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Mai 1937 en Espagne : la révolution trahie

mercredi 16 juillet 2008, par Robert Paris

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Le révolution ouvrière n’a pas été vaincue d’abord par Franco, l’armée et le fascisme, mais par le stalinisme uni à la social-démocratie

Mai 1937 à Barcelone

de CASANOVA (Mieczyslaw Bortenstein)
(extraits de "L’Espagne livrée")

Les événements de Mai 1937

La dualité de pouvoir existait en Espagne, quoique sous une forme Incomplète et partielle, dans les pre­miers mois qui ont suivi le 19 juillet. Le second pou­voir, l’embryonnaire pouvoir ouvrier, s’exprimait dans les comités ouvriers qui s’étaient créés dans toutes les villes et les plus petits villages de l’Espagne gouvernementale. Ces comités au sein desquels rentraient les représentante de toutes les organisations prolé­tariennes prenaient des formes diverses c’étaient des comités de défense qui assuraient l’ordre public par le canai des Patrouilles de Contrôle et qui administraient les villages et les villes. Dans les usines s’étaient formés les comités d’usine. Les transports et toute l’administration étatique étaient contrôlés par les délégués syndicaux. Sur les bateaux les marins formaient leurs conseils. Les milices étaient organi­sées dès le début par les partis et les syndicats. Sur la proposition du président Companys fut créé en Catalogne le Comité Central des Milices Antifascistes. Formellement, c’était un organisme de la Généralité ; en réalité, c’était dans la première période l’unique pouvoir effectif en Catalogne. Le gouvernement de la Généralité était une apparence tolérée parce que les organisations ouvrières n’avaient pas eu le courage de la liquider.

Pourtant ce fut cette apparence du pouvoir, la Généralité, qui l’emporta sur le pouvoir du peuple et sur les comités. Dans l’institution agonisante un sang nouveau fut injecté par les chefs des organisations ouvrières. On liquida lé Comité Central des Milices Antifascistes et on forma le ministère de coalition de Taradellas en Catalogne vers la fin de septembre. Un mois après les anarchistes rentraient également dans le gouvernement central. A partir de la forma­tion des gouvernements de coalition, la situation évo­lue en Espagne « gouvernementale » dans le sens de l’affaiblissement du pouvoir des Comités et du renforcement du pouvoir central bourgeois. Les raisons de cette évolution réactionnaire résident entièrement dans la politique des partis ouvriers.

Le mot d’ordre central du parti communiste espa­gnol et de sa filiale catalane était : « Tout le pouvoir au gouvernement ! » A cela les communistes ajou­taient « Mas pan y menos comités ! » (Plus de pain et moins de comités ! ) Les staliniens rendaient res­ponsables les comités, c’est-à-dire la révolution, de toutes les difficultés administratives, du manque d’organisation et du désordre du ravitaillement. Pourtant, la suppression des comités par le parti de Comorera n’a fait qu’augmenter les difficultés. Les comités ont été détruits, mais le pain est devenu plus rare. Dans leur campagne pour la destruction des comités de défense, des Patrouilles de Contrôle, des conseils de matelots, les communistes furent soutenus fermement par les éléments bourgeois et nationalistes. Dans ce travail contre-révolutionnaire en Catalogne, les soutenaient l’Esquerra Catalana (« La gauche Catalane »), le parti démocratique bourgeois et l’ « Estat Catala » (Etat Catalan), parti catalan nationaliste et séparatiste. Quant aux anarchistes, ils allaient à la queue du bloc stalino-bourgeois. Si la direction de la CNT montrait des résistances, c’était à cause de la pres­sion de la base c’est-à-dire des ouvriers anarchistes qui voulaient conserver les conquêtes de la révolution. En Catalogne, la révolution a été poussée plus loin au point de vue social que dans le reste de l’Espagne. Rien d’étonnant que le conflit des deux pouvoirs ait pris là des formes plus aiguës.

Les décrets de la Généralité de Catalogne n’étaient exécutés que si les organisations ouvrières et en pre­mier lieu la C.N.T. le voulaient. Par exemple, depuis novembre 1936 les milices avaient été militarisées et « Ejercito Popular » (l’armée populaire) formée par décret de la Généralité. Juridiquement, elles dépen­daient seulement du Conseil de Défense et de l’Etat-Major du gouvernement central. Mais, en fait, les milices dépendaient des organismes dirigeants des par­tis et syndicats. De même, dans le domaine de l’ordre public.

La dualité de pouvoir, phénomène général au début de chaque révolution, ne peut être qu’une période transitoire. Un des pouvoirs antagonistes doit dispa­raître. A plus forte raison la dualité des pouvoirs ne pouvait subsister dans la période de guerre civile contre le fascisme. La centralisation du pouvoir était inéluctable et nécessaire. Selon nous, bolchéviks-léninistes, elle devait s’opérer sur la base des comités ouvriers généralisés, démocratisés et coordonnés. Selon les staliniens et les républicains elle devait s’opé­rer sur la base de la reconstitution de la république bourgeoise.

Certains anarchistes s’imaginaient, il est vrai, que la concurrence des pouvoirs peut se prolonger indé­finiment. N’est-ce pas de l’anarchie ? La dualité de pouvoirs a en effet cela de commun avec l’anarchie, dans le sens vulgaire du mot, que le conflit des compétences entre les prétendants au pouvoir ne permet pas la formation d’un pouvoir fort et centralisé. Mais cette « anarchie » ou plutôt ce déséquilibre de la so­ciété aboutit toujours au cours de l’histoire des révo­lutions à un choc entre les pouvoirs concurrents. A la suite dé ce choc toujours sanglant un pouvoir s’im­posait à l’autre, et éliminait son concurrent. Tel fut le sens des événements du 3 au 6 mal à Barcelone.

L’occupation du Central téléphonique par les gardes d’assaut ne fut qu’un prétexte de la part de la coalition stalino-bourgeoise pour désarmer le prolétariat. Par suite de la mollesse du POUM et surtout de la direction de la CNT et de la FAI et de leurs abandons et capitulations successives, les staliniens et bourgeois républicains, qui dans les premiers mois, n’osaient même pas montrer leur nez, se sont sentis au début de mai 1937 assez forts pour tenter leur mauvais coup contre la révolution et ses organismes.

Le Central Téléphonique, comme d’autres institu­tions d’utilité publique, étaient géré depuis juillet par les comités ouvriers avec la représentation des deux centrales syndicales UGT et CNT. C’est la CNT qui prédominait en Catalogne. L’occupation du Central Téléphonique par les gardes d’assaut fut exécuté à la suite d’un complot ourdi par les staliniens et les républicains sans que le gouvernement catalan, la Généralité, fut mis au courant. Les ministres anarchistes ignoraient la décision d’occupation du Central Téléphonique.

Les ouvriers cénétistes de Barcelone réagirent spontanément en construisant les barricades. Ils comprenaient qu’on voulait les désarmer et leur reprendre leurs conquêtes du 19 juillet. Le POUM se joignit au mouvement. Toutefois, sa direction attendait les décisions du Comité Régional de la C.N.T. Le mouvement fut puissant. Les ouvriers révolutionnaires de la C.N.T. dominaient la ville. La C.N.T. avait en mains tous les atouts : l’appui de la majorité du prolétariat les armes en quantité suffisante, les transports, ce qui lui permettait d’empêcher l’arrivée de troupes de Valence. La province catalane suivait le mouvement. La base de la C.N.T. attendait seulement l’ordre du centre pour passer à l’attaque.

De l’autre côté de la barricade, à Barcelone, il y avait la police et les staliniens, mais la police, en plusieurs endroits, ne se décidait pas à intervenir, vu son infériorité, et se déclarait neutre. Quant aux staliniens, s’ils se sentaient assez forts pour assassiner des militants révolutionnaires isolés comme Berneri, Barbiéri et autres, ils n’osaient pas non plus passer à l’attaque. Ils attendaient le secours de Valence.

La direction de la CNT était désignée par la situation pour jouer le rôle de centre dirigeant de l’insurrection prolétarienne, mais elle joua le rôle d’agent de l’ennemi. Elle trahit le mouvement en exhortant les ouvriers à ne pas attaquer, puis à abandonner les barricades, et de cette manière elle livra le prolétariat de Barcelone à la réaction stalino-bourgeoise.

« Mais nous ne pouvions pas engager la bataille à fond car cela aurait exigé le rappel de nos milices du front et par conséquent aurait favorisé Franco ! » argumentaient les anarcho-ministres. Il est caractéristique que cet argument n’existait pas pour l’aile droite du Front populaire, c’est-à-dire les staliniens et les bourgeois. Ces derniers ne se gênaient pas pour envoyer à Barcelone les troupes dont le front avait besoin.

Mais la CNT, pour dominer la situation à Barcelone, en Catalogne et en Aragon, n’avait aucun besoin de ramener du front les milices cénétistes. En arrière, elle disposait de forces suffisantes. Les dirigeants cé­nétistes évoquaient des dangers imaginaires, afin de justifier leurs trahisons. Au contraire, la liquidation du pouvoir bourgeois, c’est-à-dire de la Généralité, et le passage du pouvoir entre les mains des Comités de Défense, spontanément créés au cours de la lutte, aurait été un coup terrible porté à Franco. La révolution prolétarienne triomphante en Catalogne aurait changé la situation de fond en comble dans toute l’Espagne. Elle aurait impulsé les ouvriers de Madrid et de Valence qui auraient suivi l’exemple de Barce­lone, elle aurait centuplé l’énergie et la combativité du prolétariat, elle aurait eu des répercussions à l’ar­rière franquiste qui se serait réveillé, elle aurait eu des répercussions même hors des frontières de l’Es­pagne.

Garcia Oliver et Frédérica Montseny ont préféré l’autre voie. Ils ont suivi la bourgeoisie et les staliniens. Ils n’ont pas eu de récompenses : trois semaines après, ils furent congédiés. Le nègre a fait son travail, le nègre peut partir. Le gouvernement de Largo Caballero fut remplacé par « El Gobierno de la Victoria », celui du docteur Negrin. Les ouvriers cénétistes furent désarmés. Les patrouilles de contrôle dissoutes. Les conquêtes économiques du prolétariat furent pro­gressivement éliminées.

L’écrasement des ouvriers révolutionnaires de Barcelone ouvrit les voies à la réaction stalino-bourgeoise et par suite à Franco.

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