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Jean-Jacques Rousseau, précurseur de la Révolution française ?

vendredi 9 octobre 2020, par Robert Paris

Jean-Jacques Rousseau, précurseur de la Révolution française ?

Rousseau a été érigé en mythe fondateur de la Révolution française alors qu’il ne l’est nullement…

Le jeune révolutionnaire des rues Gavroche de Victor Hugo chantait :

"je suis tombé dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau."

Voici quelques exemples des multiples ouvrages qui considèrent Rousseau comme prédécesseur de la révolution française :

Rousseau et la révolution

On considère souvent Rousseau comme le principal père des révolutionnaires français de 1789 et 1793. Et certains de ces derniers le pensaient aussi. A tort.

Ce soi-disant représentant de la révolution contre la féodalité ne défend ni l’athéisme comme Diderot, ni la liberté de l’art comme Voltaire puisqu’il s’oppose à la liberté de faire du théâtre à Genève. Pourtant ami personnel de Diderot, il s’oppose à l’Encyclopédie, beaucoup trop révolutionnaire... voir ici

Il est très loin de la lutte des classes qui sera celle de la bourgeoisie en 1789, sans parler des bras nus... « Tout ce qui rompt l’unité sociale ne vaut rien. ». déclare Jean-Jacques Rousseau, dans "Du Contrat social".

Si Rousseau a été condamné par la république de Genève pour l’Emile et le Contrat social, cela ne fait pas oublier que Rousseau avait plusieurs fois auparavant cultivé le pouvoir de Genève dont il était devenu bourgeois et citoyen, assistant au Conseil général, fier de payer ses impôts au titre des gardes. Il dédicace le "discours sur l’origine de l’inégalité" à la république de Genève dont il loue avec flagornerie la douceur et la bonté de ses magistrats. En 1758, Rousseau prend ainsi parti contre D’Alembert et le liberté du théâtre à Genève. Jusqu’en 1759, Rousseau n’a pas de mots assez doux pour le pouvoir genevois ce qui ne lui sera pas rendu. Finalement, la condamnation de Rousseau contribuera à libérer la bourgeoisie genevoise de sa pusillanimité et l’encouragera à combattre l’aristocratie patricienne.

Certes, l’époque de Rousseau pousse aux révolutions. L’Angleterre a connu une révolution qui influence les philosophes comme Diderot et Voltaire. Justement pas Rousseau ! Il combat cette influence...

La Corse connaît une révolution qui va être le signe annonciateur de la révolution française. (voir ici) Mais, si Rousseau écrit un projet politique en rapport à cette révolution, il est remarquable que Rousseau ait répondu par son texte sur la Corse, non aux révolutionnaires corses comme Voltaire, mais à une puissance qui opprimait la Corse : Gênes !

Rousseau a été mandaté par la république de Gènes afin de donner une Constitution à la Corse où le « small is beautyfull » est souligné car il se base sur le fonctionnement institutionnel de la Confédération Helvétique de son époque, il a aussi étudié le fonctionnement du gouvernement de la Pologne. On oublie souvent que Rousseau destinait son Contrat social à de petits États. Il s’inspirait de deux modèles, l’un antique (la cité grecque, notamment Sparte alors tenue pour démocratique), l’autre moderne (la République de Genève). Rousseau s’opposait à l’opinion de la majeure partie des « Philosophes » qui admiraient souvent les institutions anglaises, modèle d’équilibre des pouvoirs loué par Montesquieu et Voltaire.

Rousseau s’opposait également avec force au principe de la démocratie représentative et lui préférait une forme participative de démocratie, calquée sur le modèle antique. Se borner à voter, c’était, selon lui, disposer d’une souveraineté qui n’était qu’intermittente ; quant à la représentation, elle supposait la constitution d’une classe de représentants, nécessairement voués à défendre leurs intérêts de corps avant ceux de la volonté générale.

En revanche, il s’opposait à la diffusion massive des savoirs, comme le montre son Discours sur les sciences et les arts qui y voit la cause de la décadence moderne. Le modèle de Rousseau est bien plus Sparte, cité martiale, dont le modèle entretenait déjà quelque rapport avec la cité de La République de Platon, qu’Athènes, cité démocratique, bavarde et cultivée. Certains critiques — comme l’universitaire Américain Lester G. Crocker —, particulièrement sensibles au modèle d’autarcie et d’unité nationales de Rousseau, lui ont reproché d’avoir favorisé le totalitarisme moderne. Cette opinion est devenue minoritaire depuis quelque temps, mais elle témoigne de la force polémique qu’ont encore de nos jours les écrits du « Citoyen de Genève ».

Le Contrat social a parfois été considéré comme le texte fondateur de la République française, non sans malentendus, ou à titre d’accusation de la part des opposants à la République. On s’est surtout attaché à sa théorie de la souveraineté : celle-ci appartient au peuple et non à un monarque ou à un corps particulier. Assurément, c’est chez Rousseau qu’il faut chercher les sources de la conception française de la volonté générale : contrairement aux théories politiques anglo-saxonnes, Rousseau ne considère pas la volonté générale comme la somme des volontés particulières — c’est-à-dire la volonté de tous -, mais comme ce qui procède de l’intérêt commun : « ôtez [des volontés particulières] les plus et les moins qui s’entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale ».

Beaucoup se souvenant du titre « Discours de l’inégalité » pensent qu’il prônait l’égalité matérielle ce qui n’est nullement le cas. Il n’est question que d’égalité de nature et d’égalité de droit. Citons Rousseau dans « Du contrat social » : « Une remarque qui doit servir de base à tout système social : au lieu de détruire l’égalité naturelle, le pacte fondamental substitue au contraire une égalité morale et légitime à ce que la nature avait pu mettre d’inégalité physique entre les hommes ; et que pouvant naturellement être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit. »

Par contre, il exact que Rousseau défend mordicus la laïcité de l’Etat avec la séparation complète de l’Etat et de la religion. Pour lui, l’Etat n’a pas à connaitre et à distinguer de religion, ni la religion n’a à s’occuper de l’Etat. Il défend également une démocratie du droit où les lois sont le produit de la volonté populaire. C’est pour cela que la révolution française, où les dirigeants politiques de la bourgeoisie ont souvent été des hommes de lois, a pu se reconnaitre en lui et en son contrat social.

« L’obéissance au seul appétit est esclavage et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. »

Jean-Jacques Rousseau, « Du Contrat social »

Rousseau et la révolution corse

« Après une suite de mouvements, plus ou moins vite réprimés, les Corses s’ameutèrent de nouveau en 1729, par l’imprudence d’un collecteur des impôts Génois, qui voulut, pour être payé, saisir les effets d’une pauvre femme. Ils se choisirent deux chefs qui s’emparèrent de la capitale. Gènes, après bien des efforts, eut recours à l’empereur Charles VI, qui envoya d’abord des troupes insuffisantes. Leur mauvais succès détermina la cour de Vienne à y envoyer une plus forte armée. Les Corses se prêtèrent alors à un accommodement, dont l’empereur fut le garant, ce qui fut signé en 1733. Dès l’année suivante, les Corses reprirent les armes, soutenant que les Génois avaient violé le traité. Ce furent des combats continuels jusqu’à l’apparition du baron Théodore de Neuhoff, du comté de la Marck en Westphalie, qui fut proclamé roi de Corse en 1736. Il ne finit pas l’année sur son trône et, fugitif de lieu en lieu, arrêté à Londres pour dettes, il dut sa liberté au bénéfice de l’acte d’inviolabilité. Cependant, Gènes ne pouvant réduire les rebelles eut recours à la France, qui envoya en 1738, des troupes pour soutenir la médiation et pour combattre les Corses. Après plusieurs combats et beaucoup d’exécutions sévères, les Corses furent contraints de rendre les armes à la fin de 1739, et en 1740 toute l’île fut soumise à la France. A la fin de 1741, les troupes françaises remirent l’île aux Génois et se retirèrent. A peine furent-ils partis, les troubles recommencèrent… La guerre depuis 1748 continua sous différents chefs, jusqu’en 1755, où Pascal Paoli… fut élu général de l’île par le conseil général du royaume (de Corse). Il chassa les Génois de plusieurs villes de l’intérieur du pays ; il s’appliqua avec autant de sagesse à rétablir l’ordre et la sûreté partout. Il serait peut-être parvenu à chasser enfin les Génois, si, en 1764, la France n’avait fait un nouveau traité avec cette république pour envoyer des troupes… La République de Gènes fatiguée de commander à des sujets toujours mécontents, les a remis à la France en 1768, par un traité qui eut son effet par les armes victorieuses des Français. La Corse fut presque toute conquise l’année suivante par les armes de cette nation, sous les ordres du comte de Vaux. Cependant Paoli et ses compatriotes se défendirent avec un courage incroyable ; souvent ils emportèrent des avantages signalés sur les Français ; enfin ils furent obligés de céder à la force. Paoli, ne pouvant sauver sa patrie, prit le parti de la quitter. »

Article « Corse » de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert

Rousseau et la révolution française

Le bon sauvage ou l’état de nature

« On avance que les premiers hommes furent méchants, d’où il suit que l’homme est méchant naturellement. Ceci n’est pas une assertion d’une légère importance ; il me semble qu’elle eut bien valu la peine d’être prouvée. Les annales de tous les peuples qu’on ose citer en preuve sont beaucoup plus favorables à la supposition contraire. »

Jean-Jacques Rousseau, « Dernière réponse »

’La nature a fait l’homme heureux et bon, mais [...] la société le déprave et le rend misérable.’

"Rien n’est si doux que lui (l’homme) dans son état primitif, lorsque, placé par la nature à des distances égales de la stupidité des brutes et des lumières funestes de l’homme civil et borné également par l’instinct et par la raison à se garantir du mal qui le menace, il est retenu par la pitié naturelle de faire lui même du mal à personne, sans y être porté par rien, même après en avoir reçu."

Jean-Jacques Rousseau, "Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes"

« L’état de nature étant celui où le soin de notre conservation est le moins préjudiciable à celle d’autrui, cet état était par conséquent le plus propre à la paix, et le plus convenable au genre humain. »

Jean-Jacques Rousseau, "Sur l’origine de l’inégalité" « L’homme est né libre et partout il est dans les fers ».

Jean-Jacques Rousseau, "Du Contrat social"

« Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains des hommes. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« Les hommes ne sont point faits pour être entassés en fourmilières, mais épars sur la terre qu’ils doivent cultiver. Plus ils se rassemblent, plus ils se corrompent. Les infirmités du corps, ainsi que les vices de l’âme, sont l’infaillible effet de ce concours trop nombreux. L’homme est de tous les animaux celui qui peut le moins vivre en troupeaux. Des hommes entassés comme des moutons périraient tous en très peu de temps. L’haleine de l’homme est mortelle à ses semblables : cela n’est pas moins vrai au propre qu’au figuré. Les villes sont le gouffre de l’espèce humaine. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« Qu’il sache que l’homme est naturellement bon, qu’il le sente, qu’il juge de son prochain par lui-même ; mais, qu’il voie comment la société déprave et pervertit les hommes ; qu’il trouve dans leurs préjugés la source de tous leurs vices ; qu’il soit porté à estimer chaque individu, mais qu’il méprise la multitude ; qu’il voie que tous les hommes portent à peu près le même masque, mais qu’il sache aussi qu’il y a des visages plus beaux que le masque qui les couvre. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« Posons pour maxime incontestable que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits : il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain ; il ne s’y trouve pas un seul vice dont on ne puisse dire comment et par où il y est entré. La seule passion naturelle à l’homme est l’amour de soi-même, ou l’amour-propre pris dans un sens étendu. Cet amour-propre en soi ou relativement à nous est bon et utile ; et, comme il n’a point de rapport nécessaire à autrui, il est à cet égard naturellement indifférent ; il ne devient bon ou mauvais que par l’application qu’on en fait et les relations qu’on lui donne. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« Tant que les hommes furent mes frères, je me faisais des projets de félicité terrestre ; ces projets étant toujours relatif au tout, je ne pouvais être heureux que de la félicité publique, et jamais l’idée d’un bonheur particulier n’a touché mon cœur que quand j’ai vu mes frères ne chercher le leur que dans ma misère. Alors pour ne les pas haïr il a bien fallu les fuir ; alors me réfugiant chez la mère commune j’ai cherché dans ses bras à me soustraire aux atteintes de ses enfants, je suis devenu solitaire, ou, comme ils disent, insociable et misanthrope, parce que la plus sauvage solitude me paraît préférable à la société des méchants, qui ne se nourrit que de trahisons et de haine. »

Jean-Jacques Rousseau, "Les rêveries du promeneur solitaire"

« J’avais vu que tout tenait radicalement à la politique, et que, de quelque façon qu’on s’y prît, aucun peuple ne serait jamais que ce que la nature de son gouvernement le ferait être. »

Jean-Jacques Rousseau, "Confessions"

« Dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre [...], l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. »

Jean-Jacques Rousseau, "Sur l’origine de l’inégalité"

Voltaire à Rousseau : « On n’a jamais tant employé d’esprit à vouloir nous rendre bêtes. II prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. » Voltaire, Lettre du 30 août 1755.

Un défenseur de l’éducation des enfants par son ouvrage "l’Emile"

Certains croient que Rousseau avait inventé des notions modernes d’éducation pour tous. Ce n’est pas du tout le cas. S’il était conte le théâtre à Genève, c’est qu’il n’était pas favorable à l’éducation pour tous !

Son comportement personnel ne témoigne nullement un souci des enfants. En 1745, à Paris, il rencontre Thérèse Levasseur, modeste servante d’auberge, avec qui il se met en ménage. Les cinq enfants qui naissent successivement seront confiés aux Enfants-Trouvés, l’assistance publique de l’époque. Il expliquera d’abord qu’il n’avait pas les moyens d’entretenir une famille8, puis dans le livre 9 des Confessions qu’il fit ce choix principalement pour soustraire ses enfants à l’emprise de sa belle-famille qu’il jugeait néfaste.

« Mais du moment qu’ils préfèrent une étoffe parce qu’elle est riche, leurs cœurs sont déjà livrés au luxe, à toutes les fantaisies de l’opinion ; et ce goût ne leur est sûrement pas venu d’eux-mêmes. On ne saurait dire combien le choix des vêtements et les motifs de ce choix influent sur l’éducation. Non seulement d’aveugles mères promettent à leurs enfants des parures pour récompenses, on voit même d’insensés gouverneurs menacer leurs élèves d’un habit plus grossier et plus simple, comme d’un châtiment. Si vous n’étudiez mieux, si vous ne conservez mieux vos hardes, on vous habillera comme ce petit paysan. C’est comme s’ils leur disaient : Sachez que l’homme n’est rien que par ses habits, que votre prix est tout dans les vôtres. Faut-il s’étonner que de si sages leçons profitent à la jeunesse, qu’elle n’estime que la parure, et qu’elle ne juge du mérite que sur le seul extérieur ? […] Tant qu’on n’a pas asservi l’enfant à nos préjugés, être à son aise et libre est toujours son premier désir ; le vêtement le plus simple, le plus commode, celui qui l’assujettit le moins, est toujours le plus précieux pour lui. On peut briller par la parure, mais on ne plaît que par la personne. »

Jacques Rousseau, « Émile ou de l’éducation »

Le contrat social

« Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant. »

« Je veux chercher si, dans l’ordre civil, il peut y avoir quelque règle d’administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont, et les lois telles qu’elles peuvent être. Je tâcherai d’allier toujours, dans cette recherche, ce que le droit permet avec ce que l’intérêt prescrit, afin que la justice et l’utilité ne se trouvent point divisées. »

Jean-Jacques Rousseau, "Du Contrat social"

La liberté

« La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L’homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d’acquiescer, ou de résister. »

« Il serait aisé de prouver que tout gouvernement qui, sans se corrompre ni s’altérer, marcherait toujours exactement selon la fin de son institution, aurait été institué sans nécessité, et qu’un pays où personne n’éluderait les lois et n’abuserait de la magistrature, n’aurait besoin ni de magistrats ni de lois. »

« L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est la liberté. »

Jean-Jacques Rousseau, "Du Contrat social"

« Il est donc incontestable, et c’est la maxime fondamentale de tout le droit politique, que les peuples se sont donné des chefs pour défendre leur liberté et non pour les asservir. »

Jean-Jacques Rousseau, "Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes"

« Quiconque refusera d’obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie pas autre chose sinon qu’on le forcera à être libre. »

Jean-Jacques Rousseau, "Du contrat social"

L’égalité

« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerre, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux, ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : “Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. »

« Si l’on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à ces deux objets principaux, la liberté et l’égalité. La liberté, parce que toute dépendance particulière est autant de force ôtée au corps de l’État ; l’égalité, parce que la liberté ne peut subsister sans elle. […] Mais si l’abus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le régler ? C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir. »

« La liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut. Dans un état, c’est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir. Il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance, et ce que c’est que la liberté. La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent, et si un citoyen pouvoit faire ce qu’elles défendent, il n’auroit plus de liberté, parce que les autres auroient tout de même ce pouvoir. »

« Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même, et l’estime publique eut un prix. Celui qui chantait ou dansait le mieux ; le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le plus éloquent devint le plus considéré, et ce fut là le premier pas vers l’inégalité, et vers le vice en même temps : de ces premières préférences nâquirent d’un côté la vanité et le mépris, de l’autre la honte et l’envie ; et la fermentation causée par ces nouveaux levains produisit enfin des composés funestes au bonheur et à l’innocence »

Jean-Jacques Rousseau, « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes »

« le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation [...] se réduit à ces deux objets principaux, la liberté et l’égalité. »

Jean-Jacques Rousseau, "Du Contrat social"

Le culte de l’individu

« Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère de prochain d’ami de société que moi-même »

« J’aurais aimé les hommes en dépit d’eux-mêmes. »

« Mais moi, détaché d’eux et de tout, que suis-je moi-même ? Voilà ce qui me reste à chercher. »

« Je fais la même entreprise que Montaigne, mais avec un but tout contraire au sien : car il n’écrivait ses Essais que pour les autres, et je n’écris mes rêveries que pour moi. »

Jean-Jacques Rousseau, « Les Rêveries du promeneur solitaire »

« Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi.

Moi seul. Je sens mon cœur, et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger qu’après m’avoir lu.

Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : « Voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus. J’ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon ; et s’il m’est arrivé d’employer quelque ornement indifférent, ce n’a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire. J’ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l’être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus : méprisable et vil quand je l’ai été ; bon, généreux, sublime, quand je l’ai été : j’ai dévoilé mon intérieur tel que tu l’as vu toi-même. Être éternel, rassemble autour de moi l’innombrable foule de mes semblables ; qu’ils écoutent mes confessions, qu’ils gémissent de mes indignités, qu’ils rougissent de mes misères. Que chacun d’eux découvre à son tour son cœur au pied de ton trône avec la même sincérité, et puis qu’un seul te dise, s’il l’ose : Je fus meilleur que cet homme-là. »

Jean-Jacques Rousseau, « Les confessions »

« Eh bien, dans cet état déplorable je ne changerais pas encore d’être et de destinée contre le plus fortuné d’entre eux, et j’aime encore mieux être moi dans toute ma misère que d’être aucun de ces gens-là dans toute leur prospérité. »

Jean-Jacques Rousseau, "Les rêveries du promeneur solitaire"

« De quelque façon que les hommes veuillent me voir, ils ne sauraient changer mon être, et malgré leur puissance et malgré toutes leurs sourdes intrigues, je continuerai, quoi qu’ils fassent, d’être en dépit d’eux ce que je suis. »

Jean-Jacques Rousseau, "Les rêveries du promeneur solitaire"

« Ce n’est pas sur les idées d’autrui que j’écris ; c’est sur les miennes. Je ne vois point comme les autres hommes ; il y a longtemps qu’on me l’a reproché. Mais dépend-il de moi de me donner d’autres yeux, et de m’affecter d’autres idées ? Non. Il dépend de moi de ne point abonder dans mon sens, de ne point croire être seul plus sage que tout le monde ; il dépend de moi, non de changer de sentiment, mais de me défier du mien : voilà tout ce que je puis faire, et ce que je fais. Que si je prends quelquefois le ton affirmatif, ce n’est point pour en imposer au lecteur ; c’est pour lui parler comme je pense. Pourquoi proposerais-je par forme de doute ce dont, quant à moi, je ne doute point ? Je dis exactement ce qui se passe dans mon esprit. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« Pour être quelque chose, pour être soi-même et toujours un, il faut agir comme on parle ; il faut être toujours décidé sur le parti que l’on doit prendre, le prendre hautement, et le suivre toujours. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

Une vie morale

« Si c’en était ici le lieu, j’essayerais de montrer comment des premiers mouvements du cœur s’élèvent les premières voix de la conscience, et comment des sentiments d’amour et de haine naissent les premières notions du bien et du mal : je ferais voir que justice et bonté ne sont point seulement des mots abstraits, de purs être moraux formés par l’entendement, mais de véritables affections de l’âme éclairée par la raison, et qui ne sont qu’un progrès ordonné de nos affections primitives ; que, par la raison seule, indépendamment de la conscience, on ne peut établir aucune loi naturelle ; et que tout le droit de la nature n’est qu’une chimère, s’il n’est fondé sur un besoin naturel au cœur humain. »

« Ainsi, ce qui rend l’homme essentiellement bon est d’avoir peu de besoins, et de peu se comparer aux autres ; ce qui le rend essentiellement méchant est d’avoir beaucoup de besoins, et de tenir beaucoup à l’opinion. Sur ce principe, il est aisé de voir comment on peut diriger au bien ou au mal toutes les passions des enfants et des hommes. Il est vrai que, ne pouvant vivre toujours seuls, ils vivront difficilement toujours bons : cette difficulté même augmentera nécessairement avec leurs relations ; et c’est en ceci surtout que les dangers de la société nous rendent l’art et les soins plus indispensables pour prévenir dans le cœur humain la dépravation qui naît de ses nouveaux besoins. »

« Toute méchanceté vient de faiblesse ; l’enfant n’est méchant que parce qu’il est faible ; rendez-le fort, il sera bon : celui qui pourrait tout ne ferait jamais de mal. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« En suivant toujours ma méthode, je ne tire point ces règles des principes d’une haute philosophie, mais je les trouve au fond de mon cœur écrites par la nature en caractères ineffaçables. Je n’ai qu’à me consulter sur ce que je veux faire : tout ce que je sens être bien est bien, tout ce que je sens être mal est mal : le meilleur de tous les casuistes est la conscience ; et ce n’est que quand on marchande avec elle qu’on a recours aux subtilités du raisonnement. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« Il est donc au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises, et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« Les actes de la conscience ne sont pas des jugements, mais des sentiments. Quoique toutes nos idées nous viennent du dehors, les sentiments qui les apprécient sont au dedans de nous, et c’est par eux seuls que nous connaissons la convenance ou disconvenance qui existe entre nous et les choses que nous devons respecter ou fuir. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe. Grâce au ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil de philosophie : nous pouvons être hommes sans être savants ; dispensés de consumer notre vie à l’étude de la morale, nous avons à moindre frais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions humaines. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« La conscience est le plus éclairé des philosophes. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« Dans toutes les questions de morale difficiles comme celle-ci, je me suis toujours bien trouvé de les résoudre par le dictamen de ma conscience, plutôt que par les lumières de ma raison. Jamais l’instinct moral ne m’a trompé : il a gardé jusqu’ici sa pureté dans mon cœur assez pour que je puisse m’y confier, et s’il se tait quelquefois devant mes passions dans ma conduite, il reprend bien son empire sur elles dans mes souvenirs. »

Jean-Jacques Rousseau, "Les rêveries du promeneur solitaire"

« La raison seule nous apprend à connaître le bien et le mal. La conscience qui nous fait aimer l’un et haïr l’autre, quoique indépendante de la raison, ne peut donc se développer sans elle. Avant l’âge de raison, nous faisons le bien et le mal sans le connaître ; et il n’y a point de moralité dans nos actions, quoiqu’il y en ait quelquefois dans le sentiment des actions d’autrui qui ont rapport à nous. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

« La voix intérieure ne sait point se faire entendre à celui qui ne songe qu’à se nourrir. »

Jean-Jacques Rousseau, "Émile ou de l’éducation"

Rousseau et la religion

Rousseau s’adresse à C. de Beaumont :

« Monseigneur, je suis chrétien, et sincèrement chrétien, selon la doctrine de l’Évangile. Je suis chrétien, non comme un disciple des prêtres, mais comme un disciple de Jésus-Christ »

Rousseau se défend dans « Lettres écrites de la montagne » d’avoir attaqué la religion, accusation proférée par les autorités de Genève :

« La Religion est utile et même nécessaire aux Peuples. Cela n’est-il pas dit, soutenu, prouvé dans ce même Ecrit (Du contrat social) ? Loin d’attaquer les vrais principes de la Religion, l’Auteur (Rousseau lui-même) les pose, les affermit de tout son pouvoir ; ce qu’il attaque, ce qu’il combat, ce qu’il doit combattre, c’est le fanatisme aveugle, la superstition cruelle, le stupide préjugé. (…) Ils disent qu’en attaquant la superstition, je veux détruire la Religion même : comment e savent-ils ? Pourquoi confondent-ils ces deux causes, que je distingue avec tant de soin ? (….) La religion n’a pas d’ennemis plus terribles que les défenseurs de la superstition. (…) Nous respectons ce Livre sacré comme la parole et la vie de Jésus-Christ. (...) La Religion protestante est tolérante par principe, elle est tolérante essentiellement, elle l’est autant qu’il est possible de l’être, puisque le seul dogme qu’elle ne tolère pas est celui de l’intolérance. (…) (…) Et comment aurais-je attaqué les dogmes distinctifs des Protestants, puisqu’au contraire ce sont ceux que j’ai soutenus avec le plus de force, puisque je n’ai cessé d’insister sur l’autorité de la raison en matière de foi, sur la libre interprétation des Ecritures, sur la tolérance évangélique, et sur l’obéissance aux Lois même en matière de culte ; tous dogmes distinctifs et radicaux de l’Eglise réformée, et sans lesquels, loin d’être solidement établie, elle ne pourrait pas même exister. (...) J’ai prouvé ci-devant en général et je ne prouverai plus en détail ci-après qu’il n’est pas vrai que le Christianisme soit attaqué dans mon Livre. (…) Comment aurais-je attaqué les dogmes distinctifs des Protestants, puisqu’au contraire ce sont ceux que j’ai soutenus avec le plus de force (…) Il y a plus : voyez que la forme même de l’Ouvrage ajoute aux arguments en faveur des Réformés. (...) On ne peut pas dire que ce Livre tende en aucune sorte à troubler le culte établi ni l’ordre public puisqu’au contraire j’y insiste sur le respect qu’on doit aux formes établies, sur l’obéissance aux lois en toutes choses et même en matière de Religion. »

Cette dernière phrase est à comparer à celle de Diderot : "Les doutes, en matière de religion, loin d’être des actes d’impiété, doivent être regardés comme de bonnes oeuvres"

A Rousseau, tout fier d’être pleinement citoyen de Genève, opposons Diderot qui déclare sur la démocratie moderne :

« Avoir des esclaves n’est rien ; ce qui est intolérable, c’est d’avoir des esclaves en les appelant citoyens. »

On constate ainsi à quel point les conceptions de Diderot sur tous les plans philosophiques et politiques étaient en avance sur "Les Lumières"....

Concluons sur un dernier article de Diderot pour l’Encyclopédie :

DIEU Tertullien rapporte que Thalès étant à la cour de Crésus, ce prince lui demanda une explication claire et nette de la Divinité. Après plusieurs réponses vagues, le Philosophe convint qu’il n’avait rien à dire de satisfaisant.

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