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En 1936, comment Staline assassine les militants révolutionnaires

samedi 24 mai 2014, par Robert Paris

Léon Trotsky rapporte :

Le plan d’extermination physique des bolcheviks-léninistes

25 mars 1936

Le numéro de la Pravda du 15 mars reproduit une directive officieuse émanant d’une source haut placée, de toute évidence Staline, au sujet de la façon de traiter les exclus du partie. Ce n’est pas une question simple : il suffit de rappeler que, depuis le milieu de l’année dernière, jusqu’à présent, plus de 300.000 personnes ont été exclues, et peut-être un demi-million. Le pourcentage d’exclus le plus faible est de 7%, mais dans plusieurs cas, plus du tiers des membres du parti ont été exclus. Aujourd’hui, cette purge continue sous le couvert de l’ « échange de cartes » au cours duquel, comme l’indique la directive de Staline, le parti se débarrasse des « trotskystes, zinoviévistes, Gardes-blancs et autres ordures ». Cette liste, ainsi que l’ordre d’énumération des catégories d’exclus sont désormais rigoureusement établis, et, de plus, dans toutes les listes, locales et générales, ce sont « les trotskystes » qui occupent toujours la première place. Cela veut dire que c’est contre eux que sont dirigés les coups les plus rudes.

La directive de Staline ne laisse là-dessus aucun doute. En apparence, elle semble destinée à contrer le zèle excessif des organisations locales qui privent de travail tous les exclus. Staline, avec un jésuitisme bureaucratique sans exemple, intervient en faveur de certaines catégories d’exclus. Ainsi, cette directive relève que certains communistes ont été exclus en tant qu’éléments passifs, ou pour des infractions à la discipline ou à la morale du parti. Elle ne recommande pas la sévérité à leur égard. S’ils sont trop compromis pour conserver leur ancien travail, il faut leur donner un nouveau. Il ne faut pas sans nécessité se faire des ennemis : « Malheureusement, cette simple vérité n’est pas partout comprise. » Un homme qui a commis « quelque infraction grave à l’éthique du parti » peut néanmoins rester « utile à notre pays socialiste ». A une seule condition : qu’il ne soit pas un « ennemi », c’est-à-dire un ennemi de la bureaucratie. Un homme qui a volé, qui a corrompu ou qui s’est laissé corrompre, qui a frappé un subordonné, violé une fille, bref, « commis une infraction grave à l’éthique du parti », mais, dans l’intervalle, est resté fidèle aux autorités, est un « homme utile » à qui l’on peut donner un autre travail. La qualité principale que la directive exige des dirigeants du parti, c’est leur « capacité à distinguer entre l’ennemi et celui qui ne l’est pas ». On ne recommande la rigueur que contre les opposants politiques. Un fonctionnaire véreux, mais docile, n’est pas un ennemi. L’ennemi mortel, c’est l’oppositionnel honnête qu’il faut priver de tout travail.

La bureaucratie est en URSS l’unique employeur. Cette directive de Staline signifie pratiquement la condamnation des dizaines de milliers d’oppositionnels aux tourments du chômage et du manque d’abri, même sur les lieux de déportation. Cela se faisait assurément avant, mais pas dans tous les cas. Maintenant, on l’érige en système. Cette directive de Staline, intitulée « De la vigilance bolchevique », doit être portée à l’attention des ouvriers du monde entier. Il ne faut laisser passer aucune occasion propice pour poser cette question dans les réunions ouvrières. Partout où c’est possible, il faut pénétrer dans la presse syndicale. Il faut tout faire pour empêcher Staline d’exterminer physiquement des centaines de milliers de jeunes combattants irréprochables.

Les plats les plus épicés sont encore à venir

Dans son article « La lutte pour un issue », Biulleten Oppositsii n° 49, le camarade Ciliga raconte les tortures infligées par le GPU à un marin, afin de l’obliger à avouer sa participation à un imaginaire « complot contre Staline ». Il ne le laissa que quand il « fut devenu à moitié fou ». Ce fait mérite qu’on le prenne au sérieux.

La succession de procès politiques publics en URSS a montré combien certains inculpés sont prêts à s’accuser de crimes que, de toute évidence, ils n’ont pas commis. Ces accusés, qui ont l’air de jouer devant le tribunal un rôle appris par cœur, s’en tirent avec des peines légères, parfois, de toute évidence, fictives. C’est précisément en échange de cette indulgence de la justice qu’ils ont fait ces « aveux ». Mais pourquoi les autorités ont-elles besoin de conspirations fictives ? Parfois pour impliquer une tierce personne, étrangère à l’affaire, parfois pour dissimuler leurs propres crimes, ainsi que la répression sanglante que rien ne justifie, pour créer enfin un climat favorable à la dictature bonapartiste.

Nous avons déjà démontré sur la base des documents officiels que Medved, Iagoda et Staline avaient de toute évidence joué un rôle direct dans l’assassinat de Kirov. Il est probable qu’aucun d’eux ne souhaitait la mort de Kirov. Mais tous ont joué avec sa vie, en essayant, à travers cet acte terroriste, de préparer un amalgame – avec la « participation » de Zinoviev et Trotsky.

La déposition de Zinoviev à son procès avait manifestement un caractère évasif qui était le résultat de l’accord conclu au préalable entre les accusateurs et les accusés : ce n’est de toute évidence qu’à cette condition que Zinoviev s’était vu promettre la vie sauve.

Extorquer aux accusés des témoignages fantastiques contre eux-mêmes, afin de les faire ricocher sur d’autres, c’est depuis longtemps le système du GPU, c’est-à-dire de Staline.

Mais pourquoi fallait-il organiser en 1930 une tentative d’assassinat contre Staline ? Pourquoi avoir impliqué un marin dans cette affaire ? Nous ne disposons là-dessus d’aucun renseignement, sauf les quelques lignes de l’article du camarade Ciliga. Nous allons prendre pourtant le risque de formuler une hypothèse.

L’auteur de ces lignes a été expulsé en Turquie en 1929. Peu après, il reçut à Constantinople la visite de Blumkine qui allait payer cela de sa vie. L’exécution de Blumkine par Staline ébranla à l’époque bien des communistes, en URSS et ailleurs. C’est à cette époque que fut organisé à l’étranger le centre bolchevik-léniniste et que commença la publication de Biulleten et autres organes de presse. Dans ces conditions, Staline avait un besoin pressant d’une « tentative d’assassinat », surtout d’une tentative d’assassinat dont on aurait tiré les ficelles à l’étranger et dans laquelle il aurait pu impliquer Blumkine ou tout au moins son fantôme. Un marin faisait l’affaire, surtout s’il avait effectué des voyages entre un port soviétique et Constantinople. Ce marin a pu être arrêté par hasard – pour des propos imprudents, pour avoir lu de la littérature illégale, ou simplement pour contrebande : nous ne savons rien de lui. Peut-être l’a-t-on menacé de plusieurs années de prison. Mais l’astucieux Iagoda lui promit la liberté et toutes sortes d’autres avantages s’il acceptait de témoigner que Blumkine, sur ordre de Trotsky, l’avait entraîné dans un complot contre Staline. Si le coup avait réussi, l’exil de Trotsky et l’exécution de Blumkine auraient ainsi été justifiées. Mais le malheur c’est que le marin devint « à moitié fou ».

Notre hypothèse n’est qu’une hypothèse. Mais elle répond parfaitement à la nature morale de Staline et aux méthodes de sa politique. « Ce cuisinier », disait Lénine en mettant en garde contre lui, « ne nous prépare jamais que des plats épicés. » Mais Lénine lui-même, quand il prononça ces paroles en février 1922, ne pouvait évidemment avoir prévu qu’une cuisine aussi diabolique se dresserait sur les fondements du parti bolchevique….

Nous sommes en 1936. Les méthodes de Staline sont toujours les mêmes. Les dangers politiques qui le menacent se sont aggravés. La technique de Staline et Iagoda s’est enrichie de l’expérience née de plusieurs erreurs. Nous n’avons donc aucune illusion à nous faire : les plats les plus épicés sont encore à venir.

Encore que la section soviétique

Dans un compte rendu public, le 30 décembre 1935, Krouchtchev, dirigeant de l’organisation de Moscou, la plus importante et la plus nombreuse du parti, a proclamé que la vérification des cartes du parti avait constitué un succès. Les ennemis du parti ont été démasqués : « Trotskystes, zinoviévistes, espions, koulaks, officiers gardes-blancs. » L’ordre d’énumération des catégories d’exclus est en vérité très remarquable ! A Moscou, koulaks et officiers gardes-blancs occupent la dernière place : il y a longtemps que les épurations antérieures dans la capitale leur ont réglé leur compte. Il n’existe aucune raison de traiter les « espions » comme une catégorie à part. Ainsi, les objectifs principaux de la purge de Moscou étaient-ils les trotskystes et les zinoviévistes. Mais on n’a pas exclu moins de 9.975 membres du parti dans la seule ville, à l’exclusion du district !

A Leningrad, 7.274 personnes ont été exclues. Jdanov, le dirigeant du parti à Leningrad, a annoncé que « les zinoviévistes contre-révolutionnaires occupent parmi les exclus une place importante ». A Leningrad, comme on le sait, l’Opposition de gauche a traditionnellement eu une coloration zinoviéviste qui doit être encore accentuée depuis que Zinoviev a été jeté en prison. Si, sur un nombre qui dépasse 7.000, les zinoviévistes occupent une place « importante », il est tout à fait clair qu’il ne s’agit pas de poignées et de centaines. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que le rapporteur a pris soin d’éviter de mentionner des chiffres.

En dehors des « zinoviévistes » et des « trotskystes », Jdanov a fait une obscure allusion aux « opportunistes de toute espèce ». Selon toute probabilité, cette étiquette recouvre ceux des membres du parti qui ont opposé quelque résistance aux excès bureaucratiques du mouvement stakhanoviste. Il ne fait pas de doute que les groupes d’opposition dans la classe ouvrière ont été justement ranimés par la nouvelle pression sur les ouvriers qu’accompagnent de nouveaux et monstrueux privilèges pour la bureaucratie et pour l’aristocratie. Il est en tout cas remarquable que ni Krouchtchev ni Jdanov n’aient fait une seule allusion aux mencheviks ou aux socialistes-révolutionnaires.

Nous avons écrit précédemment qu’au cours des derniers mois de 1935, au moins dix mille et vraisemblablement presque vingt mille bolchéviks-léninistes avaient été exclus du parti – compte non tenu des candidats et membres des jeunesses communistes. Sur la base des rapports de Krouchtchev et de Jdanov publiés depuis, nous concluons qu’il n’y a pas eu moins de dix mille « trotskystes » et « zinoviévistes » exclus dans les deux capitales seulement.

(…)

La répression en URSS contre les bolcheviks-léninistes

La presse américaine et la presse mondiale de façon générale ont largement publié ces derniers temps des informations concernant la préparation en union soviétique d’une nouvelle Constitution. Selon l’expression des dirigeants soviétiques, cette dernière devrait être « la constitution la plus démocratique du monde ». Les élections auraient lieu désormais au suffrage universel, égale, direct et secret. Il est vrai que quelques interviewers ont demandé si, du fait qu’il n’existe dans ce pays qu’un seul parti, on pouvait considérer que le vote était libre. Dans le cadre de cette déclaration dont le but est d’informer, je renoncerai à traiter cette question. Mais il faut en poser une autre. Comment ce parti, le seul qui existe, prépare-t-il cette réforme de la Constitution ? la réponse est la suivante : par des représailles sans précédent et permanentes, qui ne sont pas dirigées contre les ennemis du régime soviétique, mais, la plupart du temps, contre des éléments qui, tout en restant fidèles au régime, sont en opposition à des dirigeants irrévocables et incontrôlables. On peut d’ailleurs affirmer avec certitude que les neuf dixièmes de la répression politique ne servent pas aujourd’hui à assurer la protection de l’Etat soviétique, mais celle de l’autocratie et des privilèges de la couche bureaucratique à l’intérieur de cet Etat. Ainsi, le seul parti qui existe devient-il un instrument politique exclusivement au service du groupe dominant.

Jusqu’à une époque récente, l’isolateur, c’est-à-dire la prison, passait pour le châtiment le plus sévère, immédiatement après la peine de mort. La plupart des prisonniers qui se trouvent dans les isolateurs politiques s’y trouvent depuis le début de 1928. Ce sont en premier lieu les membres du parti dominant qui, sans avoir, par des actes quelconques, enfreint la discipline, ont manifesté une attitude critique vis-à-vis du groupe dominant ou de Staline personnellement. Mais, tout récemment, du fait du manque de place comme des frais trop élevés, les isolateurs sont de plus en plus souvent remplacés par des camps de concentration où les prisonniers sont placés dans des conditions physiques et morales indignes d’un être humain. Les camps de concentration s’étendent maintenant à toute la périphérie du pays, et ne sont que la reproduction des institutions équivalentes de l’Allemagne hitlérienne. Les prisonniers considèrent le transfert de l’isolateur à un camp de concentration comme une condamnation à la mort lente. C’est pourquoi il y a eu en Union soviétique, au cours des derniers mois, de nombreuses grèves de la faim des prisonniers politiques qui revendiquaient le droit de rester en prison. La grève de la faim, cette arme ultime du désespoir, est d’ailleurs maintenant le moyen d’action le plus répandu chez les prisonniers.

En même temps, il ne faut pas perdre de vue qu’au cours des neuf derniers mois, si l’on se base, pour avancer ce chiffre, sur les informations de la presse soviétique officielle, beaucoup plus de trois cent mille, et peut-être même un demi million de membres ont été exclus du parti. Et cette épuration continue de plus belle. La plupart du temps, les exclus ont été arrêtés, une partie est envoyée en camp de concentration, l’autre en exil. La « Pravda », organe de Staline, a publié le 15 mars des directives spéciales qui interdisent aux administrations locales de donner du travail aux opposants politiques. Là où l’Etat est l’unique employeur, ce décret, pour celui qui est frappé, signifie la famine. Dans des centaines de trous misérables et sauvages de Sibérie et d’Asie centrale, sont éparpillés des dizaines et des dizaines milliers de membres du parti bolchevique, qui mènent une existence de parias. Le moindre mot de protestation, une simple demande de travail, leur vaut le camp de concentration, c’est-à-dire la pire espèce de travaux forcés. Mais ceux qui réussissent à survivre à la prison et à l’exil reçoivent ce que l’on appelle un « passeport de loup », c’est-à-dire une pièce d’identité qui les déclare hors-la-loi, afin que personne ne veuille les héberger, et qui les condamne à mener une vie de vagabond sans abri. L’objectif de ces mesures, c’est de briser la résistance de ces hommes, de les forcer tous à s’aligner sur les sommets dirigeants, ou, du moins, à chanter à haute voix leurs louanges. La bureaucratie espère ainsi étouffer dans le pays toute lueur de pensée critique avant l’introduction du « vote secret et universel », et assurer ainsi le succès de ces plébiscites que nous connaissons assez par l’histoire récente de l’Allemagne.

Si l’on veut illustrer ce tableau général par des exemples individuels, on n’a que l’embarras du choix. Le dernier courrier, absolument sûr, (il s’agit de Victor Serge), nous a apporté les faits suivants.

En janvier de cette année, E.B. Solntsev est mort en Sibérie, dans sa trente-sixième année. C’était l’un des esprits les plus lucides de la jeune génération d’Union soviétique. Scientifique extrêmement cultivé, il avait travaillé presque deux ans à l’Amtorg en Amérique, pour être arrêté comme « trotskyste » à son retour en 1928. Après avoir effectué les trois années qui lui avaient été infligées dans l’isolateur de Verkhnéouralsk, il a été de nouveau condamné à deux ans en l’absence de toute accusation. Après cinq années d’isolateur, il a été exilé en Sibérie, tandis que sa femme et ses enfants étaient exilés ailleurs. Pour les prisonniers politiques, c’est là, en dépit du récent cours officiel, la méthode habituelle de la « protection de la famille ». Bien que Solntsev n’ait pas eu, dans ce trou sauvage, la possibilité de faire de la politique, il a été de nouveau arrêté en septembre 1935 et condamné sans aucun motif à cinq années de prison supplémentaires. Solntsev a alors commencé la grève, dite de la faim, à mort, signifiant ainsi sa décision de se suicider de cette façon. Après dix-huit jours de grève, l’administration lui fit savoir qu’il n’irait pas en prison, mais dans un autre lieu d’exil. En cours de route, cependant, à une étape en Sibérie, son organisme épuisé n’opposant plus aucune résistance, il a succombé à une infection contractée accidentellement.

Deux autres représentants éminents de la jeune génération, Dingelstedt et Iakovine traversent en ce moment des épreuves analogues à celles de Solnstsev. Ils sont en prison depuis pas moins de sept ans, et il y a peu de chances que l’administration les relâche.

La do Doumbadzé, l’un des plus vieux bolcheviks, l’organisateur de la fameuse imprimerie souterraine du Caucase au début du siècle, dans laquelle furent imprimés des millions d’appels à la lutte contre le tsarisme, combattant, plus tard, de la révolution d’Octobre, hautement apprécié par Lénine, est un homme de la plus grande modestie et de la plus totale abnégation. Depuis 1928, il est passé de la prison à l’exil et de l’exil à la prison. Les épreuves et les privations ont provoqué chez lui une paralysie des bras. Ce vieillard ne peut plus s’habiller seul, ni écrire. Néanmoins, il a été envoyé en exil où il attend la mort.

MmeA.L. Bronstein, âgée de plus de soixante ans, qui a derrière elle quarante ans environ de vie militante, a été arrachée à ses petits-enfants, qui la soignaient à Leningrad, et déportée dans un village de Sibérie où elle ne peut trouver ni travail ni nourriture.

Si la place ne me faisait défaut, je pourrai raconter l’histoire de la famille Elstsine, du vieux père et de ses deux fils qui ont été d’abord emprisonnés tous les trois, puis exilés, l’un des fils étant mort récemment en exil. L’histoire tragique du marin Pankratov dont la femme a été déportée en Sibérie exclusivement parce qu’elle refusait de divorcer d’avec son mari, enfermé dans un isolateur. L’histoire de l’héroïque ouvrier de Moscou Mikhail Bodrov, qui vient d’être transféré d’isolateur en camp de concentration, et de dizaines et de centaines d’autres.

Je veux seulement mentionner les persécutions contre le tailleur Lakhovitsky dont la famille vit aux Etats-Unis. Cet ouvrier, à qui l’on a enlevé toute possibilité de travailler, a été traîné d’un endroit à un autre et poussé à la plus noire misère. Sa femme, une ouvrière, a été chassée de son usine pour avoir refusé de divorcer.

On prive les exilés de la possibilité d’avoir des rapports épistolaires entre eux ou avec leur famille. Les familles qui s’occupent de ceux des leurs qui sont déportés sont à leur tour persécutées. L’argent ou les objets d’usage, envoyés de l’étranger à des oppositionnels exilés, ne leur sont plus remis. Le GPU les confisque tout simplement, sans prévenir expéditeur ni destinataire, et l’exilé en question est généralement chassé dans un trou plus sauvage encore, afin qu’on perde sa trace à l’étranger. Même l’aide mutuelle entre déportés est considérée comme un crime. En voici une preuve récente : Mme M.M. Joffé, veuve du diplomate soviétique jadis bien connu, ambassadeur à Berlin, Tokio, etc., vient, après plusieurs années de déportation, d’être envoyée beaucoup plus au Nord en Sibérie, parce qu’elle avait essayé d’aider des amis dans le besoin. On l’a accusée d’avoir fondé la Croix-Rouge de l’Opposition. Lorsqu’on se souvient qu’A.A. Joffé lui-même a été poussé en 1927 au suicide par les persécutions sauvages, cela complète le tableau de la destinée de cette famille.

Il y a quelques semaines, Victor Serge est arrivé à l’étranger avec sa famille. A moitié Belge, à moitié Russe, c’est un écrivain français de talent, qui, depuis de 1920, en tant qu’opposant connu, a été soumis en URSS aux persécutions et aux calomnies les plus inouïes, qui ont jeté sa femme dans la folie complète. Seule la publication dans la presse européenne de la terrible histoire de cette famille, et le fait que Victor Serge est très connu dans le monde littéraire belge et français, ont décidé le gouvernement de Moscou de l’expulser de Russie.

Je dois ajouter que, dans l’isolateur de Solovietski – peut-être également ailleurs - sont emprisonnés un grand nombre de communistes étrangers : des Hongrois, des Bulgares, des Roumains, des Polonais, en général ressortissants de pays dont il ne faut attendre aucune protestation. Le GPU les a simplement condamnés comme « espions ». C’est ainsi que la direction moscovite de l’Internationale Communiste se débarrasse de tous ses membres indésirables, qu’ils soient turbulents ou critiques.

Il est inutile de dire que je suis parfaitement à même d’apprécier le poids des informations que je donne ici, et que j’en prends l’entière responsabilité politique et morale. Une commission internationale d’hommes irréprochables et sans parti-pris, jouissant de la confiance du public et des organisations ouvrières, pourrait vérifier sur place tous ces faits pour faire sur cette question la nécessaire clarté. Il existe dans tous les pays des sociétés des amis de l’URSS. S’ils sont vraiment des amis du peuple soviétique - et pas de la clique bureaucratique dominante – alors ils ont le devoir de revendiquer à haute voix avec nous, une commission de ce type pour mettre fin aux persécutions et aux actes infâmes de vengeance.

Appel à tous les travailleurs

Camarades !

Le 25 août dernier, Zinoviev, premier président de l’Internationale communiste ; Kaménev, ex-président du Soviet de Moscou ; Mratchkovski, Smirnov, Tervaganian, Bakaiev, tous artisans de la première révolution victorieuse de notre temps, fondateurs de la Troisième Internationale, ont été exécutés avec d’autres militants ouvriers par le gouvernement de Staline ; Trotski, organisateur de l’Armée Rouge, condamné à mort, et Michael Tomski, président de la C.G.T. russe, acculé au suicide.

Tout ouvrier révolutionnaire, tout homme raisonnable, ne peut être que profondément troublé et indigné par l’étrange et tragique procès de Moscou, d’où furent brutalement écartées les organisations ouvrières internationales et où aucune preuve matérielle ne fut apportée à l’appui des accusations les plus invraisemblables.

Au même moment où l’on annonce l’introduction d’une nouvelle Constitution soviétique, l’inviolabilité de la personne, la liberté de parole, de pensée, de réunion, même aux anciens policiers tsaristes, curés et exploiteurs, on fait condamner par un tribunal militaire, composé de trois fonctionnaires officiers, les anciens bolchéviks, les compagnons de Lénine, sans défenseurs, sans le moindre contrôle ouvrier international, sans préparation, dans une ambiance qui pue la provocation policière. Et l’on annonce que d’autres militants russes seront traités de la même manière s’il plaît à Staline.

Chacun sent que dans ces conditions il est impossible d’ajouter foi aux déclarations inouïes obtenues des accusés.

Nous proclamons que la classe ouvrière a le droit de savoir la vérité !
Seuls, des nationalistes réactionnaires, reniant totalement l’internationalisme prolétarien, peuvent refuser à la classe ouvrière internationale le droit de connaître les faits précis, les conditions exactes et les motifs véritables de l’épouvantable exécution de Moscou.

Aussi, les travailleurs révolutionnaires n’ont-ils pu qu’approuver l’intervention de la grande organisation de la classe ouvrière, la Fédération Syndicale Internationale, qui, avec l’I.O.S., a demandé que des garanties élémentaires fussent accordées aux militants accusés.
Le refus brutal du gouvernement de Staline et sa hâte suspecte à exécuter les militants du mouvement communiste, ne font que rendre plus nécessaire cette intervention des organisations ouvrières internationales.

Cette intervention s’impose avec d’autant plus de force lorsqu’on sait que de nouvelles exécutions en masse se préparent en Russie et que, par centaines, des militants du mouvement ouvrier russe sont suspectés, arrêtés ou "suicidés". On menace Rykov, ancien président du Conseil des commissaires du peuple ; Boukharine, Radek, Piatakov, Ouglanov, etc., etc., et la veuve de Lénine, la camarade Nadiejda Kroupskaïa. En un mot, tous ceux qui conduisirent le prolétariat russe à la victoire d’octobre 1917 sont exterminés ou menacés d’extermination.

La première démarche de la F.S.I. et de l’I.O.S. perdrait tout son sens si, après le refus de Staline, elle ne se continuait pas par la création d’une commission chargée d’assurer elle-même les garanties élémentaires qu’elle réclamait justement. Après avoir réclamé ces garanties pour ceux qui sont morts faute de les avoir, la F.S.I. se doit d’éclaircir le mystère tragique du procès et de la fusillade de Moscou.
SEULE UNE COMMISSION OUVRIÈRE INTERNATIONALE, à la constitution de laquelle les organisations ouvrières se doivent de travailler de suite, présentant toutes garanties d’impartialité, c’est-à-dire complètement indépendante de tout gouvernement quel qu’il soit, peut délivrer les travailleurs révolutionnaires du doute terrible qui les étreint et leur apporter la clarté qu’ils réclament.

Quant à nous, militants révolutionnaires, qui considérons comme notre devoir impérieux la défense des conquêtes sociales d’octobre 1917 et la défense de la démocratie prolétarienne, nous n’avons plus le moindre doute sur la signification des exécutions du 25 août.
Nous disons aux travailleurs : bien loin d’être un acte de défense de la révolution russe, la fusillade de Moscou est un monstrueux attentat contre la classe ouvrière russe et contre la classe ouvrière du monde entier.

Au moment où la contre-révolution engage une offensive acharnée menée par tous les moyens, même les plus vils contre le prolétariat international, contre tous ceux qui entendent lutter contre le capitalisme fasciste ou "démocratique" pour et par la révolution socialiste, contre tous ceux qui veulent le triomphe du socialisme en Espagne et en France et qui, à cause de cela, repoussent et dénoncent la politique de nationalisme et de réaction, d’union sacrée, de "Front français".

Au moment où l’unité de lutte révolutionnaire de la classe ouvrière s’impose plus que jamais ; par ce crime, Staline la brise et appuie ainsi la contre-révolution en faisant exterminer ceux dont toute la vie fut celle de révolutionnaires, et en lançant la calomnie la plus vile qui ne peut que décomposer le mouvement ouvrier.

Messages

  • "Mais était-il nécessaire que la révolution bolchevique fit périr tous les bolcheviks ?" se demande, dans son livre, le général Walter G. Krivitsky qui était, dans les années 1930, le chef militaire du contre-espionnage soviétique en Europe occidentale. Bien qu’il dise ne pas avoir de réponse à cette question, il en fournit une très claire dans les pages 35 et 36 de son livre J’étais un agent de Staline (Editions Champ libre, Paris, 1979). La poursuite des procès de Moscou et la liquidation des derniers bolcheviks étaient bien le prix à payer pour la marche à la guerre : "Le but secret de Staline restait le même (l’entente avec l’Allemagne). En mars 1938, Staline monta le grand procès de dix jours, du groupe Rykov-Boukharine-Kretinski, qui avaient été les associés les plus intimes de Lénine et les pères de la révolution soviétique. Ces leaders bolcheviques - détestés de Hitler - furent exécutés le 3 mars sur l’ordre de Staline. Le 12 mars Hitler annexait l’Autriche. (...) C’est le 12 janvier 1939 qu’eut lieu devant tout le corps diplomatique de Berlin, la cordiale et démocratique conversation de Hitler avec le nouvel ambassadeur soviétique." Et c’est ainsi que l’on en est arrivé au pacte germano-soviétique Hitler-Staline du 23 août 1939.

    Toutefois, la liquidation des derniers bolcheviks, si elle répondait en premier aux besoins de la politique de Staline, était également une réponse aux besoins de celle de toute la bourgeoisie mondiale. C’est pourquoi le sort de Trotsky lui-même était désormais scellé. Pour la classe capitaliste du monde entier, Trotsky, le symbole de la révolution d’Octobre, devait disparaître !

    Robert Coulondre, ambassadeur de France auprès du IIIe Reich fournit un témoignage éloquent dans une description qu’il fait de sa dernière rencontre avec Hitler, juste avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale. Hitler s’y était en effet vanté du pacte qu’il venait de conclure avec Staline. Il traçait un panorama grandiose de son futur triomphe militaire. En réponse, l’ambassadeur français faisant appel à sa raison, lui parla du tumulte social et des risques de révolutions qui pourraient faire suite à une guerre longue et meurtrière et qui pourraient détruire tous les gouvernements belligérants. "Vous pensez à vous-mêmes comme si vous étiez le vainqueur..., dit l’ambassadeur, mais avez-vous songé à une autre possibilité ? Que le vainqueur pourrait être Trotsky". Hitler fit un bond, comme s’il avait été frappé au creux de l’estomac, et hurla que cette possia que cette possibilité, la menace d’une victoire de Trotsky, était une raison de plus, pour la France et la Grande-Bretagne, de ne pas déclencher la guerre contre le IIIe Reich. Isaac Deutscher a tout à fait raison de souligner la remarque faite par Trotsky, lorsqu’il a pris connaissance de ce dialogue, selon laquelle les représentants de la bourgeoisie internationale "sont hantés par le spectre de la révolution, et ils lui donnent un nom d’homme."

    Trotsky devait mourir et, lui-même, se rendait compte que ses jours étaient comptés. Son élimination avait une plus grande signification que celle des autres vieux bolcheviks et des membres de la gauche communiste russe. L’assassinat des vieux bolcheviks avait servi à renforcer le pouvoir absolu de Staline. Celui de Trotsky manifestait en plus la nécessité pour la bourgeoisie mondiale, y compris pour la bourgeoisie russe, d’aller à la guerre mondiale librement. Cette voie fut nettement dégagée après la disparition de la dernière grande figure de la révolution d’Octobre, du plus célèbre des internationalistes. C’est toute l’efficacité de l’appareil de la GPU que Staline a utilisée pour le liquider. Il y a eu d’ailleurs plusieurs tentatives ; elles ne pouvaient que se multiplier et effectivement elles se rapprochaient dans le temps. Rien ne semblait pouvoir arrêter la machine stalinienne. Quelques temps avant son assassinat, Trotsky dut subir une attaque de nuit de la part d’un commando le 24 mai 1939. Les sbires de Staline avaient réussi à poster des mitrailleuses en face des fenêtres de sa chambre. Ils avaient pu tirer près de 200 à 300 coups de feu et jeter des bombes incendiaires. Fort heureusement les fenêtres étaient hautes au-dessus du sol et Trotsky, sa femme Natalia ainsi que son petit-fils Siéva ont miraculeusement pu en réchapper en se jetant sous le lit. Mais la tentative suivante allait être la bonne. C’est ce que réalisa Ramon Mercader à coups de piolet.

  • mai 1930

    A Moscou, seuls des cercles étroits du parti sont informés de ce que Staline a fait à Blumkine. Ils répandent systématiquement des rumeurs selon lesquelles Blumkine se serait suicidé. Ainsi Staline, jusqu’à présent, n’ose-t-il pas reconnaître ouvertement qu’il a exécuté le "contre-révolutionnaire" Blumkine.

    Il est tout à fait remarquable que la presse capitaliste mondiale ne se soit pas empressée d’utiliser l’affaire Blumkine. Elle pense à juste titre que la défense des communistes de gauche contre les représailles de Staline n’entre pas dans la sphère de ses intérêts. Aussi l’Opposition communiste de gauche est-elle tenue de faire campagne avec d’autant plus de constance et de fermeté pour dénoncer les crimes staliniens.

    Dans le dernier numéro, nous avons dit qu’outre Blumkine, deux oppositionnels supplémentaires avaient été fusillés, les camarades Silov et Rabinovich, Ainsi la question revêt-elle une importance exceptionnelle : seule la publicité autour de ses crimes parmi les ouvriers progressistes du monde entier peut arrêter la sanglante violence de Staline contre les bolcheviks révolutionnaires.

    L’ex-communiste Souvarine a volé au secours de Staline, prétendant que Blumkine aurait soi-disant exécuté dans le G.P.U. les instructions de l’Opposition et que l’existence même du G.P.U. lui dicte d’exécuter ceux qu’il emploie quand ils le trahissent.

    Souvarine en conclut que "dans la treizième année de la révolution", il faut supprimer le G.P.U.

    Nous n’avons aucune raison de nous engager dans un débat théorique avec Souvarine. Nous estimons suffisant de nous limiter à la déclaration suivante.

    Le camarade Blumkine n’a jamais exécuté et, du fait même du caractère de son travail, n’aurait jamais pu exécuter dans le G.P.U. ou par lui les instructions de l’Opposition. Il suffit d’indiquer qu’il a passé le plus gros de la dernière période en Extrême-Orient, principalement en Mongolie.

    L’interdiction faite aux travailleurs du G.P.U. comme de l’armée d’avoir d’autres opinions que celles du comité central aujourd’hui, équivaut à priver des droits de parti élémentaires les communistes qui travaillent dans ces institutions.

    Seuls des bureaucrates staliniens pourraient défendre une mesure aussi abjecte.

    Le G.P.U. est un organe d’autodéfense de la dictature du prolétariat. Dans la mesure où la révolution d’Octobre, même dans sa treizième année, est entourée d’un monde d’ennemis, elle ne peut renoncer à de tels organes - la dictature ne peut pas cesser d’être une dictature.

    Seuls des libéraux ou des social-démocrates en train de devenir libéraux pourraient voir cette question d’un point de vue formel. Nous l’examinons d’un point de vue de classe : au nom de qui ces mesures de répression sont-elles adoptées ? Contre qui le sont-elles ? Qui servent-elles et pourquoi ? C’est une question d’efficacité révolutionnaire, pas de justice au-dessus des classes.

    Le meurtre de Blumkine et, en général, les actes de répression contre l’opposition léniniste affaiblissent l’avant-garde révolutionnaire, sapent le parti et renforcent les ennemis de classe. Nous menons la bataille contre le meurtre - lâche et traÎtre - de Blumkine par Staline, au nom de la dictature du prolétariat.

    Que nos amis et nos ennemis le sachent.

    Léon Trotsky

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