Curieusement, lors de l’entrée en guerre, on n’a pas eu de diffusion d’explications sur les buts de guerre ni même sur les causes autres que des insultes aux peuples des pays ennemis. Le dernier poilu français vivant Lazare Ponticelli déclarait : « Tous ces jeunes tués, on ne peut pas les oublier. Je tire sur toi, je ne te connais pas. Si seulement tu m’avais fait du mal… Cette guerre, on ne savait pas pourquoi on la faisait. On se battait contre des gens comme nous." Les gouvernements ne parlent pas, dans la première phase de la guerre, des buts de guerre que de manière générale, en parlant d’honneur, de gloire, de patrie, et cela jusqu’en 1917 ; ils se consacrent plus volontiers à rallier l’opinion publique à l’idée de victoire. Les buts de guerre détaillés sont secondaires, seul le caractère héroïque de la guerre compte. De toutes manières, les buts de guerre ne sont pas exactement identiques aux causes de celle-ci comme on va le voir ensuite.
« L’histoire dira un jour, en toute vérité, que la France, qui avait depuis quarante-quatre ans les meilleures, les plus puissantes, les plus légitimes raisons de faire la guerre, a refoulé dans son cœur les sentiments qui devaient l’y pousser et n’a reculé devant aucun sacrifice, si ce n’est celui de son honneur, pour assurer le maintien de la paix. » disait un journal patriotard (La Chronique de la Quinzaine) mais il ne développait nullement les puissantes et meilleures (!) raisons en question ni n’expliquait pourquoi avoir attendu 44 ans et pas plus d’années ou moins...
Des motifs officiels de l’entrée en guerre, des justifications développées par la suite, la première guerre mondiale en a eu de multiples et qui sont parfois contradictoires ou même absurdes (de la pure propagande) :
les opinions publiques auraient été chauffées par de nombreux incidents rappelant des situations cuisantes pour le patriotisme national. Mais les classes dirigeantes n’ont jamais suivi les opinions publiques : elles les ont plutôt fabriqué à leur convenance. L’ennemi héréditaire anglais s’était transformé en allemand par exemple...
l’assassinat de l’Archiduc d’Autriche à Sarajevo mais l’assassin n’appartient à aucune nation importante qui sera engagée dans le conflit... L’attaque de la Serbie par l’Autriche n’est nullement justifiée par un attentat d’un terroriste nationaliste serbe qui n’est pas commandité par le pouvoir. L’entrée en scène des autres puissances n’était nullement fatale, s’il n’y avait d’autres raisons plus générales aux impérialismes et plus fondamentales que les alliances des grandes puissances, les unes avec l’Autriche et les autres avec la Serbie.
la reconquête par la France de l’Alsace-Lorraine, contestée depuis le dernier conflit européen de 1870. Mais justement, cela faisait 44 ans que la situation perdurait et on ne voit pas pourquoi le conflit reprendrait justement en 1914, sans aucun événement local l’expliquant...
les revendications italiennes sur des territoires de l’empire austro-hongrois mais, justement, l’Italie tarde à se décider d’entrer dans la première guerre mondiale et ne va pas suivre immédiatement la France et l’Angleterre qu’elle ne rejoindra sur les champs de bataille qu’en mai 1915...
certains auteurs mettent en avant le dynamisme démographique de l’Allemagne face au manque de dynamisme démographique de la France qui pousserait cette dernière à ne pas attendre un changement défavorable du rapport des forces.
des facteurs psychologiques sont soulignés comme l’influence des officiers prussiens, côté allemand, ou les tendances politiques revanchardes des partis politiques français.
le bellicisme allemand, disent certains auteurs français, et, bien entendu, le bellicisme français, disent certains auteurs allemands. Chacun rejette la faute sur l’autre pour l’entrée en guerre et donc affirme que la guerre est absurde tout en disant que, de son côté, la guerre est juste et patriotique mais les peuples ne voient pas ces contradictions. "La catastrophe de 1914 est d’origine allemande. Il n’y a qu’un menteur professionnel pour le nier" affirme Georges Clemenceau, dans "Grandeurs et misères d’une victoire". L’Allemagne a bie entendu le discours exactement symétrique. On est souvent à la limite de la dispute de cour de récréation : c’est lui qui a commencé alors qu’en réalité, depuis des années, les deux pays se préparaient ouvertement à la guerre. Ce n’est donc pas un incident de frontière ou un mauvais geste involontaire.
- la question des différends coloniaux est déjà plus sérieuse mais elle justifierait aussi bien (et même mieux) un conflit entre la France et l’Angleterre (à cause de l’Egypte, du Soudan par exemple) ou entre la France et l’Italie (à cause de la Tunisie) mais il est vrai que le capitalisme allemand dynamique lorgne sur les colonies de ses voisins impérialistes… La France, l’Angleterre et la Belgique se partagent l’Afrique. L’Asie aussi est sous la coupe européenne. L’Allemagne, sauf en de rares endroits comme au Cameroun, Namibie, Tanzanie et Togo ne peut obtenir de zones d’influence dans les colonies. L’Allemagne lorgne notamment sur le Maroc… Et les crises diplomatiques de 1905 et 1911 l’ont montré. Cela suffit-il à justifier une grande guerre européenne plutôt que des tractations au sommet et des jeux diplomatiques ?
Des nations impérialistes concurrentes ont nécessairement et en permanence des motifs graves de discorde mais elles n’entrent pas en guerre souvent. Elles ne le font que si des motifs généraux au capitalisme les y pousse et pas seulement des motifs de concurrence…
les appétits territoriaux des uns et des autres sont souvent mis en avant comme cause de guerre. On a déjà cité l’Alsace-Lorraine pour la France et les colonies pour l’Allemagne. Dans l’empire austro-hongrois, où pas moins de quarante peuples cohabitent, les velléités séparatistes sont nombreuses, liées à l’éveil des minorités nationales (Bohême, Croatie, Slavonie, Galicie, etc.) qui se manifestent depuis 1848. L’Empire ottoman, déjà très affaibli, est ébranlé par la révolution des Jeunes-Turcs en 1908. L’Autriche-Hongrie en profite pour mettre la main sur la Bosnie-Herzégovine voisine et désire continuer son expansion dans la vallée du Danube, jusqu’à la mer Noire, ou, du moins, maintenir le statu quo hérité du traité de San Stefano et du traité de Berlin. En Serbie, le nouveau roi, Pierre Ier envisage la formation d’une grande Yougoslavie, regroupant les nations qui appartiennent à l’empire austro-hongrois. Dans les Balkans, la Russie trouve un allié de poids en la Serbie, qui a l’ambition d’unifier les Slaves du sud. Le nationalisme serbe se teinte donc d’une volonté impérialiste, le panserbisme et rejoint le panslavisme russe, récoltant l’appui du tsar à ces mêmes Slaves du sud. Les Balkans, soustraits de l’Empire ottoman, sont en effet l’objet de rivalités entre les grandes puissances européennes. Depuis longtemps, la Russie nourrit des appétits face à l’Empire ottoman : posséder un accès à une mer chaude (mer Méditerranée). Cette politique passe par le contrôle des détroits. Dans cet Empire russe, les Polonais sont privés d’État souverain et se trouvent partagés entre les empires russe, allemand et austro-hongrois. En Allemagne et en Angleterre, dès le début du XXe siècle, l’essor industriel et la remilitarisation se sont accentués et l’Allemagne a des intérêts dans l’Empire ottoman. L’Italie désire s’étendre en Dalmatie, liée historiquement à l’Italie et où l’on parle aussi italien, et contrôler la mer Adriatique, à l’instar de ce qu’a fait la République de Venise, et ce d’autant plus que ses tentatives de conquête d’un empire colonial africain ont échoué après la débâcle d’Adoua en Abyssinie en 1896.
les appétits concurrents ne suffisent pas à expliquer la guerre mondiale. D’autres annexions n’avaient pas entraîné de guerre mondiale. Par exemple, le 5 octobre 1908, l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie a été obtenue après l’accord de l’Allemagne et l’acceptation de la Russie (conseillant à la Serbie de céder) en échange de concessions dans les détroits. L’accord est accepté par l’Empire Ottoman le 26 février 1909 en échange du sandjak de Novi-Bazar.
Des guerres locales n’ont pas systématiquement entraîné des guerres générales. Par exemple, le 29 septembre 1911, l’Italie déclare la guerre à l’Empire ottoman. Un corps expéditionnaire de 100 000 hommes est constitué. L’Italie entre en guerre en Tripolitaine mais sans entraîner avec elle d’autres puissances européennes. Elle va, suite à des victoires militaires, occuper militairement Tripolitaine, Dodécanèse et Cyrénaïque.
Les crises de concurrence pour les territoires coloniaux mènent généralement à des négociations, comme la « Convention franco-allemande » réglant la seconde crise marocaine, les Allemands obtenant pour leur retrait du Maroc une compensation au Congo, les Français récupèrent le Bec de Canard au Tchad.
- il y avait également les circonstances politiques. En France, toutes les équipes gouvernementales s’étaient archi usées au pouvoir et il devenait impossible de ne pas faire appel à celui qui apparaissait comme un véritable homme d’Etat : Jean Jaurès, sauf qu’on ne savait pas ce qu’il ferait en cas de guerre… Le parti socialiste s’exprimait toujours contre la guerre mais tout le monde savait que, si la guerre était déclarée, il s’alignerait sur la position patriotique et donc sur la défense des intérêts de sa propre bourgeoisie. En Allemagne, également, la bourgeoisie ne peut se contenter de voir le parti social-démocrate gagner en influence politique comme il vient de le faire le 12 janvier 1912 en raflant 34,8 % des suffrages, et 110 sièges au Reichstag où il devient le plus grand parti d’Allemagne. Là aussi, la marche à la guerre assure, au moins momentanément, que la direction du parti social-démocrate bascule vers la défense nationale et s’aligne immédiatement sur les intérêts de la bourgeoisie allemande.
à côté des causes réelles de la guerre, il y a aussi les buts de guerre. Le 9 septembre 1914, le chancelier Bethmann Hollweg définit avec Kurt Riezler les buts de guerre allemands dans son Septemberprogramm. Depuis la fondation de l’Empire, l’Allemagne veut assurer sa puissance et faire valoir ses revendications d’une politique mondiale. Le programme de septembre est alors axé sur une sécurisation de l’Empire à l’ouest comme à l’est, sécurisation qui passe par l’affaiblissement de la France ; celle-ci doit ainsi perdre son statut de grande puissance et devenir dépendante économiquement de l’Allemagne. La France doit entre autres céder le bassin de Briey ainsi qu’une partie de la côte allant de Dunkerque à Boulogne-sur-Mer. Pour la Belgique, le chancelier prévoit également un large programme d’annexions, Liège et Verviers doivent être annexées à la Prusse et le pays entier doit devenir un État vassal et une province économique allemande. Le Luxembourg et les Pays-Bas doivent également être annexés à l’Allemagne. Pour l’Allemagne, la Russie doit elle aussi être affaiblie, notamment en ce qui concerne l’influence qu’elle exerce sur les pays frontaliers. La puissance allemande en Europe doit également passer par la création d’une union douanière14 regroupant la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, l’Autriche-Hongrie, la Pologne et éventuellement l’Italie, la Suède et la Norvège.
Lénine expliquait dans la préface de "L’impérialisme, stade suprême du capitalisme" :
"La guerre de 1914-1918 a été de part et d’autre une guerre impérialiste (c’est-à-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage), une guerre pour le partage du monde, pour la distribution et la redistribution des colonies, des "zones d’influence" du capital financier, etc. Car la preuve du véritable caractère social ou, plus exactement, du véritable caractère de classe de la guerre, ne réside évidemment pas dans l’histoire diplomatique de celle-ci, mais dans l’analyse de la situation objective des classes dirigeantes de toutes les puissances belligérantes. Pour montrer cette situation objective, il faut prendre non pas des exemples, des données isolées (l’extrême complexité des phénomènes de la vie sociale permet toujours de trouver autant d’exemples ou de données isolées qu’on voudra à l’appui de n’importe quelle thèse), mais tout l’ensemble des données sur les fondements de la vie économique de toutes les puissances belligérantes et du monde entier."
les motifs qui sont souvent invoqués également dans la première guerre mondiale ont trait au rapport des forces entre impérialismes. Ainsi, on souligne que les Allemands auraient intérêt à lancer la guerre avant que la Russie ne se renforce au point d’être capable de les contrer. Les Français et les Anglais, de leur côté, auraient intérêt à la lancer avant que l’Allemagne ne soit trop puissante économiquement et militairement. Etc, etc…On présente ainsi la guerre comme l’aboutissement de la course aux armements. Mais, là aussi, cela ne suffit pas à motiver une guerre mondiale avec tous les risques que cela entraîne, les dépenses et les menaces éventuelles. Ces risques, on va les voir se dessiner chez toutes les puissances vaincues et aussi dans tous les empires où les forces nationales centrifuges se serviront de la guerre pour renverser l’oppression nationale. Mais les risques des questions nationales non réglées vont se catapulter avec les risques révolutionnaires du prolétariat. La guerre mondiale va se transformer à sa fin en guerre civile révolutionnaire, renversant les rois et les bourgeoisies. Les classes dirigeantes ne pouvaient prendre ce risque que si elles estimaient, du fait de l’ampleur de la crise, que le risque révolutionnaire prolétarien était déjà présent et que l’entrée en guerre était une manière de l’éradiquer momentanément en contraignant le mouvement ouvrier au silence à sa base et à l’alignement à son sommet.
Les motifs généraux de guerre mondiale, ce sont donc les limites et les contradictions du système capitaliste. Ce sont les effondrements dus au fonctionnement économique et les risques qu’ils engendrent dans la lutte des classes… Ces risques amènent les classes dirigeantes à se précipiter dans la guerre plutôt que dans la révolution sociale.
Par exemple, la Russie s’est jetée dans la guerre avant toute concertation avec l’Etat français alors que cette concertation faisait partie de son alliance avec la France. Or, la Russie de 1914 est un pays où monte la révolution prolétarienne. Eh oui ! Pas seulement en 1917 mais déjà en 1914... Et déjà, en 1914, pour la première fois en Russie, les bolchéviks sont devenus majoritaires dans la classe ouvrière !
Ce n’est pas seulement la Russie qui était menacée par la montée révolutionnaire mais tous les empires, l’empire austro-hongrois et l’empire ottoman. Les nationalités opprimées et les classes ouvrières menaçaient de s’unir contre cette oppression impériale. La menace plane sur les empires : en 1911, la révolution a renversé déjà la dynastie des Qing en Chine. Le 23 janvier 1913, la révolution contre l’empire Ottoman a lieu. Les « Jeunes-Turcs » prennent le pouvoir par un coup d’État mené par le triumvirat formé par Enver Pacha, Talaat Pacha et Djemal Pacha.
Partout en Europe de l’Est comme dans l’Empire Ottoman ou en Russie, la révolte des nationalités rejoint celle de la classe ouvrière et des paysans pauvres. C’était également le cas des Juifs et de la classe ouvrière des pays d’Europe de l’Est comme la Pologne et la Hongrie. En mars-avril 1907, c’est une révolution paysanne qui a été écrasée dans le sang en Roumanie. En mai 1912 la grève générale et les émeutes ouvrières à Budapest organisées par les sociaux-démocrates en Hongrie ont été violemment réprimées.
Le 14 avril 1913, grève générale en Belgique. L’hiver 1913, il y a à la fois la crise économique catastrophique en Allemagne, des grèves ouvrières violentes au Royaume Uni, des grèves massives en Russie (1,75 million de grévistes de juin 1913 à juillet 1914). L’Europe ouvrière menace la bourgeoisie. La réplique sera l’entrée en guerre…
La guerre mondiale, ce n’est pas seulement une guerre contre d’autres puissances : c’est une guerre contre les classes ouvrières et les peuples !
La guerre était le résultat d’une aggravation des contradictions du système mondial :
« L’Europe, après la guerre est tombée dans une situation plus pénible qu’avant 1914. Mais la guerre n’a pas été un phénomène fortuit. Ça a été le soulèvement aveugle des forces de production contre les formes capitalistes, y compris celles de l’Etat national. Les forces de production, créées par le capitalisme, ne pouvaient plus tenir dans le cadre des formes sociales du capitalisme, y compris le cadre des Etats nationaux. De là, la guerre. Quel a été le résultat de la guerre pour l’Europe ? Une aggravation considérable de la situation. Nous avons maintenant les mêmes formes sociales capitalistes, mais plus réactionnaires ; les mêmes barrières douanières, mais plus hérissées d’obstacles ; les mêmes frontières, mais plus étroites ; les mêmes armées, mais plus nombreuses ; une dette accrue, un marché restreint. Telle est la situation générale de l’Europe. Si, aujourd’hui, l’Angleterre se relève quelque peu, c’est au détriment de l’Allemagne ; demain, ce sera l’Allemagne qui se relèvera au détriment de l’Angleterre. Si la balance commerciale d’un pays accuse un excédent, la balance d’un autre pays accuse un passif correspondant » (Trotsky, 1926).
Crise économique et première guerre mondiale
La première guerre mondiale est, d’abord et avant tout, un sous-produit de la crise du système capitaliste mondial. Comme la crise de 1929 est la cause directe de la seconde guerre mondiale, la crise de 1907 est la cause directe de la première guerre mondiale…
Quand les classes dirigeantes perçoivent que la dernière crise les a durablement déstabilisés, ils savent que la prochaine sera dangereuse socialement, face à la classe ouvrière… Ils préparent alors la guerre mondiale et développent à la fois leurs armements et leurs armes sociales et idéologiques pour entraîner les peuples dans la boucherie…
La Panique bancaire américaine de 1907, aussi nommée Panique des banquiers, est une crise financière qui eut lieu aux États-Unis lorsque le marché boursier s’effondra brusquement, perdant près de 50 % de la valeur maximale atteinte l’année précédente. Cette panique se produisit au milieu d’une période de récession, marquée par d’innombrables retraits de fonds des banques de détail et d’investissement. La panique de 1907 se propagea à tout le pays, de nombreuses banques et entreprises étant acculées à la faillite. Parmi les premières causes de la crise, on peut citer le retrait de liquidités des banques de New York, la perte de confiance des dépositaires et l’absence d’un fonds de garantie des dépôts. La crise éclata en octobre après une tentative ratée de corner sur les actions de la compagnie United Copper. Les banques qui avaient prêté de l’argent pour réaliser le corner furent victimes de retraits massifs, qui se propagèrent aux établissements affiliés, causant en l’espace d’une semaine la chute de la société fiduciaire Knickerbocker Trust Company, troisième établissement en importance de ce genre à New York. Cette chute causa une vague de paniques parmi les établissements financiers de la ville lorsque les banques régionales commencèrent à retirer des fonds de New York. La panique gagna bientôt le pays tout entier et les particuliers se ruèrent sur les banques pour retirer leurs dépôts. La panique se serait accrue si le financier J. P. Morgan n’était pas intervenu en engageant ses fonds propres et en persuadant d’autres banquiers de l’imiter pour soutenir le système bancaire américain. À cette époque, il n’existait pas de banque centrale américaine pour réinjecter des liquidités sur le marché. En novembre, la crise était pratiquement terminée, quand elle repartit de plus belle lorsqu’une firme de courtiers fit un emprunt massif gagé sur les actions de la Tennessee Coal, Iron and Railroad Company (TC&I). La chute des actions de cette compagnie fut évitée par une prise de participation d’urgence de la U.S. Steel effectuée avec l’aval du président Theodore Roosevelt, pourtant farouche opposant des monopoles. L’année suivante, le sénateur Nelson W. Aldrich réunit une commission qu’il présida lui-même pour enquêter sur la crise et préconiser des solutions. Le processus allait aboutir le 22 décembre 1913 à la création de la Réserve fédérale des États-Unis. La panique de 1907 se produisit lors d’une période de récession prolongée entre mai 1907 et juin 1908. L’interaction entre la récession, la panique bancaire et la crise boursière provoquèrent un déséquilibre économique de taille. Robert Bruner et Sean Carr citent de nombreuses statistiques qui donnent une idée de l’ampleur des dégâts dans The Panic of 1907 : Lessons Learned from the Market’s Perfect Storm. La production industrielle chuta à un niveau sans précédent après une telle crise, et le nombre de faillites en 1907 se classa au second rang des plus hauts jamais enregistrés. La production chuta de 11 %, les importations de 26 %, et le chômage, qui était à moins de 3 %, atteignit 8 %.
Au début de 1907, le banquier Jacob Schiff de Kuhn, Loeb & Co. avait prononcé un discours devant la chambre de commerce de New York qui contenait cet avertissement : « Si nous n’avons pas de banque centrale disposant d’un contrôle suffisant des ressources nécessaires au crédit, ce pays se retrouvera face à la crise financière la plus brutale et la plus grave de son histoire ». En novembre 1910, Aldrich convoqua une conférence qui fut tenue secrète et rassembla les plus éminents financiers américains ; elle se tint au club de Jekyll Island, au large de la côte de Géorgie ; à l’ordre du jour figuraient les politiques monétaires et le système bancaire. Aldrich et A. P. Andrews (vice-secrétaire du département du Trésor), Paul Warburg (représentant de Kuhn, Loeb & Co.), Frank A. Vanderlip (qui avait succédé à James Stillman comme directeur de la National City Bank of New York), Henry P. Davison (associé principal de la compagnie J.P. Morgan & Co.), Charles D. Norton (directeur de la First National Bank of New York inféodée à Morgan) et Benjamin Strong (représentant J.P. Morgan), élaborèrent le projet d’une banque de réserves nationale (National Reserve Bank). Morgan apparut d’abord comme un héros, mais bien vite cette image se ternit avec les craintes de voir émerger une ploutocratie et la concentration des richesses entre les mains d’une minorité. La banque de Morgan avait résisté, mais les sociétés fiduciaires qui concurrençaient le système bancaire traditionnel ne pouvaient en dire autant. Certains experts pensèrent que la crise avait été fabriquée de toutes pièces pour ébranler la confiance dans les sociétés fiduciaires au bénéfice des banques. D’autres pensèrent que Morgan avait profité de la crise pour réussir la fusion entre U.S. Steel et TC&I.
En décembre 1907, la crise américaine atteint de plein fouet l’Allemagne. La crise y est due à la croissance excessive de l’économie et amplifiée par la crise américaine. Le chômage grimpe en flèche.
Voici un extrait du journal économique « La Tribune » du 8 novembre 2013 :
« En 1907, une crise financière majeure née aux États-Unis a affecté le reste du monde et démontré la fragilité du système financier international.
Les suites du crash de 1907 ont poussé la puissance hégémonique de l’époque, la Grande-Bretagne, à réfléchir à la façon de mettre sa puissance financière au service de sa capacité stratégique sur la scène internationale. Telle est la conclusion d’un livre important sorti récemment, Planning Armageddon, de Nicholas Lambert, qui étudie la relation entre l’économie britannique et la Première Guerre mondiale. Il y montre comment, dans le cadre d’un jeu stratégique de grande ampleur, la Grande-Bretagne a combiné sur la scène internationale sa prédominance militaire, notamment sur les mers, avec son leadership financier.
Entre 1905 et 1908, l’amirauté britannique avait esquissé le plan d’une guérilla financière et économique contre la puissance montante en Europe, l’Allemagne. La guérilla économique, si elle avait été menée à fond, aurait coulé le système financier de l’Allemagne et l’aurait empêché de s’engager dans un conflit militaire, quel qu’il soit. Quand les visionnaires de l’amirauté britannique ont été confrontés à un rival sous la forme de l’Allemagne du Kaiser, ils ont compris comment le pouvoir pouvait prospérer sur la fragilité financière. Pour les rivaux de la Grande-Bretagne, la panique financière de 1907 montrait la nécessité de mobiliser les puissances financières elles-mêmes. Les États-Unis, de leur côté, reconnaissaient qu’il leur fallait une banque centrale analogue à la Banque d’Angleterre. Les financiers américains étaient persuadés que New York devait développer son propre système d’échanges commerciaux pour traiter les lettres de change de la même manière que le marché de Londres, et assurer leur monétisation (ou acceptation).
Un personnage central a joué un rôle essentiel pour parvenir au développement d’un marché américain des acceptations bancaires. Il s’agit d’un immigré, Paul Warburg, frère cadet de Max Warburg, un banquier renommé de Hambourg qui était le conseiller personnel du Kaiser Guillaume II d’Allemagne.
Les frères Warburg, Max et Paul, constituaient un tandem transatlantique qui poussait énergiquement à la création d’institutions germano-américaines comme alternative au monopole industriel et financier de la Grande-Bretagne. Ils étaient convaincus que l’Allemagne et les États-Unis étaient des puissances montantes, tandis que la Grande-Bretagne était sur le déclin.
On voit réapparaître aujourd’hui certaines caractéristiques de la situation financière d’avant 1914. Après la crise financière de 2008, les institutions financières semblaient être à la fois des armes de destruction massive sur le plan économique et les instruments potentiels de la mise en oeuvre de la puissance nationale.
En 1907, après une crise financière marquante qui a failli entraîner un effondrement complet du système, plusieurs pays ont commencé à penser la finance avant tout comme un instrument du pouvoir brut qui peut et doit être mis au service de l’intérêt national. Ce genre d’idée a conduit à la guerre de 1914. Un siècle plus tard, en 2007-2008, le monde a subi un choc financier encore plus important qui a enflammé les passions nationalistes. Les stratégies destructrices ne sont peut-être pas loin derrière. »
1914 : Quand les grandes puissances provoquent des guerres pour éviter la faillite…
Bien que ce soit l’un des secrets les mieux gardés de la guerre 1914-18, le Trésor et les finances de l’Empire britannique étaient déjà en faillite au moment où la guerre était déclarée entre la Grande-Bretagne et le Reich allemand.
Si l’on examine la réalité des relations financières des principales parties entrées en guerre, on découvre un arrière-fond extraordinaire de crédits secrets, de plans pour partager les matières premières et la richesse physique du monde entier d’alors, sur la base de crédits par tranches. A ce moment-là, il fut décidé que New York devait être le banquier de l’entreprise !
En effet, la Première Guerre mondiale fut déclenchée quand on s’aperçut que les réserves d’or des pays belligérants ne pouvaient pas financer les hostilités ni garantir la valeur des émissions de monnaie fiduciaire des Banques centrales. Comme la production ne pouvait pas suivre le rythme de ces émissions, il s’ensuivit une dégradation constante de la valeur des monnaies et l’instauration de leur cours forcé, souvent accompagné d’un moratoire. Comme les échanges internationaux se réglaient en or, tout fut mis en œuvre afin d’exiger que les réserves d’or des pays belligérants soient envoyées vers les pays créanciers. Ainsi se déplaçait le centre de pouvoir de l’Europe vers les Etats-Unis ! Bien évidemment, l’ampleur de ces mouvements de capitaux déstabilisa les marchés des changes et freina le commerce international.
Transfert des réserves d’or
A en croire les livres d’histoire populaire, c’est un assassinat serbe qui déclencha les hostilités en tuant à Sarajevo, le 28 juin 1914, l’héritier du trône d’Autriche, l’archiduc François-Ferdinand.. Après un mois de négociations frénétiques, l’Autriche déclara la guerre au petit Etat de Serbie, tenu pour responsable du meurtre. Elle avait été assurée de l’appui de l’Allemagne, au cas où la Russie soutiendrait la Serbie. Le lendemain, le 29 juillet, la Russie donna des ordres de mobilisation à son armée, en préparation de la guerre. Puis le même jour, à la réception d’un télégramme de l’empereur allemand le suppliant de ne pas mobiliser, le tsar Nicolas II annula ses ordres. Le 30 juillet, le haut Commandement russe persuada le faible tsar de reprendre la mobilisation. Le 31 juillet, l’ambassadeur allemand à Saint Pétersbourg remit au tsar une déclaration de guerre. Le 3 août 1914, l’Allemagne déclara la guerre à la France et les troupes allemandes envahirent la Belgique. Le 4 août, l’Angleterre déclara la guerre à l’Allemagne en invoquant ses engagements envers la protection de la neutralité belge. Répétons-le encore, la décision britannique d’entrer en guerre pour protéger son voisin belge sur le continent intervenait au moment où le Trésor britannique et le Système de la Livre Sterling étaient de fait en faillite. C’est d’autant plus étonnant à la lecture d’une série de mémorandums internes du Trésor britannique, connus désormais des historiens.
En janvier 1914, six mois avant le casus belli de Sarajevo, le chancelier britannique avait demandé à Sir George Paish, haut fonctionnaire du Trésor, de mener une étude exhaustive sur les réserves-or britanniques. Depuis les années 70, la Livre Sterling et la City de Londres représentaient le pivot du système financier et monétaire mondial, de la même façon que New York et le dollar représentent ce pivot depuis 1945 sous le système de Bretton Woods. Le mémorandum confidentiel de Sir George est révélateur de la pensée officielle à Londres à l’époque. Dans son étude, Paish parlait de la sophistication progressive des grandes banques commerciales allemandes depuis les crises des Balkans en 1911-12, ce qui les conduisit à renforcer considérablement leur réserve-or. Paish avertit Lloyd George que tout retrait soudain de fonds hors de Londres pourrait sérieusement entraver la capacité de la nation à collecter l’argent nécessaire pour mener une grande guerre. C’était, rappelons-le, six mois avant Sarajevo. Les paiements en espèces -or et argent- furent suspendus en même temps que l’Acte bancaire de 1844, ce qui mit à la disposition de la Banque d’Angleterre une grande quantité d’or pour faire face aux paiements de nourriture et de matériels militaires. Les Britanniques reçurent à la place des billets de la Banque d’Angleterre comme cours légal, pendant la durée de l’état d’urgence, soit jusqu’en 1925.
Les fondations de la domination britannique instaurée après 1815 pourrissaient déjà à l’époque depuis une cinquantaine d’années. Dans les années 50 du XIX° siècle, la Grande-Bretagne avait été la première puissance industrielle du monde. Mais, notamment à partir de la panique de 1857, les élites britanniques commencèrent à piller systématiquement leur propre économie industrielle ainsi que celle du reste du monde[1]. Après 1857, la politique officielle adoptée par la Banque d’Angleterre consistait à réguler la quantité de réserves-or mondiales, alors basées à Londres, en élevant ou abaissant les taux d’intérêt de la Banque d’Angleterre, plutôt qu’en traitant les causes sous-jacentes de la stagnation technologique domestique. Donc, à la suite de ce changement politique fondamental, alors que l’or quittait l’Angleterre et mettait en danger les réserves de crédit du pays, la Banque d’Angleterre réagit en haussant ses taux, à commencer par son taux d’escompte bancaire. L’or se mit alors à affluer vers Londres, depuis d’autres centres tels que Paris et New York. Bien sûr, l’investissement dans l’industrie nationale s’effondra et les exploitations agricoles périclitèrent en Angleterre. Mais jusqu’à la fin des années 1890, la Grande-Bretagne tenta de compenser cette dévastation en saignant ses colonies, surtout l’Inde, contrôlant les termes d’échanges à l’avantage du pouvoir financier de la City de Londres. La famine, la dépression industrielle et des conséquences semblables de par le monde étaient le fait de ces cercles qui forgeaient les politiques monétaires comme les Barings, les Rothschild[2], les Hambros. Toutefois, jusqu’en 1914, ces manipulations se révélèrent inefficaces[3].
Dès les années 1890, du point de vue du développement technologique et agricole, l’industrie britannique s’était fait amplement dépasser par le reste du monde. Deux nations venaient en tête : l’Amérique et l’Allemagne. Dans les années 1870, 1′Allemagne avait commencé à bâtir sa propre structure bancaire indépendante pour libérer son commerce extérieur de la finance londonienne. En 1893,1′Allemagne répondit à une panique bancaire provoquée à Berlin en convoquant une commission nationale. Composée de dirigeants de l’industrie, de l’agriculture, du gouvernement et de la banque, elle était représentative de tous les groupes d’intérêt économiques de la nation. Il en résulta des lois strictes imposées aux autres nations industrielles, limitant, voire interdisant le commerce à terme et d’autres formes de spéculation en bourse. Le crédit fut alors orienté vers l’investissement, l’agriculture et l’industrie. On développa rapidement la flotte allemande de manière à donner au pays un plus grand contrôle sur son propre commerce, brisant le monopole britannique sur les transports marchands. Les machines allemandes, de qualité supérieure, commencèrent à pénétrer les marchés anglais et même américains. La domination de l’Empire britannique était menacée. Mais l’Establishment britannique refusa de se rendre à l’évidence en changeant de cap après cinquante années d’une politique industrielle de désinvestissement monétariste[4]. A la place, il se prépara à la guerre pour réorganiser les conditions de fonctionnement de l’économie mondiale[5]. Au lieu de moderniser l’industrie britannique, l’Angleterre se tourna vers ses amis dans la communauté bancaire internationale de New York, et négocia « un très gros prêt ». Londres joua bientôt son va-tout. Son marché à l’investissement le plus important depuis les années 1870 était les Etats-Unis…
[1] C’est encore la même chose aujourd’hui avec les Etats-Unis…
[2] Les Rothschild sont la plus puissante des dynasties de la Banque depuis le XIXème siècle.
[3] C’est précisément ce qui arrive aujourd’hui aux Etats-Unis : malgré les manipulations des statistiques, des taux d’intérêt et des marchés de matières premières, les effets recherchés par les familles bancaires sont de plus en plus réduits dans le temps !
[4] Que s’est-il passé aux Etats-Unis ces trente dernières années ? La même politique de désindustrialisation fut appliquée par la Haute finance… comme s’il était prévu d’engager les Etats-Unis vers une voie sans retour.
[5] En 2007, que s’apprêtent à faire les dirigeants américains pour l’ensemble du Moyen-Orient
Extraits de l’ouvrage de Jacques Delacroix : 1929-2007 des parallèles stupéfiants – Le Pouvoir occulte met Wall Street dans son ligne de mire. - Liesi
Les fusillés pour l’exemple
L’invasion allemande de la Belgique :
Comme nous le rappellent nos lecteurs, les civils ont été parmi les nombreuses victimes...
Il convient de ne pas l’oublier à l’heure où on glorifie un peu partout la première des horreurs mondiales du capitalisme !
Les populations ont été prises entre deux ou trois feux et accusées par les troupes allemandes d’avoir pris parti contre elles. Elles ont été traitées en ennemies et violemment frappées, souvent mortellement.
La « Bataille de Mons » (23-24 août 1914), eut lieu en milieu urbain, causant de nombreuses destructions dans des agglomérations surpeuplées et semant la misère dans les cités ouvrières.
On remarquera qu’il y a une immense majorité de monuments aux troupes combattantes pour un nombre infime de monuments aux victimes civiles...
Pour lire "Au-dessus de la mêlée" de Romain Rolland : cliquer ici