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Qui était Napoléon Bonaparte, un héros ou un criminel, un révolutionnaire ou un contre-révolutionnaire, un dictateur impérialiste ou un libérateur des peuples ?

jeudi 14 mai 2015, par Robert Paris

Lucien Bonaparte, frère de Napoléon, écrivant à son frère Joseph Bonaparte le 24 juin 1792 :

« J’ai toujours démêlé dans Napoléon une ambition pas tout à fait égoïste, mais qui surpasse en lui son amour pour le bien public. Il me semble bien penché à être tyran et je crois qu’il serait bien s’il fût roi et que son nom serait pour la postérité et pour le patriote sensible un nom d’horreur. »

Du jeune nationaliste corse à l’officier français

Du général à l’empereur

Qui était Napoléon Bonaparte, un héros ou un criminel, un révolutionnaire ou un contre-révolutionnaire, un dictateur impérialiste ou un libérateur des peuples ?

Une polémique se développe en Europe concernant l’image de Napoléon. Des pays comme la Belgique, l’Angleterre ou l’Allemagne souhaitent qu’on rappelle le massacreur des peuples qu’il a été et le dictateur et fêtent la victoire de Waterloo comme une libération. Le gouvernement Hollande-Valls proteste et refuse que l’euro soit mis à l’effigie de Waterloo !!!

Pour ne pas déplaire à la France, la Belgique a renoncé à la pièce de deux euros représentant Waterloo pour l’anniversaire des deux cent ans... Quelque 180.000 pièces de deux euros destinées aux collectionneurs avaient déjà été frappées par la Monnaie royale de Belgique, a indiqué Manuela Wintermans, responsable du syndicat UNSP au ministère des Finances.

Sur une face de cette pièce est gravée la célèbre « butte du Lion », érigée sur le lieu de cette bataille entre la France et l’armée des alliés, composée de soldats britanniques, prussiens et néerlandais, qui fit près de 12.000 morts le 18 juin 1815 et marqua la fin de l’épopée napoléonienne. Son bicentenaire est célébré avec faste en Belgique, avec une reconstitution de deux phases de la bataille.

Avec « le soutien d’un certain nombre de grands pays européens », la France a réuni la majorité qualifiée qui lui aurait permis de l’emporter face à la Belgique si l’affaire avait été soumise au vote des ministres des Finances de l’Union européenne, a expliqué le ministère belge.

La Belgique n’a toutefois pas renoncé à frapper monnaie pour commémorer cette bataille, dont l’issue redessina pour un siècle les frontières de l’Europe. « Afin d’apaiser les esprits, a indiqué le ministère, "nous examinerons comme alternative la possibilité de créer une pièce commémorative spéciale (...) d’une valeur » de 3 ou 5 euros, qui ne peuvent donc pas faire l’objet d’un veto d’un Etat membre.

Bien entendu, en France, il n’y a pas d’anniversaire fêté de Waterloo et cette défaite n’a pas une grande place dans les livres d’histoire et moins encore dans les noms des places et des avenues...

Même se disant pro-européenne, la bourgeoisie est toujours aussi fermement accrochée au nationalisme franco-français et à sa légende historique.

Cependant, nombre de pays européens demandent à la France de réévaluer le bilan de Napoléon et de reconnaitre les crimes qu’il a commis contre les peuples...

Bien entendu, les gouvernants européens qui critiquent Napoléon ne le font pas pour rappeler le pire crime de Napoléon : le rétablissement de l’esclavage

« Oui, Bonaparte a rétabli l’esclavage en 1802. Oui, il a rétabli la traite abolie par la Convention en 1794. Oui, il a interdit les mariages mixtes et l’accès du territoire métropolitain aux gens de couleur. Oui, il a dépêché aux Antilles plusieurs expéditions militaires dont certains chefs se sont livrés, notamment en Guadeloupe, à une brutale répression. »écrit Thierry Lentz, spécialiste de Napoléon et auteur d’une Nouvelle histoire du premier Empire, réagissant à la publication du pamphlet de Claude Ribbe, « Le crime de Napoléon ». N’en déplaise à Lentz, Ribbe a raison d’écrire que Napoléon était « misogyne, homophobe, antisémite, raciste, fasciste, antirépublicain ».

Napoléon sert au marxisme de critère pour un phénomène : le bonapartisme ou le désir de la bourgeoisie, craintive des révolutions, de donner le pouvoir à un César, apte à gouverner dans son intérêt sans qu’elle participe directement à la démocratie politique, ceci afin que le petit peuple soit lui aussi exclus de toute activité politique.

Lénine écrit dans « Les débuts du Bonapartisme » en 1917 :

« Le principal caractère historique du bonapartisme s’y trouve nettement affirmé : le pouvoir d’Etat, s’appuyant sur la clique militaire (sur les pires éléments de l’armée), louvoie entre deux classes et forces sociales hostiles qui s’équilibrent plus ou moins.... L’erreur serait très grande de croire que les formes démocratiques excluent le bonapartisme. C’est exactement le contraire ; c’est précisément au sein de la démocratie que naît le bonapartisme (l’histoire de France l’a confirmé à deux reprises), quand certains rapports s’établissent entre les classes et leurs luttes. Mais reconnaître l’inéluctabilité du bonapartisme, ce n’est nullement oublier l’inéluctabilité de sa faillite. »

Trotsky écrit dans « Bonapartisme et fascisme », en 1934 :

« Le sabre, en lui-même, n’a pas de programme indépendant. Il est l’instrument de « l’ordre ». On fait appel à lui pour conserver ce qui existe. S’élevant politiquement au dessus des classes, le bonapartisme, comme son prédécesseur le césarisme, a toujours été et reste, du point de vue social, le gouvernement de la partie la plus forte et la plus solide des exploiteurs ; par conséquent, le bonapartisme actuel ne peut être rien d’autre que le gouvernement du capital financier qui dirige, inspire et achète les sommets de la bureaucratie, de la police, de l’armée et de la presse. »

Et il rajoute dans « Bolchevisme contre stalinisme » en 1935 :

« Par bonapartisme, nous entendons un régime où la classe économiquement dominante, apte aux méthodes démocratiques de gouvernement, se trouve contrainte, afin de sauvegarder ce qu’elle possède, de tolérer au-dessus d’elle le commandement incontrôlé d’un appareil militaire et policier, d’un "sauveur" couronné. Une semblable situation se crée dans les périodes où les contradictions de classes sont devenues particulièrement aiguës : le bonapartisme a pour but d’empêcher l’explosion. La société bourgeoise a traversé plus d’une fois de telles périodes, mais cela n’a été pour ainsi dire que des répétitions. Le déclin actuel du capitalisme a non seulement définitivement sapé la démocratie, mais a aussi dévoilé toute l’insuffisance du bonapartisme de l’ancien type : à sa place est venu le Fascisme. Cependant, comme un pont entre la démocratie et le fascisme (en Russie, en 1917, comme un "pont" entre la démocratie et le bolchevisme) apparaît un "régime personnel", qui s’élève au-dessus de la démocratie, louvoie entre les deux camps et sauvegarde en même temps les intérêts de la classe dominante : il suffit de donner cette définition pour que le terme de bonapartisme soit pleinement fondé. »

Et, en 1936, dans « La révolution trahie », Trotsky écrit :

« Le césarisme ou sa forme bourgeoise, le bonapartisme, entre en scène, dans l’histoire, quand l’âpre lutte de deux adversaires paraît hausser le pouvoir au-dessus de la nation et assure aux gouvernants une indépendance apparente à l’égard des classes, tout en ne leur laissant en réalité que la liberté dont ils ont besoin pour défendre les privilégiés. S’élevant au-dessus d’une société politiquement atomisée, s’appuyant sur la police et le corps des officiers sans tolérer aucun contrôle, le régime stalinien constitue une variété manifeste du bonapartisme, d’un type nouveau, sans analogue jusqu’ici. Le césarisme naquit dans une société fondée sur l’esclavage et bouleversée par les luttes intestines. Le bonapartisme fut un des instruments du régime capitaliste dans ses périodes critiques. Le stalinisme en est une variété, mais sur les bases de l’Etat ouvrier déchiré par l’antagonisme entre la bureaucratie soviétique organisée et armée et les masses laborieuses désarmées. L’histoire en témoigne, le bonapartisme s’accommode fort bien du suffrage universel et même du vote secret. Le plébiscite est un de ses attributs démocratiques. Les citoyens sont de temps à autre invités à se prononcer pour ou contre le chef, et le votant sent sur sa tempe le froid léger d’un canon de revolver. Depuis Napoléon III, qui fait aujourd’hui figure d’un dilettante provincial, la technique plébiscitaire a connu des perfectionnements extraordinaires. »

Balzac écrit dans « Scènes de la vie parisienne » :

« Quand le peuple a laissé Napoléon s’élever, il en a créé quelque chose de splendide, de monumental, il était fier de sa grandeur, et il a noblement donné son sang et ses sueurs pour construire l’édifice de l’Empire. Entre les magnificences du Trône aristocratique et celles de la pourpre impériale, entre les grands et le peuple, la Bourgeoisie est mesquine, elle ravale le pouvoir jusqu’à elle au lieu de s’élever jusqu’à lui. »

Dans « Les origines du Romantisme », Paul Lafargue écrit en juin 1896 :

« Le Bulletin de Paris (12 thermidor an X) déclarait que "les désirs des citoyens demandaient à Napoléon Bonaparte de sceller pour jamais le cratère des révolutions". »

Effectivement, si politiquement Napoléon est l’adversaire résolu de la lutte des classes des sans culottes, du petit peuple, et l’adversaire aussi de la révolte des peuples noirs esclavagisés, il est aussi le défenseur des acquis de la révolution bourgeoise contre les féodalités européennes, acquis sociaux, politiques, législatifs représentés notamment par le « code Napoléon ». Donc nu représentant de la révolution et à la fois de la contre-révolution. Un représentant de la bourgeoisie mais qui lui ôte le pouvoir politique.Le premier européen aussi mais qui massacre les peuples de l’Europe et les écrase sous sa dictature.

Si Napoléon est connu pour avoir battu militairement les puissances féodales alliées à l’Angleterre, il l’est moins pour avoir été l’homme des répressions de mouvements populaires.

Homme des répressions ?

 Ses devoirs de militaire le conduisirent à Seurre pour y réprimer des troubles qui y eurent lieu au début du mois d’avril 1789. Le capitaine Coquebert, le commandant d’une des trois compagnies qui furent désignées pour s’y rendre étant absent pour cause de détachement, et le lieutenant en premier éloigné par son congé de semestre, le commandement du détachement de cent hommes revint au lieutenant en second Bonaparte. Il quitta Auxonne pour Seurre le 1er avril. Sur place, il aurait réprimé une première émeute.

 Napoléon est ensuite chargé de la répression, le 19 juillet 1789, de la première émeute de la faim qui éclate dans la ville de sa caserne, Auxonne, où deux marchands de blé ont été lynchés par le peuple. L’insurrection populaire s’alluma à Auxonne le 19 juillet 1789. La population en colère commença par détruire le corps de garde des portes de la ville puis pilla la maison du receveur. L’intervention d’un détachement de régiment de La Fère avec 450 hommes sous les armes, fut placée sous les ordres de Bonaparte.

 Présent à Paris, le jeune officier est spectateur de l’invasion des Tuileries par le peuple le 20 juin 1792 et aurait manifesté alors son mépris pour l’impuissance de Louis XVI à écraser la populace.

 Napoléon Bonaparte est affecté à l’armée chargée de mater l’insurrection fédéraliste du Midi en 1793.

 Napoléon est chargé de la répression lors de l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795)

 En 1797, Napoléon organise personnellement une expédition massive pour détrôner et éliminer Toussaint Louverture, général noir et gouverneur d’Haïti proclamé par la révolution des esclaves. Voilà pourquoi deux flottes font voile vers les Antilles, Leclerc, propre beau-frère de Bonaparte, vers Saint-Domingue avec 20 000 hommes et Richepanse vers la Guadeloupe avec 3 400 hommes. Ces chefs sont munis d’instructions secrètes fort explicites rédigées de la main même de Bonaparte. Ils doivent prendre le contrôle militaire des deux colonies et désarmer les officiers indigènes avant de rétablir l’esclavage. Des proclamations sont prêtes, en français et en créole, qui visent à rassurer les populations indigènes de l’attachement personnel de Bonaparte à la liberté. Après une résistance acharnée de trois mois, le vieux Toussaint Louverture, trahi par ses officiers généraux habilement entrepris par Leclerc, dépose les armes. Mais le général Dessalines prend le relai et bat les troupes françaises.

 Sa prise de pouvoir comme consul en France le 18 brumaire (9 novembre 1799) se fait par un coup d’état militaire, sous la menace d’une nouvelle révolution parisienne, la bourgeoisie lui abandonnant le pouvoir politique pour en finir définitivement avec les insurrections populaires. Napoléon incarne-t-il l’avènement définitif des valeurs de la Révolution, ou promet-il, au contraire, la destruction de la pensée révolutionnaire de 1789 ? On peut considérer aujourd’hui que Napoléon solidifiera à plus d’un titre l’héritage de la Révolution bourgeoise ; s’il en finit avec la République et arrête le mouvement révolutionnaire, il restera fidèle aux principes de la Révolution, contre la féodalité et pour la bourgeoisie, principes qu’il cherchera à exporter à l’échelle européenne voire mondiale.

Son Code civil français est un ouvrage révolutionnaire. Commencé en 1800 et publié finalement en 1804, il remplace tout le droit antérieur, et conserve la méritocratie, l’impôt égalitaire, la conscription, la liberté d’entreprise et de concurrence ainsi que de travail, consacre la disparition de l’aristocratie féodale, et en principe l’égalité devant la Loi. En conservant et en inscrivant dans le Code tous ces acquis de la Révolution, Bonaparte leur permit de traverser les régimes et rassura une grande partie de la population.

Les libertés d’expression, de réunion, de circulation et de presse sont supprimées au profit d’un état autoritaire et d’une surveillance très accrue de la population, orchestrée par Fouché. L’égalité proclamée dans le Code civil n’est pas respectée : la femme dépend de son mari ; les patrons ont un très grand pouvoir sur les ouvriers, le livret ouvrier les réduisant à être des quasi-serfs ; l’esclavage est rétabli dans les colonies ; les fonctionnaires sont privilégiés en matière de Justice… Ensuite, l’instauration des préfets, qui sont l’équivalent des intendants, la création du conseil d’État, équivalent du conseil du roi, d’une nouvelle noblesse basée sur la notabilité, les faux plébiscites organisés (des votes sont inventés, il n’y a pas de secret de vote, on ratifie un fait déjà accompli…) font redouter le pire aux jacobins.

Finalement, en devenant tour à tour Premier Consul, consul à vie puis empereur, il en finit avec la République. Il battit les puissances féodales de l’Europe et l’Angleterre bourgeoise et commença à édifier un empire. Mais il se heurta aux peuples espagnol et russe qu’il ne put conquérir.

 Une fois empereur, il utilise volontiers la répression : villes pillés et brûlés, exécutions sommaires. L’espionnage, les manipulations, les complots et les dénonciations systématiques sont courantes. Cela se termine par des exécutions (peine de mort), des exiles, des travaux forcés ou des emprisonnements selon l’humeur de l’Empereur. La police napoléonienne est la mère de ces polices totalitaires qui fleuriront au XXe siècle. La police emploie la torture (par exemple dans la division confié à Bertrand). La population est surveillée par des « mouchards » (un réseau d’espions et des proches du dictateur). Des provocations policières sont organisées pour permettre d’éliminer des opposants (ils sont guillotinés) ; par exemple « la conspiration dite des poignards » du 10 octobre 1800, est un piège de la police. Les libertés sont bafouées et la justice est très répressive. Les supplices existent : marquage au fer rouge, amputation, le fouet, la bastonnade, etc.

En 1814 et 1815, la classe bourgeoise fatiguée de Napoléon, non pas à cause du despotisme (elle se soucie peu de la liberté qui ne vaut pas à ses yeux une livre de bonne cannelle ou un billet bien endossé), mais parce que, le sang du peuple épuisé, la guerre commençait à lui prendre ses enfants, et surtout parce qu’elle nuisait à sa tranquillité et empêchait le commerce d’aller, la classe bourgeoise, donc, reçut les soldats étrangers en libérateurs, et les Bourbons comme les envoyés de Dieu. Ce fut elle qui ouvrit les portes de Paris, qui traita de brigands les soldats de Waterloo, qui encouragea les sanglantes réactions de 1815 !

Le bilan des guerres napoléoniennes

Les conquêtes napoléoniennes déclenchent tantôt l’admiration, comme celle du poète allemand Goethe qui reçoit la Légion d’honneur par décret du 12 octobre 1808 de Napoléon ou du philosophe Hegel, tantôt la haine, comme celle des espagnols lorsque l’empereur envahit leur pays, ce qui développe une légende noire avec le premier pamphlet diffusé dans toute l’Europe, le Catéchisme espagnol, préparant les explosions nationales qui mettront fin au Grand Empire.

Les guerres causées par l’Europe féodale et l’Angleterre, mais aussi par l’appétit de conquête impériale de Napoléon, ont cependant un sinistre bilan :

• 2 500 000 de morts militaires en Europe

• 1 000 000 de morts civiles dans le reste de l’Europe et dans les colonies « françaises ».

voir le détail

Un autre épisode peu connu en France continentale : quand Napoléon était un nationaliste corse

« Napoléon, ce fut la dernière bataille de la Terreur révolutionnaire contre la société bourgeoise, également proclamée par la Révolution, et contre sa politique. Certes, Napoléon comprenait déjà l’essence de l’État moderne ; il se rendait compte qu’il est fondé sur le développement sans entraves de la société bourgeoise, sur le libre jeu des intérêts particuliers, etc. Il se résolut à reconnaître ce fondement et à le défendre. Il n’avait rien d’un mystique de la Terreur. Mais en même temps, Napoléon considérait encore l’État comme sa propre fin, et la société bourgeoise uniquement comme bailleur de fonds, comme un subordonné auquel toute volonté propre était interdite. Il accomplit la Terreur en remplaçant la révolution permanente par la guerre permanente. Il satisfit, jusqu’à saturation, l’égoïsme du nationalisme français, mais il exigea, d’autre part, que la bourgeoisie sacrifiât ses affaires, ses plaisirs, sa richesse, etc., toutes les fois que l’exigeaient les buts politiques, les conquêtes, qu’il voulait réaliser. S’il opprimait despotiquement le libéralisme de la société bourgeoise — dans ses formes pratiques quotidiennes — il ne ménageait pas davantage les intérêts matériels essentiels de cette société, le commerce et l’industrie, chaque fois qu’ils entraient en conflit avec ses intérêts politiques à lui. Le mépris qu’il vouait aux hommes d’affaires industriels venait compléter son mépris des idéologues. À l’intérieur aussi, en se battant contre la société bourgeoise, il combattait l’adversaire de l’État qui, dans sa personne, conservait la valeur d’une fin en soi absolue, C’est ainsi qu’il déclara, au Conseil d’État, qu’il ne tolérerait pas que les propriétaires de grands domaines puissent, suivant leur bon plaisir, les cultiver ou les laisser en friche. C’est ainsi encore qu’il projeta, en instituant le monopole du roulage, de soumettre le commerce à l’État. Ce sont les négociants français qui préparèrent l’événement qui porta le premier coup à la puissance de Napoléon. Ce sont les agioteurs parisiens qui, en provoquant une disette artificielle, obligèrent l’empereur à retarder de près de deux mois le déclenchement de la campagne de Russie et à la repousser en conséquence à une date trop reculée. En la personne de Napoléon, la bourgeoisie libérale trouvait encore une fois dressée contre elle la Terreur révolutionnaire : sous les traits des Bourbons, de la Restauration, elle trouva encore une fois en face d’elle la contre-révolution. C’est en 1830 qu’elle finit par réaliser ses désirs de 1789, avec une différence cependant : sa formation politique étant achevée, la bourgeoisie libérale ne croyait plus, avec l’État représentatif constitutionnel, atteindre l’État idéal, elle n’aspirait plus au salut du monde ni à des fins humaines universelles : elle avait au contraire reconnu dans ce régime l’expression officielle de sa puissance exclusive et la consécration politique de ses intérêts particuliers. »

Marx/Engels, « La sainte famille », 1844

« Si Napoléon était resté le vainqueur en Allemagne, il aurait, en appliquant sa formule énergique et bien connue, écarté au moins trois douzaines de souverains, pères bien-aimés de leurs peuples. La législation et l’administration françaises auraient créé une base solide pour l’unité allemande et nous auraient épargné trente-trois ans de honte et la tyrannie de la Diète fédérale, naturellement si estimée par M. Nesselrode. Il aurait suffi de quelques décrets de Napoléon pour anéantir complètement tout ce fatras moyen-âgeux, ces corvées et ces dîmes, ces exemptions et ces privilèges, l’ensemble de cette exploitation féodale et de cette organisation patriarcale avec lesquelles actuellement encore nous devons nous colleter aux quatre coins de nos patries. Le reste de l’Allemagne se trouverait depuis longtemps au stade atteint par la rive gauche du Rhin peu après la première Révolution française ; nous n’aurions plus actuellement ni Grands de l’Uckermarck, ni Vendée poméranienne, et nous n’aurions plus besoin de respirer l’air méphitique des marais « historiques » « du Saint-Empire romain germanique ». »

La Nouvelle Gazette Rhénane, K. Marx – F. Engels, « La note russe », n° 64, 3 août 1848

« Au cours de la première Révolution française, les paysans menèrent une action révolutionnaire exactement aussi longtemps que le réclamait leur intérêt personnel le plus immédiat et le plus évident ; jusqu’à ce que leur soient assurés le droit de propriété sur la terre qu’ils cultivaient jusque-là dans les conditions du régime féodal, l’abolition définitive de ce système féodal et l’éloignement des armées étrangères de leur contrée. Lorsqu’ils eurent obtenu ce résultat, ils se tournèrent alors avec toute la fureur d’une aveugle cupidité contre le mouvement des grandes villes qu’ils n’avaient pas compris et notamment contre le mouvement de Paris. Il fallut envoyer contre les paysans obstinés d’innombrables proclamations du Comité de salut public, d’innombrables décrets de la Convention surtout ceux sur le maximum et les accapareurs, des colonnes mobiles et des guillotines ambulantes. Et pourtant la Terreur qui repoussa les armées étrangères et étouffa la guerre civile ne profita justement à aucune classe autant qu’aux paysans. Lorsque Napoléon renversa la domination bourgeoise du Directoire, rétablit le calme, consolida les nouveaux rapports de propriété des paysans et les sanctionna dans son Code civil et qu’il repoussa les armées étrangères de plus en plus loin des frontières, les paysans se rangèrent à ses côtés avec enthousiasme et devinrent ses principaux soutiens. Car le paysan français est patriote jusqu’au fanatisme ; la France a pour lui une haute signification depuis qu’il a la possession héréditaire d’un bout de France ; les étrangers, il ne les connaît que sous la forme d’armées d’invasion destructrices qui lui causent les plus grands dommages. De là le sens national sans bornes du paysan français, de là sa haine également sans bornes de l’étranger. De là la passion avec laquelle il partit à la guerre en 1814 et en 1815. »

Engels, La Nouvelle Gazette Rhénane, « De Paris à Berne », 1848

« Lorsque la Révolution française eut réalisé cette société de raison et cet État de raison, les nouvelles institutions, si rationnelles qu’elles fussent par rapport aux conditions antérieures, n’apparurent pas du tout comme absolument raisonnables. L’État de raison avait fait complète faillite, le Contrat social de Rousseau avait trouvé sa réalisation dans l’ère de la Terreur ; et pour y échapper, la bourgeoisie, qui avait perdu la foi dans sa propre capacité politique, s’était réfugiée d’abord dans la corruption du Directoire et, finalement, sous la protection du despotisme napoléonien ; la paix éternelle qui avait été promise s’était convertie en une guerre de conquêtes sans fin… La Révolution était la victoire du tiers-état, c’est-à-dire de la grande masse de la nation qui était active dans la production et le commerce, sur les ordres privilégiés, oisifs jusqu’alors : la noblesse et le clergé. Mais la victoire du tiers-état s’était bientôt révélée comme la victoire exclusive d’une petite partie de cet ordre, comme la conquête du pouvoir politique par la couche socialement privilégiée de ce même ordre : la bourgeoisie possédante. Et, à vrai dire, cette bourgeoisie s’était encore développée rapidement pendant la Révolution en spéculant sur la propriété foncière de la noblesse et de l’Église confisquée, puis vendue, ainsi qu’en fraudant la nation par les fournitures aux armées. Ce fut précisément la domination de ces escrocs qui, sous le Directoire, amena la France et la Révolution au bord de la ruine et donna ainsi à Napoléon le prétexte de son coup d’État. »

Engels, « AntiDühring », 1878

« Les guerres de la grande révolution française ont commencé en tant que guerres nationales et elles l’étaient effectivement. Elles étaient révolutionnaires, car elles avaient pour objectif la défense de la grande révolution contre la coalition des monarchies contre révolutionnaires. Mais quand Napoléon eut fondé l’Empire français en asservissant toute une série d’Etats nationaux d’Europe, importants, viables et depuis longtemps constitués, alors les guerres nationales françaises devinrent des guerres impérialistes, qui engendrèrent à leur tour des guerres de libération nationale contre l’impérialisme de Napoléon. »

« À propos de la brochure de Junius », Lénine, Juillet 1916

« La rénovation matérielle, économique, de la France, à la fin du XVIII° siècle, était liée à une rénovation politique et spirituelle, à la dictature de la démocratie révolutionnaire et du prolétariat révolutionnaire (qui ne faisait qu’un encore avec la démocratie et se confondait presque avec elle), à la guerre implacable déclarée à toutes les formes de réaction. Le peuple entier - et surtout les masses, c’est-à-dlire les classes opprimées - était soulevé d’un enthousiasme révolutionnaire sans bornes : tout le monde considérait la guerre comme une guerre juste, défensive, et elle l’était réellement. La France révolutionnaire se défendait contre l’Europe monarchique réactionnaire. Ce n’est pas en 1792-1793, mais bien des années plus tard, après le triomphe de la réaction à l’intérieur du pays, que la dictature contre-révolutionnaire de Napoléon fit perdre aux guerres de la France leur caractère défensif pour en faire des guerres de conquête. »

« La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer », V. Lénine, 1917

« Dans quelques jours, le 5 mai, les réactionnaires français, à l’exception des doctrinaires royalistes, célébreront le centenaire du trépas de Napoléon Ier. Bonapartistes et républicains s’agenouilleront ensemble au pied de la sombre colonne que surmonte la statue de l’homme au petit chapeau. Quelques républicains bouderont seuls à cette fête : ils auront tort ; la célébration du 5 mai ne fait guère que reprendre une tradition que « l’opération de police un peu rude » du 2 décembre avait soudainement interrompue. Bonapartistes et républicains ont été bien souvent d’accord du lendemain de Waterloo à la veille du coup d’Etat : pourquoi ne le seraient-ils pas encore après la « grande guerre » ? Bonapartistes et républicains ont pu avoir une évolution différente, ils n’en sortent pas moins de la même souche historique, la révolution bourgeoise de la fin du XVIIIe siècle. Qu’est-ce qu’un bonapartiste, pourrait-on dire sans paradoxe ? Un républicain de droite. Et qu’est-ce qu’un républicain bourgeois, sinon un bonapartiste de gauche ? Ni de près ni de loin, les communistes ne s’associeront à cette déification temporelle du Corse aux cheveux plats. Qu’on le considère comme le vainqueur d’Austerlitz ou comme l’auteur du Code civil, — monument plus durable que ses victoires les plus fameuses — Napoléon Bonaparte, à nos yeux, est l’homme qui a le plus fait pour asseoir la domination bourgeoise sur des bases si solides qu’elle persista encore après cent ans. Dans la société ébranlée par la tourmente révolutionnaire, il a restauré l’ordre et l’autorité, et nivelé le sol où allait s’épanouir sans entraves la civilisation capitaliste. On n’a vu trop souvent dans le premier Bonaparte que le sanglant porteur de sabre ; il n’a pas été que cela. L’empire qu’il a créé peut être considéré comme l’image et le symbole de l’empire que la bourgeoisie exerce dans l’ordre économique : son empire n’a duré que dix années à peine ; celui de la bourgeoisie dure depuis cent ans : mais comme d’autres tôt ou tard, l’empire de la bourgeoisie aura son Waterloo. Ce n’est pas simplement le hasard de l’anniversaire qui me fait rapprocher du nom de Bonaparte celui de Karl Marx. Il y aura cent ans le 5 que Bonaparte est mort ; il y aura cent trois ans le même jour que Karl Marx est né. Si le rapprochement ne se fondait que sur cette fortuite similitude de date, il ne vaudrait pas d’être fait. Mais Marx est le premier qui ait prophétisé, comme fatal, le Waterloo du capitalisme. Et il est le premier qui ait donné à la classe ouvrière, asservie et foulée par le Corse brutal, la force inébranlable d’une doctrine fondée sur la science, ce qui revient à dire sur la réalité. Laissons la bourgeoisie décadente célébrer en Napoléon le fondateur de la société bourgeoise. Anniversaire pour anniversaire ! Que toutes les pensées de la classe ouvrière soient le 5 mai pour Karl Marx, en qui le socialisme scientifique — c’est-à-dire le socialisme du prolétariat — a trouvé son premier artisan, son plus puissant « animateur ». »

« De Napoléon et de Karl Marx », Amédée Dunois, 1921

« Cette révolution commença (si l’on peut en général parler ici de « commencement » et de « fin ») en 1789, pour se terminer, par exemple, en 1815, avec les guerres napoléoniennes et la chute de l’Empire. En un quart de siècle, la révolution avait traversé plusieurs phases, caractérisées par les différentes tactiques dont la bourgeoisie se servit contre les anciens propriétaires. La bourgeoisie commença par s’insurger contre la féodalité. Elle institua ensuite sa dictature contre la noblesse, faisant impitoyablement tomber les têtes, réprimant, par tous les moyens, complots et révoltes contre-révolutionnaires. Une période de résistance acharnée à la réaction extérieure suivit : lutte contre la Sainte Alliance des Rois, à laquelle le pillage de la noblesse et la décapitation des monarques déplaisaient au plus haut point. Comme il arrive toujours, pendant la guerre civile, la production à l’intérieur du pays était ruinée, la misère régnait partout, les finances étaient dans une situation désespérée, la spéculation prospérait, en dépit de toutes les répressions ; et le blocus, et la guerre de classes contre les Etats réactionnaires, augmentaient ces maux. L’énergie de la bourgeoisie (prise dans son ensemble) en vint à bout. Ayant affermi son organisation, créé une armée, qui se battit au son de la Marseillaise révolutionnaire, la bourgeoisie passa de la défensive à l’offensive. Une nouvelle période s’ouvrit, celle des guerres révolutionnaires qui ont, à un point de vue objectif, aboli le servage en Europe. Chacun sait, naturellement, qu’un changement de pouvoir avait eu lieu dans l’intervalle, que la petite-bourgeoisie jacobine avait été supplantée par la grosse bourgeoisie d’abord, et ensuite par la dictature bourgeoise-militaire de Napoléon. Mais chacun sait aussi que Napoléon était, par comparaison avec les monarques européens, une puissance révolutionnaire. Heinrich Heine comprenait déjà parfaitement la portée historique et la valeur libératrice des guerres napoléoniennes. Elles ont sapé l’ancien régime en Europe. Certes comparées au socialisme et au prolétariat, leurs forces étaient contre-révolutionnaires. Mais il ne s’agissait pas alors du socialisme ; il s’agissait uniquement de la victoire du capital sur le servage féodal. Des pacifistes et des social-pacifistes (genre Jaurès), totalement incompréhensifs, déplorent le passage de la défensive à l’offensive et y voient « la perte » de l’idée de la grande révolution. Les marxistes doivent comprendre toute la puérilité de cette façon d’envisager les choses. Car l’enveloppe protectrice du servage féodal de l’Europe, bien gangrenée à cette époque, ne fut crevée que par les baïonnettes des armées révolutionnaires. La violence eut ici le rôle de la chrysalide dans la naissance de la société capitaliste. Et le passage de la bourgeoisie, constituée en pouvoir d’Etat, de la défensive à l’offensive, exprimait précisément la croissance des forces révolutionnaires. »

« De la tactique offensive », N.I. Boukharine, 1920

« Napoléon Ier n’était pas un parvenu au même degré que les principaux dictateurs de notre temps. Il était, quoi qu’on en puisse dire, un brillant soldat. En cela au moins il était fidèle à la même ancienne tradition que Jules César - c’est-à-dire que, en tant que guerrier ayant démontré son habileté à commander les hommes sur les champs de bataille, il était d’autant plus apte à dominer des populations sans armes et sans défense. »

Léon Trotsky, « Staline », 1940

« La bourgeoisie prit toujours plus en main la propriété et le pouvoir (directement et immédiatement ou par l’entremise de certains agents tels que Bonaparte), sans attenter nullement aux conquêtes sociales de la Révolution —au contraire, en les affermissant, en les ordonnant, en les stabilisant soigneusement. Napoléon défendit la propriété bourgeoise, y compris la propriété paysanne, aussi bien contre la "plèbe" que contre les prétentions des propriétaires expropriés. L’Europe féodale haïssait Napoléon comme l’incarnation vivante de la Révolution, et à sa manière elle avait raison. »

Léon Trotsky, « L’Etat ouvrier, Thermidor et Bonapartisme », février 1935

« De l’Espagne, on n’oubliera pas le soulèvement contre Napoléon de ce peuple qu’il appelait « les gueux » et remarqueront que tandis que les Grands courbaient• l’échine devant le Conquérant, les paysans, dans leurs assemblées de villages, déclaraient la guerre à la Grande Armée et créaient le mot de guerilla. Ils accorderont quelques instants au siège de Saragosse, conquise par les Français, en 52 jours, maison par maison, étage par étage, et à ses 60 000 victimes, femmes et enfants compris, puisqu’ils étaient, eux aussi, combattants. Ils entendront le maréchal Lannes : « Quelle guerre ! Etre obligé de tuer de si braves gens, même s’ils sont fous ! » Car ces « fous » se battaient avec leurs poings et leurs dents. Ils retrouveront cette violence dans les guerres carlistes dans toutes les luttes civiles du XIX°, dans la répression royaliste qui écœura même les « ultras » français venus au nom de la Sainte-Alliance écraser la Révolution espagnole – la première – dans les soulèvements paysans, dans les grèves et la répression, dans la torture et les « exploits » de la garde civile immortalisés par le Romancero de Federico Garcia Lorca. »

P. Broué, E. Témime, « La Révolution et la Guerre d’Espagne », 1961

« Napoléon Ier, bien qu’il eût radicalement rompu avec les traditions du jacobinisme, pris la couronne et restauré la religion catholique, demeura un objet de haine pour toute l’Europe dirigeante semi-féodale parce qu’il continuait à défendre la nouvelle propriété issue de la révolution. »

« La Révolution trahie », Léon Trotsky, 1936

« Napoléon réussit à parfaire en un mois, dans ses casernes, l’entraînement des bataillons de nouvelles recrues, puis à les entraîner à la marche dans le second, et les conduire à l’ennemi le troisième. Mais, alors, chaque bataillon recevait un complément suffisant d’officiers et de sous-officiers éprouvés ; et, enfin, on attribuait à chaque compagnie de vieux soldats, pour qu’au jour de la bataille les jeunes troupes fussent entourées, ou mieux encadrées par les vétérans. »

Friedrich Engels et Karl Marx, « La guerre civile américaine », Die Presse, 26 et 27 mars 1862.

« La Russie avait préparé à Napoléon, qui paraissait invincible, sa première défaite écrasante, non, il est vrai, par son armée, mais par son hiver. La Russie semblait protégée, par enchantement, contre tous les courants révolutionnaires qui bouleversaient l’Europe, mais aussi contre le capitalisme et les maux sans nombre qu’il comportait. Aussi crut-on souvent que la vocation de la Russie serait, non seulement d’être l’arbitre de l’Europe et le foyer de sa réaction, mais encore de donner l’exemple de conditions matérielles et intellectuelles ayant la force de la jeunesse et faisant sa supériorité sur l’Europe vieillie en décadence. »

Rosa Luxemburg et le bolchevisme, Karl Kautsky, 1922

« Comparez ce que coûtent, en vies et en souffrances humaines les guerres, aux sacrifices imposés par les révolutions. C’est une goutte dans un océan de sang et de larmes. Les guerres de Napoléon en ont valu à l’Europe près de quatre millions. La guerre mondiale a fait tuer près de quinze millions d’hommes et en a fait mutiler trente millions. »

« Précis du communisme », Charles Rappoport, 1922

« Avant d’ébaucher un jugement sur la révolution russe, rappelons-nous les changements de visages et de perspectives de la révolution française. L’enthousiasme de Kant en apprenant la prise de la Bastille… La Terreur, Thermidor, le Directoire, Napoléon. Entre 1789 et 1802, la république libertaire, égalitaire et fraternelle parut se renier complètement. Les conquêtes napoléoniennes, créatrices d’un ordre nouveau, moins le mot, si l’on examine la carte, frappent par leur similitudes avec celles d’Hitler. L’empereur devint "l’Ogre". Le monde civilisé se ligua contre lui, la Sainte-Alliance prétendit rétablir et stabiliser dans l’Europe entière l’ancien régime… On voit cependant que la révolution française, par l’avènement de la bourgeoisie, de l’esprit scientifique et de l’industrie, a fécondé le XIX° siècle. Mais trente ans après, en 1819, au temps de Louis XVIII et du tsar Alexandre I°, n’apparaissait-elle pas comme le plus coûteux des échecs historiques ? Que de têtes coupées, que de guerres, pour en arriver à une piètre restauration monarchique ! »

« Trente ans après la Révolution russe », Victor Serge, Juillet 1947

« Messieurs, que comprenez-vous par : maintenir le terrain juridique ? Maintenir des lois d’une période sociale passée, des lois faites par les représentants d’intérêts sociaux disparus ou en train de disparaître, donner par conséquent force de loi à ces intérêts en contradiction avec les besoins de tous. Or la société ne repose pas sur la loi. C’est une illusion de juristes. C’est au contraire la loi qui repose sur la société, qui doit être l’expression de ses intérêts et des besoins communs issus chaque fois du mode de production matériel contre l’arbitraire individuel. Voici le Code Napoléon, je l’ai à la main, il n’a pas engendré la société bourgeoise moderne. Bien au contraire, la société bourgeoise, née au XVIII° siècle, trouve dans ce Code son expression légale. Dès qu’il ne correspondra plus aux rapports sociaux, il ne sera plus qu’un tas de papier. Vous êtes aussi peu en mesure de faire des anciennes lois la base de la nouvelle évolution sociale que ces lois anciennes l’ont été de faire l’ancienne situation sociale. Elles sont nées de cette ancienne situation, elles doivent disparaître avec elle. Elles se transforment nécessairement avec le développement des conditions d’existence. »

La Nouvelle Gazette Rhénane, K. Marx - F. Engels, « Le procès contre le Comité d’arrondissement des démocrates », n°231, 25 février 1849

« Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, de même que les partis et la masse de la première Révolution française, accomplirent dans le costume romain et en se servant d’une phraséologie romaine la tâche de leur époque, à savoir l’éclosion et l’instauration de la société bourgeoise moderne. Si les premiers brisèrent en morceaux les institutions féodales et coupèrent les têtes féodales, qui avaient poussé sur ces institutions, Napoléon, lui, créa, à l’intérieur de la France, les conditions grâce auxquelles on pouvait désormais développer la libre concurrence, exploiter la propriété parcellaire du sol et utiliser les forces productives industrielles libérées de la nation, tandis qu’à l’extérieur, il balaya partout les institutions féodales dans la mesure où cela était nécessaire pour créer à la société bourgeoise en France l’entourage dont elle avait besoin sur le continent européen. La nouvelle forme de société une fois établie, disparurent les colosses antédiluviens, et, avec eux, la Rome ressuscitée : les Brutus, les Gracchus, les Publicola, les tribuns, les sénateurs et César lui-même. »

Le 18 brumaire de L. Bonaparte, Karl Marx, 1851

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