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Lutte des classes en Egypte en 2006-2009 - C’est la classe ouvrière qui a commencé à ébranler le régime - Ni les Frères musulmans ni El Baradei ni les généraux ne doivent gouverner : c’est aux travailleurs et aux jeunes de prendre le pouvoir par leurs comités !!!

vendredi 4 février 2011, par Robert Paris

La grève du textile en 2007

La lutte des travailleurs en 2008

Travailleurs égyptiens en lutte !!!

Depuis 2006, l’Egypte est agitée par une série de grèves, de manifestations, de grèves de la faim et d’émeutes, qui vont s’amplifiant. Ces mouvements, d’abord limités au secteur public et aux entreprises d’Etat, touchent désormais le secteur privé. C’est la plus importante mobilisation des jeunes et des travailleurs égyptiens depuis 60 ans.

Au début du mouvement, l’une des principales revendications des travailleurs était l’augmentation du salaire minimum à 218 dollars (140 euros). Les grèves sont illégales, en Egypte, sauf lorsqu’elles sont organisées par la Fédération Générale des Syndicats Egyptiens, une organisation contrôlée par le gouvernement – et qui, pour cette raison, est largement discréditée auprès des travailleurs égyptiens.

Quand, en 2006, les premières grèves ont éclaté dans de nombreuses usines d’Etat de la région du delta du Nil, le gouvernement a cédé sur la plupart des revendications des grévistes. Ces concessions visaient à désamorcer un mouvement naissant qui menaçait le « bon déroulement » des projets de privatisations.

Cependant, la situation ne s’est pas apaisée. Les grèves de 2006 ne furent que le prélude à un plus vaste mouvement, qui s’est développé tout au long de l’année 2007. Les travailleurs de tous les secteurs de l’industrie et des services (hôpitaux, transports, employés du canal de Suez, etc.) sont entrés en action. Au cours des cinq premiers mois de 2007, on recensait un nouveau mouvement par jour. Tous étaient organisés par les travailleurs eux-mêmes – tandis que, partout, le syndicat officiel jouait le rôle de briseur de grèves. Les travailleurs ont notamment été accusés de mener des activités terroristes !

Le « blog » 3arabawy fait la chronique quasi-quotidienne des diverses grèves, occupations et manifestations des ouvriers égyptiens. Il fournit des informations précieuses sur l’évolution et les acteurs des innombrables luttes en Egypte et au Moyen-Orient. Les travailleurs égyptiens ont dépassé le stade des simples revendications économiques. Ils contestent ouvertement la dictature de Moubarak et du Parti National Démocratique (PND). C’est ce qui rend la situation du régime particulièrement périlleuse.

La colère des travailleurs se nourrit de la situation économique désastreuse dans laquelle est plongé le pays. La privatisation des principales entreprises nationales est à l’ordre du jour. Le régime cherche à attirer les capitaux étrangers en faisant valoir le faible niveau des salaires et des taxes. Près de 40% des Egyptiens vivent sous un seuil de pauvreté fixé à 2 dollars de revenus par jour (1,3 euro). L’inflation s’établit officiellement à 12%, mais, en réalité, elle est bien supérieure à ce taux. Pour de nombreux produits de première nécessité – pain, viande, légumes, carburant, etc. –, les hausses de prix ont atteint des taux de 30% à 50%, provoquant des émeutes au mois d’avril 2008.

Le taux de chômage officiel (9%) est également très inférieur à la réalité. La croissance économique de 7% ne profite qu’à une minorité de nantis, et accentue la polarisation entre riches et pauvres. Cette dégradation des conditions de vie est d’autant plus mal vécue que le pays est privé depuis des décennies de tout droit démocratique. Corruption, arrestations arbitraires, tortures et violences policières sont monnaie courante. Aujourd’hui, la police intervient pour briser les grèves et réprimer les manifestations.

Le régime de Moubarak est également en difficulté sur le terrain de la question palestinienne. Depuis le soi-disant retrait d’Israël de la bande de Gaza, l’Egypte joue un rôle clé dans l’organisation de l’enfermement des habitants de Gaza. Cependant, au début de l’année 2008, il n’a pas pu s’opposer au franchissement de la frontière égyptienne par des dizaines de milliers de Gazaouis à la recherche de produits de première nécessité introuvables à Gaza, suite au blocus israélien. Depuis, le blocus de Gaza a été rétabli du côté égyptien. Néanmoins la situation désespérée dans laquelle se trouvent les habitants de Gaza, avec la collaboration de la dictature égyptienne, est une préoccupation majeure de la classe ouvrière égyptienne. La jonction des luttes des ouvriers égyptiens et des populations palestiniennes fait craindre le pire à la classe dirigeante.

Aux yeux des travailleurs égyptiens, la classe dirigeante du pays est plus que jamais asservie à l’impérialisme américain, comme elle était asservie à l’impérialisme britannique avant la révolution de 1952, qui porta Nasser au pouvoir.

Les Frères Musulmans, force politique d’opposition souvent citée dans les médias, n’a que très peu d’influence dans les usines, et ne joue aucun rôle dans l’actuelle mobilisation des travailleurs égyptiens. Les dirigeants de ce parti, qui viennent des milieux d’affaires et des classes moyennes, sont hostiles à toute action organisée de la classe ouvrière. Les accusations du gouvernement sur l’implication des Frères Musulmans dans les grèves sont autant de mensonges éhontés. Le soi-disant rôle des Frères Musulmans a servi de prétexte à l’arrestation de 18 de ses membres. Bien que ce parti mène des actions de charité auprès des plus pauvres, il faut rappeler qu’il s’agit d’un parti pro-capitaliste et réactionnaire, à l’image du Hamas.

Les Frères Musulmans sont tout aussi inquiets que Moubarak des mouvements de grève, qui échappent à leur contrôle. Ils cherchent à diviser les travailleurs chrétiens et musulmans.

Ces grèves confirment que la classe ouvrière est une force majeure de la société égyptienne. Elle apprend à s’organiser indépendamment des bureaucraties du syndicat officiel et du PND. Elle trouve aujourd’hui un écho favorable hors des frontières du pays. Néanmoins, il est vital qu’émergent d’authentiques organisations syndicales et politiques d’ouvriers et de jeunes, afin que la chute du PND se solde par la conquête du pouvoir par les travailleurs – et non par un autre parti pro-capitaliste. La victoire des travailleurs égyptiens ouvrirait d’énormes perspectives pour les travailleurs du Moyen-Orient et du monde arabe.

Yazid

La classe ouvrière avait déjà initié des expériences d’auto-organisation

Un mouvement de grève a débuté le 23 septembre dans l’entreprise publique de Ghazl al-Mahalla, qui emploie 27 000 ouvriers et ouvrières, au sein de la ville industrielle de Mahalla al-Kubra située dans le delta du Nil, à une centaine de kilomètres au nord du Caire.

Déjà, en décembre 2006, des milliers de travailleurs de cette usine avaient fait grève plusieurs jours pour obtenir, sous forme de prime, une part des importants bénéfices qu’annonçait l’entreprise. Seule la promesse du gouvernement de verser à chacun l’équivalent d’un mois et demi de salaire avait mis fin à la grève.

Au-delà des tergiversations de la direction pour appliquer cette mesure, les problèmes des travailleurs de Ghazl al-Mahalla sont restés identiques. Les salaires extrêmement faibles se situeraient autour de 200 ou 250 livres égyptiennes (LE), c’est-à-dire 25 à 30 euros, alors que les loyers à Mahalla al-Kubra se montent à 300 LE. Même augmentés des primes, les salaires sont donc loin du compte.

Les autorités, qui ont senti le mécontentement monter, ont promis, par la voix de deux ministres, de payer l’équivalent de 150 jours de salaire en guise de part des bénéfices annuels de l’entreprise, qui se monteraient, d’après une gréviste, à 200 millions de LE. Mais la direction tardant à s’exécuter, les ouvriers qui n’ont pour l’instant reçu qu’une faible partie de cette somme ont décidé, par milliers, la grève et se sont installés dans l’usine. Des enfants ont rejoint leur mère en grève, certains ayant été renvoyés des écoles par défaut de paiement des frais scolaires. D’autres n’ont pas pu recevoir leurs manuels.

L’un des organisateurs de la grève, arrêté le lendemain de son déclenchement avec plusieurs de ses camarades, déclarait à un journaliste égyptien ne pas craindre que leur arrestation nuise au mouvement, les travailleurs se sentant trahis par rapport aux promesses faites. Cela n’a pas empêché la police de les appréhender pour « interruption de la production et incitation au désordre », ni la direction de décréter une semaine de congé afin de rendre l’occupation des lieux par les travailleurs illégale.

À présent, les travailleurs revendiquent non seulement leurs 150 jours de prime, mais l’introduction des primes dans le salaire de base pour que celui-ci ne dépende plus de la production, une prime de logement et un salaire minimum qui tienne compte de la hausse des prix. Ils exigent également de pouvoir bénéficier de transports collectifs et de services médicaux décents. Au-delà de ces revendications, beaucoup réclament la démission de leur direction, l’organisation de véritables élections ouvrières permettant de remplacer les dirigeants syndicaux officiels à la solde du régime, et dénoncent l’attitude du pouvoir politique.

Des mouvements de solidarité se sont déjà exprimés dans une autre usine textile, à Kafr al-Dawar, un sit-in a eu lieu dans les minoteries au sud du Caire, pour les mêmes raisons, et les employés des transports ferroviaires, eux aussi, se montrent concernés par ces revendications. Les groupes financiers européens qui profitent de la production textile à bas prix dans le delta du Nil, le pouvoir de Moubarak et la couche de parasites qui prospèrent sur le dos des millions de travailleurs égyptiens ont peut- être du souci à se faire...

Les autorités égyptiennes ont pris des mesures draconiennes le 6 avril contre une menace de grève générale pour la liaison des salaires au coût de la vie.

Dans une usine textile de Mahalla la police a obligé les ouvriers à reprendre le travail. Mahalla est l’un des plus anciens et des plus grands centres de l’industrie textile depuis 1932.

En septembre 2007, 27 000 ouvriers étaient déjà partis en grève. Fat-halla Mahrous (72 ans), vétéran du mouvement ouvrier égyptien, me raconte : « les ouvriers ont occupé l’usine avec toute leur famille ». Ils ont tenu une semaine, jour et nuit. Ils ont gagné. Plusieurs de leurs revendications ont abouti : le grand patron de l’usine a dû partir et tous les délégués du syndicat-maison ont été remplacés. La grève a aussi servi d’autres ouvriers en Egypte. « Selon la loi, le gouvernement doit convoquer chaque année un comité qui doit veiller à ce que les salaires suivent l’évolution des prix », explique Fat-halla uit. « Dans la pratique, ça ne donnait rien. Ce n’est qu’après la grève de Mahalla que le comité s’est réuni pour la première fois ! » Ce sont les ouvriers de Mahalla qui ont lancé l’appel actuel à la grève nationale. Leur slogan est : « Liaison des salaires aux prix ». Leur revendication : un salaire minimum de 1 500 livres égyptiennes (175 euros). Depuis 1984, il est seulement de 35 livres (4 euros).
Renaissance syndicale

Une autre revendication importante est la légalisation de syndicats indépendants. « Les gens doivent avoir la liberté d’adhérer à des syndicats libres. Les ouvriers égyptiens ont perdu leurs syndicats indépendants en juillet 1952 », raconte encore Fat-halla. « L’armée a pris le contrôle sur les syndicats. Elle a aussi exécuté quelques dirigeants syndicaux condamnés par des tribunaux militaires en août 1952. »

Fat-halla Mahrous a connu la prison : « En 1954, on m’a enfermé pour deux ans. J’ai de nouveau été arrêté en 1971 et accusé d’appartenir à une organisation communiste ».

En janvier 1957 le gouvernement a créé son syndicat. Et jusqu’en 2004, il a été interdit aux syndicats d’organiser des élections. Les délégués étaient nommés par les autorités. Et encore aujourd’hui, il est interdit de faire grève.
Cette longue période de répression a quelque peu fait perdre l’expérience du travail syndical de combat. Fat-halla voit depuis peu poindre une renaissance du syndicalisme égyptien : « Des nouvelles formes d’organisation se développent en-dehors du syndicat officiel. Depuis 2001 il existe un Comité de coordination les droits des travailleurs et la liberté syndicale, qui coordonne les actions de beaucoup de travailleurs de différents secteurs et régions. »

Mouvement des travailleurs égyptiens en 2008

Avril 2008

Le président égyptien Hosni Moubarak a fait échec dimanche à des appels à une grève générale contre la vie chère, et fait arrêté environ 250 personnes dans plusieurs provinces.

À Mahalla, dans le Delta du Nil, où la police égyptienne a tiré des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants, au moins 150 personnes ont été arrêtées, a indiqué un responsable de la sécurité.

Un appel à la grève générale avait circulé en Égypte depuis plus d’une semaine sur internet et par téléphone portable.

Le gouvernement, via un communiqué du ministère de l’Intérieur, avait averti qu’il prendrait des "mesures immédiates et fermes" contre quiconque manifesterait ou suivrait un ordre de grève.

réparées comme si elles devaient faire face à une véritable révolution, les forces de l’ordre égyptienne équipées de tout leur attirail (casques, matraques, bottes…) ont quasiment occupée la ville. 250 personnes ont été interpellées, une centaine de personnes blessées. Dans l’usine Mahallah, prés de 3000 ouvriers ont manifesté contre la hausse des prix et la police s’est servie de gaz lacrymogène contre eux.

Le 6 avril 2008, la grève générale que tout le monde attendait a connu comme à l’habitude son lot d’arrestations. Le gouvernement avait prévenu que toute protestation sera réprimée et que le dispositif policier serait très important.

le 6 avril, une grève générale et de nombreuses manifestations étaient organisées en Egypte pour protester contre la hausse des prix et la paupérisation de la société égyptienne.

Comme d’habitude la répression policière égyptienne a encore frappé.
Au moins 2 jeunes de 9 et 20 ans ont été tués par la police et plus de 200 personnes ont été arrêtées seulement à Mahallah.

La police égyptienne a procédé à plus de 300 arrestations au cours de cette journée de protestation en Egypte où étaient organisées de nombreuses manifestations.

A 15h au Caire, la police a arrêté 25 personnes dont le chef du parti travailliste égyptien, Magdi Ahmed Hossein, et des militants de Kifaya et de différents autres partis politiques.

La police a également bouclé le syndicat des avocats dans le centre ville du Caire et personne n’a le droit de sortir du bâtiment.

12 activistes de Facebook (Esra Rachid, Ahmad Badawi, Mohamad Foad, Shady Al Adel...), 3 bloggers politiques, 7 étudiants ont également été arrêtés Place Tahrir ainsi que Mohamed Abdel Qudoos, un journaliste islamiste. (voir les photos de la manifestation au Caire)

A Mahallah, 70 manifestants ont été arrêtés ainsi que 30 manifestants à Baltim (secteur de Kafr Sheikh) et les arrestations se poursuivent dans le silence le plus total des médias

A 15h30, on apprenait qu’au changement d’équipes à l’usine de Mahallah, fer de lance de la protestation, la police égyptienne a attaqué un groupe d’ouvriers et a arrêté 2 personnes.

A 16h, 3000 ouvriers de l’usine de Mahallah ont manifesté contre la hausse des prix et la police les a attaqués à l’aide de gaz lacrymogène et a procédé a des arrestations dont le nombre reste encore inconnu.

A 19h30, à Mahallah, 218 manifestants ont été arrêtés et 2 jeunes de 9 et 20 ans ont été tués dans les affrontements avec la police.
Selon nos dernières informations, il y aurait entre 4 et 7 morts et des centaines de manifestants ont été blessés.
Toute la ville de Mahallah est devenue une zone de guerre et la police a transformé une action pacifique des travailleurs en une révolte à laquelle les chomeurs et les jeunes ont pris part.

A 23h, les confrontations se poursuivaient et elles risquent de se poursuivre ce lundi 7 avril.

La dictature égyptienne poursuit sa répression du mouvement populaire et à chaque minute nous apprenons de nouvelles arrestations et maintenant des victimes.

Septembre 2008

Quarante-neuf personnes sont jugées par un tribunal d’exception pour leur implication présumée dans des manifestions violentes ayant eu lieu le 6 avril 2008 dans la ville de Mahalla. Leur procès doit reprendre le 6 septembre.

Amnesty International avait déjà demandé à maintes reprises aux autorités égyptiennes de ne plus déférer quiconque à des tribunaux d’exception qui bafouent les garanties fondamentales d’équité des procès.

Le 5 avril 2008, le gouvernement a interdit toutes les manifestations en prévision d’une grève générale devant avoir lieu le 6 avril pour soutenir un mouvement social des ouvriers du textile de la ville de Mahalla, au nord du Caire. Des milliers de policiers et de membres des forces de sécurité ont été déployés dans cette ville, ainsi qu’au Caire et dans d’autres agglomérations.

Bien que ce mouvement social ait été interrompu à l’issue de négociations avec des responsables et sous la pression du gouvernement, des manifestations violentes ont éclaté à Mahalla en réaction à la hausse du coût de la vie. Au moins trois personnes, dont Ahmed Ali Mabrouk, un écolier, sont mortes sous les balles des forces de sécurité. Des dizaines d’autres ont été blessées en raison d’un usage excessif de la force. Quelque 258 personnes ont arrêtées lors des affrontements ; elles ont été relâchées plus tard sans inculpation.

Les 49 accusés sont jugés pour un grand nombre d’infractions, notamment pour participation à un rassemblement de plus de cinq personnes visant à troubler l’ordre et la sécurité publics, destruction délibérée de biens publics et privés, pillage et vol, résistance violente et agression sur des policiers dans l’exercice de leurs fonctions, et possession illégale d’armes à feu. S’ils sont reconnus coupables, ils risquent des peines pouvant aller jusqu’à quinze ans d’emprisonnement.

Décembre 2008

Vingt-deux personnes, en majorité des ouvriers, ont été condamnées lundi à au moins trois ans de prison ferme pour avoir participé en avril à des heurts avec la police, ayant fait trois morts à Mahalla (nord de l’Egypte), a indiqué un responsable des services de sécurité.

« Un tribunal d’exception de Tanta (delta du Nil) a condamné 22 personnes ayant participé aux affrontements avec la police à Mahalla à des peines comprises entre trois et cinq ans de prison ferme. Vingt-sept autres personnes ont été acquittées, » a précisé ce responsable sous le couvert de l’anonymat.

Conformément à la loi d’urgence en vigueur depuis l’assassinat du président Anouar al-Sadate en 1981, les accusés ont notamment été reconnus coupables de « résistance aux autorités« , « vandalisme » et « rassemblement non autorisé« , selon la même source.

L’Organisation égyptienne des droits de l’Homme (EOHR) a déploré dans un communiqué que des civils soient jugés devant des tribunaux d’exception, appelant à un nouveau procès.

L’ONG « regrette vivement la poursuite du phénomène des procès de civils devant des tribunaux militaires et de sécurité de l’Etat« , selon le texte.

« Il s’agit d’une violation claire et flagrante du droit de toute personne à comparaître devant la justice ordinaire« , estime l’EOHR.

L’organisation « demande que les accusés soient rejugés devant la justice ordinaire pour garantir que leurs pleins droits légaux » soient respectés.

Révolte sociale en 2008

Luttes en Egypte : une expression de la solidarité et de la combativité ouvrières

Des grèves qui durent depuis plusieurs mois, au cours desquelles s’expriment la solidarité entre les ouvriers, une colère immense contre la dégradation de leurs conditions de vie et une combativité exemplaire, voilà ce que veut nous cacher la bourgeoisie. A peine quelques articles dans la presse ou sur Internet, nous sommes loin du compte. Quels sont les ouvriers en France ou ailleurs qui sont au courant de ce que font leurs frères de classe en Egypte ?
Les luttes ouvrières continuent à se développer en Egypte

Pourtant déjà, la grève massive de décembre 2006 à l’usine textile Ghazl Al-Mahalla avait ouvert la voie à une vague de protestation sans précédent dans tout le pays. L’article de Révolution Internationale n° 380 de juin 2007 titrait « La solidarité de classe, fer de lance de la lutte » et montrait la détermination que les ouvriers ont affichée dans cette lutte mais aussi la force d’entraînement qui s’est manifestée à partir de cette lutte dans le textile.

De fait, les luttes ne se sont jamais arrêtées depuis lors. De décembre 2006 à mai 2007, il y a eu des grèves impliquant des milliers d’ouvriers d’autres usines textiles, notamment à Kafr el Dawwa (11 700 travailleurs), à Zelfia Textile Co. à Alexandrie (6000 grévistes) et à l’usine textile d’Abul Mukaren. Ce sont aussi de nombreux autres secteurs de la classe ouvrière qui étaient entrés en lutte : 3000 ouvriers en grève de deux jours à l’usine de conditionnement de volailles Cairo Poultry Co., 9000 grévistes dans une minoterie à Gizeh ainsi que les éboueurs de cette même ville, occupation de l’usine Mansoura Spanish Garment Factory par 300 ouvrières et grève des transports du Caire avec blocage de la ligne Le Caire-Alexandrie, soutenue par des conducteurs du métro du Caire. Et aussi de nombreuses actions comme un sit-in à la poste principale du Caire, des grèves de boulangers, dans des briqueteries, d’employés du Canal de Suez, de dockers, d’employés municipaux, de personnels des hôpitaux… « Fin juin, un communiqué d’un syndicat américain annonçait que 200 grèves étaient terminées, mais ne disait rien sur celles qui pouvaient encore être en cours. » Mondialism.org. Il y a eu 220 grèves spontanées en 2006 en Egypte, chiffre qui sera largement dépassé en 2007.

En réponse aux attaques, la lutte et la solidarité de classe

En effet, depuis le 23 septembre 2007, les 27 000 ouvriers et ouvrières de l’entreprise publique de textile de Ghazl Al-Mahalla, à une centaine de kilomètres du Caire, ont repris le combat quelques mois seulement après la première vague de luttes dont ils étaient déjà le cœur. La promesse du gouvernement de verser à chacun l’équivalent d’un mois et demi de salaire avait alors mis fin à la grève. Mais c’était encore trop payé pour le gouvernement qui n’a pas tenu ses engagements, cette somme n’ayant été versée que très partiellement et au compte goutte. Quel cynisme ! Des salaires de misère de 200 à 250 livres égyptiennes (soit 25 à 30 euros), des loyers d’environ 300 livres égyptiennes et des denrées de base qui ont augmenté de 48% depuis l’an dernier, voilà la réalité des ouvriers qui ne savent plus comment se loger, se nourrir, se soigner eux et leurs familles.

En juillet 2007, alors que la grève menaçait de nouveau de s’étendre, le gouvernement a immédiatement promis de payer l’équivalent de 150 jours de salaire en guise de part des bénéfices actuels de l’entreprise. Somme qu’il tardait de nouveau à payer. C’est ce qui a relancé la colère des ouvriers dont la combativité était toujours intacte. « ‘On nous a promis 150 jours de prime, nous voulons seulement faire respecter nos droits ‘ explique Mohamed el-Attar, qui a été arrêté quelques heures par la police mardi dernier. ’Nous sommes déterminés à aller jusqu‘au bout’ affirme-t-il. » (Le Figaro du 1/10/07). A la grille d’entrée de l’usine, une affiche proclame : « Vous entrez en territoire libre. » Des enfants ont rejoint leur mère car ils ont été renvoyés des écoles par défaut de paiement des frais scolaires ou impossibilité d’achat des manuels. Pour tenter une nouvelle fois de casser le mouvement, la direction a décrété une semaine de congé afin de rendre l’occupation de l’usine illégale et laisser planer la menace d’une intervention militaire.

Dans cette lutte, face aux ouvriers, le gouvernement n’est pas seul ; il est épaulé par ses fidèles chiens de garde, passés maîtres dans le sabotage : les syndicats. Mais là aussi, les ouvriers ne semblent pas vouloir se laisser manipuler si facilement : « Le représentant du syndicat officiel, contrôlé par l’Etat, venu demander à ses collègues de stopper la grève, est à l’hôpital, après avoir été passé à tabac par des ouvriers en colère. ‘Le syndicat est aux ordres, nous voulons élire nos vrais représentants’ expliquent les ouvriers » (Libération du 1/10/07).

Peu à peu, la classe ouvrière prend conscience que sa force réside dans sa solidarité et son unité, au-delà des secteurs et des corporations. Les ouvriers des usines textiles de Kafr Al-Dawar déclaraient en décembre dernier : « Nous sommes dans le même bateau que vous et embarquerons ensemble pour le même voyage » et reprenaient à leur compte les revendications de Mahalla. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant qu’ils aient de nouveau manifesté leur solidarité dès la fin septembre et entamé une grève. Et d’autres aussi comme les ouvriers de minoterie au Caire qui ont entamé un court sit-in et ont envoyé un communiqué soutenant les revendications des ouvriers. Ils les ont qualifiées de légitimes surtout celles de la fixation par le gouvernement d’un salaire minimum qui soit indexé sur les prix actuels. Les ouvriers des usines de Tanta Linseed and Oil ont suivi l’exemple de Mahalla et posé aussi leurs revendications.
La bourgeoisie a peur de la massivité de la lutte

C’est bien parce que le gouvernement redoute en premier lieu que la lutte continue à se développer qu’il apparaît aujourd’hui comme hésitant. Il agite le bâton ou la carotte suivant les situations. Au cours de ces derniers mois, il s’en est pris aux juges ou aux journalistes qui s’opposaient à lui en les menaçant ou en les emprisonnant. Mais face à des milliers d’ouvriers en lutte, il se doit d’être plus prudent (même si le recours à une répression n’est pas à exclure).

Pour le moment, face à la force montante du mouvement, le gouvernement est obligé de proposer aux ouvriers textiles de Mahalla 120 jours de prime et des sanctions contre la direction. Mais les ouvriers n’arrivent plus à croire aux promesses du gouvernement, promesses qui sont d’ailleurs inférieures à leurs revendications. Non, ces grèves ne sont pas organisées par les Frères musulmans comme l’Etat aurait aimé le faire croire, c’est une vraie lame de fond ouvrière qui secoue l’Egypte et celui-ci a bien raison d’avoir peur. La classe ouvrière d‘Egypte est la plus importante du Proche et du Moyen-Orient et ses luttes ne peuvent qu’inspirer les ouvriers de la région et du reste du monde. CCI

Au cours de ces trois dernières années, l’Egypte a connu une puissante vague de grèves, visant principalement à lutter contre la privatisation, par le gouvernement Moubarak, de plusieurs compagnies d’Etat. Toutes ces grèves sont « illégales ». Fin 2004, elles ont d’abord affecté le secteur textile, puis se sont étendues à d’autres industries, les salariés ayant été encouragés par le fait que la plupart de ces grèves se soldent par des victoires. Elles sont souvent accompagnées d’occupations. Depuis la fin de l’année 2006, cette vague de grèves a atteint un niveau particulièrement élevé.

Comme à son habitude, le gouvernement tente de trouver un bouc-émissaire. Dans un certain nombre de villes, il a pris des mesures contre le Centre de Services pour les Syndicats et les Ouvriers (CTUWS). Le CTUWS est une structure indépendante du gouvernement, qui défend les travailleurs et les informe de leurs droits.

Un article publié dans Al-Ahram, un hebdomadaire anglophone publié en Egypte, prétend qu’un « complot communiste » est derrière ce mouvement. Les bureaucrates du gouvernement, la police et les tortionnaires des services secrets souscrivent tous à cette théorie du complot. Ils accusent également les Islamistes. Pour eux, il n’est pas imaginable que des ouvriers puissent avoir d’authentiques revendications, et que la dégradation de leurs conditions de vie les pousse à se mobiliser. Il doit forcément y avoir un conspirateur secret, un agitateur communiste ou islamiste derrière tout cela !

Cependant, pour quiconque regarde les choses en face, les racines du mouvement actuel sont évidentes. La majeure partie de l’industrie égyptienne avait été nationalisée par Nasser, dans les années 60. Mais au cours des années 90, le gouvernement Moubarak, suivant les « conseils » du FMI, a mis en œuvre un programme de privatisation massive de l’industrie égyptienne. Depuis 1999, plus de 100 entreprises publiques ont été vendues. L’un des secteurs les plus touchés fut l’industrie textile : le secteur privé contrôle 58 % du filage du coton, contre 8 % avant les privatisations. Récemment, le gouvernement a lancé une deuxième vague de privatisations, qui fut la cause directe de l’actuel mouvement de grèves. Les ouvriers craignent de perdre leur statut de travailleurs du secteur public, avec les avantages et la sécurité d’emploi qui y sont associés.

Le site internet du Middle East Report Online (MERIP) a publié un compte-rendu très intéressant d’une grève qui a éclaté, en décembre 2006, dans une importante entreprise textile, à Mahallah Al-Kubra, dans le delta du Nil.

La grève a commencé lorsque les 24 000 ouvriers ont appris qu’une prime, qui leur avait été promise par le gouvernement, ne leur serait finalement pas payée. La grève a duré quatre jours et fut accompagnée d’une occupation de l’usine. Quand la police est intervenue, le deuxième jour du mouvement, les ouvriers en appelèrent à la solidarité des autres ouvriers et de la population de la localité. En réponse, 20 000 personnes encerclèrent l’entreprise pour défendre les grévistes. La police a du battre en retraite, et les grévistes l’emportèrent.

Il est intéressant de noter le rôle crucial qu’ont joué les femmes, dans cette grève. De fait, elles ont été encore plus militantes que les hommes. La grève a commencé lorsque 3000 ouvrières ont quitté leur poste et parcouru l’usine en chantant : « Où sont les hommes ? Voici les femmes ! » Un témoin relate : « les femmes étaient encore plus déterminées que les hommes. Elles ont été l’objet d’intimidations et de menaces, mais elles ont tenu bon. »

Lorsqu’un mouvement mobilise les couches les plus opprimées – et habituellement les plus passives –, c’est un indice clair de sa profondeur et de son caractère potentiellement révolutionnaire. La victoire des grévistes de Mahallah a encouragé d’autres ouvriers à passer à l’action. Dans les mois qui ont suivi, des dizaines de milliers d’ouvriers du textile se sont mobilisés, dans le delta du Nil et à Alexandrie.

Cette magnifique grève eut également des répercussions dans d’autres secteurs industriels que le textile, malgré l’absence d’une véritable coordination. En décembre, les travailleurs de cimenteries, à Helwan et Tura, se mirent en grève, de même que les salariés de l’industrie automobile, à Mahallah. En janvier, ce fut le tour des cheminots, qui bloquèrent le train de première classe reliant le Caire à Alexandrie, et furent spontanément soutenus par les conducteurs du métro du Caire. Les grévistes expliquèrent qu’ils avaient été encouragés par la victoire des travailleurs de Mahallah. Des « grèves sauvages » ont également éclaté chez les éboueurs, les conducteurs de minibus et de camions, ainsi que dans d’autres secteurs de la fonction publique.

Les grévistes ont protesté contre l’accusation du gouvernement selon laquelle les islamistes étaient derrière leur mouvement. Les ouvriers d’une usine, à Kafr EL-Dawwar, « ont énergiquement nié toute implication des Frères Musulmans », selon le compte-rendu du MERIP.

Mais l’une des caractéristiques les plus intéressantes de ces mouvements réside dans le fait que les ouvriers se rendent compte qu’ils ne luttent pas seulement pour des revendications immédiates, mais aussi, plus généralement, contre la politique du gouvernement. C’est probablement pour cette raison que, dans plusieurs endroits – y compris à Mahallah –, les travailleurs s’efforcent de construire leurs propres organisations indépendantes, défiant les « syndicats » affiliés à l’Etat.

Le MERIP rapporte : « Il y a des signes clairs indiquant que les militants ouvriers du textile travaillent à l’élaboration d’un système de coordination nationale de leurs luttes. Un mois après la victoire de la grève à Kafr Al-Dawwar, un texte signé par les Ouvriers de Kafr Al-Dawwar pour un Changement a été distribué, dans l’usine, et en appelait à " l’extension de la collaboration entre les ouvriers des entreprises qui ont fait grève, de façon à créer des liens de solidarité et de partager notre expérience" ».

Voilà ce qui inquiète le plus le gouvernement. C’est pour cela que, tout en faisant des concessions aux revendications des grévistes, il s’attaque à toute organisation susceptible de faciliter la coordination de l’action des travailleurs. Les bureaux du CTUWS, à Najaa Hamadi et Mahalah, ont été fermés, et la police a arrêté des militants ouvriers dans tout le pays.

L’image générale qui émerge de ces conflits est celle d’une classe ouvrière en plein essor, qui gagne en confiance et commence à tirer de sérieuses conclusions politiques. Selon Saber Barakat, du Comité de Coordination des Ouvriers, « l’Egypte est au seuil d’une situation révolutionnaire. Le régime est affaibli. Moubarak est occupé à organiser sa succession au profit de son fils, Gamal, mais pour la première fois depuis longtemps, nous pouvons dire avec confiance qu’une révolution ouvrière pointe à l’horizon. »

Interview de Kamal Khalil

Kamal Khalil : socialiste révolutionnaire, il a été un des leaders du mouvement étudiant égyptien durant la première moitié des années 70. Depuis, il a joué un rôle de taille dans toutes les luttes ouvrières et populaires en Égypte ; emprisonné une dizaine de fois, il est actuellement dirigeant du Centre d’études socialistes au Caire.

Pourrais-tu décrire la dynamique de grèves qui s’est développée en Egypte ces derniers mois ?

Le mouvement commença en décembre dernier et s’étendit par vagues successives, permettant dans certains cas la satisfaction partielle des revendications, et ouvrant dans certains cas sur des reconductions de grèves pour exiger davantage. Ainsi tout a commencé le 7 décembre avec une grève de 27 000 travailleurs de l’usine de textile de la ville de Mahala. Quelques jours plus tard débutèrent une grève massive des industries textiles de Chebin-el-Kom, Mansura et Alexandrie, et par intermittence, une grève des travailleurs du ciment à Helwan et Tora (banlieues sud du Caire), suivies par une grève des cheminots, des usines de fabrication de farine et de pain, des usines d’huile et de savon, puis des bus et du métro. Ce mouvement de grèves fut spontané et se choisit ses propres leaders, sans lien avec les partis politiques en place, ou avec le mouvement Kifaya. Tous les trois jours, une nouvelle grève se déclencha, avec de nouvelles revendications. Mardi 3 juillet, 27 000 travailleurs de l’usine de Mahala se remirent en grève pendant une demi-heure pour exiger que l’ensemble de leurs revendications soient satisfaites, sous peine de reconduire la grève le 21 juillet [1]. Les grèves se sont donc succédées du 7 décembre jusqu’à aujourd`hui. L’Égypte a connu deux grandes vagues de grèves ouvrières au cours de son histoire, l’une dans les années 1920, suite à la Première Guerre Mondiale et l’autre dans les années quarante, suite à la Seconde Guerre Mondiale. Nous assistons donc à la troisième vague de grèves, mais qui tire cette fois sa dynamique de la situation interne du pays plutôt qu’à des conditions extérieures comme par le passé. Il y aura certainement un second round de cette troisième vague, plus important encore que le premier, fort de l’expérience acquise ces derniers mois. En tant que socialistes, nous n’avons pas initié ces grèves, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui l’ont fait. Mais nous avons trois tâches : unifier et coordonner le mouvement, recruter et enfin le structurer [2]. Les travailleurs en lutte fondèrent un groupe appelé « Travailleurs pour le changement ». Même si ce groupe n’est encore qu’embryonnaire, il montre la voie de ce qui est possible et il pourrait transformer la vie politique égyptienne. En effet, le mouvement « Kifaya » est composé essentiellement d’intellectuels, alors que ce nouveau groupe est composé d’ouvriers. Nous tentons, en tant que membres de « Kifaya », de nous ancrer davantage dans la classe ouvrière. Le mouvement démocratique « Kifaya » pourrait se transformer en changeant sa composition sociale.

Ce mouvement, essentiellement économique au départ, a-t-il évolué vers des revendications démocratiques, et donc plus politiques, telles que l’opposition à la police et à la répression en général ?

L’une des revendications du mouvement de Mahala exigeait la démission de l’ensemble du comité syndical (premier niveau de la bureaucratie syndicale composé essentiellement de permanents). Il faut comprendre que les syndicats sont incorporés à l’Etat égyptien, ce qui a poussé les grévistes à refuser tout contrôle de leur mouvement par les structures syndicales en place car ils les considèrent comme illégitimes. Depuis décembre, près de 250 000 travailleurs se sont mis en grève essentiellement pour des raisons économiques, mais ce n’est qu’un début ; ce n’est pas encore un mouvement politique. Cependant, le gouvernement n’a pas réagi comme à son habitude face à cette nouvelle vague de luttes. Et pour cause, il y a une nouvelle grève tous les trois jours ! En même temps, le gouvernement tente de réprimer l’organisation des Frères Musulmans. Mais il n’est pas suffisamment fort pour réprimer deux mouvements de masse simultanément.

Il parait que la police n’a pas réprimé ce mouvement comme à son habitude, pourquoi ? Dans les années 1980, nous connaissions une grève à peu près tous les deux ans. Il était possible de réprimer plus facilement. Donc tous les deux ans, ils arrêtaient une cinquantaine de grévistes. Au cours des six derniers mois nous avons connu près de 220 grèves. Pour réprimer comme par le passé, il faudrait mettre en prison environ 50 000 grévistes. C’est intenable politiquement pour le gouvernement. Si tant de travailleurs étaient mis derrière les barreaux, les usines ne pourraient plus tourner normalement ! La première étape de ce mouvement est certes économique, mais la prochaine sera certainement politique.

Les Frères Musulmans ont gagné 88 sièges lors des élections parlementaires égyptiennes en novembre 2005. Ce fut un tremblement de terre politique dans le pays. Peut-on dire que cette organisation cristallise une large hostilité de la population égyptienne pour le gouvernement de Moubarak ? Comment a-t-il réagi vis-à-vis des grèves ?

Les Frères Musulmans sont la plus grande force politique du pays. Vu la taille de l’organisation des Frères Musulmans, il est important de travailler avec eux. Car ils sont comme un éléphant, et nous ne sommes qu’une fourmi. Nous nous allions sur des questions défensives, comme contre la répression et pour les droits de l’homme, ce qui nous permet d’élargir notre audience. Nous sommes le seul groupe politique de gauche à travailler avec eux. En tant que socialistes révolutionnaires, nous sommes opposés à toute répression d’Etat, et celle-ci est actuellement principalement concentrée sur les islamistes. On soutient leur droit à se constituer en parti politique3. La gauche égyptienne nous a critiqués pour cela. Mais notre collaboration avec les Frères Musulmans a été constructive. Par exemple, les Frères Musulmans nous invitent à participer à leurs réunions publiques et à y intervenir au nom de notre organisation, pour y exprimer nos idées politiques. Nous pouvons donc défendre notre politique auprès de milliers de gens (et je peux vendre mon journal aux gens intéressés). Nous gardons toute notre indépendance politique et nous continuons par ailleurs à travailler avec les syndicats étudiants et ouvriers. Nous les invitons aussi à intervenir lors de nos meetings, mais notre capacité de rassemblement est plus faible que la leur. Le problème des Frères Musulmans, c’est qu’ils n’ont pas de revendications sociales. Nombreux sont les travailleurs dans leurs rangs, mais ces derniers ne trouvent pas de programme politique qui les concerne dans l’organisation. Dans l’usine de Mahala, il y a 27 000 travailleurs, avec parmi eux, quelque 300 ou 400 membres des Frères Musulmans ; or, pendant la grève, aucune revendication ne se référait à l’Islam. La fourmi a l’espoir et le potentiel de se transformer en éléphant si elle parvient à s’ancrer dans le mouvement de grèves. Car la fourmi, contrairement à l’éléphant, a un programme social.

Quelle a été l’attitude des Frères Musulmans pendant les grèves ? Avez-vous réussi à gagner certains Frères Musulmans aux idées socialistes révolutionnaires ?

Leur position vis-à-vis des grèves n’était pas claire, d’où ces ouvriers n’usant pas de leur appartenance politique aux Frères Musulmans pendant la grève. Je vais vous donner un exemple. Dans l’usine textile d’Espania dans la ville de Mansura, menacée de privatisation, près de 300 ouvrières, portant toutes le foulard, déclarèrent qu’elles s’y opposaient. Elles nous ont raconté qu’elles étaient allées trouver le représentant parlementaire islamiste de la ville de Mansura (élu en 2005), mais il annonça qu’il soutenait la privatisation et la vente de l’usine, donc qu’il s’opposait à leur grève. Et même si elles portaient toutes le foulard, elles lui ont dit d’aller se faire voir ! Nous avons avec les Frères Musulmans une relation de solidarité (mouvement antiguerre, pour la démocratie, contre la répression, etc.). On les défend sur certains points, mais par ailleurs on s’oppose à leurs positions réactionnaires. On leur donne ainsi une image de la gauche qui est différente, et nous sommes de ce fait en position de dialoguer, de confronter nos idées, et concrètement, nous parvenons à influencer des membres des Frères Musulmans et à les gagner à nos positions. Ils ont leurs propres idées, comme nous avons les nôtres. Donc nous travaillons ensemble, nous débattons ensemble et nous nous invitons mutuellement lors de nos évènements publics. La grande différence, c’est qu’ils rassemblent des milliers de personnes, et nous beaucoup moins. Ils représentent la majorité et nous la minorité.

Que peut-il se passer maintenant, dans une telle situation de crise ? Quel sera l’impact du mouvement de grèves sur Moubarak et qu’en est-il de sa volonté de coopter les Frères Musulmans dans les structures de l’État ?

Moubarak a fait de l’Égypte son royaume. Il veut faire de son fils le nouveau président. S’il met en place des élections, il faut qu’il soit sûr de les gagner. Durant les dernières élections présidentielles, Moubarak a cru que son concurrent Ayman Nur pourrait à l’avenir être un concurrent de taille, c’est pourquoi ce dernier est maintenant en prison. Nous vivons sous une dictature, aucune démocratisation de l’Egypte ne sera possible sous Moubarak. L’état d’urgence (loi renouvelée tous les 3 ans) est appliqué en permanence depuis 26 ans. De plus, pour entériner les pouvoirs exceptionnels de la police, la constitution a été amendée pour inclure un article sur la lutte contre le terrorisme, en faisant ainsi un principe constitutionnel. Les pouvoirs exceptionnels sont donc devenus constitutionnels. Tout ceci se passe suite à la bonne performance des Frères Musulmans au Parlement ; ils ont maintenant 88 élus. Pour empêcher qu’une telle expression démocratique se reproduise, Moubarak a changé la loi. Ainsi, aux dernières élections récentes du conseil consultatif [3], les Frères Musulmans n’ont eu cette fois qu’un élu. Nous sommes bien face à un régime dictatorial. Les américains ont fait beaucoup de battage autour de la question de la démocratie en Égypte, mais l’objectif était de mettre davantage de pression sur Moubarak pour qu’il soit plus fidèle aux US, ce qu’il a fait, et depuis les US s’accommodent très bien de ce dictateur.

La dernière conférence du Caire s’est transformée en un festival de solidarité avec le mouvement de grèves égyptien. Comment le mouvement anti-guerre a-t-il influé sur cette nouvelle vague démocratique en Égypte ?

La conférence du Caire fut co-organisée par trois groupes distincts : les socialistes, les Frères Musulmans et les Nasséristes. La conférence fut organisée pour protester contre la guerre en Irak. En amont, il y avait eu de nombreuses autres conférences contre la guerre et l’impérialisme, pour les droits de l’homme et la démocratie. Le problème, selon moi, c’est qu’il n’y a pas assez de mobilisations et de travail unitaire d’une conférence à l’autre, pour connecter ces grands évènements entre eux. Symboliquement, la conférence du Caire était en effet un festival de résistance, mais il nous faut oeuvrer plus sérieusement dans le sens de l’unité au jour le jour.
Notes

[1] La revendication principale du mouvement de décembre concernait des suppléments de salaire annuels (deux mois de salaires). Elle avait été en partie satisfaite suite au mouvement de décembre : le gouvernement avait promis de négocier moyennant un arrêt du mouvement.

[2] L’organisation du mouvement à la base, par le biais de comités de grèves, permettrait de construire une alternative aux représentants.

[3] L’une des deux chambres parlementaires, sans pouvoir, dont 40 % des membres sont désignés par le président. L’assemblée du Peuple (88 élus).

Messages

  • A lire aussi : Courriers sur la vague de grève ouvrière en Egypte

    Lire ici

  • Rosa Luxemburg.

    " Tantôt la vague du mouvement envahit tout l’Empire [Russe], tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux ; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l’une sur l’autre, c’est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants".

  • Déjà en 2005....

    Dans un certain nombre d’usines, en particulier, la nouvelle Loi sur le Travail, puis la nouvelle vague de privatisations mise en oeuvre par le régime à l’automne 2004 ont donné naissance à des réactions de travailleurs menacés notamment de perdre leur emploi, ou bien frappés d’une baisse de salaire, par exemple par le non-paiement d’une prime attendue, alors qu’au même moment, les patrons bénéficiaient de l’allégement de l’impôt sur les sociétés.

    En un an, 172 entreprises et une banque ont ainsi été privatisées et vendues à prix d’ami, entraînant des dizaines de milliers de suppressions d’emplois. Les dirigeants de ces entreprises, pas forcément petites, peuvent décider brusquement de les fermer pour transférer ailleurs leurs capitaux, jetant sur le pavé une partie des travailleurs ou simplement cessant de les payer sous d’obscurs prétextes financiers.

    Le mécontentement ouvrier s’est sans doute d’autant plus exprimé que la période électorale de l’automne 2005 était proche et que le régime devait faire face à l’expression d’autres formes de mécontentements, y compris dans d’autres couches de la société. Un grand nombre de luttes sont sans doute restées complètement méconnues. Mais un certain nombre de mouvements de protestation, de grèves ou d’occupations, ont pu parvenir à la connaissance de l’opinion, en Égypte ou à l’étranger.

    Ainsi, au printemps dernier à Qalyoubia, une zone industrielle située au nord-ouest du Caire, un mouvement de protestation s’est fait jour contre la privatisation de l’usine textile Esco. Il a duré trois mois. En septembre 2004, l’usine avait été vendue, sans que les 450 travailleurs, pourtant collectivement titulaires de 10 % de parts de l’entreprise, en soient même informés. Le nouveau patron refusait de payer les primes, partie importante du salaire ouvrier, et faisait peser des menaces sur la retraite et l’emploi.

    Des groupes de travailleurs ayant déclenché un mouvement de grève, celle-ci fut déclarée illégale par le syndicat officiel, affilié à la confédération pro-gouvernementale GFTU, au cours d’un sit-in que les ouvriers avaient organisé deux jours durant devant l’immeuble du syndicat au centre ville du Caire. Ensuite, ce fut le patron qui déclara lui aussi les revendications ouvrières « inacceptables ».

    Pendant sept semaines, les grévistes s’établirent devant l’usine, cernés par les forces de police qui, à certains moments, les empêchèrent même d’aller se ravitailler en nourriture, attitude que certains grévistes dénoncèrent en entamant une grève de la faim. Finalement, le patron dut céder, requalifia certains contrats saisonniers et accorda à certains travailleurs licenciés 10 000 livres (environ 1 500 euros) pour leur mise à la retraite anticipée et le paiement de trois mois d’arriérés de salaires.

    Ailleurs, des journées de grève ont été décidées pour obtenir une prime permettant de compenser la faiblesse des salaires. Ainsi à l’usine textile Misr Al-Menoufiya, employant 1000 ouvriers dont près d’un tiers de femmes, un mouvement de trois jours a été déclenché en août dernier : le salaire moyen étant de 200 livres égyptiennes (environ 30 euros), un tiers des ouvriers ne touchent que 130 livres et n’ont reçu aucune augmentation depuis 1979. Depuis six ans, aucune prime d’aucune sorte n’a été versée.

    D’autres secteurs ont été touchés, comme les transports à Alexandrie, où les travailleurs ont obtenu le paiement de leurs retards de salaires, la Pêcherie égyptienne, où le projet de privatisation a été bloqué, ou bien la Compagnie égyptienne d’éclairage, citée par le journal Al Ahram, où les travailleurs ont occupé leur usine et l’ont fait fonctionner eux-mêmes six mois durant.

    Les ouvriers de l’entreprise des Ciments Torah, qui devait être rachetée par la multinationale des Ciments français, ont fait un sit-in pour exiger des garanties de salaires, jusqu’à ce que le gouvernement repousse l’offre de l’acheteur. Une nouvelle offre, présentée quelque temps plus tard, incluait un engagement au minimum de trois ans sans licenciements collectifs ainsi que la promesse de primes dans le prochain semestre.

    D’autres grèves ont été signalées, par exemple à la Société de projets industriels à Nasr-City, où un millier d’ouvriers ont réclamé la démission du directeur, accusé de n’avoir pas versé deux mois de salaires et d’avoir détourné les cotisations sociales, ou bien à la Société arabe d’aluminium à Ismaïlia, pour l’obtention d’une allocation sociale due et non versée.

    Outre les privatisations, les patrons ont saisi d’autres prétextes pour licencier des travailleurs sans autre forme de procès : l’usine de production de matériaux de construction à base d’amiante, Ora-Misr, a ainsi fermé ses portes à la suite d’un décret gouvernemental de septembre 2004 interdisant - bien tard ! - l’usage de cette substance dangereuse. Le richissime propriétaire a tout simplement licencié l’ensemble des ouvriers, sans se soucier ni de savoir de quel revenu ils disposeraient, ni d’indemniser les dommages irrémédiables causés à leur santé par l’amiante. Mais ceux-ci ont, des mois durant, lutté pour obtenir un minimum de compensations financières.

    Ainsi, le desserrement relatif de l’emprise de la dictature semble au moins amener un certain nombre de travailleurs à oser exprimer leurs revendications et lutter pour celles-ci, sans risquer immédiatement une répression violente et l’emprisonnement. C’est évidemment un fait positif, même si le contexte général est, en revanche, celui d’une régression politique et sociale.

  • Fin 2006, un conflit social dans la ville de Mahalla al-Kobra centrée sur l’industrie textile18 allume l’étincelle et entraîne un tournant majeur. Les femmes en sont à l’origine. Un problème salarial se transforme en conflit global, une confrontation s’engage avec le comité syndical officiel, hostile, posant la question de sa dissolution et de son remplacement par un syndicat indépendant. Des promesses n’ayant pas été tenues, un préavis de grève est déposé pour le 6 avril 2008. La colère enfle qui concerne le salaire minimum, le droit de créer un syndicat, et qu’attisent la rareté du pain subventionné et la hausse du prix des denrées alimentaires. La protestation devient opposition : le portrait d’Hosni Moubarak est déchiré. La répression s’abat sur la ville. De jeunes contestataires cairotes lancent, via les réseaux sociaux, un appel à une grève générale de solidarité. Malgré son échec, c’est l’acte de naissance du « mouvement du 6 avril » qui appellera à la manifestation le 25 janvier 2011.

    Les protestations sociales s’accentuent avec en parallèle l’affirmation d’un syndicalisme indépendant qui prend de l’ampleur, sans devenir massive. Des secteurs en lutte s’émancipent avec la fondation de syndicats autonomes.
    L’épisode le plus décisif est la naissance de l’Union générale indépendante des travailleurs de l’autorité de la taxe foncière fondée en 2008 à la suite de la grève de décembre 2007 pour
    l’égalité des salaires avec l’agence des impôts. Le comité supérieur qui dirige le mouvement s’oppose aux autorités, au syndicat officiel et à la FGSTE. Une augmentation de salaire de 32% est obtenue. Les structures de la grève poursuivent leur action en faveur d’un syndicat autonome. Une nouvelle bataille débute pour obtenir la reconnaissance légale.
    De nouveaux secteurs s’engagent dans cette brèche. Des syndicats autonomes de retraités (2008), d’enseignants (2008) et de techniciens de la santé (décembre 2010) apparaissent. La
    structuration progresse19. D’autres initiatives et expériences s’affirment tel le comité préparatoire pour le congrès des ouvriers d’Égypte. La mouvance autonome élabore un projet de loi syndicale. La question des libertés syndicales est mise en avant avec une large campagne. Les conflits sociaux prennent de l’ampleur. Face à cette intense agitation sociale, le gouvernement a lâché du lest, ainsi en triplant en novembre 2010 le salaire minimum mensuel, majoré à 400 livres égyptiennes par mois. Joel Beinin indique que deux millions
    d’ouvriers ont mené plus de 3 500 actions collectives au cours des années 1998-2010.

    À partir du 25 janvier 2011, les manifestations se développent sur l’ensemble du territoire égyptien même si la place Tahrir incarne le mouvement, symboliquement et politiquement. D’importants conflits sociaux éclatent à partir du 7 février. Cela touche un large éventail de secteurs (textile,
    pétrole, pharmacie, transports, services généraux, télécommunications, postes, commerce, santé, fonctionnaires, arsenaux…) et de localités (Le Caire, Alexandrie, Mansoura, Mahalla, Beni Soueif, la zone du canal où circule environ 10% du commerce international). Les griefs sont économiques et parfois syndicaux. Plus rarement, les travailleurs avancent des revendications politiques24. L’agitation touche aussi les campagnes avec des manifestations paysannes ou des affrontements dans les oasis de la nouvelle vallée.
    Le 30 janvier 2011, les syndicats indépendants lancent au cours d’une conférence de presse qui se tient sur la place Tahrir une fédération indépendante appelant les travailleurs à former
    des comités de défense dans les entreprises et lançant un mot d’ordre de grève générale pour le lundi 31 janvier. Elle demande aussi la chute du président et la levée de l’état d’urgence. Ces protestations sociales s’avèrent importantes voire décisives. Le pays est sous tension, notamment les 8, 9 et 10 février. Le vendredi 11 février 2011, le président Moubarak est « sacrifié » et renonce au pouvoir.

  • La chute d’Hosni Moubarak a d’importantes et multiples répercussions sur le plan social. Conscients que la brèche est ouverte, les travailleurs égyptiens s’y engouffrent mais les syndicats leur disent qu’il s’agit seulement d’affirmer leurs revendications. Une vague énorme de luttes sociales se propage sur l’ensemble du territoire sous la forme de grèves, manifestations ou sit-in d’ouvriers, d’employés, de paysans.

    Outre les motifs économiques classiques, s’expriment aussi des demandes de renvoi de responsables d’usine, des dénonciations pour mauvaise gestion ou corruption. Leur rythme connaît une pointe en mars-avril, notamment dans le textile, les transports ou la zone du canal sans pour autant que cesse le trafic maritime.

    Malgré les mises en garde de l’armée, les grèves et les protestations se poursuivent. Pour endiguer le mouvement, le
    CSFA élabore le décret n°34, le 23 mars 2011, qui interdit les grèves, les manifestations, les sit-in et les rassemblements et prévoit des peines allant jusqu’à un an de prison et une amende d’au moins 100 000 livres (12 500 euros). La police militaire intervient aussi dans les conflits.

    Mais cela n’y change absolument rien. Les conflits se poursuivent. Sur le plan politique, les syndicats se limitent à l’exigence de démocratie, et les revendications portent sur des réformes et des décisions en faveur des travailleurs et de leurs droits syndicaux. Les ouvriers de l’Autorité du canal de Suez débutent un long conflit avec grève, rassemblements, manifestations, sit-in, blocages de routes dans les villes de Port Said, Suez et Ismaïlia. Les travailleurs réclament l’intégration de 40% des primes dans le salaire de base, une augmentation de 7% des salaires et une hausse de la prime de repas. La démission du président de l’Autorité du canal de Suez est en jeu.

    Les secteurs et les localités touchés sont si nombreux qu’il reste difficile d’en dresser la liste exhaustive. Les autorités veulent poursuivre les grévistes et les faire juger par des tribunaux militaires qui poursuivent déjà des manifestants. Le 29 juin 2011, le tribunal militaire de Madinet Nasr (Le Caire) condamne à un an de prison avec sursis cinq ouvriers de la compagnie pétrolière Petrojet, pour avoir participé devant le ministère du Pétrole à un sit-in contre des licenciements. Le 3 juillet, cinq travailleurs de l’Autorité du canal en grève sont interrogés par le procureur militaire.

    Les autorités font aussi des concessions par secteur, par exemple dans le cas emblématique de Mahalla, la santé ou la poste. Ces actions, largement spontanées et indépendantes des groupes militants, obtiennent une série de victoires sur leurs revendications ou dans leur rejet des anciennes directions syndicales. Des syndicats indépendants se forment. Dans de nombreux endroits les syndicats officiels sont dénoncés et leur dissolution exigée.

    Le premier mai, les syndicats indépendants manifestent place Tahrir alors que la FGSTE rend hommage aux martyrs de
    la révolution lors d’une cérémonie organisée sous le patronage du maréchal Hussein Tantawy, chef du CSFA. Une
    manifestation devant le siège de la FGSTE regroupe quelques milliers de personnes. Des manifestants tentent de pénétrer dans
    les locaux et exigent que la fédération soit dissoute et son président chassé. Les principales revendications concernent
    l’adoption d’une nouvelle loi du travail légalisant la formation de syndicats indépendants et établissant un salaire minimum et
    un salaire maximum.
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    Document

    L’armée tente en vain d’arrêter la grève des travailleurs du canal. Elle intervient, tirant à balle réelle et en l’air le 19 juin à
    Suez. La veille à Ismaïlia, un officier a fait de même pour empêcher les grévistes d’envahir le bâtiment de l’administration
    de l’Autorité du canal de Suez. Les travailleurs de l’Autorité du canal de Suez sont 8 600 et appartiennent à sept entreprises du
    secteur public. Signé le 19 avril 2011, un accord qui prévoyait l’intégration de 40% des primes dans le salaire et 7% de hausse
    des salaires n’est pas encore appliqué au premier juin comme il était prévu. Seule, une augmentation de l’indemnité de repas de
    2 livres (0,25 euros) au lieu de 4 est obtenue. La grève se poursuit.

    Ces grèves représentent une véritable rupture. Leur caractère massif en atteste. Les autorités tergiversent sur les principales questions (législations sociales, FGSTE…). Le patronat résiste, arguant de difficultés de trésorerie, notamment pour le salaire minimum. Face à la monté des protestations et leur impact en parallèle des manifestations politiques, les autorités cherchent à obtenir une stabilisation et sont de plus en plus autoritaires face aux mobilisations. Le ton des manifestations change. Les travailleurs demandent la fin de la nomination de militaires à la tête des départements de ministères, l’arrêt des jugements de civils par des tribunaux militaires, l’abrogation du décret antigrève, la dissolution de la FGSTE, un salaire minimum de 1 200 livres (140 euros) et un salaire maximum ne dépassant pas quinze fois le salaire minimum, l’indexation des salaires sur les prix.
    La vague de grèves de septembre implique particulièrement les secteurs de l’enseignement, les transports publics, la poste, les raffineries de sucre, les médecins. De nombreuses grèves spontanées éclatent. Les résistances se poursuivent, même si elles sont moindres pendant la période des élections législatives qui s’étalent de novembre à début janvier.
    Les perspectives budgétaires s’avèrent défavorables aux travailleurs. Le 4 janvier, un décret réduit les dépenses de l’État de 14,3 milliards de livres (1,8 milliard d’euros). Les salaires des agents du secteur public sont affectés avec une réduction de 4 milliards de livres (500 millions d’euros). Trois milliards de livres supplémentaires (375 millions d’euros) sont prélevés sur les réserves salariales. Les autorités envisagent de réduire de 10% les primes du public, ce qui signifie une réduction de quelque 8% des salaires : les primes et les indemnités constituent en effet environ 80% d’un revenu du secteur public.
    L’augmentation de 10% des retraites des fonctionnaires prévue pour le 1er janvier 2012 est reportée. Une réduction des subventions et une augmentation des taxes sont décidées.

    Depuis le 25 janvier 2011, l’Égypte vit une période d’intensification des conflits sociaux par rapport à 2007-2008, mais jamais la question ouvrière n’est posée par les syndicats sur le plan politique, par un programme de transformation de la société…

  • Les luttes dépassent les secteurs classiques pour s’étendre au privé et même au secteur informel, sans oublier les campagnes. Les plus importantes ont été celles des employés de l’autorité des transports en février et en septembre-octobre, la grève du textile de Mahalla en février, la grève générale des médecins en mai et celle des enseignants en septembre.

    Tout cela se déroule dans un pays où les grèves ont été interdites et où les médias, notamment les télés et les journaux officiels, entretiennent une vive hostilité envers les conflits sociaux, s’exprimant selon des registres allant du très violent au plus subtil. Jano Charbel souligne l’apparition d’un nouveau vocabulaire comme le terme « corporariste ». Les conflits sociaux représenteraient une menace pour l’économie du pays, la stabilité politique et/ou un danger pour la révolution. On les compare à une « fitna » (sédition). L’argument du coût économique est souvent utilisé. Les conflits ralentiraient le rythme de la production et feraient fuir les touristes. Certains appellent à l’arrêt pour un an des conflits corporatistes (« ihtigagat fi’awya ») ou demandent une pause (hodna). Des voix minoritaires expriment un avis différent : ainsi, Wael Gamal rejette l’accusation de corporatisme et souligne le rôle des grèves dans la révolution et sur le chemin de la démocratie.
    L’année 2011 est cependant marquée par une série d’avancées, notamment la reconnaissance publique du pluralisme syndical. Les milieux syndicaux autonomes sont associés au « dialogue social » initié par les autorités pour le changement de la loi syndicale 35 de 1976. Et les syndicats acceptent le dialogue avec le pouvoir militaire mais jamais ne s’adressent à l’ensemble de la population pour placer le prolétariat en tête de la lutte…

  • Le mouvement syndical en plein essor s’inscrit dans l’ensemble des mobilisations. La naissance de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (FESI) sur la place Tahrir est plus que symbolique. La participation aux manifestations se fait d’abord et surtout sur une base individuelle. Les syndicats, les unions, les regroupements ouvriers s’y joignent sans peser de manière significative. Ils appellent aux grèves et aux manifestations. Toutefois, aucune grève n’exige que les militaires quittent le pouvoir.

    Les syndicats prennent position sur les questions générales mais surtout sur les dimensions sociales et économiques de la question démocratique, singulièrement, les libertés syndicales et le futur cadre légal. Ainsi, la FESI critique le gouvernement pour sa politique d’austérité. Les revendications du mouvement social ont trait à des motifs économiques (salaire minimum, échelle des salaires, assurances chômage, CDI, contrôle des prix, retour des entreprises privatisées à l’État…) et aux libertés syndicales (droit de grève et de manifester, dissolution et confiscation des biens de la FGSTE, « un des plus grands symboles de la corruption de l’ancien régime »).

    Pour le 11 février, plus de 200 syndicats représentant 2 millions appellent à la grève générale lancée par les jeunes révolutionnaires. Sur le terrain, la mobilisation est inégale, mais certaines fédérations se montrant réticentes à l’égard de cette initiative. Son échec patent témoigne tant de la fragilité du mouvement en cours de construction que de la difficulté pour des réseaux syndicaux à intervenir sur un terrain directement politique.

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