idée, appelé à rassembler la minorité clairvoyante, à faire oeuvre immédiate et oeuvre de longue haleine, à doubler le syndicat d’un organisme qui sera comme ses yeux, en attendant d’être toute son âme réfléchie et ardente.

Les groupes d’études n’avaient pas, hier, grand attrait. Il en est peu qui aient laissé une trace durable ; il en est quelques-uns cependant. Je connais des centres où un groupe révolutionnaire, comme à Nancy, une jeunesse syndicaliste, comme à Brest, ont alimenté en militants, pendant des années, les syndicats de l’endroit. Beaucoup se rappellent, en outre, la précieuse série de brochures publiées, voilà une vingtaine d’années, par le groupe parisien des Etudiants socialistes, révolutionnaires, intrnationalistes, groupe constitué par des étudiants mais qui, par la suite, s’était ouvert à tous et ne comprenait, vers la fin, plus guère d’étudiants.

Nos groupes d’études à constituer ne donneront de résultats, ils n’auront de vie que dans la mesure où ils rassembleront un nombre plus ou moins grand de ces fervents de la planchette à livres que nous appelions la dernière fois. Eux seuls en seront le noyau solide, l’âme active et rayonnante.

Qu’une demi-douzaine d’entre eux, de tempéraments et de tendances divers, mais liés par un même désir de travailler à l’émancipation du peuple, décide de s’assembler un soir par semaine pour causer familièrement, entre égaux, pour échanger là renseignements et impressions, pour confronter remarques et point de vue et voilà le meilleur groupe d’étude fondé.

Ses réunions hebdomadaires seront l’utile complément des veillées pasées à la maison en tête à tête avec les livres ; l’oeuvre de culture de soi-même s’y continuera, s’y parachèvera.

Tout naturellement, ce groupe des aînés s’intéressera aux autres oeuvres ouvrières d’éducation, à celles que le besoin réclame, aux groupes de pupilles, d’apprentis, qux jeunesses syndicalistes, aux groupes féminins, aux groupes d’ouvriers étrangers. A chaque âge, à chaque besoin son groupement spécialisé. Le groupe d’études non seulement s’intéresserait à eux, mais les encouragerait, les soutiendrait, leur donnerait un effectif patronage.

Plus près les uns des autres, les jeunes et les vieux ne se méconnaîtraient plus et s’influenceraient heureusement. Les reproches qu’on faisait hier aux jeunesses socialistes de former des éléments turbulents, aux jeunesses anarchistes de verser dans l’individualisme et de conduire au faux monnayage, à la caricature répugnante de l’amour libre, ne trouveraient plus de fondement. Les meilleurs enfants de notre jeunesse ouvrière seraient aisément sauvés des deux écueils qui en ont tant englouti jusqu’à ce jour : la politique où tombent ceux qui ont trop d’ambition et l’individualisme où sombrent ceux qui ont trop d’égoïsme.

Au centre, le groupe d’études : autour toute une série d’oeuvres éducatives ; le tout formant le cercle ouvrier. Qu’on ne s’effraie pas des difficultés matérielles de sa réalisation. Elles se résoudront d’elles-mêmes. Trouvez les hommes ; ils existent, mais épars ; ils ne viendront pas sur un simple appel ; modestes, méfiants, ils voudront voir le travail sérieux à faire ; ils attendront peut-être qu’il soit en train, mais ayez confiance, ils viendront, et vous les verrez un à un se mettre tranquillement à la besogne. Il suffit de commencer ; le coin de salle des premiers soirs ne pourra bientôt plus les contenir.

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