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Discours de Jaurès : Le Congrès de Stuttgart et l’antimilitarisme (1907)

samedi 13 avril 2024, par Alex

Ce texte est une explication donnée par Jaurès, à une réunion appelée par la Fédération de la Seine du Parti socialiste, de la Résolution relative au "Militarisme et aux Conflits internationaux" adoptée au Congrès international de Stuttgart - 16-24 août 1907- de l’Internationale Socialiste.

Ce discours est d’actualité. Tous ceux qui se réclament de Jaurès, et/ou du mouvement ouvrier, et/ou de Lénine, et/ou de Rosa Luxemburg (qui tous deux comme Jaurès soutinrent cette résolution au Congrès de Stuttgart), devraient sortir ce texte de l’oubli, le diffuser et en discuter largement.

La version de ce discours suit celle du livre "Jaurès — Rallumer tous les soleils", éditions Omnibus, 2006. Les textes de ce recueil sont choisis par l’anticommuniste J-P Rioux, hostile au socialisme ouvrier, dont les commentaires ont malheureusement peu d’intérêt.

Avant de donner la version de Jaurès, citons donc plutôt le commentaire de Lénine concernant la même résolution sur l’antimilitarisme :

La dernière journée du congrès a été consacrée à une question que tous attendaient avec un grand intérêt, celle du militarisme. Incapable de faire la relation entre la guerre et le régime capitaliste en général et d’établir un lien entre la propagande antimilitariste et l’ensemble du travail des socialistes, le fameux Hervé s’est fait le défenseur de conceptions indéfendables. Le projet d’Hervé de « répondre » à toute guerre par la grève et l’insurrection a montré combien son auteur était inapte à comprendre que l’emploi de tel ou tel moyen de lutte ne dépendait pas d’une décision prise au préalable par les révolutionnaires, mais des conditions objectives de la crise, tant politique qu’économique, provoquée par la guerre.

Mais si Hervé, se laissant entrainer a des phrases ronflantes, a fait preuve d’une légèreté et d’un manque de réflexion évidents, c’eut été avoir la vue bien courte que de lui opposer le seul énoncé dogmatique des vérités générales du socialisme. C’est pourtant ce qu’a fait notamment Vollmar (Bebel et Guesde n’ont pas été absolument purs de ce péché). Avec la singulière fatuité d’un homme épris de parlementarisme stéréotypé, il s’est attaqué à Hervé sans remarquer que sa propre étroitesse d’esprit et sa raideur opportuniste obligent à trouver dans l’hervéïsme une pointe de fraîcheur et de nouveauté, en dépit de l’absurdité théorique et de la stupidité avec laquelle Hervé posait le problème. Il peut se produire, en effet, qu’à un tournant du mouvement des absurdités théoriques recèlent une part de vérité pratique. Et cet aspect de la question, l’appel à ne pas se contenter des seuls moyens parlementaires de lutte, l’appel à l’action en tenant compte des conditions de la guerre future et des crises futures, furent mis en relief par les social-démocrates révolutionnaires et, en particulier, par Rosa Luxemburg dans son discours.

De concert avec les délègues de la social-démocratie russe (Lénine et Martov intervinrent dans le même sens sur cette question) Rosa Luxemburg proposa des amendements à la résolution de Bebel, amendements qui mettaient l’accent sur la nécessité de mener la propagande parmi les jeunes, la nécessité de mettre à profit la crise engendrée par la guerre pour accélérer la chute de la bourgeoisie, la nécessité inévitable de prévoir un changement des méthodes et des moyens de lutte à mesure que s’aggraverait la lutte de classe et qu’évoluerait la situation politique. La résolution de Bebel, à l’origine dépourvue de vie, unilatérale parce que dogmatique et influencée par les interprétations proposées par Vollmar, finit ainsi par se transformer en une toute autre résolution. Toutes les vérités théoriques y étaient reprises pour l’édification des partisans d’Hervé, trop prompts à oublier le socialisme par zèle antimilitariste. Cependant, ces vérités ne doivent pas aboutir à justifier le crétinisme parlementaire, ni à consacrer les seuls moyens pacifiques, ni à renoncer à la lutte en cas de situation relativement paisible et tranquille, mais à utiliser tous les moyens de lutte, à tirer parti de l’expérience de la révolution russe, à développer le côté créateur, efficace du mouvement.

Le journal de Clara Zetkin, que nous avons mentionné à plusieurs reprises, a précisément su saisir de manière très exacte ce caractère, qui s’avère comme le plus important et le plus remarquable de la résolution du congrès sur l’antimilitarisme. « Sur cette question également, dit Clara Zetkin à propos de cette résolution, l’énergie (Tatkraft) révolutionnaire et la foi de la classe ouvrière dans sa combativité et dans sa vaillance ont fini par prendre le pas d’une part sur l’évangile pessimiste de notre impuissance et la tendance figée à s’en tenir aux vieilles méthodes exclusivement parlementaires de lutte, et d’autre part sur le gymnastique antimilitariste simpliste de Français à demi anarchistes du genre d’Hervé. La résolution finalement adoptée à l’unanimité, tant par la commission que par la presque totalité des 900 délégués de tous les pays, traduit en termes énergiques l’essor gigantesque du mouvement ouvrier révolutionnaire depuis la tenue du précédent congrès international ; la résolution souligne comme principe de la tactique prolétarienne sa souplesse, son aptitude à se développer, à devenir plus acérée (Zuspitzung) à mesure que les conditions en viennent à maturité. »

Si l’hervéïsme a été réfuté, ce n’est pas au profit de l’opportunisme, ni du point de vue du dogmatisme et de la passivité. Le prolétariat international a ressenti un vif désir de recourir à des nouvelles méthodes de lutte toujours plus résolues, désir qu’il a replacé dans le contexte de l’aggravation des contradictions économiques, dans le contexte des conditions des crises engendrées par le capitalisme.

Ce n’est pas une vaine menace à la Hervé, mais une claire conscience de l’inévitabilité de la révolution sociale, une ferme volonté de mener la lutte jusqu’au bout et d’utiliser les moyens de lutte les plus révolutionnaires qu’on peut lire dans la résolution du congrès socialiste international de Stuttgart sur la question du militarisme.

L’armée du prolétariat grandit dans tous les pays. Sa conscience, sa volonté et son unité se font d’heure en heure plus fortes. Et le capitalisme se charge, lui, de multiplier les crises dont cette armée ne manquera pas de tirer profit pour l’abattre.

Lénine, Le congrès socialiste international de Stuttgart

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Dsicours de Jaurès

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Citoyennes et citoyens,

Ce n’est pas toute l’oeuvre du Congrès de Stuttgart que je veux, ce soir, analyser et commenter devant vous. Cette oeuvre a été multiple et vaste ; elle a porté sur bien des objets importants ; je ne veux retenir ce soir que les débats, que les décisions relatifs à l’antimilitarisme, et encore, ce n’est pas tout le problème de l’antimilitarisme qui a été examiné à fond au Congrès de Stuttgart ; celui-ci a laissé de côté cette fois-ci l’aspect intérieur de la question et il s’est appliqué surtout à étudier les moyens de prévenir et de résoudre les conflits internationaux.

La décision qu’il a prise à cet effet, les indications qu’il a données dans ce but à l’ensemble du prolétariat constituent un événement historique de premier ordre ; mais jamais, citoyens, un grand événement de l’histoire n’a été aussi dénaturé que celui-ci, aussi obscurci et déformé par la calomnie, par la légèreté, par l’ignorance, par la mauvaise foi.

Les uns ont dit que la résolution du Congrès de Stuttgart était un monument d’équivoque ; les autres ont prétendu que nous, socialistes français, nous avions reçu de l’Internationale, et en particulier des socialistes allemands, une humiliante leçon de patriotisme.

Tout cela n’est pas vrai : d’une part, la résolution du Congrès de Stuttgart est admirablement précise, significative et claire, et, d’autre part, elle est en conformité absolue, en harmonie parfaite avec la pensée du Parti socialiste français, avec la résolution que nous avions prise sur le même sujet dans notre Congrès de Limoges, et que nous avions confirmée à la veille même du Congrès international, dans notre Congrès national de Nancy.

Qu’a dit, citoyens, qu’a proclamé le Congrès international de Stuttgart ? Il a proclamé deux choses : il a proclamé d’abord l’indépendance de toutes les nations, que la liberté de toutes les patries était inviolable et que partout les prolétaires devaient s’organiser pour défendre contre toute violence et toute agression l’indépendance nécessaire des nationalités, et, en même temps qu’il proclamait cette inviolabilité, cette intangibilité des nations, le Congrès international affirmait le devoir des prolétaires de tous les pays de s’organiser pour maintenir la paix. Maintenir la paix pour mettre précisément les nations à l’abri des surprises et des coups de force, maintenir la paix pour empêcher les diversions sanglantes des despotes et des privilégiés… maintenir la paix pour sauver le prolétariat universel de l’horrible épreuve et de l’horrible crime d’une guerre mettant aux prises les frères de travail et de misère du monde entier. (Vifs applaudissements)

Le Congrès international a donc proclamé deux vérités indivisibles, deux vérités indissolubles : la première, c’est que les nations autonomes avaient le droit et le devoir de maintenir énergiquement leur autonomie ; la seconde, c’est que pour empêcher les chocs funestes, pour empêcher les rencontres sanglantes où saigneraient, plus que les veines, la conscience du prolétariat, le devoir des travailleurs était d’empêcher les guerres, et non pas, vous m’entendez bien, par de simples malédictions de paroles, non pas par des gémissements stériles, non pas par des anathèmes impuissants : l’Internationale a dit aux prolétaires qu’ils n’avaient pas le droit, qu’ayant grandi, ils n’avaient pas le droit d’assister, gémissants et inertes, aux guet-apens des despotes et des capitalistes contre la paix, mais qu’ils devaient, par toute l’énergie de leur action – action parlementaire ou action révolutionnaire – écraser dans leur germe les guerres funestes.

(Applaudissements)

Et pour ceux qui connaissent un peu l’histoire de notre Parti, c’est l’évidence même : ce que l’Internationale a proclamé à Stuttgart, c’est précisément ce que le Parti socialiste français avait proclamé lui-même et à Limoges et à Nancy. Lorsque Vandervelde, rapporteur du Congrès international, disait d’abord que l’Internationale ne serait pas une masse informe, une bouillie de nations décomposées, mais la libre et harmonieuse fédération de nations autonomes, lorsqu’il disait que la liberté et l’originalité des patries était nécessaires à la croissance du prolétariat et à la richesse variée du génie humain, lorsque Bebel, dans la commission, rappelait que lorsqu’une nation a été opprimée, les prolétaires de cette nation sujette sont si prodigieusement hantés, comme les prolétaires de Pologne, par la volonté de ressusciter leur peuple, qu’ils ne peuvent plus porter toute leur activité sur l’émancipation directe du prolétariat lui-même ; lorsque Bebel ajoutait que si une nationa, en quelque circonstance que ce fût, renonçait d’avance à se défendre, elle ferait le jeu des gouvernements de violence, de barbarie et de réaction ; lorsque Vandervelde et Bevel disaient cela, ils ne faisaient que reproduire dans l’Internationale ce qu’avait dit Limoges, ce qu’avait dit Nancy et ce que moi-même, dans les libres controverses de notre Parti, j’ai objecté souvent à Hervé.

Ah ! citoyens, je peux sans embarras, devant vous, parler de l’hervéisme ...

UNE VOIX.— Il n’existe pas ! (Protestations, interruptions diverses)

UNE AUTRE VOIX.— Vive Hervé !

M. JAURES.— La première marque des esprits libres, c’est qu’on puisse parler avec modération et sincérité de tout homme et de toute chose ... (Applaudissements).

Je disais donc que je peux même sans embarras parler devant vous de l’hervéisme, car si je fais, sur une partie des formules et des doctrines d’Hervé, les réserves qui me paraissent nécessaires, personne, parmi vous, j’en suis sûr, n’imputera mon langage à timidité ou à calcul électoral... Depuis seize ans, j’ai vécu dans une nuée d’outrages, avec de rares éclaircies...(Rires). je suis donc habitué à ces choses et je ne puis pas vous dire à quel point je méprise les indignations patriotiques de la plupart de nos contradicteurs. Si donc j’étais convaincu que, dans les doctrines et dans les formules d’Hervé, il n’y a que vérité ...

QUELQUES VOIX. — Bravo !

M. JAURES.— Ah ! prenez garde, citoyens, vous êttes en train de me comprendre presque aussi bien que nos adversaires ... (Rires.) Je disais donc—et je le disais au conditionnel : si j’étais convaincu que dans les doctrines d’Hervé, il n’y a que vérité, quels que fussent les outrages, quels que fussent les anathèmes, quels que fussent les périls, je le dirais. J’ajoute même que, pour faire des réserves sur les affirmations d’Hervé, j’ai besoin d’oublier de quelles attaques nous sommes l’objet (Mouvements divers).

Je dis donc que, dès le début, parlant au peuple de Paris, au lendemain du jour où, dans cette salle même, Hervé avait lancé pour la première fois ses formules les plus retentissantes, j’ai déclaré d’emblée que, dans un parti d’avant-garde, dans un parti de mouvement, qui prétendait renouveler le monde, il ne fallait avoir peur d’aucune formule et d’aucune idée, il ne fallait procéder par aucune excommunication, mais discuter, analyser, pour retenir la part de vérité contenue dans le paradoxe et laisser peu à peu tomber le reste, sous la seule action de la raison (Vifs applaudissements).

Citoyens, l’expérience a démontré que cette méthode était la bonne : l’hervéisme se composait de deux éléments : d’une part il faisait appel, avec une vigueur croissante, à l’énergie organisée des prolétaires pour combattre le militarisme et la guerre, et cette partie de l’hervéisme qui était solide, qui était saine, elle est restée et je n’ai aucun embarras à reconnaître que c’est en partie à l’activité d’Hervé que nous devons que la question ait été posée aussi nettement et aussi brutalement qu’elle l’a été (Applaudissements).

Mais, comme il arrive toujours ou presque aux hommes hantés par une pensée, il a négligé une partie du réel et il n’a pas tenu un compte suffisant du fait des nationalités et de la nécessité, pour le prolétariat universel, de défendre, de maintenir l’autonomie des nations. Je n’y insiste pas, citoyens, car lui-même a reconnu, à Nancy, qu’il avait donné à sa pensée, pour qu’elle entre mieux dans les esprits, une forme trop simple et trop unilatérale.

Oui, il est impossible aux prolétaires de se désintéresser de l’indépendance des nations dans l’état présent du monde. L’unité humaine se réaliserait dans la servitude si elle résultait de l’absorption de toutes les nations vaincues par une nation dominatrice ; l’unité humaine ne peut se créer dans la liberté que par la fédération des nations autonomes.

Hervé dit — il l’a répété ces jours-ci — que toutes les patries, au moins celles qui sont arrivées à peu près au même moment de l’évolution, se valent… C’est possible ; mais c’est précisément parce qu’elles se valent qu’aucune n’a le droit d’asservir les autres… Les anciens disaient : Plaignez l’esclave, car il n’a que la moitié de son âme… Eh bien ! il en est ainsi des nations esclaves, des nations serves : leur âme est mutilée, leur génie est incomplet et nous avons besoin, pour la grande œuvre de libération ouvrière et d’organisation humaine, que tous les cerveaux aient toute leur puissance, que tous les individus aient toute leur force de pensée et que toutes les nations aient leur force originale, leur génie et leur faculté propre de développement.

Le citoyen Hervé, à Nancy, n’a pas pu répondre à la question très simple que je lui posais et que je veux reproduire devant vous : supposez, lui disais-je, que par notre propagande, nous ayons affaibli en France le militarisme, supposez que nous ayons à ce point propagé les idées de paix, de solidarité internationale, qu’aucun gouvernement n’ose déchaîner une guerre de conquête ou d’agression, supposez que le gouvernement de la France, ayant reçu l’influence du socialisme, la pensée du prolétariat, dise au monde, dise nettement à tel gouvernement qui pourrait lui chercher querelle : je ne veux pas de la guerre, je ne veux pas d’humiliation, mais je ne veux pas de conflit violent. Il y a, entre votre gouvernement et nous, une querelle, un litige. Eh bien, ce litige, nous allons le porter devant des arbitres, nous allons le porter devant un tribunal international. Les peuples désintéressés prononceront et nous nous engagerons, nous, France, à accepter, à appliquer la décision des arbitres internationaux. Supposez, disais-je à Hervé, que le gouvernement de la France tienne ce langage et qu’un autre gouvernement dise : non ! je ne veux pas d’arbitrage, je veux en finir avec ce peuple agité et brouillon qui menace sans cesse le repos des puissances établies. S’il en est ainsi, que ferez vous ? Livrerez-vous à ce gouvernement de proie la France de liberté et de paix qui acceptera d’avance l’arbitrage ?...

UNE VOIX.— Et Algésiras, qu’en faites-vous ?

LE PRESIDENT.— Il y aura quelqu’un pour répondre à Jaurès s’il y a lieu... (mouvements divers).

M. JAURES.— Je n’outrage personne : je discute en homme libre et vous pouvez, les uns ou les autres, avoir sur ces redoutables problèmes le sentiment qui vous paraîtra le meilleur ; mais il y a une chose que nul ici, ni au-dehors, ne peut contester : c’est que les pensées que je résume là, sont précisément celles qui ont été formulées et par l’Internationale à Stuttgart, et par le Parti socialiste français à Limoges et à Nancy ?

Et en même temps le socialisme, socialisme français, socialisme international, se préoccupait de mettre au service de la liberté des nations des moyens de défense conformes au génie de peuples libres : plus d’armée de métier, plus d’armée de caste, plus de corps d’officiers aristocratiquement ou bourgeoisement recrutés et élevés à part dans des écoles closes : le peuple lui-même, le peuple en armes, le peuple organisé, le peuple formant ses milices, le peuple choisissant ses chefs, et ces chefs eux-mêmes pénétrés de science, pénétrés de démocratie, mêlés à la vie moderne. Voilà, en attendant l’heure du désarmement général, la forme de l’appareil militaire que l’internationale prescrit pour sauver l’indépendance des nations de toute agression extérieure, tout en empêchant les agressions et la domination de classe sur le peuple asservi. (Applaudissements).

Voilà la première affirmation essentielle du socialisme français comme du socialisme international. Mais plus les socialistes sont résolus à maintenir l’indépendance des nations, la liberté des patries, plus ils sont décidés à empêcher les fauteurs d’aventures, tous les individus de proie, toutes les classes de proie, d’exploiter le prétexte de l’intérêt national pour déchaîner les guerres. Voilà pourquoi la résolution de Stuttgart proclame contre le militarisme, contre la domination de la caste militaire et contre la guerre, la nécessité d’une politique d’action. Cette action, cette pensée d’action, elle se marque nettement dans la résolution de Stuttgart par trois traits essentiels.

D’abord, le socialisme international proclame que dès maintenant, — dès maintenant, vous m’entendez — même dans le chaos capitaliste, il est possible aux prolétaires, s’ils le veulent bien, de prévenir et d’empêcher la guerre.

Oh ! sans doute, la résolution de Stuttgart rappelle que la guerre est de l’essence du capitalisme et que la racine de la guerre ne sera arrachée que lorsque le capitalisme lui-même aura été déraciné. Oui, c’est la vérité socialiste. Oui, dans le monde capitaliste, il y a guerre permanente, éternelle, universelle, c’est la guerre de tous contre tous, des individus contre les individus dans une classe, des classes contre les classes dans une nation, des nations contre les nations, des races contre les races dans l’humanité. Le capitalisme, c’est le désordre, c’est la haine, c’est la convoitise sans frein, c’est la ruée d’un troupeau qui se précipite vers le profit et qui piétine des multitudes pour y parvenir. (Applaudissements).

Oui, le capitalisme et la guerre sont liés, mais l’Internationale ne veut pas que nous attendions passivement, endormis à moitié sur un oreiller doctrinal, la chute du capitalisme pour combattre la guerre. Et la résolution de Stuttgart, après avoir dit que la guerre étant de l’essence du capitalisme, ne périra substantiellement qu’avec le capitalisme même, ajoute (et ces mots sont empruntés à la motion première proposée par Bebel, la résolution de Stuttgart), ajoute « Ou lorsque le fardeau en hommes et en argent que la guerre impose aux peuples leur aura paru si écrasant que les peuples secoueront ce fardeau. » Ainsi, si vous le voulez, ouvriers et prolétaires de tous les pays, si vous avez conscience et de votre devoir et de votre force, si vous savez être unis, si, aux crises décisives de l’histoire, vous savez jeter dans les événements l’héroïsme par lequel vos pères ont conquis les premières libertés, — alors, même aujourd’hui, même dans le monde du capital et du désordre, même dans le monde des rois, des empereurs, des états-majors et des grands bourgeois, vous pouvez empêcher la guerre. (Approbation).

Oui, elle jaillit du capitalisme. Mais le capitalisme, il essaie aussi d’exploiter au maximum les ouvriers ; il tente de pousser le plus loin possible la durée de la journée de travail, d’avilir le plus possible les salaires. Et pourtant, pour réclamer des journées de travail plus courtes, pour réclamer des salaires plus hauts, vous n’attendez pas la fin, la chute du capitalisme, vous vous organisez dès maintenant contre le patronat. Et quand il emploie des jaunes, vous luttez pour empêcher l’action des jaunes, dans les grèves. De même, vous ne tolérerez pas, et l’Internationale proclame que dès aujourd’hui vous ne devez plus tolérer que la guerre vous dévore.

Vous pouvez, dès aujourd’hui, agir sur la marche des événements, sur les résolutions des hommes. Hors de vous, hors du prolétariat, les intérêts, — s’ils ont entre eu un lien de classe — sont divisés cependant, car l’effet du capitalisme, ce n’est pas simplement de diviser les sociétés, c’est de diviser les capitalistes eux-mêmes. Il est rare que tous les bourgeois, tous les capitalistes, tous les possédants grands ou petits, aient à la même heure le même intérêt précis. Au moment où je vous parle, il y a des flibustiers, il y a des journalistes de proie, il y a des banquiers d’audace, il y a des capitalistes cyniques qui rêvent au Maroc une grande expédition fructueuse. Mais pendant que cette écume des hautes classes capitalistes va allègrement vers les rivages marocains, il y a, même dans la bourgeoisie moyenne, même dans la petite bourgeoisie, même dans la démocratie paysanne qui n’est pas encore venue au socialisme intégral, il y a des millions d’hommes qui ne veulent pas que l’or et le sang de la France coulent pour ces aventures stériles et coupables. Seulement toutes ces volontés de paix, elles sont dispersées, elles sont disséminées, elles sont flottantes…

Ah ! comme elles deviendraient puissantes si elles trouvaient un centre organisé et clair de volonté pacifique ! Eh bien, ce centre de volonté pacifique, cette force de paix organisée, vigilante, c’est vous, prolétaires ouvriers, c’est vous salariés des cités industrielles, c’est vous, travailleurs socialistes, qui pouvez, qui devez le former. Et alors, c’est vous qui deviendrez les chefs du grand Parti de la paix et vous apparaîtrez au monde, non seulement comme les gardiens et les sauveurs de votre propre classe, mais comme les gardiens et les sauveurs de la civilisation elle-même. (Vifs applaudissements).
Il se trouve par une admirable fortune, qu’au moment où l’Internationale ouvrière proclame cette nécessité, cette efficacité de l’action immédiate contre la guerre, elle peut proposer aux hommes un moyen de paix qu’elle emprunte à nos adversaires eux-mêmes, aux gouvernements eux-mêmes.

Longtemps, le socialisme a tenu en défiance l’arbitrage international. Il avait ses raisons. Quand on a vu l’arbitrage et le désarmement proposés à la Conférence de La Haye par le tsar à la veille de la guerre contre le Japon et du massacre des ouvriers russes ; quand on voit combien de temps les plénipotentiaires réunis à la Haye emploient à ne pas aboutir et quand on constate que pendant qu’ils délibèrent au nom des gouvernements sur les moyens d’assurer la paix, les obus pleuvent sur Casablanca ; que la flotte américaine passe de l’Atlantique dans le Pacifique comme pour menacer le Japon ; quand les travailleurs voient tout cela, ils ont bien le droit de ne pas témoigner à l’arbitrage international, auquel s’essaie la bourgeoisie, un enthousiasme immodéré. (Approbation).

Notre ami Quelsch avait été peut-être un peu vif lorsqu’il a dit à Stuttgart, avec la belle franchise d’un peuple habitué depuis bien des générations à la liberté, que les diplomates de là-bas s’entendaient "comme larrons en foire". (Rires) Oui il a été un peu vif et le gouvernement allemand plein de sollicitude pour la courtoisie internationale le lui a fait bien voir. Mais, au fond, il traduisait les justes défiances de la conscience populaire.

Pourtant, citoyens, pourquoi donc les diplomates, pourquoi les délégués des gouvernements et les gouvernements eux-mêmes éprouvent-ils le besoin de donner au monde tous les trois ans cette représentation de paix ? Si c’est un jeu, c’est un jeu dangereux pour les gouvernants ; car à force de jouer sur un théâtre aussi en vue, la comédie de la paix, ils donnent envie aux peuples de monter un peux eux-mêmes sur le théâtre pour jouer, eux aussi, la même pièce, mais plus sérieusement. (Rires et applaudissements).

C’est, citoyens, ce qui est arrivé à Stuttgart. Les socialistes se sont dit : Si les gouvernants se croient obligés de monter périodiquement et de jouer la pièce de l’arbitrage, c’est parce qu’ils savent que les peuples veulent la paix ; que les prolétaires de tous les pays commencent à s’organiser pour la demander d’abord, pour l’imposer ensuite. Et les gouvernants se sont dit qu’ils valaient mieux qu’ils se hâtent de fabriquer une bonne petite paix à leur façon ... qui permettrait un certain nombre de guerres. (Rires et applaudissements), pour dispenser le prolétariat de créer fortement la réalité de la pax. Mais les prolétaires se sont dit : C’est là malgré tout un premier effet de notre action, un premier signe de notre puissance. Si le moraliste a dit que l’hypocrisie était un hommage rendu par le vice à la vertu, l’hypocrisie de la paix gouvernementale est un hommage à la volonté profonde de paix qui est dans la classe ouvrière internationale. (Applaudissements).

Alors, l’habileté élémentaire, le devoir élémentaire des travailleurs de tous les pays, c’est de prendre au mot les diplomates et les gouvernements. Messieurs les ministres, messieurs les gouvernants, messieurs les diplomates chamarrés d’or et revêtus de belles intentions, si vous voulez l’arbitrage international, nous aussi. Mais nous en voulons la vérité et nous allons prendre dans notre forte main de prolétaires la cause que vous servez si mal et que vous trahissez en prétendant la servir. Désormais, vous ne pourrez plus, vous gouvernants, nous dire à nous socialistes qui vous proposons la paix entre les peuples , que c’est une chimère, que c’est une utopie, puisque vous étudiez en ce moment à La Haye des règlements d’arbitrage obligatoire. Eh bien nous vous faisons l’honneur de vous croire. Oui, l’arbitrage international est possible, oui, la paix du monde est possible. Mais comme vous les gouvernants, vous êtes trop débiles pour l’établir, comme vous êtes sollicités entre le prolétariat qui veut la paix et des groupes de capitalistes qui ont intérêt à la guerre —ce que vous ne pouvez pas faire, nous le faisons et nous vous signifions dès maintenant que c’est par la volonté de l’internationale, que c’est par la volonté des ouvriers de tous les pays lassés de payer de leur sang vos rêves et vos crimes, que l’arbitrage international va s’établir.

Quand un litige commencera, nous dirons aux gouvernants : Entendez-vous par vos diplomates. Si vos diplomates n’y réussissent pas, allez devant les arbitres que vous avez désignés, vous-mêmes inclinez-vous devant eux ; pas de guerre, pas de sang versé : l’arbitrage de l’humanité, l’arbitrage de la raison. Et si vous ne le voulez pas, eh bien, vous êtes un gouvernement de scélérats, un gouvernement de meurtriers. (Vifs applaudissements.) Et le devoir des prolétaires, c’est de se soulever contre vous, c’est de prendre, c’est de garder les fusils que vous leur mettez entre les mais, mais non pas ... (Applaudissements et interruptions).

Ah ! citoyens, je n’ai pas de chance avec les amis les plus passionnés d’Hervé. Quand je fais des réserves sur la partie de sa doctrine qui me paraît fausse, ils m’interrompent par leur désapprobation, et quand je formule la partie de sa doctrine qui est la doctrine même du socialisme, qui me paraît vraie, ils m’interrompent encore après un excès d’approbation. (Rires).

Je dis qu’alors, avec cette règle, avec cette sommation d’arbitrage obligatoire, que vient de formuler l’Internationale réunie à Stuttgart, toutes les questions se simplifient. Il n’est plus nécessaire de rechercher dans la complication des événements, dans les roueries de la diplomatie, dans les intrigues et le mystère des gouvernements, quel est le gouvernement qui est attaqué. L’agresseur, l’ennemi de la civilisation, l’ennemi du prolétariat, ce sera le gouvernement qui refusera l’arbitrage et qui, en refusant l’arbitrage, acculera les hommes à des conflits sanglants. Et alors, l’Internationale vous dit que le droit, que le devoir des prolétaires, c’est de ne pas gaspiller leur énergie au service d’un gouvernement du crime, c’est de retenir le fusil dont les gouvernements d’aventure auront armé le peuple et de s’en servir , non pas pour aller fusiller de l’autre côté de la frontière des ouvriers, des prolétaires, mais pour abattre révolutionnairement le gouvernement de crime. (Applaudissements enthousiastes et prolongés, bravos répétés)

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