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L’espèce humaine, comme produit du développement inégal et combiné de la vie animale

vendredi 11 octobre 2013, par Robert Paris

L’espèce humaine, comme produit du développement inégal et combiné de la vie animale

Bien des auteurs ont recherché à dater la naissance de l’espèce humaine. Ils ont suivi pour cela les diverses espèces proches de l’homme actuel et se sont interrogé sur le critère nécessaire pour dire à partir de quand on pouvait parler d’homme. La question n’a jamais pu être tranchée car les critères sont discutables. On ne peut même pas être certain que les espèces proches de l’homme et dont on a trouvé des restes osseux soient vraiment des ancêtres de l’homme et pas d’autres rameaux de l’évolution ayant eu les mêmes grands parents que l’homme actuel.

Mais tel n’est pas notre propos dans ce texte. Nous cherchons plutôt l’origine des différents éléments physiologique ou psychologiques et sociaux qui composent un être humain.

Par exemple, d’où viennent notre oreille, notre hanche, nos os, notre crâne, notre cerveau ?

Eh bien, nous constatons que ces divers éléments ne datent pas du tout de la même époque de l’évolution des espèces… Certains sont des innovations produites par les poissons, d’autres par les reptiles, d’autres par les mammifères.

Nous devons notre colonne vertébrale aux premiers vertébrés, la naissance de l’enfant dans le ventre de la mer aux premiers mammifères, les trois petits os de notre oreille à un poisson, notre vie terrestre au premier poisson qui est sorti de l’eau, etc, etc…

C’est toute une série de discontinuités, d’innovations, d’émergence de structures ou de fonctions nouvelles, en somme de révolutions, qui ont produit l’homme actuel. Il n’a nullement été produit en une fois et sa physionomie, sa physiologie, son fonctionnement, ses capacités actuelles sont une somme de propriétés datant de toutes époques de l’histoire des espèces. Et, sur ce plan, l’homme n’est pas un cas à part. Chaque espèce animale est dans le même cas. Une espèce vivante est comme un château, comme une ville, comme une société, une refabrication due à toutes sortes d’époques de l’Histoire, un développement inégal et combiné, comme l’avait dit Léon Trotsky…

Citons dans ce patchwork historique qu’est un homme :

 15 milliards d’années, les particules qui constituent notre corps

 3,5 milliards d’années, la vie, les protéines, l’ARN et l’ADN

 2,8 milliards d’années, la vie utilisant l’oxygène

 2,2 milliards d’années, notre noyau cellulaire

 1 milliard d’années, la sexualité

 670 millions, notre fonctionnement pluricellulaire

 500 millions d’années, la vie hors de l’eau

 450 millions d’années, les débuts de notre système vertébral

 400 millions d’années, notre vie terrestre et formation de la mâchoire

 200 millions d’années, notre fonctionnement de mammifères avec notamment l’invention de la mamelle

 100 millions d’années, le placenta

 60 millions d’années, vision trichromatique des primates

 environ 10 millions d’années, ancêtre commun des primates et des hominidés

 6 millions d’années, notre apparition en Afrique en tant qu’être ressemblant à l’homme (australopithèque)

 5 millions d’années, notre bipédie

 3,8 millions d’années, notre voûte plantaire

 3,5 millions d’années, notre formule dentaire de base et notre bassin

 3 millions d’années, notre utilisation des outils

 2,5 millions d’années, notre scrotum

 2 millions d’années, notre fonctionnement chromosomique et la grande phase de céphalisation

 environ 2 millions d’années, notre pharynx notre larynx et nos zones du cerveau permettant le prélangage (lallation) puis le langage

 1,8 millions d’années, de nouvelles étapes vers notre configuration actuelle : face plus aplatie, front relevé, incisives et canines plus développées, molaires et prémolaires plus petites, bourrelet au dessus des yeux disparu, agrandissement du cerveau (homo habilis)

 plus d’un million d’années, libération du front des muscles qui retenaient le crâne

 1,8 millions d’années, nos os du pied et notre genou

 1,5 millions d’années, notre coude

 400.000 ans, notre os sphénoïde du crâne

 338.000 ans, une génétique très proche de celle de l’homme actuel

 250.000 ans, notre trou occipital dans le prolongement de la colonne vertébrale

 200.000 ans, le premier homo sapiens en Afrique

 100.000 ans, la forme sphérique du crâne et le poignet ; c’est-à-dire homo sapiens sapiens (moderne)

 10.000 ans, l’homme agriculteur
Les datations précédentes sont indiquées à titre tout à fait indicatif et seulement pour montrer combien l’homme est fait de briques de toutes époques….

Développement de type historique donc mais aussi développement combiné car les espèces ne se dissocient pas immédiatement de manière définitive, les embranchements peuvent encore se recomposer au début, peuvent être interféconds et échangent des gènes, des fonctions, des organes ou des caractères…

On le voit par exemple au fait qu’homo sapiens a des gènes communs avec le néandertalien dont aucun n’est l’ancêtre de l’autre...

Bien des auteurs imaginent l’évolution comme un avancement général des espèces qui se modifieraient toutes au même rythme. S’il est exact qu’il existe une interaction entre des modifications d’espèces liées (appelé reine rouge), les espèces ont des rythmes d’évolution très différents.

La transformation du vivant ne peut être comprise que comme une modification se produisant aux diverses échelles hiérarchiques interactives du fonctionnement : niveau moléculaire de la génétique, niveau des familles de cellules, niveau des individus, niveau des espèces et groupes d’espèces (y compris la coévolution). A tous ces niveaux, on trouve des sauts qualitatifs dûs à la divergence de ces phénomènes (variation) ou à l’élimination de certains d’entre eux (sélection). Le changements plus lents peuvent sembler continus mais ce n’est qu’une apparence. les changements brutaux sont clairement discontinus. L’existence de sauts d’échelle produit une discontinuité fondamentale de l’évolution qui amène à) parler de révolution. Ainsi, même quand il y a une très petite divergence moléculaire entre des oeufs fécondés de deux espèces proches, cela entraîne une très grande divergence entre les adultes formés. L’évolution n’est pas un phénomène qui se produit par une succession d’adultes formés mais par une succession d’oeufs fécondés. Le résultat final est donc plus divergent du fait du changement d’échelle. Il n’y a pas de linéarité dans les processus du vivant du fait de la multiplication des produits génétiques, des individus et des espèces, mais aussi du fait que l’interaction entre niveaux hiérarchique a lieu à double sens (feedback).

La théorie des équilibres ponctués est un développement de la théorie de l’évolution proposée par deux paléontologues américains, Stephen Jay Gould et Niles Eldredge. Elle postule que l’évolution comprend de longues périodes d’équilibre, ou quasi-équilibre, ponctuées de brèves périodes de changements importants comme la spéciation ou les extinctions. Elle décrit l’évolution de la vie sur Terre sur un modèle accordant le darwinisme avec les hiatus fossilifères et avec les traces de grands bouleversements environnementaux passés que le gradualisme phylétique n’expliquait pas.

La thèse gradualiste s’appuie sur une remarque : les mutations par erreur semblent avoir une vitesse moyenne en gros constante pour une même molécule. Par exemple, pour les mutations de la molécule d’hémoglobine il y a une substitution sur une base tous les 5 ou 6 millions d’années. C’est cela qu’on appelle l’horloge moléculaire. Cette mesure a servi pour dater les évolutions. Elle permet de comparer le temps écoulé depuis la séparation entre deux espèces, par exemple pour dire que nous avons divergé des poissons il y a 400 millions d’années, et du singe il y a seulement 5 millions d’années. Mais cela ne signifie pas que ces erreurs de réplication de l’ADN soient la cause de la divergence des espèces. Une des contradictions de cette thèse d’une horloge fixe est justement que les vitesses d’évolution des espèces sont différentes d’une espèce à une autre, malgré la fixité apparente du rythme de cette horloge moléculaire.

L’émergence de l’homme
par Ian Taterstall :
"Nous regardons notre propre espèce comme l’entité biologique ayant atteint un sommet évolutif, et même plus que cela, le sommet de l’évolution. Et nous aimons souligner ce fait en attribuant à nos plus proches apparentés une position plus basse que la nôtre sur la ligne ascendante qui culmine dans notre position élevée. Or, c’est une conception absolument fausse que de mesurer le succès évolutif de telle ou telle espèce en fonction de son progrès en direction du sommet d’une échelle. (...) La plupart des personnes qui veulent se représenter l’apparition de l’homme en termes d’histoire évolutive tendent à la concevoir comme un lent mouvement de perfectionnement, de nos adaptations au cours du temps. Si tel était le cas, le processus nous ayant façonnés apparaîtrait rétrospectivement inéluctable. De nombreux paléoanthropologues, ces chercheurs qui étudient les archives fossiles, trouvent une certaine commodité intellectuelle à regarder notre histoire évolutive comme une longue montée laborieuse mais régulière, qui nous a fait passer du stade la brute à celui de l’être intelligent. Ils ont même forgé le terme d’"hominisation" afin de décrire le processus à l’origine de l’homme, ce qui renforce l’impression que non seulement notre espèce est unique en son genre, mais que le mécanisme évolutif qui nous a façonnés l’est tout autant. Cette conception présente de nombreux risques. (...) Les scientifiques l’ont appris petit à petit, à mesure que se sont accumulées les données des archives paléontologiques - lesquelles les ont contraint à abandonner l’idée que notre histoire biologique a uniquement consisté en une simple progression linéaire (...) Depuis des années, les paléontologues se rendaient vaguement compte que (...) les nouvelles espèces, au lieu d’apparaître en raison d’une transformation graduelle d’une espèce souche, au cours du temps, semblaient surgir brusquement dans les archives géologiques (...) Elles disparaissaient aussi brutalement qu’elles étaient apparues (...) Les archives fossiles n’obéissaient pas aux prédictions de la théorie du changement graduel. (...) Le nouveau schéma explicatif était constitué de longues périodes de stabilité des espèces interrompues par de brefs phénomènes de spéciation, d’extinction et de remplacement. (...) Eldredge et Gould proposaient, en réalité, que l’évolution, tout en étant graduelle, procédait par à-coups : "l’évolution par sauts" (...) .
Bien souvent les modifications de l’environnement non seulement surviennent en général trop rapidement pour que la sélection naturelle puisse y répondre immédiatement, mais elles ont aussi généralement pour conséquence de permettre la colonisation rapide de vastes portions de territoire par toutes sortes de nouvelles espèces, ce qui conduit à une compétition et à des remplacements rapides de faunes. Comme nous le verrons, notre propre genre Homo est peut-être apparu dans le cadre de ce type de "poussée de remplacement" faunistique promue par l’environnement. (...) Eldredge et Gould ont rejeté la notion selon laquelle nous devrions apercevoir un lent changement de génération en génération. Au contraire, ils ont estimé que la spéciation est un processus rare, difficile à réaliser, ce qui a pour conséquence que les lignées sont pour l’essentiel stables, et que les remplacements d’espèces ne se produisent qu’occasionnellement et rapidement. (...) Nous avons tendu jusqu’à présent à voir l’histoire de notre lignée comme moins touffue qu’elle n’a réellement été. En même temps, nous avons toujours tendu à voir notre propre espèce comme plus centrale dans l’évolution de notre famille qu’elle ne peut l’être, étant donné qu’elle ne représente en fait qu’une brindille terminale parmi d’autres au sein d’un gros buisson (mais il est vrai la seule survivante aujourd’hui). (...) Mais accepter ce cadre explicatif nous conduit à abandonner, une fois pour toutes, la notion tenace selon laquelle nous sommes le résultat final, parfait ou non, d’un processus continu d’amélioration. (...) Dans le cas de notre lignage, par exemple, les paléo que l’apparition de la bipédie, l’évolution de la dimension du cerveau ou de certains détails du crâne et de la denture. (...) Si fascinants et importants qu’ils soient, les caractéristiques et les complexes fonctionnels n’existent pas à l’état isolé. (...) La nature peut seulement agréer ou rejeter un organisme dans sa totalité. Par conséquent, il est par exemple totalement inutile, dans un sens fondamental, de débattre de la question de savoir si la bipédie est apparue en tant d’adaptation locomotrice, ou bien en tant que mécanisme thermorégulateur, ou bien en tant que moyen d’augmenter le champ de vision, ou bien encore en tant que moyen d’éviter l’attention des prédateurs intéressés prioritairement par les silhouettes horizontales. Il suffit d’admettre que ce comportement est simplement apparu chez la première espèce bipède de notre lignage probablement (....) plus en complément à l’aptitude à grimper aux arbres qu’en remplacement de celle-ci. (...) Ces premiers individus bipèdes (et cette première espèce bipède) étaient des organismes fonctionnels globaux, et s’ils ont connu un succès évolutif, c’est nécessairement en tant que tout, et non pas en tant que véhicules de l’un ou l’autre de leurs "traits". "

Messages

  • L’homme n’est nullement l’aboutissement d’un processus linéaire et continu de progrès, pas plus que ne le sont les autres espèces. Il s’agit de processus bien plus contradictoires dialectiquement. Tout d’abord, la diversification existe certes à tous les niveaux hiérarchiques d’organisation du vivant mais existent aussi des mécanismes de combat contre la diversification, des mécanismes de lutte pour la conservation qui amènent des périodes de stase ou de stabilité apparente des espèces.
    Pour que l’évolution reprenne, il faut un choc appelé « stress » qui suspend les mécanismes de conservation internes comme les hsp ou les mécanismes immunologiques qui sélectionnent le soi et éliminent le non-soi. Les chocs climatiques, environnementaux (comme l’apparition d’une atmosphère d’oxygène, les changements des pôles ou celle des plantes ou encore un volcanisme intense) sont la cause de ces agressions qui mobilisent les mécanismes de conservation et libèrent les tendances spontanées du matériel génétique à produire de la diversité. Une espèce ou une série d’espèces se voient ainsi capables de produire, brutalement donc sans grand changement du matériel génétique de base, des espèces nouvelles. Ce n’est nullement un changement lent et continu mais une spéciation brutale d’une ou plusieurs espèces et chaque espèce pouvant ouvrir une ou plusieurs voies nouvelles. Dans le cas de l’homme, il semble bien qu’il se soit agi d’une évolution en buisson avec plusieurs voies différentes ouvertes en même temps. Donc il n’y a pas eu évolution des pré-singes vers les pré-hommes mais multiplication des évolutions des pré-singes vers toutes sortes de singes nouveaux dont les humanoïdes. Ces nouvelles espèces semblent bel et bien s’être croisées et notamment on remarque que les lignées humaines ont des points communs avec les lignées orang-outan, les lignées chimpanzés et les lignées gorilles. Aucune de ces quatre lignées, homme compris, n’est directement issue d’un arbre précédent. Il y a eu recroisement entre les pré-espèces. C’est ce type de phénomène que l’on peut à bon droit appeler développement inégal et combiné. Les transformations sont inégales et se recombinent ensuite.

  • Contrairement à ce que l’on croyait jusqu’à présent, l’art pariétal n’était pas une spécificité de l’homo sapiens. L’homme de Néandertal aussi s’y adonnait.

    La découverte est importante et change l’image que l’on se fait des Néandertaliens. Des paléontologues français, espagnols et anglais viennent de découvrir une gravure rupestre réalisée par des hommes de Néandertal à Gibraltar, a annoncé mardi 2 septembre le CNRS.

    Cette « gravure abstraite » en forme de « croisillon » a été découverte dans la grotte de Gorham, à l’est du rocher de Gibraltar. Elle était « profondément incisée dans le sol d’une plateforme rocheuse située au fond de la grotte » et « était couverte par une couche de sédiments », explique dans son communiqué le CNRS. Elle remonte à il y a plus de 39.000 ans.

  • « Les humains ne sont pas le résultat final d’un progrès évolutif prédictible mais plutôt une minuscule brindille sur l’énorme buisson arborescent de la vie qui ne repousserait sûrement pas si la graine de cet arbre était mise en terre une seconde fois. »

    Stephen Jay Gould, dans " La vie est belle"

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