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Zénon, Socrate, Parménide et … Platon
jeudi 22 octobre 2009, par
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1. Zénon, Socrate, Parménide et … Platon, 22 octobre 2009, 19:34, par MOSHE
Tournons-nous maintenant de ce côté. — Lequel ? — Nous disions que l’un participe de l’être, et que c’est ce qui fait qu’il est un être. — Oui. — Et c’est par là que l’un qui est nous est apparu comme multiple. — Oui. — Mais quoi ! ce même un, que nous disons qui participe de l’être, si nous le considérons seul en lui-même, séparément de ce dont il participe, nous apparaîtra-t-il comme simplement un, ou comme multiple ? — Comme un, à ce qu’il me semble. [143b] — Voyons. Il faut bien que son être et lui soient deux choses différentes, si l’un n’est pas l’être, mais seulement participe à l’être en tant qu’il est un. — Il le faut. — Or, si autre chose est l’être, autre chose l’un, ce n’est pas par son unité que l’un est autre que l’être, ni par son être que l’être est autre que l’un : c’est par l’autre et le différent qu’ils sont autres. — Oui. — De sorte que l’autre n’est pas la même chose que l’un ni que l’être. — Évidemment. [143c] — Mais quoi ! si nous prenons ensemble, soit l’être et l’autre, soit l’être et l’un, soit l’un et l’autre, comme tu l’aimeras le mieux, n’aurons-nous pas pris à chaque fois un assemblage que nous serons en droit de désigner par cette expression, tous deux ? — Comment ? — Le voici. Ne peut-on pas nommer l’être ? — Oui. — Et nommer l’un ? — Aussi. — Ne les nomme-t-on donc pas l’un et l’autre ? — Oui. — Mais lorsque je dis : l’être et l’un, ne les ai-je pas nommés tous deux ? — Sans doute. — Et lorsque je dis l’être et l’autre, ou l’être et l’un, ne puis-je pas également dire chaque fois tous deux ? — Oui. [143d] — Et ce dont on est en droit de dire tous deux, cela peut-il faire tous deux sans faire deux ? — C’est impossible. — Or, où il y a deux choses, est-il possible que chacune ne soit pas une ? — Ce n’est pas possible. — Si donc les choses que nous venons de considérer peuvent être prises deux à deux, chacune d’elles est une. — Assurément. — Mais si chacune est une, en ajoutant une chose quelconque à l’un quelconque de ces couples, le tout ne formerait-il pas trois ? — Oui. — Trois n’est-il pas impair, et deux n’est-il pas pair ? — Oui. — Or, là où il y a deux, [143e] n’y a-t-il pas aussi nécessairement deux fois, et où il y a trois, trois fois, s’il est vrai que le deux se compose de deux fois un, et le trois de trois fois un ? — Nécessairement. — Et là où il y a deux et deux fois, n’y a-t-il pas aussi nécessairement deux fois deux ? Et là où il y a trois et trois fois, trois fois trois ? — Certainement. — Et là où il y a trois par deux fois, et deux par trois fois, n’y a-t-il pas aussi nécessairement trois fois deux et deux fois trois ? — Il le faut bien. — On aura donc les nombres pairs un nombre de fois pair, [144a] les impairs un nombre de fois impair, les pairs un nombre de fois impair, les impairs tin nombre de fois pair. — Oui. — S’il en est ainsi, ne crois-tu pas qu’il n’y a pas un nombre qui ne doive être nécessairement ? — Fort bien. — Donc, si l’un est, il faut nécessairement que le nombre soit aussi. — Nécessairement. — Et si le nombre est, il y a aussi de la pluralité et une multitude infinie d’êtres. Ou n’est-il pas vrai qu’il y aura un nombre infini et qui en même temps participe de l’être ? — Si, cela est vrai. — Mais si tout nombre participe de l’être, chaque partie du nombre n’en participe -t- elle pas également ? — Oui. [144b] — Donc, l’être est départi à tout ce qui est multiple, et aucun être, ni le plus petit, ni le plus grand, n’en est dépourvu. N’est -il même pas déraisonnable de poser un pareille question ? car, comment un être pourrait-il être dépourvu de l’être ? — C’est impossible. — L’être est donc partagé entre les êtres les plus petits et les plus grands, en un mot, entre tous les êtres ; il est divisé plus que toute autre chose, [144c] et il y a une infinité de parties de l’être. — C’est cela. — Rien n’a donc plus départies que l’être ? — Rien. — Parmi toutes ces parties, en est-il une qui fasse partie de l’existence sans être une partie ? — Comment serait-ce possible ? — Et si telle ou telle partie existe, il faut, ce me semble, que tant qu’elle existe elle soit une chose ; et il n’est pas possible qu’elle n’en soit pas une. — Il le faut. — L’un se trouve donc en chaque partie de l’être ; grande ou petite il n’en est aucune à laquelle il manque. — Oui. — Mais s’il est un, [144d] se peut-il qu’il soit tout entier en plusieurs endroits à la fois. Pensez-y bien. — J’y pense, et je vois que cela est impossible. — Il est donc divisé, s’il n’est pas partout tout entier ; car ce n’est qu’en se divisant qu’il peut se trouver à la fois dans toutes les parties de l’être. — Oui. — Mais ce qui est divisible est nécessairement autant de choses qu’il a de parties ? — Nécessairement. — Nous n’avons pas dit vrai tout à l’heure, en disant que l’être était distribué en une multitude de parties ; il ne peut pas être distribué en plus de parties que l’un, [144e] mais précisément en autant de parties que l’un ; car l’être ne manque jamais à l’un, ni l’un à l’être : ce sont deux choses qui vont toujours de pair. — Cela est manifeste. — L’un, partagé par l’être, est donc aussi plusieurs et infini en nombre. — Évidemment. — Ce n’est donc pas seulement l’être un qui est plusieurs, mais aussi l’un lui-même, divisé par l’être. — Sans aucun doute. — Et puisque les parties sont toujours les parties d’un tout, l’un sera limité en tant qu’il est un tout ; ou bien les parties ne sont-elles pas renfermées [145a] dans le tout ? — Nécessairement. — Mais ce qui renferme doit être une limite. — Oui. — L’un est donc à la fois un et plusieurs, tout et parties, limité et illimité en nombre. — Il semble bien. — Mais s’il est limité, n’a-t-il pas des bornes ? — Nécessairement. — Et s’il est un tout, n’aura-t-il pas aussi un commencement, un milieu et une fin ? ou bien un tout peut-il exister sans ces trois conditions ? et s’il vient à en manquer quelqu’une, sera-t-il encore un tout ? — Il n’en sera plus un. — L’un aurait donc, à ce qu’il paraît, un commencement, [145b] un milieu et une fin. — Il les aurait. — Or, le milieu est à égale distance des extrémités ; car autrement il ne serait pas le milieu. — Tu as raison. — Cela étant, l’un participerait d’une certaine forme, soit droite, soit ronde, soit mixte. — Assurément. — Et, alors ne sera-t-il pas et en lui-même et en autre chose ?— Comment ? — Toutes les parties sont dans le tout, et il n’y en a aucune hors du tout. — Oui.COMMENTAIRE DE MOSHE un des article le plus passionant MERCI
2. Zénon, Socrate, Parménide et … Platon, 7 mars 2010, 12:24, par Toto
Qu’est-ce qui prouve que Platon aurait tourné casaque par rapport à l’enseignement révolutionnaire de son maître Socrate ?
1. Zénon, Socrate, Parménide et … Platon, 7 mars 2010, 12:26, par Robert Paris
Platon répond suivent lui-même en montrant qu’il ne veut pas être un révolutionnaire.
Allégorie de la caverne selon Platon dans « La République » a pour but de montrer qu’il vaut mieux ne pas sauver les hommes enfermés dans la caverne car ils se retourneraient contre toi :
« Les hommes sont dans cette grotte depuis l’enfance, les jambes et le cou ligotés de telle sorte qu’ils restent sur place et ne peuvent regarder que ce qui se trouve devant eux, incapables de tourner la tête à cause de leur liens. (…) Quant à celui qui entreprendrait de les détacher et de les conduire en haut (pour les libérer), s’ils avaient le pouvoir de s’emparer de lui de quelque façon et de le tuer, ne le tueraient-ils pas ? » Et Platon répond, par la voix de Glaucon, qu’ils le tueraient « à toute force ! »
3. Zénon, Socrate, Parménide et … Platon, 6 juillet 2012, 16:37
A propos de Socrate
De Parménide à Zénon
Les idées de Zénon
La philosophie de Zénon et de Socrate
PARMENIDE
ou
« SUR LES IDÉES »
Ecrit par Platon
A notre arrivée à Athènes, de Clazomène (03), notre patrie, nous rencontrâmes sur la place publique Adimante et Glaucon (04). Adimante me dit enme prenant la main : Bonjour, Céphale ! Si tu as besoin ici de quelque chose qui soit en notre pouvoir, tu n’as qu’à parler. — Mais, lui dis-je, c’est pour cela même que je suis venu ; j’ai quelque chose à vous demander. — Parle, reprit- il. [126b] — Quel était, lui demandai-je, le nom de votre frère maternel ? je ne m’en souviens pas ; il était encore enfant quand je vins ici pour la première fois de Clazomènes, et il y a fort longtemps. Son père s’appelait, je crois, Pyrilampe. — Oui, me dit-il, et lui Antiphon. Mais où veux-tu en venir ? — Voici, lui dis-je, de mes compatriotes, grands amateurs de philosophie ; ils ont entendu dire que ce même Antiphon était intimement lié avec un certain Pythodore (05), ami [126c] de Zénon, et qu’il se rappelait les entretiens de Socrate avec Zénon et Parménide, pour les avoir souvent entendu répéter à Pythodore. — C’est vrai, dit il. — Eh bien ! ces entretiens, nous désirons les entendre. — Ce ne sera pas difficile, reprit Adimante ; car il se les est rendus familiers dès sa première jeunesse. Il est maintenant auprès de son aïeul, qui porte le même nom que lui, et il s’occupe presque exclusivement de l’éducation des chevaux. Allons le trouverai vous voulez. Il vient de partir d’Athènes pour se rendre chez lui, à Mélite (06), tout près d’ici. [127a] Cela dit, nous nous mîmes en route, et nous rencontrâmes Antiphon chez lui, au moment où il donnait à un ouvrier une bride à raccommoder. Celui-ci congédié, ses frères lui expliquèrent le motif de notre visite, et Antiphon me salua, me reconnaissant pour m’avoir vu à mon premier voyage. Nous le priâmes de nous répéter les entretiens de Socrate avec Zénon et Parménide : il hésita d’abord, nous assurant que c’était un grand travail ; cependant il finit par y consentir. Voici ce que nous dit alors Antiphon.
Pythodore me raconta qu’un jour Zénon et Parménide [127b] arrivèrent à Athènes pour les grandes Panathénées (07). Parménide, déjà vieux et blanchi par les années ( il avait près de soixante-cinq ans), était beau encore et de l’aspect le plus noble. Zénon approchait de la quarantaine : c’était un homme bien fait, d’une figure agréable, et il passait pour être très aimé de Parménide (08). Ils demeurèrent ensemble chez [127c] Pythodore, hors des murs, dans le Céramique (09) ; et c’est là que Socrate vint, suivi de beaucoup d’autres personnes, entendre lire les écrits de Zénon ; car c’était la première fois que celui-ci et Parménide les avaient apportés avec eux à Athènes. Socrate était alors fort jeune (10). Zénon faisait lui-même la lecture, Parménide étant par hasard absent ; et il était déjà près d’achever [127d] lorsque Pythodore entra, accompagné de Parménide et d’Aristote, qui fut plus tard un des trente (11). Il n’entendit donc que fort peu de ce qui restait encore à lire ; mais auparavant il avait déjà entendu Zénon. Socrate ayant écouté jusqu’à la fin, invita Zénon à relire la première proposition du premier livre. Cela fait, il reprit : [127e] Comment entends-tu ceci, Zénon : si les êtres sont multiples, il faut qu’ils soient à la fois semblables et dissemblables entre eux ? Or, cela est impossible ; car ce qui est dissemblable ne peut être semblable, ni ce qui est semblable être dissemblable. N’est-ce pas là ce que tu entends ? — C’est cela même, répondit Zénon. — Si donc il est impossible que le dissemblable soit semblable et le semblable dissemblable, il est aussi impossible que les choses soient multiples ; car si les choses étaient multiples, il faudrait en affirmer des choses impossibles. N’est-ce pas là le but de tes raisonnements, de prouver, contre l’opinion commune, que la pluralité n’existe pas ? Ne penses-tu pas que chacun de tes raisonnements en est une preuve, et que par conséquent tu en as donné [128a] autant de preuves que tu as établi de raisonnements ? Voilà ce que tu veux dire, ou j’ai mal compris. — Non pas, dit Zénon, tu as fort bien compris le but de mon livre. — Je vois bien, Parménide, dit alors Socrate, que Zénon t’est attaché non seulement par les liens ordinaires de l’amitié, mais encore par ses écrits ; car il dit au fond la même chose que toi ; seulement il s’exprime en d’autres termes, et cherche à nous persuader qu’il nous dit quelque chose de différent. Toi, tu avances dans tes poèmes (12) que tout est [128b] un, et tu en apportes de belles et de bonnes preuves ; lui, il prétend qu’il n’y a pas de pluralité, et de cela aussi il donne des preuves très nombreuses et très fortes. De la sorte, en disant, l’un que tout est un, l’autre qu’il n’y a pas de pluralité, vous avez l’air de soutenir chacun de votre côté des choses toutes différentes, tandis que vous ne dites guère que la même chose, et vous croyez nous avoir fait prendre le change à nous autres ignorants. — Tu as raison, Socrate, répondit Zénon ; cependant tu n’as pas tout-à-fait saisi le vrai sens de mon livre, quoique tu saches très bien, [128c] comme les chiennes de Laconie (13), suivre la piste du discours. Ce que tu n’as pas compris, d’abord, c’est que je ne mets pas à cet ouvrage tant d’importance, et qu’en’ écrivant ce que tu dis que j’ai eu en pensée, je n’en fais pas mystère, comme si je faisais là quelque chose de bien extraordinaire. Mais tu as rencontré juste en un point : la vérité est que cet écrit est fait pour venir à l’appui du système de Parménide, contre ceux qui voudraient le tourner en ridicule [128d] en montrant que si tout était un, il s’ensuivrait une foule de conséquences absurdes et contradictoires. Mon ouvrage répond donc aux partisans de la pluralité et leur renvoie leurs objections et même au-delà, en essayant de démontrer qu’à tout bien considérer, la supposition qu’il y a de la pluralité conduit à des conséquences encore plus ridicules que la supposition que tout est un.
4. Zénon, Socrate, Parménide et … Platon, 6 juillet 2012, 16:38
Entraîné par l’esprit de controverse, j’avais composé cet ouvrage dans ma jeunesse, et on me le déroba avant que je me fusse demandé s’il fallait [128e] ou non le mettre au jour. Ainsi, Socrate, tu te trompais en croyant cet écrit inspiré par l’ambition d’un homme mûr, au lieu de l’attribuer au goût de dispute d’un jeune homme. Du reste, je l’ai déjà dit, tu n’as pas mal caractérisé mon ouvrage. — Soit, répondit Socrate : je crois que les choses sont telles que tu le dis ; mais dis- moi, ne penses-tu pas qu’il existe [129a] en elle-même une idée de ressemblance, et une autre, contraire à celle-là, savoir, une idée de dissemblance, et que ces deux idées existant, toi et moi et tout ce que nous appelons plusieurs, nous en participons ; que les choses qui participent de la ressemblance, deviennent semblables en tant et pour autant qu’elles y participent, et dissemblables celles qui participent de la dissemblance, et semblables et dissemblables en même temps celles qui participent à la fois des deux idées ? Or, que tout participe de ces deux contraires et que cette double participation rende les choses à la fois semblables et dissemblables entre elles, [129b] qu’y a-t-il là d’étonnant ? Mais si l’on me montrait la ressemblance elle-même devenant dissemblable et la dissemblance semblable, voilà ce qui m’étonnerait, tandis qu’il ne me paraîtrait pas extraordinaire que, participant de ces deux idées différentes, les choses fussent aussi différemment affectées, non plus que si on me démontrait que tout est un par participation de l’unité, et multiple par participation de la multiplicité. Mais prouver que l’unité en soi est pluralité, et la pluralité en soi unité, [129c] voilà ce qui me surprendrait ; et de même, pour tout le reste, il ne faudrait pas moins s’étonner si on venait à démontrer que les genres et les espèces sont en eux-mêmes susceptibles de leurs contraires ; mais il n’y aurait rien de surprenant à ce qu’on démontrât que moi je suis à la fois un et multiple. Pour prouver que je suis multiple, il suffirait de montrer que la partie de ma personne qui est à droite diffère de celle qui est à gauche, celle qui est devant de celle qui à gauche, celle qui est devant de celle qui est derrière, et de même pour celles qui sont en haut et en bas ; car, sous ce rapport, je participe, ce me semble, de la multiplicité. Et, pour prouver que je suis un, on dirait que de [129d] sept hommes ici présents j’en suis un, de sorte que je participe aussi de l’unité. L’un et l’autre serait vrai. Si donc on entreprend de prouver que des choses telles que des pierres ou du bois (14), sont à la fois unes et multiples, nous dirons qu’en nous montrant là une unité multiple et une multitude une, on ne nous prouve pas que l’un est le multiple et que le multiple est l’un, et qu’on ne dit rien qui étonne et que nous n’accordions tous. Mais si, comme je viens de le dire, après avoir mis à part les idées en elles-mêmes, comme la ressemblance et la dissemblance, la multiplicité et l’unité, [129e] le repos et le mouvement et toutes les autres du même genre ; si, dis-je, on venait à démontrer que les idées sont susceptibles de se mêler et de se séparer ensuite, voilà, Zénon, ce qui me surprendrait. Je reconnais la force que tu as déployée dans tes raisonnements ; mais, je te le répète, ce que j’admirerais bien davantage, ce serait qu’on pût me montrer la même contradiction impliquée dans les idées elles-mêmes, [130a] et faire pour les objets de la pensée ce que tu as fait pour les objets visibles.
Pendant que Socrate parlait ainsi, Pythodore crut, à ce qu’il me dit, que Parménide et Zénon se fâcheraient à chaque mot. Mais, au contraire, ils prêtaient une grande attention et se regardaient souvent l’un l’autre en souriant comme s’ils étaient charmés de Socrate ; ce qu’en effet, après que celui-ci eut cessé de parler, Parménide exprima en ces termes : Que tu es louable, Socrate, [130b] dans ton ardeur pour les recherches philosophiques ! Mais, dis-moi, distingues-tu en effet, comme tu l’as dit, d’une part les idées elles-mêmes, et de l’autre ce qui en participe, et crois -tu que la ressemblance en elle- même soit quelque chose de dictinct de la ressemblance que nous possédons ; et de même pour l’unité, la multitude et tout ce que tu viens d’entendre nommer à Zénon ? — Oui, répondit Socrate. — Peut-être, continua Parménide, y a-t-il aussi quelqueidée en soi du juste, du beau, du bon et de toutes les choses de cette sorte ? — Assurément, reprit Socrate. [130c] — Eh quoi ! y aurait-il aussi une idée de l’homme séparée de nous et de tous tant que nous sommes, enfin une idée en soi de l’homme, du feu ou de l’eau ? — J’ai souvent douté, Parménide, répondit Socrate, si on en doit dire autant de toutes ces choses que des autres dont nous venons de parler. — Es -tu dans le même doute, Socrate, pour celles-ci, qui pourraient te paraître ignobles, telles que poil, boue, ordure, enfin tout ce que tu voudras de plus abject et de plus vil ? et crois-tu qu’il faut ou non admettre pour [130d] chacune de ces choses des idées différentes de ce qui tombe sous nos sens ? — Nullement, reprit Socrate ; ces objets n’ont rien de plus que ce que nous voyons ; leur supposer une idée serait peut-être par trop absurde. Cependant, quelquefois il m’est venu à l’esprit que toute chose pourrait bien avoir également son idée. Mais quand je tombe sur cette pensée, je me hâte de la fuir, de peur de m’aller perdre dans un abîme sans fond. Je me réfugie donc auprès de ces autres choses dont nous avons reconnu qu’il existe des idées, et je me livre tout entier à leur étude. [130e] — C’est que tu es encore jeune, Socrate, reprit Parménide ; la philosophie ne s’est pas encore emparée de toi, comme elle le fera un jour si je ne me trompe, lorsque tu ne mépriseras plus rien de ces choses. Aujourd’hui tu regardes l’opinion des hommes à cause de, ton âge. Dis-moi, crois-tu donc qu’il y a des idées dont les choses qui en participent tirent leur dénomination ; comme, par exemple, [131a] ce qui participe de la ressemblance est semblable ; de la grandeur, grand ; de la beauté et de la justice, juste et beau ? — Oui, dit Socrate. — Et tout ce qui participe d’une idée, participe-t-il de l’idée entière, ou seulement d’une partie de l’idée ? ou bien y a-t-il encore une autre manière de participer d’une chose ? — Comment cela serait -il possible, répondit Socrate. — Eh bien ! crois - tu que l’idée soit tout entière dans chacun des objets qui en participent, tout en étant une ? ou bien quelle est ton opinion ? — Et pourquoi l’idée n’y serait-elle pas ? repartit Socrate. [131b] — Ainsi, l’idée une et identique serait à la fois tout entière en plusieurs choses séparées les unes des autres, et par conséquent elle serait elle-même hors d’elle-même ? — Point du tout, reprit Socrate ; car, comme le jour, tout en étant un seul et même jour, est en même temps dans beaucoup de lieux sans être pour cela séparé de lui- même, de même chacune des idées sera en plusieurs choses à la fois sans cesser d’être une seule et même idée. — Voilà, Socrate, une ingénieuse manière de faire que la même chose soit en plusieurs lieux à la fois ; comme si tu disais qu’une toile dont on couvrirait à la fois plusieurs hommes, est tout entière en plusieurs ; n’est-ce pas à peu près ce que tu veux 15. dire ? [131c] — Peut-être. — La toile serait-elle donc tout entière au-dessus de chacun, ou bien seulement une partie ? —Une partie. — Donc, Socrate, les idées sont elles-mêmes divisibles, et les objets qui participent des idées ne participent que d’une partie de chacune, et chacune n’est pas tout entière en chacun, mais seulement une partie. — Cela paraît clair. — Voudras-tu donc dire, Socrate, que l’idée qui est une, se divise en effet et qu’elle n’en reste pas moins une ? — Point du tout. — En effet, si tu divises, par exemple, la grandeur en soi, et que tu dises que chacune [131d] des choses qui sont grandes, est grande par une partie de la grandeur plus petite que la grandeur elle-même, ne sera-ce pas une absurdité manifeste ? — Sans doute. — Eh quoi ! un objet quelconque qui ne participerait que d’une petite partie de l’égalité, pourrait-il par cette petite chose, moindre que l’égalité elle-même, être égal à une autre chose ? — C’est impossible. — Si quelqu’un de nous avait en lui une partie de la petitesse, comme la petitesse elle-même sera naturellement plus grande que sa partie ; ce qui est le petit en soi ne serait-il pas plus grand, tandis que la chose à laquelle s’ajoute [131e] ce qu’on lui enlève, en sera plus petite et non plus grande qu’auparavant ? — C’est impossible, reprit Socrate. — Mais enfin, Socrate, de quelle manière veux-tu que les choses participent des idées, puisqu’elles ne peuvent participer ni de leurs parties ni de leur totalité ? — Par Jupiter, répondit Socrate, cette question ne me paraît pas facile à résoudre. — Que penseras-tu maintenant de ceci ? — Voyons. [132a] — Si je ne me trompe, toute idée te paraît être une, par cette raison : lorsque plusieurs objets te paraissent grands, si tu les regardes tous à la fois, il te semble qu’il y a en tous un seul et même caractère, d’où tu infères que la grandeur est une. — C’est vrai, dit Socrate. — Mais quoi ! si tu embrasses à la fois dans ta pensée la grandeur elle-même avec les objets grands, ne vois- tu pas apparaître encore une autre grandeur avec un seul et même caractère qui fait que toutes ces choses paraissent grandes ? — Il semble. — Ainsi, au-dessus de la grandeur et des objets qui en participent, il s’élève une autre idée [132b] de grandeur ; et au-dessus de tout cela ensemble une autre idée encore, qui fait que tout cela est grand, et tu n’auras plus dans chaque idée une unité, mais une multitude infinie. — Mais, Parménide, reprit Socrate, peut-être chacune de ces idées n’est-elle qu’une pensée qui ne peut exister ailleurs que dans l’âme. Dans ce cas, chaque idée serait une et indivisible, et tu ne pourrais plus lui appliquer ce que tu viens de dire. — Comment ! chaque pensée serait-elle une, sans que ce fût la pensée de rien ? — C’est impossible. — Ce serait donc la pensée de quelque chose ? — Oui. [132c] — De quelque chose qui est, ou qui n’est pas ? — De quelque chose qui est. — N’est-ce pas la pensée d’une certaine chose une que cette même pensée pense d’une multitude de choses comme une forme qui leur est commune ? — Oui. — Mais ce qui est ainsi pensé comme étant un, ne serait-ce pas précisément l’idée toujours une et identique à elle-même dans toutes choses ? — Cela paraît évident. — Eh bien donc, dit Parménide, si, comme tu le prétends, les choses en général participent des idées, n’est-il pas, nécessaire d’admettre ou que toute chose est faite de pensées et que tout pense, ou bien que tout, quoique pensée, ne pense pas ? — Mais cela n’a pas de sens, Parménide ! [132d] Voici plutôt ce qui en est selon moi : Les idées sont naturellement comme des modèles ; les autres objets leur ressemblent et sont des copies, et par la participation des choses aux idées il ne faut entendre que la ressemblance. — Lors donc, reprit Parménide, qu’une chose ressemble à l’idée, est-il possible que cette idée ne soit pas semblable à sa copie dans la mesure même où celle-ci lui ressemble ? Ou y a-t-il quelque moyen de faire que le semblable ressemble au dissemblable ? — Il n’y en a point. — N’est-il pas de toute nécessité que le semblable participe [132e] de la même idée que son semblable ? — Oui. — Et ce par quoi les semblables deviennent semblables en y participant, n’est-ce pas cette idée ? — Assurément. — Il est donc impossible qu’une chose soit semblable à l’idée ni l’idée à une autre chose ; sinon, au-dessus de l’idée il s’élèvera encore une autre idée, [133a] et si celle-ci à son tour ressemble à quelque chose, une autre idée encore, et toujours il arrivera une nouvelle idée, s’il arrive toujours que l’idée ressemble à ce qui participe d’elle. — Tu as raison. — Ce n’est donc pas par la ressemblance que les choses participent des idées, et il faut chercher un autre mode de participation. — Il semble. — Tu vois donc, Socrate, dans quelles difficultés on tombe lorsqu’on établit des idées existant par elles-mêmes. — Je le vois. — Sache bien pourtant que tu n’as pas touché encore, pour ainsi dire, [133b] toute la difficulté qu’il y a à établir pour chaque être une idée différente. — Comment donc ! reprit Socrate. — Parmi bien d’autres difficultés, voici la plus grande : si quelqu’un disait que les idées ne pourraient pas être connues si elles étaient telles qu’elles doivent être suivant nous, on ne pourrait lui prouver qu’il se trompe, à moins qu’il n’eût beaucoup d’expérience de ces sortes de discussions, qu’il ne fût pas mal doué de la nature, et qu’il ne consentît à suivre celui qui se serait chargé de prouver ce qu’il conteste, dans des argumentations très diverses et tirées de fort loin ; [133c] autrement, on ne pourrait réfuter celui qui nierait que les idées pussent être connues. — Pourquoi donc, Parménide ? demanda Socrate. — Parce que toi et tous ceux qui attribuent à chaque chose particulière une certaine essence existant en soi, vous conviendrez d’abord, si je ne me trompe, qu’aucune de ces essences n’est en nous. — En effet, reprit Socrate, comment alors pourrait-elle exister en soi ? — Tu as raison. Ainsi, celles des idées qui sont ce qu’elles sont par leurs rapports réciproques, tiennent leur essence de leurs rapports les unes avec les autres, et non de leurs rapports avec les copies qui s’en trouvent auprès [133d] de nous, ou comme on voudra appeler ce dont nous participons et recevons par là tel ou tel nom (15) ; et, à leur tour, les copies qui ont les mêmes noms que les idées existent. par leurs rapports entre elles, et non avec les idées qui portent ces noms. — Comment entends-tu cela ? reprit Socrate. — Supposé que quelqu’un d’entre nous soit le maître ou l’esclave d’un autre, il ne sera pas l’esclave [133e] du maître en soi ou de l’idée du maître, ni le maître de l’esclave en soi ; homme, il sera le maître ou l’esclave d’un homme. De même, c’est la domination en soi qui est la domination par rapport à l’esclavage en soi, et l’esclavage en soi par rapport à la domination en soi. Ce qui est en nous ne se rapporte pas aux idées, ni les idées à nous ; mais, je le répète, les idées se rapportent les unes aux autres, [134a] et les choses sensibles les unes aux autres. Comprends-tu ce que je dis ? — Parfaitement, reprit Socrate. — La science en soi est donc la science de la vérité en soi ? — Oui. — Chaque science en soi serait donc aussi la science d’un être en soi ? — Oui. — Et la science qui est parmi nous ne sera-t-elle pas la science de la vérité qui est parmi nous ? Et, par conséquent, chacune des sciences qui sont parmi nous [134b] ne serait-elle pas la science d’une des choses qui existent parmi nous ? — Nécessairement. — Mais, tu conviens que nous ne possédons pas les idées elles-mêmes, et qu’elles ne peuvent pas être parmi nous. — Oui. — Or, n’est-ce pas seulement par l’idée de la science qu’on connaît les idées en elles-mêmes ? — Oui. — Et cette idée de la science, nous ne la possédons pas ? — Non. — Donc, nous ne connaissons aucune idée, puisque nous n’avons pas part à la science en soi. — Il semble. — Donc, nous ne connaissons ni le beau en soi, [134c] ni le bon en soi, ni aucune de ces choses que nous reconnaissons comme des idées existant par elles-mêmes. — J’en ai peur. — Mais voici quelque chose de plus grave encore. — Quoi donc ? — M’accorderas - tu que s’il y a une science en soi, elle doit être beaucoup plus exacte et plus parfaite que la science qui est en nous ? De même pour la beauté et pour tout le reste. — Oui. — Et si jamais un être peut posséder la science en soi, ne penseras-tu pas que c’est à Dieu seul, et à nul autre, que peut appartenir la science parfaite ? — Nécessairement. [134d] — Mais Dieu possédant la science en soi, pourra-t-il connaître ce qui est en nous ? — Pourquoi pas ? — Parce que nous sommes convenus, Socrate, reprit Parménide, que les idées ne se rapportent pas à ce qui est parmi nous, ni ce qui est parmi nous aux ; idées, mais les idées à elles-mêmes, et ce qui est parmi nous à ce qui est parmi nous. — Nous en sommes convenus. — Si donc la domination et la science parfaite appartienne aux dieux, leur domination ne s’exercera jamais sur nous, [134e] et leur science ne nous connaîtra jamais, ni nous, ni rien de ce qui nous appartient ; mais, de même que l’empire que nous possédons parmi nous ne nous donne aucun empire sur les dieux, et que notre science ne connaît rien des choses divines, de même et par la même raison ils ne peuvent, tout dieux qu’ils sont, ni être nos maîtres, ni connaître les choses humaines. —
5. Zénon, Socrate, Parménide et … Platon, 6 juillet 2012, 16:39
Mais, dit Socrate, n’est-il pas trop étrange d’ôter à Dieu la connaissance ? — C’est cependant, répondit Parménide, [135a] ce qui doit nécessairement arriver, cela et bien d’autres choses encore, s’il y a des idées des êtres subsistant en elles-mêmes et si on tente de déterminer la nature de chacune d’elles ; de sorte que celui qui entendra avancer cette doctrine, pourra soutenir, ou qu’il n’y a pas de semblables idées, ou que, s’il y en a, elles ne peuvent être connues par la nature humaine. Et cela aura tout l’air d’une difficulté sérieuse, et, comme nous le disions tout à l’heure, il sera singulièrement malaisé de convaincre d’erreur celui qui l’aura proposée. Il faudra un homme bien heureusement né pour comprendre qu’à toute chose répond un genre [135b] et une essence en soi ; et il en faudrait un plus admirable encore, pour trouver tout cela et pour l’enseigner à un autre avec les explications convenables. — J’en conviens, Parménide, dit Socrate ; je suis tout-à-fait de ton avis. — Mais, cependant, reprit Parménide, si en considérant tout ce que nous venons de dire et tout ce que l’on pourrait dire encore, on venait à nier qu’il y eût des idées des êtres, et qu’on se refusât à en assigner une à chacun d’eux, on ne saurait plus où tourner sa pensée, [135c] lorsqu’on n’aurait plus pour chaque être une idée subsistant toujours la même, et, par là, on rendrait le discours absolument impossible. Il me semble que tu comprends très bien cela. — Tu dis vrai, repartit Socrate. — Quel parti prendras-tu donc au sujet de la philosophie ? et de quel côté te tourneras-tu, dans cette incertitude ? — Je ne le vois point pour l’heure. — C’est que tu entreprends, Socrate, de définir le beau, le juste, le bon [135d] et les autres idées avant d’être suffisamment exercé. Je m’en suis déjà aperçu dernièrement, lorsque je t’ai entendu t’entretenir avec Aristote, que voici. Elle est belle et divine, sache-le bien, cette ardeur qui t’anime pour les discussions philosophiques. Mais essaie tes forces et exerce-toi, tandis que tu es jeune encore, à ce qui semble inutile et paraît au vulgaire un pur verbiage ; sans quoi la vérité t’échappera. — Et en quoi consiste donc cet exercice, Parménide ? — Zénon t’en a donné l’exemple ; [135e] seulement j’ai été charmé de t’entendre lui dire que tu voudrais voir la discussion porter non sur des objets visibles, mais sur les choses que l’on saisit par la pensée seule, et qu’on peut regarder comme des idées. — C’est qu’en effet il me semble que dans le premier point de vue il n’est pas difficile de démontrer que les mêmes choses sont semblables et dissemblables, et susceptibles de tous les contraires. — Très bien, répondit Parménide. Cependant, pour te mieux exercer encore, il ne faut pas te contenter de supposer l’existence de quelqu’une de ces idées dont tu parles, et d’examiner [136a] les conséquences de cette hypothèse ; il faut supposer aussi la non-existence de : cette même idée. — Que veux-tu dire ? — Par exemple, si tu veux reprendre l’hypothèse d’où partait Zénon, celle de l’existence de la pluralité, et examiner ce qui doit arriver tant a la pluralité elle-même relativement à elle-même et à l’unité,qu’à l’unité relativement à elle-même et à la pluralité ; de même aussi il te faudra considérer, ce qui arriverait s’il n’y avait point de pluralité ; à l’unité et à la pluralité, chacune relativement à elle-même [136b] et relativement à son contraire. Tu pourras pareillement supposer tour à tour l’existence et la non-existence de la ressemblance, et examiner ce qui doit arriver dans l’une et l’autre hypothèse, tant aux idées que tu auras supposées être ou ne pas être, qu’aux autres idées les unes et les autres par rapport à elles-mêmes et par rapport les unes aux autres. Et de même pour le dissemblable, le mouvement et le repos, la naissance et la mort, l’être et le non-être eux-mêmes. En un mot, pour toute chose que tu pourras supposer être ou ne pas être ou considérer comme affectée de tout autre attribut, [136c] il faut examiner ce qui lui arrivera, soit par rapport à elle-même, soit par rapport à toute autre chose qu’il te plaira de lui comparer, ou par rapport à plusieurs choses, ou par rapport à tout ; puis examiner à leur tour les autres choses, et par rapport à elles-mêmes et par rapport à toute autre dont tu voudras de préférence supposer l’existence ou la non-existence : voilà ce qu’il te faut faire si tu veux t’exercer complètement, afin de te rendre capable de discerner clairement la vérité. — Tu me parles-là, Parménide, dit Socrate, d’un travail bien ardu ; au reste, je ne comprends pas encore très bien, Mais pourquoi n’entreprends-tu pas toi-même de développer les conséquences de quelque hypothèse, afin que je t’entende mieux ? [136d] — Tu me demandes, Socrate, une entreprise pénible à mon âge. — Et toi, Zénon, reprit Socrate, pourquoi ne te:charges-tu pas toi-même de développer quelque hypothèse ? — Alors Zénon dit en riant : Socrate, prions-en Parménide lui-même. Ce n’est pas une petite affaire que cet exercice dont il parle ; et peut-être ne vois-tu pas quelle tâche tu lui imposes. Si notre réunion était plus nombreuse, il ne siérait pas de lui adresser cette prière, parce qu’il n’est pas convenable, surtout pour un vieillard comme lui, de traiter de pareils sujets en présence de beaucoup de monde ; [136e] car la foule ignore qu’il est impossible d’atteindre la vérité sans ces recherches et sans ces voyages à travers toutes choses. Maintenant, Parménide, je me joins aux prières de Socrate pour t’entendre encore une fois, après si longtemps.
A ces mots, nous dit Antiphon d’après le récit de Pythodore, celui-ci, ainsi qu’Aristote et les autres, se mirent à prier Parménide de ne pas se refuser à donner un exemple de ce qu’il venait de dire. — Allons, dit Parménide, il faut obéir, quoiqu’il m’arrive la même chose qu’au cheval d’Ibycus, [137a] vieux coursier souvent victorieux autrefois, qu’on allait encore atteler au char, et à qui son expérience faisait redouter l’événement. Le vieux poète se désignait par là lui-même pour montrer que c’était bien à contrecœur qu’à son âge il subit le joug de l’amour (16). Et moi aussi je tremble quand je songe, moi, vieillard, quelle foule de discussions j’ai à traverser. Cependant il faut vous complaire, puisque Zénon le veut aussi ; et du reste, nous sommes entre nous. Par où donc [137b] commencerons-nous ? Quelle hypothèse établirons-nous d’abord ? Voulez-vous, puisqu’il faut jouer ce jeu pénible, que je commence par moi et ma thèse sur l’unité, en examinant quelles seront les conséquences de l’existence ou de la non-existence de l’unité ? — Fort bien, dit Zénon. — Maintenant, reprit Parménide, qui est-ce qui me répondra ? Le plus jeune ? oui ; c’est celui qui élèvera le moins de difficultés, et qui me répondra le plus sincèrement ce qu’il pense ; et en même temps ses réponses ne me fatigueront pas. [137c] — Me voilà prêt, Parménide, dit alors Aristote ; car c’est moi que tu désignes, quand tu parles du plus jeune. Ainsi, interroge-moi, je te répondrai. — Soit. Si l’un existe, il n’est pas multiple ? — Comment en serait-il autrement ? — Il n’a donc pas de parties, et n’est pas un tout ? — Eh bien ! — La partie est une partie d’un tout. — D’accord. — Or, le tout n’est-il pas ce dont aucune partie ne manque ? — Évidemment. — Donc, de l’une et de l’autre manière, comme tout et comme ayant des parties, l’un serait formé de parties ? — Nécessairement. — Ainsi, de l’une et de l’autre manière, [137d] l’un serait multiple et non un. — En effet. — Or, il faut que l’un soit un et non pas multiple. — Il le faut. — Si l’un est un, il ne peut donc pas être un tout, ni avoir des parties. — Non. — Si donc l’un n’a pas de parties, il n’aura non plus ni commencement, ni fin, ni milieu, car ce seraient là des parties. — C’est juste. — Le commencement et la fin sont les limites d’une chose. — Certainement. — L’un est donc illimité, s’il n’a ni commencement ni fin. — Il est illimité. — Et il n’a point de figure, [137e] puisqu’il n’est ni rond ni droit. — Et pourquoi ? — N’appelle-t-on pas rond ce dont les extrémités sont partout à égale distance du milieu ? — Oui. — Et droit, ce dont le milieu est en avant de chacune des deux extrémités ? — Oui. — Ainsi l’un aurait des parties et serait multiple, s’il était de figure ronde ou droite. — Incontestablement. — II n’est donc ni droit [138a] ni rond, puisqu’il n’a pas de parties. — Sans doute. — Cela étant, il ne sera nulle part, car il ne peut être ni en lui-même ni en aucune autre chose. — Comment cela, ? — S’il était en une autre chose que lui-même, il en serait entouré comme en cercle, et la toucherait par beaucoup d’endroits. Or, ce qui est un, indivisible, et ne participant aucunement de la forme du cercle, ne peut pas être touché en plusieurs endroits circulairement. — C’est impossible. — S’il est en lui-même, il s’entourera lui-même, sans être pourtant autre que lui-même, si c’est en [138b] lui-même qu’il est ; car on ne peut être en une chose qu’on n’en soit entouré — Impossible. — Par conséquent, ce qui entoure sera autre que ce qui est entouré ; car une seule et même chose ne peut pas faire et souffrir tout entière en même temps la même chose : l’un ne serait plus un, mais deux. — Nécessairement. — L’un n’est donc nulle part, et il n’est ni dans lui-même ni dans aucune autre chose. — Non. — Cela étant, vois s’il est possible que l’un soit en repos ou en mouvement. — Pourquoi ? — Parce que, s’il est en mouvement, ou [138c] il changé de lieu ou il s’altère, car il n’y a que ces deux mouvements. — Eh bien ! — Si l’un est altéré dans sa nature, il est impossible qu’il soit encore un. — Oui. — Donc il ne se meut pas par altération. — Cela est évident. — Ce serait donc par changement de lieu ? — Peut-être. — Dans ce cas, ou l’un tournerait sur un même lieu en cercle autour de lui-même, ou il changerait successivement de place. — Nécessairement. — Or, ce qui tourne en cercle autour de soi-même doit s’appuyer sur son milieu, et avoir des parties différentes de lui-même et qui se meuvent autour du milieu ; [138d] car, comment ce qui n’a ni milieu ni parties pourrait-il se mouvoir en cercle autour de son milieu ? — Cela ne serait pas possible. — Mais s’il change de place, il arrive successivement dans différents lieux, et c’est de cette manière qu’il se meut. — Dans ce cas, oui. — Or, n’avons-nous pas vu qu’il est impossible que l’un soit contenu quelque part dans aucune chose ? — Oui. — Et à plus forte raison, est-il impossible qu’il vienne à entrer dans aucune chose. — Je ne vois pas comment. — Lorsqu’une chose arrive dans une autre, n’est-ce pas une nécessité qu’elle n’y soit pas encore tandis qu’elle arrive, et qu’elle n’en soit pas entièrement dehors, si elle y arrive déjà ? — C’est une nécessité. — Or, [138e] c’est ce qui ne peut arriver qu’à une chose qui ait des parties ; car il n’y a qu’une pareille chose qui puisse avoir quelque chose d’elle-même dedans et quelque chose dehors. Mais ce qui n’a pas de parties, ne peut en aucune manière se trouver à la fois tout entier ni en dehors ni en dedans d’une autre chose. — C’est vrai. — Mais, n’est-il pas encore bien plus impossible que ce qui n’a pas de parties et qui n’est pas un tout, arrive quelque part, soit par parties soit en totalité ? — C’est évident. — L’un ne change donc pas de place, ni en allant quelque part [139a] et en arrivant en quelque chose, ni en tournant en un même lieu, ni en changeant de nature. — Il semble. — L’un est donc absolument immobile. — Oui. — De plus, nous soutenons. qu’il ne peut être en rien. — Nous le soutenons. — Il n’est donc jamais dans le même lieu. — Comment ? — Parce qu’alors il demeurerait dans un lieu. — D’accord. — Or, il ne peut être, comme nous avons vu, ni dans lui-même ni dans rien autre. — Oui. — L’un n’est donc jamais au même lieu. — Il semble. [139b] — Mais, ce qui n’est jamais dans le même lieu n’est point en repos ni ne s’arrête. — Non. — Donc, l’un n’est ni en repos ni en mouvement. — Cela est manifeste. — Il n’est donc pas non plus identique ni à un autre ni à lui-même, et il n’est pas autre non plus ni que lui-même ni qu’aucun autre. — Comment cela ? — S’il était autre que lui-même, il serait autre que l’un et ne serait pas un. — C’est vrai. — Et s’il était le même qu’un autre, il serait cet autre [139c] et ne serait plus lui-même ; en sorte que, dans ce cas aussi, il ne serait plus ce qu’il est, à savoir l’un, mais autre que l’un. — Sans doute. — Donc il ne peut être le même qu’un autre, ni autre que lui-même. — Tu as raison. — Mais il ne sera pas autre qu’un autre tant qu’il sera un ; car ce n’est pas l’un qui peut être autre que quoi que ce soit, mais bien l’autre seulement et rien autre chose. — Bien. — Ainsi, il ne peut pas être autre, en tant qu’il est un ; n’est-ce pas ton avis ? — Oui. — Or, s’il n’est pas autre par là, il ne l’est pas par lui-même ; et s’il ne l’est pas par lui-même, il ne l’est pas lui-même ; n’étant donc lui-même autre en aucune façon, il ne sera autre [139d] que rien. — Fort bien. — Et il ne sera pas non plus le même que lui- même. — Comment ? — Parce que la nature de l’un n’est pas celle du même. — Eh bien ! — Parce que ce qui est devenu le même qu’un autre ne devient pas pour cela un. — Comment ? — Ce qui est devenu le même que plusieurs choses, doit être plusieurs et non pas un. — C’est vrai. — Mais si l’un et le même ne différaient en rien, toutes les fois qu’une chose deviendrait la même, elle deviendrait une, et ce qui deviendrait un deviendrait toujours le même. [139e] — C’est cela. — Si donc l’un est le même que lui-même, il ne sera pas un avec lui-même ; de sorte que, tout en étant un, il ne sera pas un. — Mais cela est impossible. — Donc il est impossible que l’un soit ni autre qu’un autre, ni le même que soi-même. — Impossible. — Ainsi l’un ne peut être ni autre, ni le même, ni qu’aucune autre chose ni que soi-même. — Non. — Mais l’un ne sera pas non plus semblable ni dissemblable ni à lui-même ni à un autre. — Comment ? — Parce que le semblable participe en quelque manière du même. — Oui. — Or, nous avons vu que le même est étranger par nature à l’un. [140a] — Nous l’avons vu. — Mais si l’un participait encore à une autre manière d’être que celle d’être un, il serait plus qu’un ; ce qui est impossible. — Oui. — Ainsi l’un ne peut être le même ni qu’autre chose ni que lui-même. — Il paraîtrait. — Donc, il ne peut être semblable ni à rien autre ni à lui-même. — Il y a apparence. — Mais l’un ne peut pas non plus participer de la différence ; car, de cette façon encore, il se trouverait participer de plusieurs manières d’être, et non pas seulement de l’unité. — En effet. — Or, ce qui participe de la différence soit envers soi-même, soit envers une autre chose, est dissemblable ou à soi-même ou à autre chose, [140b] si le semblable est ce qui participe du même. — C’est juste. — Par conséquent, l’un ne participant en aucune manière de la différence, n’est dissemblable en aucune manière ni à soi-même ni à aucune autre chose. — D’accord. — Donc, l’un n’est semblable, de même qu’il n’est dissemblable, ni à lui-même ni à rien autre. — Cela paraît évident. — Cela étant, il ne sera égal ni à lui-même ni à rien autre : : — Comment ? — S’il est égal à une autre chose, il sera de même mesure que la chose à laquelle il est égal. — Oui. — S’il est plus grand [140c] ou plus petit, et commensurable avec les choses relativement auxquelles il est plus grand où plus petit, il contiendra plus de fois la mesure commune que celles qui sont plus petites que lui, et moins de fois que celles qui sont plus grandes. — Oui. — S’il n’est pas commensurable avec elles, il contiendra des mesures plus grandes ou plus petites que celles des choses plus petites ou plus grandes que lui. — Sans doute. — Or, n’est-il pas impossible que ce qui ne participe pas du même, ait la même mesure ou quoi que ce soit de même que quelque chose que ce soit ? — C’est impossible. — L’un n’est donc égal ni à lui-même ni à rien autre, s’il n’est pas de même mesure. — Évidemment. — Mais soit qu’il contînt plus de mesures ou des mesures plus petites ou plus grandes, autant il en contiendrait, autant il aurait de parties, [140d] et alors il ne serait plus un ; il serait autant de choses qu’il aurait de parties. — C’est juste. — Et s’il ne contenait qu’une seule mesure, il serait égal à la mesure ; or, nous avons vu qu’il était impossible qu’il fût égal à rien. — Nous l’avons vu. — Par conséquent l’un ne participant pas d’une seule mesure, ni d’un plus grand nombre, ni d’un moins grand nombre, en un mot ne participant aucunement du même, l’un, dis-je, ne sera égal ni à lui-même ni à aucune autre chose, de même qu’il ne sera ni plus grand ni plus petit que lui-même ni qu’aucune autre chose. — Assurément. [140e] — Mais quoi ! penses-tu que l’un puisse être plus vieux ou plus jeune, ou du même âge qu’aucune autre chose ? — Pourquoi pas ? — C’est que s’il a le même âge que lui-même ou que telle autre chose, il participera de l’égalité et de la ressemblance relativement au temps, et que nous avons dit que ni la ressemblance ni l’égalité ne conviennent à ce qui est un. — Nous l’avons dit. — Et nous avons dit aussi que l’un ne participe ni de la dissemblance ni de l’inégalité. — Oui. — Cela étant, comment [141a] se pourrait-il qu’il fût plus jeune ou plus vieux ou du même âge que quoi que ce soit ? — Cela ne se peut. — Ainsi donc, l’un ne sera ni plus jeune ni plus vieux ni du même âge que lui-même, ni qu’aucune autre chose. — Cela est évident. — Mais si telle est la nature de l’un, il ne peut être dans le temps ; car n’est-ce pas une nécessité que ce qui est dans le temps devienne toujours plus vieux que soi-même ?