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C’était le bidonville de Nanterre...

vendredi 18 juillet 2014, par Robert Paris

C’était le bidonville de Nanterre...

La France des années 1950, qui sort de la Deuxième Guerre Mondiale (1939-1945), doit se reconstruire et se repeupler. Le bourgeoisie a un besoin crucial de main d’oeuvre. Une bonne partie de la classe ouvrière a disparu dans la guerre et les bombardements anglo-américains qui ciblaient spécialement les quartiers ouvriers pour éviter tout risque révolutionnaire dans la France vaincue (la France c’était Vichy et pas De Gaulle !). Pour la bourgeoisie et l’Etat, il faut tout faire pour remplacer ces ouvriers. Le gouvernement français a alors favorisé l’immigration des Portugais, des Espagnols, des Italiens et des Maghrébins afin de fournir une main d’œuvre bon marché à l’industrie du bâtiment et à celle de de l’automobile. Ce flot de migrants venant s’ajouter à une population en mal de logement, du fait de la destruction de certaines cités et du niveau de pauvreté, n’a eu d’autre solution que de s’installer dans des baraquements en périphérie des grandes villes. Les bidonvilles représentaient une solution de fortune, illégale mais tolérée. Des agglomérations de baraques, dans lesquelles les conditions de vie étaient particulièrement difficiles, venaient ainsi s’ajouter aux quartiers auto-construits de l’entre-deux-guerres.

Parmi tous les bidonvilles, ceux de Nanterre et de Noisy-le-Grand furent les plus célèbres en périphérie de Paris. Celui de Nanterre, à une demi-heure de Paris s’est développé dans un quartier de baraques occupées par des de familles de chiffonniers parisiens depuis le début du siècle. A l’emplacement actuel de la faculté, se trouvait le bidonville de la Folie sur un terrain vague de 21 hectares.

Sans eau courante, lieu de descentes de polices régulières et brutales, d’incendies, d’infestation de rats, le bidonville est fait de baraques en tôle et bois. Les rues sont étroites, la pluie les transforme en bourbier.

"Des milliers de tôles enchevêtrées se mêlent à des briques cassées : La Folie. Des moutons broutent l’herbe alentour. Gravats et vieilles ferrailles traînent aux abords de cette étrange cité, reliquats des déchets déversés ici par des entreprises : une décharge publique ! Je contourne le bidonville. Je n’ose y pénétrer. Je suis une intruse. Par une sorte de boyau, je me faufile à l’intérieur de cette agglomération en papier goudronné et cartons aplatis, bouts de bois vermoulus et tôles rouillées. Situées derrière le palais de La Défense en construction luisant de blancheur, les baraques s’agrippent les unes aux autres dans un décor de débris de matériaux usés. Les chemins sont vides. Tout semble inerte. " Monique Hervo, La Folie, 1959

Insalubre et dangereux pour la santé, le bidonville marque négativement ses habitants. L’adresse en bidonville, reconnue valable pour certains documents et l’obtention de certains droits, ne l’est plus pour d’autres. Sur la carte de séjour et de travail, les préfectures indiquaient "absence de domiciliation", les autorités ne délivraient pas de certificat de domicile, indispensable aux familles se rendant en Algérie pour pouvoir rentrer en France ensuite, aux habitants des bidonvilles.

Le bidonville de Nanterre est un exemple typique de la manière dont la bourgeoisie française traitait le prolétariat précaire ou immigré dans les années 1950-1970... comme des chiens ! Pire même que des chiens !

L’existence des bidonvilles, longtemps niée, ne fut reconnue officiellement qu’au début des années cinquante et sa réelle prise en compte date du milieu des années soixante. Conséquence de la politique d’appel à la main d’oeuvre, un migrant clandestin sur quatre en 1962 et un sur deux en 1965 échouait dans un bidonville : à présence illégale, logement illégal. Peu de rapports ou documents officiels, peu de données existaient jusqu’alors sur la structure de ces îlots urbains et leur population : l’Etat, indifférent, avait délaissé dangereusement ces espaces sur lesquels il ne possédait guère d’informations. Il éprouvera les pires difficultés pour reprendre en main la situation quelques années plus tard, conscient de l’importance de l’enjeu.

La presse devança les pouvoirs publics, plusieurs enquêtes soulignèrent l’importance quantitative des bidonvilles en France : France-Soir par exemple, proposa en 1957 une carte des bidonvilles de la région parisienne et une série de reportages en 1964 et 1965 à l’instar de La Croix, Le Monde, Le Figaro ou L’Humanité. Si quelques rapports partiels furent commandés, notamment en 1964 par la préfecture de la Seine au sujet des Portugais 10, ce n’est qu’en 1966 qu’une enquête officielle nationale, effectuée entre juin et septembre, tentait d’évaluer l’importance des bidonvilles dans un cadre national.

Les résultats permettent de dresser un tableau de la France des taudis au milieu des années soixante. Trois régions accueillaient alors 90 % des habitants des 255 bidonvilles repérés : Paris et sa banlieue (62 %) où 119 bidonvilles étaient recensés regroupant environ 4.100 familles et 47.000 personnes ; la Provence (19 %) et le Nord (8 %). Plus particulièrement, huit communes hébergeaient à elles seules les deux tiers de la population des bidonvilles : Champigny-sur-Marne (15.000) ; Nanterre (10.000) ; Saint-Denis (5.000) ; La Courneuve (2.500) ; Gennevilliers (2.500) ; Massy (1.000) pour la région parisienne ainsi que Marseille (8.000), Lille (4.000) et Toulon (2.000). L’enquête démontre également que tous les bidonvilles rassemblent environ 75.000 personnes majoritairement mais non exclusivement de nationalité étrangère : 42 % de Maghrébins, 21 % de Portugais, 6 % d’Espagnols et 20 % de Français parmi lesquels beaucoup habitent l’îlot de Noisy-le-grand (composé à 80 % de Français).

Les bidonvilles ne regroupant qu’une seule nationalité n’existaient pas, chacun était plutôt structuré en un assemblage de nationalités diverses même s’il existait une dominante ethnique : par exemple aux Francs-Moisins (2.000 habitants) à Saint-Denis, un recensement effectué par les services municipaux en 1965 mettait en évidence l’importance des Portugais (1.500) mais les Espagnols (250), Algériens (100), Tunisiens (30) Marocains (40), Italiens (20) et Français (30) étaient également représentés. Au bidonville de la Campa, situé à Saint-Denis puis transféré à La Courneuve en août 1961, une enquête permettait de constater le même phénomène : sur 205 familles recensées, 47 étaient de nationalité espagnole, 21 portugaise, 22 algérienne, 16 mixte, 17 française, 82 familles de voyageurs et 230 célibataires (dont 220 algériens). Le nombre de familles concernées quelques mois plus tard a considérablement décliné : il n’y avait plus que 80 familles logées à la Campa en 1965, dont 44 de nationalité espagnole, 2 portugaise, 3 algérienne, 9 mixtes franco-algérien, 15 française, 8 familles de voyageurs et 30 célibataires (dont 21 algériens).

Parmi tous les bidonvilles, celui de Nanterre était le plus célèbre, développé dans un quartier de baraques sommaires occupées par plusieurs centaines de familles de chiffonniers parisiens depuis le début du siècle. Les premiers travailleurs immigrés célibataires, pour la plupart Algériens, étaient arrivés en 1946-1947. Il faudra attendre 1964 avec la construction de l’université et surtout 1965 pour que la mairie de Nanterre et le préfet de Paris décident d’entreprendre une action de surveillance et de contrôle du bidonville. Moins de vingt ans après leur création, ces bidonvilles ont disparu, les dernières familles étant parties en 1971-1972.

Particulièrement réputé, l’îlot de “La Folie” situé a l’est de Nanterre depuis 1953, non loin de Courbevoie sur un terrain vague (21 hectares), structuré par des zones à dominante ethniques ou sociales - familles maghrébines à l’Ouest, portugaises à l’Est, célibataires de toutes origines au centre - a fait l’objet d’une enquête approfondie de la part des sociologues Monique Hervo et Marie-Ange Charras entre 1967 et 1968.

Les premiers bidonvilles de Marseille sont apparus après la Seconde Guerre mondiale avec l’arrivée massive des travailleurs maghrébins. Les premières tentatives de résorption des bidonvilles remontent à 1959 puis 1962 par la SONACOTRA-Logirem. Puis dès 1966, le nombre de bidonvilles était décroissant : on ne dénombrait plus que 31 bidonvilles en 1969 contre 45 en 1962.

La tendance était générale : de moins en moins de bidonvilles en France à partir de 1965-1966. Pourtant, paradoxalement, la population recensée dans ce type d’habitat était en progression en 1970, le nombre de familles notamment avait augmenté de 20 % entre 1966 et 1970. En 1970, 45.000 personnes habitaient encore les bidonvilles en France parmi lesquels environ 75 % étaient étrangers. Moins nombreux, les bidonvilles étaient de plus en plus surpeuplés. Manifestement les conditions de vie s’étaient aggravées.

Deux explications sont possibles, autour de l’idée de l’absence de lien de cause à effet entre éradication des bidonvilles et relogement en habitat ordinaire : l’exclusion larvée des migrants de ce type d’habitat réservé aux Français en priorité malgré les discours bienveillants et le refus des migrants de quitter le bidonville, trop habitués à leur mode de vie ou inquiets d’avoir à changer de quartier, à quitter leur lieux de sociabilité. En conséquence, les pouvoirs publics décidèrent d’intensifier la politique d’éradication pour la mener à terme : plus un seul bidonville sur le territoire français.

L’éradication, seule alternative

Pour les différents gouvernements des IVème et Vème Républiques, mettre en oeuvre une politique cohérente du logement des migrants consistait d’abord à résorber les baraquements, “l’arithmétique des bidonvilles” étant selon Eugène Claudius-Petit la comparaison entre la courbe d’évolution du nombre d’habitants en bidonville et celle du nombre de personnes relogées en HLM. L’intérêt suscité par ce type d’habitat s’inscrivait dans une réflexion plus globale sur le logement dans les années d’après guerre. Les actions ont été nombreuses : création du Fonds national d’amélioration de l’habitat (FNAH) en 1948 ; première véritable mobilisation de l’opinion en 1954 ; création des Zones d’Urbanisation Protégée (ZUP) en 1958.

A partir de 1960, les déclarations gouvernementales sur la disparition des bidonvilles se succédèrent régulièrement. A l’Assemblée nationale en 1964, on évoqua pour la première fois la notion de “grands ensembles” comme palliatif à l’habitat précaire lors d’une séance de travail destinée à préparer une future loi sur “l’expropriation de terrain dans les bidonvilles”. Il fallait supprimer ces zones de marginalité pour des raisons avant tout morales, afin d’éviter l’exclusion. Les propos d’André Fanton, rapporteur reflètent l’esprit général :

“L’existence aux portes de très nombreuses villes de ce que l’on appelle dans le langage courant “bidonville” est particulièrement scandaleuse au XXème siècle Les conditions dans lesquelles vivaient des êtres humains sur ces terrains depuis très longtemps abandonnés ont pu paraître peu choquantes à l’origine parce qu’ils y logeaient dans des baraquements provisoires. Mais ces conditions se sont rapidement aggravées, d’autres familles s’y étant installées dans des abris de fortune, consolidés tant bien que mal. Et c’est cet ensemble qui a formé les bidonvilles qui peuvent être considérés comme la honte de nos cités”.

Ces travaux aboutirent à la loi Debré du 14 décembre 1964 dont le principal objet était l’éradication des bidonvilles. Le Premier ministre du général De Gaulle en personne s’exprimait à ce sujet le 12 novembre de la même année à la tribune de l’Assemblée : “En cinq ou six ans une action concertée devrait permettre de réaliser cette oeuvre nécessaire”.

En 1966, le vote de la loi Nungesser secrétaire d’Etat au logement, un colloque sur la migration algérienne et la mise en place d’une Commission permanente interministérielle pour supprimer l’habitat précaire, s’inscrivaient dans le cadre du Plan national de résorption des bidonvilles en cinq ans, programmé par le ministère de l’Equipement et réajusté par la loi Vivien, secrétaire d’Etat au logement du 10 juillet 1970.

Il a fallu attendre encore une décennie voire plus, pour assister à l’éradication des derniers bidonvilles. Il n’existait souvent guère d’alternative au rasage, après la destruction d’un bidonville, certaines familles n’avaient pas d’autre ressource que d’aller s’installer dans d’autres baraquements. D’ailleurs, par facilité, les autorités chargeaient le plus souvent des organismes privés de reloger les migrants, suggérant même aux associations de construire pour les familles un taudis dans un autre bidonville.

Au début des années soixante-dix, cette question se posait avec de plus en plus d’insistance dans une opinion échaudée par le mouvement de mai 1968 qui avait présenté les bidonvilles comme le revers de la médaille de la société capitaliste. Après le drame survenu dans un foyer d’Aubervilliers en janvier 1970 - la mort par asphyxie de quatre travailleurs immigrés - l’émotion et les critiques redoublèrent au point d’obliger le gouvernement à donner des signes concrets d’une action imminente. Le 12 février, le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas entrepris une visite impromptue de trois heures dans un bidonville d’Aubervilliers. Après avoir constaté les difficiles conditions de vie, rencontré les habitants, il improvisa une conférence de presse :

“J’ai pu constater des conditions d’existence insupportables et pourtant elles sont supportées par ceux qui les subissent (...), j’ai vu une cave où s’entassent des dizaines d’Africains dans des conditions inénarrables (...). J’ai vu un bidonville le long d’un canal, à un endroit appelé “le chemin de halage” : dans la boue, avec les bruits incessants des pelles mécaniques qui creusent, des camions qui vont et viennent, en bref, un genre “Quai des brumes” mais sans Michèle Morgan... Il y avait là des centaines de familles : les hommes étaient au travail, il restait les femmes avec une multitude d’enfants (...). Il y avait longtemps que je n’avais pas vu un pareil spectacle”.

La destruction du bidonville de Nanterre

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Portfolio

Messages

  • Spectacle de rue à Nanterre :

    Tleta, c’est le récit à trois voix de l’immigration en France. Trois hommes, le grand-père, le père et son fils, racontent tour à tour leur histoire, montrant qu’émigrer est rarement un choix spontané, qu’il y a de nombreuses raisons, politiques, économiques ou culturelles, de partir, et que la France, terre d’accueil, est bien souvent hostile. Écrit et joué par Djamel Afnaï, qui créé là son premier spectacle avec une pertinence sans faille, ce spectacle offre une clé de lecture et de compréhension du phénomène migratoire depuis les Trente Glorieuses, toujours nécessaire. Tout passe par l’humanité des personnages (tous interprétés avec brio par Djamel), leurs sentiments, leurs espoirs, leurs doutes, leurs regrets aussi. "J’ai asphalté les routes, construit les HLM. Je n’ai pas ménagé ma peine, mais tout ça pour devenir un fantôme." Optant pour la forme déambulatoire, le comédien mène le public d’une séquence à l’autre, en traînant une caravane aux couleurs Vichy du célèbre sac Tati, bagage familier de l’immigré. A voir sans détour, à l’heure où racisme et ignorance se teintent volontiers de bleu marine.
    29 mai 19h00 10,rue des aubépines Nanterre
    30 mai à 18H15, esplanade Nelson Mandela Nanterre
    6/7 juin 18H45 centre ville ancienne Mairie (festival Parade) de Nanterre

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