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Octobre 1934 en Espagne : la révolution manquée

samedi 24 février 2018, par Robert Paris

Grandizo Munis :

« Venons-en enfin aux Asturies, la seule partie du pays où le mouvement d’octobre 1934 prit dès le premier jour un caractère insurrectionnel aigu. Le mouvement ouvrier espagnol ne rendra jamais assez hommage à ces courageux mineurs, qui surent s’emparer rapidement de la région en attaquant la Garde civile avec seulement quelques armes et de la dynamite. Grâce à eux, l’insultante désertion socialiste se retourna contre les dirigeants du PSOE ; grâce à leur geste magnifique, la réaction se trouva embourbée dans son offensive et le prolétariat put à nouveau relever la tête, récupérer de l’énergie et contre-attaquer ; grâce à ce soulèvement, la réaction fut finalement stoppée, bien que le prix à payer fût immense ; grâce aux mineurs asturiens, le prolétariat et les paysans espagnoles eurent l’occasion d’écrire, pendant la Guerre civile, une des pages les plus glorieuses et les attachantes de l’histoire révolutionnaire mondiale. Les classes révolutionnaires se souviendront à jamais des Asturies rouges de 1934. »

Octobre 1934 : pourquoi les Asturies ont été isolées malgré l’insurrection montante dans toute l’Espagne ?

De Grandizo Munis

Le mouvement insurrectionnel d’octobre 1934 à Madrid, en Catalogne et dans les Asturies (extrait de « Leçons d’une défaite, promesse de victoire »

« La vague « à gauche » qui parcourait l’Europe (fin 1933) poussait les jeunes socialistes à l’extrême gauche… de la deuxième internationale (social-démocratie). S’ajoutant en Espagne aux résultats réactionnaires de la collaboration de classe (politique précédente des « socialistes »), elle provoqua la division du Parti socialiste en deux tendances, l’une dirigée par Julian Besteiro, solidement attachée à un réformisme traditionnel, et l’autre dirigée par Largo Caballero. Partisan et acteur de la collaboration de classes depuis Primo de Rivera jusqu’à Manuel Azaña, Largo Caballero se saisit de l’occasion pour se reconvertir en défenseur du virage à gauche… Ce virage à gauche eut un effet électrique sur les masses espagnoles. Quand, de la tribune d’un village paysan de l’Estémadure, Largo Caballero déclara :

« Nous sommes convaincus que la démocratie bourgeoise a échoué ; à partir d’aujourd’hui, notre objectif sera la dictature du prolétariat. »

Le panorama politique en fut soudain radicalement modifié…

La fraction Caballero ne fit rien d’autre que rendre au mouvement ouvrier et paysan ses sentiments et ses penchants naturels, bâillonnés jusqu’alors par le Parti socialiste lui-même…

Indalecio Prieto, dirigeant socialiste, venait de prononcer l’un de ses vibrants discours au ton olympien et menaçant :

« Devant le prolétariat espagnol et le prolétariat mondial, le Parti socialiste prend l’engagement solennel de déclencher la révolution. »

Ainsi le partisan actuel du corporatisme menaçait le fascisme. Mais le fasciste Gil Robles, nullement impressionné, lui répondit :

« Vous, les socialistes, vous ne serez jamais capables de déclencher la révolution, car vous en avez peur ; nous savons qu’en ce qui vous concerne, tout restera au niveau des paroles. »

L’histoire du triomphe du fascisme dans toute l’Europe est condensée dans cette réponse du chef le plus accrédité de la réaction espagnole, du moins à l’époque. Il est difficile d’imaginer un jugement plus infamant pour un parti ouvrier qui se prétend socialiste…

Pour mieux comprendre les événements de cette période et les causes déterminantes de la défaite d’octobre 1934, il nous faut diviser la chronologie en trois étapes, correspondant aux changements des rapports de forces directement déterminés par l’évolution concrète de la lutte.

La première étape s’étend du virage à gauche socialiste (à la fin de 1933) jusqu’à la grève générale de Madrid (en avril 1934) et à la crise gouvernementale qu’elle provoqua.

La deuxième étape s’étend d’avril 1934 à la grève générale des paysans, durant l’été 1934.

La troisième débute par la débâcle des paysans et s’achève par la défaite des ouvriers en octobre 1934.

Malgré leur écrasante majorité parlementaire, Gil Robles et sa bande de troglodytes n’osaient pas siéger au gouvernement… et ils soutinrent le gouvernement formé par Alejandro Lerroux dans l’espoir que celui-ci briserait le renouveau d’énergie des masses et hâterait l’avènement de la droite.

Mais cette perspective s’éloignait à mesure que les semaines passaient. L’activité et l’optimisme gagnaient chaque jour du terrain chez les ouvriers et les paysans. La majorité des grèves – qui, au cours du mois précédent, se terminaient par des défaites – remportaient maintenant des victoires triomphales…

Deux petites organisations (la Izquierda Communista et le Bloc ouvrier et paysan), prirent l’initative de créer des organismes de front unique qui auraient pu se transformer en organes de pouvoir ouvrier.

Sous le nom d’Alliance Ouvrière (AO), le premier apparut à Barcelone, ville où le Parti socialiste était quasiment inexistant. L’UGT, l’Union socialiste, la izquierda Communista, le Bloc Ouvrier et Paysan, le PSOE, les syndicats d’opposition « trentistes » et la Union de Rabassaires (métayers-vigneronts) s’engagèrent à créer un front unique ouvrier.

Le principal paragraphe de la déclaration de l’Alliance Ouvrière de Barcelone déclarait :

« Nous, les organisations signataires, aux tendances et aspirations doctrinales diverses, mais unies dans un désir commun de préserver les conquêtes obtenues jusqu’ici par la classe ouvrière espagnole, avons constitué l’Alliance Ouvrière pour nous opposer à l’intronisation de la réaction dans notre pays… »

Malgré ses formules extrêmement vagues et le caractère défensif, limité, de ce texte, cet engagement commun stimula beaucoup l’action et marqua un pas en avant essentiel vers la création d’organismes de pouvoir ouvrier…

Après quelques hésitations des socialistes, une deuxième Alliance Ouvrière fut créée à Madrid, avec des représentants du Parti socialiste, des Jeunesses socialistes, du syndicat UGT, de la Izquierda Communista et des groupes syndicaux « trentistes ». La Fédération syndicale du tabac, organisation indépendante, la rejoignit ensuite.

Pour la première fois en Espagne, le Front unique ouvrier était accepté par des organisations de masse aussi importantes que l’UGT et le Parti socialiste. Le fait aurait pu être décisif pour le triomphe de la révolution, si les socialistes avaient considéré les Alliances Ouvrières comme un véritable instrument d’unité et d’action ouvrières, plutôt que d’y voir un moyen de pression supplémentaire pour obliger le président de la République à accepter de nouveau un gouvernement de coalition socialo-républicaine.

Anarchistes et staliniens refusèrent d’entrer dans les Alliances Ouvrières, malgré les propositions répétées qui leur furent adressées…

La CNT se divisa en deux tendances : l’une hostile, l’autre favorable à l’adhésion. La seconde tendance gagnait du terrain tous les jours et s’imposa dans la région des Asturies, où la CNT participa à la création d’une troisième Alliance Ouvrière ; dans le reste de l’Espagne, l’isolationnisme des anarchistes persista, en grande partie grâce à l’incapacité des deux principales Alliances Ouvrières.

De leur côté, les staliniens, soumis à la dictature de leurs chefs incontestés, ne purent exprimer deux tendances visibles à ce sujet… Deux délégués furent envoyés à l’AO de Madrid pour l’attaquer avec les quelques ritournelles stupides qu’il maniait à l’époque : « social-fascisme », « trotsko-fascisme », « front unique à la base », etc. L’un des principaux dirigeants staliniens s’écria : « Si je devais m’asseoir à la même table que des dirigeants socialistes, je rougirais comme une vierge placée au milieu des prostituées. » Quelques mois plus tard, le même et son organisation exigeaient la création d’un parti unique avec ces mêmes prostituées et prétendaient se faire passer pour les créateurs des AO…

La classe ouvrière et les paysans considéraient les Alliances Ouvrières comme « leurs » organisations et ils s’attendaient à les voir se multiplier partout, se mettre à la tête des luttes ouvrières et organiser la prise du pouvoir. Mais les socialistes n’en avaient nullement l’intention…

L’Alliance Ouvrière la plus importante à l’échelle nationale, celle de Madrid, était écrasée sous le poids des délégués socialistes. Le vote de ces derniers jouait un rôle décisif. On ne pouvait espérer modifier le rapport de forces ni influencer les votes à travers la discussion, étant donné le caractère bureaucratique des délégations. Et il était impossible de changer leur mode de désignation…

Après diverses réunions nationales des jeunesses de l’Action populaire (mouvement fasciste de Gil Robles qui arborait une chemise à la mode fasciste), organisées, sans grand succès, loin de la capitale, le Chef convoqua une grande réunion nationale à l’Escorial, haut lieu des fantasmes impériaux… Depuis plusieurs semaines, la Izquierda Communista soulignait, au sein de l’Alliance Ouvrière, la nécessité de combattre ce projet par tous les moyens… Les délégués socialistes s’opposaient systématiquement à ces propositions et déclarèrent que « l’AO ne doit pas s’immiscer dans des questions de cette nature »…

A Barcelone, l’Alliance Ouvrière ordonna vingt-quatre heures de grève en soutien aux travailleurs de Madrid. Le mouvement fut un succès. Pour la première fois, une AO dépassait les limites fixées à son initiative par le contrôle exaspérant des socialistes qui, à Madrid, accueillirent plutôt de mauvaise grâce la solidarité des Barcelonais.

De leur côté, les forces de la réaction commencèrent à comprendre que, si les menaces de révolution étaient de simples paroles en l’air dans la bouche des dirigeants socialistes, elles se transformaient en convictions solides et en actes quand elles se répercutaient dans la conscience des masses…

Au dernier moment, l’après-midi même du 21 avril 1934, les dirigeants socialistes capitulèrent devant la pression prolongée des délégués de la Izquierda Communista et des syndicats « trentistes » oppositionnels : ils acceptèrent de lancer une grève générale de vingt-quatre heures à Madrid ! Néanmoins, l’ordre ne fut pas lancé au nom de l’Alliance Ouvrière, mais des Jeunesses socialistes, tellement les sociaux-démocrates craignaient que l’Alliance Ouvrière n’acquière une force et un prestige nationaux !

Comme s’y attendaient tous ceux qui poussaient à la grève depuis des semaines, le succès de la mobilisation fut total, d’une rapidité surprenante et d’une ampleur telle qu’il mit en échec le rassemblement fascisant. Moins de trois heures après l’appel à la grève, la ville était entièrement paralysée et plongée dans le silence, comme si elle avait été désertée par ses habitants… La grande mobilisation fasciste subit un échec énorme et ridicule… Le succès même de la grève souligna combien la direction socialiste avait été incapable de tirer parti de la situation. Pour les dirigeants socialistes, la grève représentait une sorte de saut dans le vide, les yeux fermés, auquel ils n’avaient pas pu résister. Ils laissèrent localement des ouvriers, de jeunes militants socialistes et des organisations minoritaires prendre l’initiative et décider des actions à mener… Les dirigeants socialistes ne lancèrent pas d’autre consigne que celle d’une grève passive… Le principal objectif à ce moment était la dissolution des Cortes réactionnaires. Le Parti socialiste fut incapable de lancer ce mot d’ordre, extrêmement populaire, et d’agir pour le faire triompher. Ce qui aurait pu être une action offensive d’une grande profondeur et aux conséquences importantes (Barcelone, Valence, les Asturies et Bilbao auraient pu s’adjoindre au mouvement) resta, grâce aux socialistes, une simple bataille locale et défensive…

Le mouvement de solidarité avec la grève générale de Saragosse, qui durait déjà depuis plusieurs mois, donna aux socialistes une nouvelle occasion de violer traitreusement, et d’une façon encore plus éhontée, les décisions de l’Alliance Ouvrière. Le délégué de la Izquierda Communista, de concert avec le délégué des syndicats « trentistes », proposa à l’AO de Madrid que les ouvriers de toutes les organisations représentées fassent don d’une journée de travail à un fonds de résistance pour les grévistes, dont la lutte prolongée, les plongeant dans la misère, risquait de faire gagner les patrons… En même temps, les dirigeants socialistes publiaient les propositions en les présentant comme une initiative de la commission administrative de l’UGT. Que pouvait-on faire avec des alliés aussi manœuvriers qui niaient totalement le rôle de l’Alliance Ouvrière et qui l’éloignaient de plus en plus de son indispensable transformation en un organisme de front unique démocratique, susceptible de servir de base au futur pouvoir révolutionnaire ? (…)

Politiquement, la démission du gouvernement d’Alejandro Lerroux représenta une victoire pour le prolétariat… Mais l’action ouvrière n’avait pas réussi à obliger la réaction à opérer une retraite générale, uniquement un repli momentané…

Les socialistes, qui vivaient dans la nostalgie de leur coalition avec la bourgeoisie, crurent que le président de la République regrettait son évolution vers la droite, et que son geste inaugurait une nouvelle idylle socialo-républicaine. Au lieu d’accélérer la lutte révolutionnaire, de donner plus d’ampleur au front unique, et de prendre l’offensive, comme la situation l’exigeait, ils intensifièrent leur campagne contre les grèves, modérèrent leur phraséologie révolutionnaire et relâchèrent encore davantage leurs liens avec les autres organisations ouvrières.

Indalecio Prieto – qui (drôle de paradoxe) passait pour un grand rhéteur, voire un théoricien révolutionnaire – fut le premier à se retourner vers les républicains bourgeois. Dans un discours prononcé au Parlement, il promit tacitement de mettre fin aux velléités révolutionnaires de son parti, de rompre les contacts avec les autres organisations ouvrières et de conclure une nouvelle alliance socialo-bourgeoise. C’est avec un pied dans l’alliance avec la bourgeoisie et un demi-pied dans l’alliance avec le prolétariat, que les socialistes abordèrent la grève paysanne, l’une des plus importantes au cours de la révolution espagnole.

Les progrès du prolétariat, les grèves victorieuses, les grèves politiques à Madrid, à Barcelone et dans les Asturies, l’enthousiasme général en faveur du front unique, les quelques pas positifs effectués dans cette direction et les promesses d’une révolution prochaine, ainsi que l’aggravation chronique des problèmes agricoles provoquèrent une renaissance de l’activité et de la conscience paysanne…

La grève éclata au moment où les paysans du Sud devaient commencer les moissons. Des milliers d’ouvriers agricoles s’arrêtèrent de travailler, stimulés par les promesses de victoire lancées par les dirigeants socialistes de la Fédération. Le deuxième jour, pas moins de cent mille ouvriers agricoles étaient en grève dans toute l’Espagne. L’action, dont les mobiles immédiats étaient économiques, avaient indirectement une importance politique exceptionnelle… Vaincu, le mouvement paysan serait perdu pour l’action révolutionnaire et le prolétariat se retrouverait seul devant la réaction au moment de l’affrontement. Et vaincre sans le soutien du prolétariat urbain était impossible aux paysans. Le moment était propice pour une action convergente de prolétariat industriel, du prolétariat agricole et de la paysannerie pauvre… Les moissons attendaient dans les champs ; les tensions politiques et la détermination des paysans étaient à l’acmé. Les patrons ne pouvaient retarder la récolte sous peine de subir de graves pertes. Dans les villes, l’esprit combatif du prolétariat bouillonnait de nouveau ; il avait récupéré de ses défaites antérieures, grâce aux victoires des grèves politiques et aux grèves du Bâtiment, de la Métallurgie et de Saragosse et il se sentait enclin à soutenir les paysans qu’il sentait comme ses alliés naturels. Le moment politique était exceptionnellement favorable…

La Izquierda Communista posa à l’Alliance Ouvrière de Madrid la question de la grève paysanne, des semaines avant que celle-ci ne démarre… Les délégués du Parti socialiste répondaient invariablement :

« Inutile de s’engager dans des discussion théoriques profondes ; c’est à la Fédération des travailleurs de la terre de se charger du problème des paysans. L’Aliance Ouvrière ne doit pas se mêler des luttes quotidiennes… »

La nuit suivante, on reçut de nombreuses informations sur la violence féroce qui se déchaînait contre les paysans. L’Andalousie et l’Estrémadure n’étaient plus qu’un immense champ de guérillas, où les paysans désarmés et dispersés dans des milliers de villages, tombaient sous les balles de la garde civile et de la garde d’assaut, spécialement concentrées contre eux…

La Izquierda Communista publia un manifeste qui fut très bien accueilli, où il demandait aux ouvriers d’exiger de leurs syndicats qu’ils lancent une grève de solidarité avec les paysans durant quarante-huit heures…

Au cours de ces mois où les socialistes jouèrent aux pseudo-révolutionnaires, et où les masses se radicalisèrent effectivement, durant cette période où alternèrent triomphes et échecs, grandes impostures et promesses ou possibilités véritables, la CNT ne joua qu’un rôle secondaire. Elle s’enfonçait de plus en plus dans la crise qui avait débuté par la lutte de tendance entre ses oppositionnels « trentistes » et la FAI. Contrôlant presque totalement la direction, l’anarchisme affaiblissait chaque jour davantage l’organisation syndicale avec ses principes et ses méthodes absurdes. Son refus du front unique faillit provoquer une nouvelle scission. Sensibles aux sentiments du prolétariat et aux nécessités du moment, les éléments les plus conscients luttaient au sein de la CNT pour adhérer aux Alliances Ouvrières. Malheureusement, ils ne réussirent pas à s’imposer, en dehors des Asturies. La lutte interne autour de cette question donna de nouveau l’occasion aux militants de la FAI les plus récalcitrants de combattre la tendance favorable au front unique avec de grandes proclamations antimarxistes et en déployant un verbalisme ultra-maximaliste… L’influence de la FAI était si manifestement néfaste que l’Association Internationale des Travailleurs (l’AIT, l’organisme international des anarchistes) se vit obligée d’intervenir et condamna tacitement, dans une lettre, les manœuvres irresponsables et les aventures de la FAI…

La faiblesse de la CNT allait forcément laisser le champ libre au réformisme de l’UGT et du Parti socialiste… Les dirigeants anarchistes commirent une énorme faute en refusant le front unique. Fondée sur les intérêts de la classe ouvrière, et certainement plus sensible à l’émotion révolutionnaire des masses, leur participation aux Alliances Ouvrières aurait permis à ces organisations de prendre des décisions que les socialistes, en l’absence de la CNT, purent rejeter en toute impunité.

L’anarchisme prétendait ignorer l’importance énorme de la lutte qui se déroulait entre le prolétariat et la réaction, en Espagne. Il aspirait uniquement à rester en marge de ce combat. Après la grande grève politique du 8 septembre, l’organe anarchiste de la CNT de Madrid écrivait :

« Si les luttes actuelles pour le pouvoir opposent fascistes et marxistes, personne ne doit s’étonner de notre indépendance, car nous n’avons jamais eu d’appétit pour le pouvoir, et que la lutte électorale est étrangère à nos principes comme à notre tactique. »

(…) Ayant maîtrisé le front rural, le gouvernement et la réaction se retournèrent contre le front prolétarien. La suspension des garanties constitutionnelles, les mesures contre la presse ouvrière et la liberté d’expression, l’interdiction de réunions, l’emprisonnement de milliers de paysans et d’ouvriers, la fermeture de locaux syndicaux et politiques, la destitution de conseils municipaux hostiles au gouvernement, toutes les mesures arbitraires et les violences exercées par le pouvoir furent lancées par le gouvernement Samper, en préparation de la future attaque contre le prolétariat ! Tout cela de la part d’un gouvernement qui n’aurait pas résisté à une offensive cohérente et bien ciblée des masses. Tel fut le résultat de la veulerie du Parti socialiste…

Le 2 octobre, les socialistes annoncèrent aux délégués de l’Alliance Ouvrière qu’on passerait à l’insurrection au cas où l’Action populaire serait admise dans le nouveau cabinet… En effet, le 4 octobre 1934, lorsque fut rendue publique la composition du nouveau gouvernement présidé par Lerroux et auquel participait l’Action populaire (avec trois ministres, plus deux grands propriétaires), les socialistes adressèrent à l’AO un nouveau communiqué. Mais il ne s’agissait pas de l’insurrection… Non, les socialistes faisaient passer à l’AO un mot d’ordre de grève générale pacifique… afin de laisser au président Zamora le temps de méditer et demander la démission du gouvernement qui venait de se constituer…

Lorsque se produisit l’événement dont le Parti socialiste avait claironné qu’il serait le signal de la révolution, ce parti resta totalement coi. Le parti et ses bureaucrates disparurent comme si la terre les avait avalés. Les masses prolétariennes furent abandonnées à elles-mêmes, comme l’avaient auparavant été les masses paysannes…

Lorsqu’on annonça la composition du nouveau gouvernement, la grève revêtit un caractère général avant même que soit connu l’appel du PSOE. Dès la soirée du 4 juillet, la foule envahit les rues dans l’attente des armes qui avaient été vaguement promises. Un frisson terrible, de ceux qui précèdent les grands bouleversements, courut d’un bout à l’autre de Madrid. On sentait l’atmosphère surchargée d’électricité, prête à exploser… La foule énervée, mais décidée et impatiente de se lancer à l’attaque, se concentra intuitivement aux endroits stratégiques de la ville…

Sans s’inquiéter des forces de l’ordre, le prolétariat resta à son poste, attendant que le Parti socialiste lui procure des armes et lui dise comment et où commencerait le soulèvement…

Le lendemain, le 5, il n’était pas trop tard pour agir. Les masses occupaient encore les rues, pleines d’énergie et optimistes.

Le gouvernement de son côté avait repris un peu de confiance et occupé militairement les points les plus importants de la ville, mais il n’était pas sûr de ses troupes. Ses seuls éléments de répression sûrs étaient la Garde civile et la Garde d’assaut. Les soldats de la garnison de Madrid étaient en majorité des paysans dont les familles souffraient des conséquences de la répression de la grève générale précédente ; ils n’avaient donc que des raisons d’être hostiles au gouvernement et de sympathiser avec les révolutionnaires. Au premier succès du prolétariat, ils auraient déserté les rangs du gouvernement…

Les arrestations qui avaient commencé la nuit précédentes, se multiplièrent d’heure en heure durant toute la journée du 5 octobre. Et d’heure en heure s’estompait la possibilité d’une insurrection d’envergure…

Bref, la grève générale à Madrid dura avec une parfaite unanimité jusqu’au 13 octobre, jour où les socialistes donnèrent l’ordre de retourner au travail…

En Catalogne, malgré un prolétariat plus concentré que celui de Madrid, et aussi une Alliance Ouvrière (AO), sur laquelle le fardeau socialiste pesait moins, le mouvement d’octobre ne se développa pas beaucoup mieux qu’à Madrid. Cependant, dans cette région il fallait compter avec un autre avantage : la question régionaliste (catalane), question qui n’avait pas reçu de solution, s’était exacerbée depuis qu’un conflit ouvert entre le gouvernement catalan de la Généralité et le gouvernement central, du fait d’une loi sur les contrats agricoles édictée par le premier. Bien utilisées, ces circonstances pouvaient faciliter grandement le triomphe du prolétariat.

Mais la situation du mouvement ouvrier catalan avait montré, dans les derniers mois, certaines particularités qui devaient le mener à sa défaite. Il ne s’agissait pas d’un obstacle infranchissable, mais la politique suivie par les partis alliés dans l’Alliance Ouvrière et la politique de la FAI convergèrent pour maintenir ces particularités déplorables jusqu’au moment même de l’insurrection.

La scission syndicale en Catalogne (de l’aile de la CNT, dite des « Trentistas » favorable au front unique ouvrier, contre l’isolationnisme et de l’abstentionnisme de la FAI), a atteint son maximum durant les mois qui ont précédé Octobre… Cependant, le Bloc (Bloc Ouvrier et Paysan, principale force de l’Alliance Ouvrière en Catalogne et qui sera à l’origine de la formation du POUM) ne posa pas le problème syndical dans ses objectifs de classe : défendre et renforcer la CNT comme centrale syndicale, sans cesser de combattre le soi-disant apolitisme et l’isolationnisme aventuriste. A l’inverse, le Bloc vit dans la crise de la CNT une occasion de la liquider, en créant sa propre centrale syndicale…

La situation permettait permettait à la FAI de mettre sur le même plan la Généralité de Catalogne, l’AO catalane et la gauche caballeriste, de justifier son abstention et celle de la CNT. La FAI alla plus loin encore, et en vint à considérer que le gouvernement de Barcelone était davantage son ennemi que celui de Madrid…

De fait, même si Barcelone était le berceau, le prolétariat catalan avait perdu l’initiative révolutionnaire dont il avait presque toujours fait preuve auparavant. Cette initiative passa à Madrid et aux Asturies. Les grandes grèves politiques et ce vaste mouvement de solidarité avec les grévistes aragonais, affamés et héroïques, commencèrent à Madrid, et cela représenta une victoire politique retentissante. Ce fut dans les Asturies, et non en Catalogne, que le mouvement d’octobre 1934 acquit son plein niveau insurrectionnel et s’avança le plus loin. Et si Madrid, par décision des socialistes, laissa tomber les paysans en juin, Barcelone ne se posa même pas le problème. Néanmoins, si le prolétariat catalan uni s’était mis en marche, il aurait probablement réussi à insuffler au mouvement d’octobre 1934 un cours triomphant dans l’Espagne entière. Ce qui l’empêcha de remplir sa mission d’avant-garde, ce fut d’une part l’isolement anarchiste, opportunisme déguisé en radicalisme, et d’autre part l’opportunisme manifeste des partis coalisés dans l’Alliance Ouvrière, ainsi que le profond opportunisme de la gauche caballeriste…

A Barcelone, l’Alliance Ouvrière appela à des grèves en son propre nom et s’offrit au prolétariat comme une force collective dirigeante. Elle avait un avenir splendide en tant qu’organe de pouvoir et aurait pu servir d’exemple au reste du pays. Mais elle avait besoin, avant tout, de vaincre l’abstention de la CNT grâce à une politique juste, de se démocratiser en mettant la nomination des délégués entre les mains des usines, et de cesser tout flirt avec la bourgeoisie régionaliste, attitude commune à presque toutes les organisations qui faisaient partie de l’AO.

L’Alliance Ouvrière catalane échoua sur les trois questions. Au lieu de se convertir en poste avancé des Alliances Ouvrières, en adoptant en comportement quotidien ferme et en amorçant sa transformation en organes de pouvoir directement liés aux masses, l’AO vivota et finit par se laisser étouffer, comme un appendice de la Généralité bourgeoise catalane.

Le prolétariat aurait pu exploiter le conflit entre le gouvernement central et la Généralité, à condition de le faire servir aux intérêts du mouvement révolutionnaire, et non de mettre ce dernier au service des intérêts de la Généralité. C’est pourtant ce que fit l’AO de Barcelone… Voilà les fruits empoisonnés du catalanisme effréné de la majorité des organisations qui la composaient, surtout le Bloc Ouvrier et Paysan…

L’Alliance Ouvrière appela à la grève générale et s’adressa au gouvernement de la Généralité pour lui demander ce qu’il comptait faire. Comme ce dernier, à ce moment-là (le 4 octobre 1934) entrevoyait seulement la possibilité que Madrid lui accorde vie, l’AO attendit que la Généralité avance une idée… L’AO avait bien organisé, il est vrai, une manifestation devant le palais du gouvernement pour réclamer des armes ; celles-ci ayant été refusées, elle repartit attendre que bourgeois et petits-bourgeois catalanistes veuillent bien se battre… Mais ni aux régions ni au prolétariat, l’AO ne sut donner de directive, concernant une action insurrectionnelle ni d’un autre genre. Le mouvement la dépassait, il lui glissait entre les mains. Dans de nombreux villages, le prolétariat s’était rendu maître de la situation ; des barricades s’élevaient à Barcelone ; partout les masses agissaient spontanément et de façon désorganisée, sans que l’Alliance Ouvrière ne les guide et ne se place à l’avant-garde. Et comment l’aurait-elle fait, puisqu’elle était paralysée par un schéma qui octroyait l’initiative et la direction aux petits-bourgeois atterrés de la Généralité ? (…)

En effet, la Généralité ne se décida à faire quelque chose que lorsque la pression des masses lui interdit toute neutralité et lui barra la voie qu’elle empruntait pour s’entendre avec Madrid. Elle mit alors en scène une insurrection symbolique, uniquement pour « sauver l’honneur », selon le sermon du fameux document officiel de la Esquerra catalana. On était déjà le 6 octobre : c’était trop tard. Trop tard pour Madrid, et aussi pour Barcelone. A Madrid, les masses se sentaient déjà trahies et découragées, et le gouvernement très sûr de lui et maître de la rue… Il était aussi trop tard pour Barcelone, et ceci pour deux raisons : premièrement parce que durant les deux jours précédents on ne sut pas faire l’unité prolétarienne entre l’Alliance Ouvrière et la CNT, ce qui affaiblissait excessivement la capacité combative des masses et donnait à leur action un caractère inorganique et même contradictoire ; deuxièmement parce que, dans ces conditions, l’ « insurrection » de la Généralité marquait seulement le signal de sa capitulation. Si l’AO s’était adressée à la CNT aux moments décisifs en lui proposant une action commune et indépendante, le mouvement aurait pu passer rapidement dans les mains de la direction ouvrière unifiée. C’était l’unique façon d’empêcher la Généralité de capituler ou de faire que sa capitulation n’emporte pas avec elle le mouvement…

Voici ce que raconte Azaña à propos de la conversation qu’il eut le 6 octobre, à une heure de l’après-midi, avec Juan Lluhi, conseiller de la Généralité :

« Le samedi… monsieur Lluhi vint me voir, à une heure de l’après-midi, pour me dire qu’ils ne pouvaient plus résister à la pression populaire ; ils craignaient que les éléments qui la composaient donnent l’assaut à la Généralité et y aillent armés ; qu’ils s’emparent du gouvernement par la violence ; que déjà on les traitait de traîtres, de mauvais Catalans et de mauvais républicains. » Et après lui avoir dit que, pour empêcher cela, ils proclameraient l’après-midi un « Etat catalan à l’intérieur de la République fédérale espagnole », Lluhi enchaîna : « Puis nous laisserons faire, les uns et les autres. Ici nous devrons céder, comme nous avons laissé faire avec la République catalane quand la République espagnole est arrivée ; à Madrid aussi ils laisseront faire, et tout se passera calmement. » (dans « Ma révolte à Barcelone » de Manuel Azaña, 1935)

(…) Venons-en enfin aux Asturies, la seule partie du pays où le mouvement d’octobre 1934 prit dès le premier jour un caractère insurrectionnel aigu. Le mouvement ouvrier espagnol ne rendra jamais assez hommage à ces courageux mineurs, qui surent s’emparer rapidement de la région en attaquant la Garde civile avec seulement quelques armes et de la dynamite. Grâce à eux, l’insultante désertion socialiste se retourna contre les dirigeants du PSOE ; grâce à leur geste magnifique, la réaction se trouva embourbée dans son offensive et le prolétariat put à nouveau relever la tête, récupérer de l’énergie et contre-attaquer ; grâce à ce soulèvement, la réaction fut finalement stoppée, bien que le prix à payer fût immense ; grâce aux mineurs asturiens, le prolétariat et les paysans espagnoles eurent l’occasion d’écrire, pendant la Guerre civile, une des pages les plus glorieuses et les attachantes de l’histoire révolutionnaire mondiale. Les classes révolutionnaires se souviendront à jamais des Asturies rouges de 1934.

La Fédération régionale de la CNT, peut-être parce qu’elle baignait dans un milieu socialiste plus ouvrier et combatif qu’ailleurs, se montra toujours moins sectaire que les anarcho-syndicalistes dans le reste du pays. Elle fut dès le départ partisane du front unique prolétarien, au point de défendre cette tactique à l’échelle nationale.

L’Alliance Ouvrière put se former tôt dans les Asturies, et la participation de la Fédération régionale cénétiste lui donna un caractère moins fictif. Même si elle était moins forte dans la région que l’UGT, la CNT contrebalançait le poids des socialistes, donnant ainsi au front unique d’action un caractère solide. Ce facteur contribua à faire du mouvement dans les Asturies une insurrection véritable, au lieu d’une mascarade.

Le pacte signé par les deux centrales syndicales – la CNT et l’UGT – en mars 1934 fut le plus radical de tous ceux rédigés par les Alliances Ouvrières. Une clause de non-exclusion des partis politiques du mouvement ouvrier, qui concluait le document, entama la rupture du prétendu principe d’apolitisme cher à la CNT…

L’AO asturienne conquit immédiatement la sympathie des ouvriers de toute l’Espagne et enflamma la volonté de ceux de sa région. La confiance que leur insuffla l’unité combative de leur classe les remplit d’assurance et de foi dans la victoire, un facteur capital pour le développement ultérieur des événements. Ces initiales terrifiantes aux yeux de la bourgeoisie, UHP (Union des Frères Prolétaires), ce slogan anonyme surgi du fond de la mine que les insurgés gravèrent sur leurs tanks de fabrication grossière, et au cri duquel tombèrent criblés de balles des milliers de héros, sont un exemple à suivre dans les batailles révolutionnaires à venir du prolétariat espagnol et mondial…

Si l’insurrection eut lieu et gagna aux Asturies, ce fut en dépit du Parti socialiste et aucunement par sa volonté ou à son instigation… Lorsqu’on connut la composition du nouveau cabinet, dans l’après-midi du 4 octobre, les socialistes, comme à Madrid, écartèrent l’Alliance Ouvrière et firent circuler, par le biais de l’UGT, l’ordre de grève. Celle-ci commença pacifiquement là où la bureaucratie réformiste était forte, mais elle prit instantanément un caractère insurrectionnel irrésistible dans le bassin minier…

Le bassin minier désobéit à la direction socialiste, et il disposait du minimum de moyens indispensables pour se lancer dans l’insurrection sans attendre ceux que la direction leur promettait…

L’insurrection elle-même constitue une preuve irréfutable contre la direction socialiste. Tous les ouvrages publiés sur la geste asturienne relèvent que l’insurrection est partie de la périphérie. Le mouvement démarre dans le bassin minier, dans la nuit du 4 au 5 octobre et prend immédiatement un caractère insurrectionnel. Les mineurs attaquent les postes des Gardes civils et des Gardes d’assaut, avec très peu d’armes et une bonne quantité de dynamite… Ils sont rapidement vainqueurs sur les lieux principaux du bassin, Langreo, Mieres, Sama, La Felguera, Pola de Sena, Olloniego, Avilés, Albaña, etc., et se répandent dans toute la région en détruisant les bases de l’Etat bourgeois. Mais Gijon et Oviedo, où étaient concentrés les contingents les plus nombreux des forces de répression, restèrent inactifs, en grève générale non insurrectionnelle, comme à Madrid, pendant la nuit du 4 et toute la journée du 5 octobre. Or Gijon était un centre maritime de la plus haute importance, d’où la flotte de guerre pouvait se lancer à l’attaque ; quant à Oviedo, c’était le siège du gouvernement provincial et de la bureaucratie réformiste de la province. Il fallut que des détachements de mineurs se présentent le 6 octobre aux portes d’Oviedo pour que la capitale provinciale entre en action. Manuel Grossi rapporte dans « L’Insurrection des Asturies » :

« Voilà déjà trente heures que nous soutenons une lutte victorieuse dans le bassin houiller et les ouvriers d’Oviedo ne semblent informés de rien. »

Evidemment qu’ils étaient informés, mais comme le même Grossi le raconte, le prolétariat d’Oviedo, lorsqu’il voulut entrer dans l’action le 5 octobre, en fut dissuada par ses dirigeants. Dès qu’il aperçut les mineurs venus à Oviedo, il courut se joindre à eux et ce fut le début d’une bataille épique contre des forces bien plus nombreuses, supérieurement armées, disciplinées et stratégiquement retranchées, de la Garde civile, de la Garde d’assaut et de l’armée. Employant presque exclusivement de la dynamite, les mineurs et les ouvriers d’Oviedo contraignirent les forces gouvernementales à évacuer les positions très fortes qu’elles tenaient pour les acculer dans la fameuse caserne de Pelayo, qui ne put être prise parce que l’aviation profita de sa position en dehors de la ville…

Les noms de José Maria Martinez, de Bonifacio Martin, et de tous les Martin et Martinez inconnus ont été l’âme de l’insurrection, tandis que les Belarmino Tomas, Les Javier Bueno, les Gonzalez Peña ont été des obstacles du commencement de la lutte, des entraves pendant la lutte, et des poids morts au court de la phase défensive. Sans les premiers, l’insurrection asturienne n’aurait pas eu lieu ; quant aux dirigeants, effrayés qu’elle se soit produite malgré eux, ils ne pensèrent qu’à la liquider…

A Gijon, le retard provoqua l’échec de l’insurrection…

La direction socialiste de la province fut incapable d’avoir un projet insurrectionnel parce que son action dans les deux villes principales, où elle était majoritaire, fut justement la même qu’à Madrid et servit les forces gouvernementales…

Ce qui caractérise le mouvement dans les Asturies, le caractérise aussi dans le reste du pays : partout où l’influence bureaucratique était faible, ou inexistante, le prolétariat rompit avec la docilité imposée par les dirigeants et donna au mouvement une tournure insurrectionnelle et un contenu socialiste…

Convaincu qu’aucun danger ne le menaçait plus dans le reste de l’Espagne, le gouvernement concentra son attention et ses forces armées contre les insurgés asturiens. Se méfiant, non sans motif, des troupes espagnoles, il chargea les Maures et les aventuriers du Troisième Régiment de la Légion Etrangère, qu’il fit précipitamment rapatrier du Maroc, de former l’avant-garde de la lutte contre les mineurs…

L’insurrection des Asturies souffrait d’une grave contradiction. Avec la prise d’Oviedo, la direction de l’insurrection passa entre les mains du Comité provincial socialiste, composé de bonzes réformistes à l’esprit tout à fait étranger à un événement révolutionnaire de ce type, et de plus ineptes au dernier degré…

Cet antagonisme entre la direction réformiste et l’insurrection éclata brusquement le 11 octobre quand la quasi-totalité des dirigeants déserta… abandonna l’insurrection au chaos, et les militants effectivement révolutionnaires, ceux qui avaient pris l’initiative dans le bassin houiller, aux représailles féroces du gouvernement…

C’est alors que le prolétariat asturien entama une autre action, prompte et admirable. Loin de s’effrayer, de perdre la tête et de déserter lui-même, il lança, comme dans la journée du 5 octobre, une multitude d’initiatives anonymes. Partout, de nouveaux comités improvisés prirent en mains la direction de la lutte armée et de l’administration. La bourgeoisie les appela ensuite des « comités extrémistes » parce qu’en effet, ils étaient composés de la fraction la plus avancée du prolétariat asturien… Ainsi, par exemple, la défense de Lopez Ochoa dura encore huit jours. On eut le temps de réfléchir et d’organiser la retraite, de cacher des armes, de sauver des militants… Le prolétariat asturien avait sauvé le prestige de la révolution et gagné l’ouverture d’une nouvelle lutte…

Le dernier mot du prolétariat asturien « Le prolétariat peut être battu mais jamais vaincu. » annonçait le 19 juillet 1936…

Lire encore sur la révolution de 1934 dans les Asturies

C’est une révolution manquée ! Une de plus ! Et qui a été marquée, d’abord et avant tout, par le dynamisme de l’Alliance Ouvrière (anarchistes unis aux socialistes et syndicalistes) aux Asturies mais autant par l’abstention scandaleuse des anarcho-syndicalistes hors de la région asturienne…

En Catalogne aussi, il y a eu une Alliance Ouvrière et un appel révolutionnaire de celle-ci, mais la CNT ne s’est pas jointe…

L’Alliance ouvrière de Madrid, simple organe de liaison, appendice du Parti socialiste madrilène, n’a pas été non plus l’organe de front unique et de combat révolutionnaire attendu.

Il faut remarquer aussi que le parti stalinien a pris position contre le front uni ouvrier et révolutionnaire qui a prévalu dans les Asturies, unissant CNT et UGT. « Travailleurs, ne vous laissez pas abuser par le chemin de l’unité. Vos chefs vous trahissent. L’Alliance ouvrière est le nerf de la contre-révolution. A bas l’Alliance ouvrière de la trahison ! » : c’est ce qu’écrivait le P.C. vingt-quatre heures avant que s’engage l’action révolutionnaire. C’est-à-dire le 4 octobre 1934.

En octobre 1934 la direction du Parti socialiste d’alors appelle à la grève générale et au soulèvement dans toute l’Espagne. Mal préparé, mal coordonné, ce mouvement, accompagné parfois d’affrontements armés, échoue.

Par contre, au nord de l’Espagne, dans les Asturies, c’est une révolution sociale qui va secouer l’ensemble de la région minière. Sous le mot d’ordre de UHP (« ¡ Uníos hermanos proletarios ! », « Unissez-vous frères prolétaires ! »), armés de fusils, de bâtons de dynamite, de canons et de mitrailleuses, les mineurs asturiens de l’UGT et de la CNT vont instaurer une véritable Commune ouvrière.

Dans les Asturies, la CNT avec José Maria Martínez, est entrée dans l’Alliance ouvrière, que rejoint également en dernière minute le Parti communiste, et qui lance le célèbre mot d’ordre d’« UHP » (Unión hermanos proletarios : union, frères prolétaires). Dans tous les villages miniers se sont constitués des comités locaux qui, dès la nuit du 4 octobre, lancent la grève générale, occupent le 5 la plupart des localités, attaquant par surprise et désarmant les forces de police, occupant enfin la capitale provinciale, Oviedo, le 6. La nouvelle de l’échec de Barcelone et de Madrid ne diminue pas la volonté de combat des mineurs dont les comités prennent le pouvoir en mains,
armant et organisant les milices, faisant régner un ordre révolutionnaire très strict, occupant les édifices, confisquant les entreprises, rationnant les vivres et les matières premières. Ils s’emparent de l’arsenal de La Trubia, de La Vega et de Marigoya, disposant de 30000 fusils et même d’une artillerie et de quelques blindés, mais manquant de munitions, emploieront surtout la dynamite, arme traditionnelle de leurs combats. Sûr de tenir le reste de l’Espagne, le gouvernement emploie les grands moyens, et sur les conseils des généraux Goded et Franco, confie au général Limez Ochoa, chargé de la reconquête, des troupes d’élite, Marocains et Légion étrangère. Oviedo tombe le 12 octobre, et le socialiste Ramón Gonzáles Peña démissionne du comité révolutionnaire La résistance continue, et l’armée reprendra village après village. Jusqu’au 18 octobre où le socialiste Belarmino Tomás négocie la
reddition des insurgés. Des francs-tireurs résisteront encore ici ou là, pendant des semaines. La répression est féroce plus de 3000 travailleurs tués, 7000 blessés, plus de 40000 emprisonnés dont certains soumis à la torture des agents du commandant Doval qui soulèveront l’indignation dans des milieux très larges. L’état de guerre est maintenu pendant trois mois encore et de nombreuses municipalités suspendues, dont celles de Madrid,
Barcelone et Valence.

Ils seront écrasés sans pitié par l’armée, la Légion étrangère et les supplétifs marocains dépêchés d’urgence d’Afrique. La résistance des mineurs et la répression qui s’ensuivirent résonnèrent profondément, en Espagne et au-delà.

Malgré cet échec, la Révolution des Asturies peut être considérée comme le prélude à la Révolution de 1936 en Espagne. Trahison stalinienne et faiblesse de la CNT sont déjà là en 1934…

L’insurrection des Asturies

Que sont les Alliances Ouvrières (esp)

Wikipedia

Des anarchistes estiment cette expérience riche d’enseignements… mais sans les tirer vraiment, mis à part l’intérêt de l’unité ouvrière

Le point de vue d’Alternative Libertaire

Lire aussi La Bataille Socialiste

Messages

  • CEUX D’OVIEDO

    Par toute la terre

    Chaque prolétaire

    A frémi d’un immense espoir.

    Ceux d’Oviedo d’un splendide élan

    Ont réjeté soudain leur carcan,

    Ont pris le pouvoir,

    Ceux d’Oviedo.

    Ces durs gars tranquilles

    De la mine hostile,

    Armés d’explosifs de chantier,

    Sous leur baratte en bourgeon noir,

    Ont pris d’assaut palais et manoirs.

    Héros ouvriers,

    Ceux d’Oviedo.

    A leurs cigarettes,

    Allumant la mèche

    De leurs grenades de fer blanc,

    Pendant des jours ils ont repoussé

    Les mercenaires contre eux lancés

    Par les gouvernants,

    A Oviedo.

    Ces sans sou ni maille,

    En pleine bataille

    Ont protégé les gens, les biens.

    Pendant l’horreur de la lutte à mort,

    Ils préparaient un plus juste sort :

    Les droits et le pain,

    Ceux d’Oviedo.

    Tremblante de haine,

    Lâche et inhumaine,

    La réaction les écrasa.

    Toute une armée à coups de canons,

    Fit d’Oviedo un tombeau sans nom.

    Partout on trembla,

    Pour Oviedo.

    L’âpre bourgeoisie,

    Malgré ses tueries,

    N’aura nul repos désormais,

    Le peuple entier a frémis d’horreur,

    Le jour approche où, par son ardeur,

    Seront bien vengés,

    Ceux d’Oviedo.

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