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Paléontologie et Théorie de l’évolution
lundi 17 décembre 2018, par
Lire aussi :
LA TRANSFORMATION DES ESPÈCES : ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?
LES IDEES DU PALEONTOLOLOGUE IAN TATTERSALL
LES APPORTS DE LA PALÉONTOLOGIE À LA THEORIE DE L’EVOLUTION
Jean Chaline[1]
La paléontologie est une science qui permet de reconstituer l’histoire de la vie sur la terre et apporte les preuves incontournables de l’évolution des espèces. Elle apporte la dimension temporelle de l’évolution.
L’arbre de la vie
Par exemple, la génétique, par la comparaison des génomes des espèces actuelles élabore des arbres du vivant que la paléontologie confirme par les fossiles avec l’aide de la géologie qui permet de les dater. On obtient ainsi un arbre de diversification du vivant dans un cadre géologique cohérent et assez bien calibré dans le temps.
On sait maintenant que les plus anciennes traces de vie sont ‘probablement’ les stromatolithes (tapis de pierre) secrétés par des algues cyanophycées du type Nostoc. Ces premiers vestiges sont connus à Warrawoona en Australie où ils sont datés de -3,5 à -3,3 milliards d’années. Mais les premiers fossiles indiscutables de cyanobactéries (cellules d’Eosphaera tyleri et des filaments), ainsi que des spores, ont été retrouvés dans des roches siliceuses du Guntflint du Lac Supérieur en Ontario, datés de -2,1 milliards d’années.
C’est vers -600 millions d’années que se produit dans l’histoire du vivant la grande division entre les animaux à symétrie bilatérale (Urbilateria) et les formes radiaires (coraux). Les animaux à symétrie bilatérale se divisent eux mêmes en deux groupes selon des caractéristiques embryologiques et anatomiques particulières (Protostomiens[2] et Deutérostomiens), qui aboutissent au Cambrien, entre -542 et -530 millions d’années à une diversification du vivant en des anatomies entièrement nouvelles qui préfigurent déjà les 30 grands plans d’organisation des animaux actuels. On a appelé cette phase, l’explosion cambrienne. Là apparaissent, par exemple les arthropodes et nos ancêtres, les Cordés. L’apparition des grands plans d’organisation correspond à ce que l’on appelle la macroévolution, dont on sait maintenant qu’elle résulte des mutations des gènes de régulation, appelés les gènes Hox. On peut dire qu’au Cambrien, le spectre des grands groupes du monde vivant actuel était déjà en place. Ensuite l’évolution a procédé par des mutations à l’intérieur de ces plans d’organisation, la microévolution qui produit la variabilité des espèces et les nouvelles espèces, pour aboutir à la biosphère actuelle de plus de 3 millions d’espèces.
La longue histoire de la vie a été ponctuée par une succession de phases de radiations (multiplication des espèces) et d’extinctions massives. Les phases de radiation se sont développées lorsqu’il y avait des niches écologiques disponibles colonisables, au début du Cambrien, mais elles ont été tronquées par des phases d’extinctions massives dues des variations des paramètres climatiques ou de la qualité des eaux marines. On a identifié deux extinctions à la fin du Cambrien, une à la fin de l’Ordovicien, deux à la fin du Dévonien et une très grande extinction à la fin du Permien où toute la faune marine a failli disparaître. Ensuite on a reconnu une extinction mineure à la fin du Trias, une grande extinction spectaculaire à la fin du Crétacé où sont disparus les ammonites et les dinosaures et enfin une extinction de plus de 200 genres de mammifères à la fin de la dernière glaciation (entre -12.000 et -8.000 ans). Ces extinctions ont taillé l’arbre du vivant à la manière d’un bonsaï. On assiste actuellement à une extinction massive des espèces animales et végétales due uniquement à l’homme par sa destruction des niches écologiques des espèces qui vivaient là depuis des millions ou des milliers d’années. Par exemple la destruction des forêts amazoniennes et celle des forêts de bambous indispensables aux pandas.
La mécanique de l’évolution des espèces
Elle nous est apportée par la seule biologie. Le stade actuel de la théorie de l’évolution est appelé EVO-DEVO, ce qui signifie Evolution-Développement (Evolution pour la génétique et la paléontologie et Développement pour l’embryologie et l’ontogenèse).
La vie transmet à un individu, ce que qu’il reçoit de ses deux parents avec des modifications, les mutations. L’évolution est un véritable ‘bricolage’ qui rénove et élargit sans cesse le programme génétique ancestral, grâce aux ‘mutations aléatoires’ induites par les rayons ionisants cosmiques (50%) et terrestres.
La mécanique démontrée de l’évolution des espèces est celle des mutations de deux types de gènes, les gènes de régulation déjà évoqués, les gènes Hox de la macroévolution, et les gènes ouvriers de la microévolution qui introduisent des modifications à l’intérieur des plans d’organisation.
Le résultat de ces mutations se traduit dans le développement embryologique des individus par des changements morphologiques et physiologiques nouveaux ou modifiés par rapport à ses parents qui sont soumis, dès la naissance, à l’environnement. Selon que les caractères sont neutres, ou avantageux, les nouvelles caractéristiques sont maintenues et l’individu survit. Mais s’il présente de nouveaux caractères désavantageux, il peut être éliminé impitoyablement par l’environnement qui effectue une sélection naturelle d’élimination. C’est ainsi que procède l’évolution des espèces d’une génération à l’autre et qui a abouti à la biosphère actuelle.
C’est ce que j’ai appelé en 1988, dans une conférence invitée au Collège de France par Yves Coppens : l’« Inside story » : Le génome et le développement (internes) proposent, en premier, l’environnement (externe) dispose, seulement ensuite.
Les études de génétique nous démontrent par exemple comment la vie est passée d’un plan d’organisation avec un système nerveux ventral et un tube digestif dorsal (les invertébrés) à un plan d’organisation inverse avec un système nerveux dorsal et un tube digestif ventral (vertébrés). L’inversion dorso-ventrale entre les Invertébrés et les Vertébrés qui se situe vers -600 Ma., avait été suggérée par Geoffroy Saint-Hilaire en 1796 et moquée par le créationniste qu’était Georges Cuvier. Il s’agit d’un changement de plan d’organisation, qui correspond à une rupture de symétrie. On sait désormais grâce à de Robertis & Sasai (1996) que ce changement morphologique majeur est simplement contrôlé par un couple de gènes de régulation Hox antagonistes : (ddp/sog et chordin/BMP2-4), qui s’expriment par des protéines antagonistes, dorsalisantes, ou ventralisantes. C’est-à-dire que les cellules au cours du développement reçoivent des ordres qui les envoient à tel ou tel emplacement, vers le dos ou vers le ventre.
Il s’agit d’une mécanique souple et économique où les gènes Hox déterminent les limites du plan d’organisation et imposent des contraintes de développement qui canalisent parfois l’évolution intra-plan par le jeu de la sélection naturelle.
De la même façon, Denis Duboule et son équipe de Genève ont résolue une énigme évolutive, la formation des membres des animaux à quatre pattes (tétrapodes). Les membres des tétrapodes se forment en une séquence de trois phases contrôlées par les gènes Hox a et d 9-13 de la façon suivante : (1) humérus/fémur : Hox d-9-10 ; (2) cubitus-radius/tibia-péroné : Hox d-11-12 ; (3) poignet-main-pied-doigt : Hox a-13 et Hox d-12-13. Un défaut de fonctionnement des gènes Hox a-d9-10-11-12 cause la phocomélie (absence de bras et avant-bras avec une implantation directe des mains et des pieds directement sur le tronc). On se souvient des effets de la thalidomide, cet analgésique conseillé à certaines femmes enceintes, dont la forme commercialisée était sous forme racémique, mais dont l’énantiomère, censé être inactif, s’est avéré provoquer des malformations (tératogène), des phocomélies.
Les tendances évolutives
Les ‘contraintes de développement’ et l’action de la ‘sélection naturelle’ favorisent le développement de certains « organes avantageux » en une véritable ‘canalisation évolutive’ ou ‘tendance évolutive’.
C’est l’exemple de la corne nasale des Titanothères des mammifères tertiaires d’Amérique (Mc Kinney & Schoch, 1985), qui prend de plus en plus d’importance entre l’Eocène (-56 Ma.) et l’Oligocène (-23 Ma.). C’est un phénomène lié à l’accroissement de la taille des animaux, avec une allométrie qui correspond à la croissance rapide d’un organe par rapport au reste du corps, ici la corne, par rapport aux autres organes du corps.
Il n’y a aucune finalité dans les tendances évolutives, simplement l’action des ‘contraintes de développement’ qui font qu’un organe ne peut pas évoluer n’importe comment, et celle des sélections naturelle et sexuelle.
Le même phénomène se rencontre chez les Primates où la ‘tendance évolutive’ correspond à « l’accroissement de la capacité crânienne ». qui se réalise par des contractions crânio-faciales cumulatives de plus en plus fortes mises en évidence par Delattre et Fenart dans les années 50 et réactualisées récemment par Dambricourt-Malassé.
Les altérations du développement
Ce sont les hétérochronies du développement qui se réalisent durant le développement (ontogenèse) d’ancêtres à descendants.
Le développement peut être ralenti (décélération) ou accéléré (accélération). Chez le ver Caenorhabditis elegans, on a mis en évidence un gène hétérochronique : Lin 14-gf (gain de fonction) ou pf (perte de fonction), qui ralentit, ou accélère le développement. Mais le développement peut être aussi tronqué (hypomorphose), ou allongé (hypermorphose).
Un très bel exemple est celui du développement des oursins des grands fonds de l’Océan Atlantique démontré par B. David, en 1986. À partir d’un embryon rond, banal d’oursin, un développement légèrement accéléré aboutit à l’oursin appelé Pourtalesia qui présente une forme de large bouteille. Un développement très accéléré à partir du même type d’embryon, aboutit à un oursin complètement différent d’un point de vue morphologique, c’est Echinosigra qui ressemble à une bouteille avec un col très allongé. Ce qui montre que l’accélération du développement change la forme de l’organisme !
Le même processus s’est réalisé chez les primates. Lorsque l’on compare le développement des singes supérieurs (auquel appartenait l’ancêtre commun aux chimpanzés et à l’homme), on constate que les caractères simiesques adultes, notamment le bourrelet au-dessus des yeux, disparaissent par étapes chez les adultes, tandis que les caractères juvéniles des singes, tels que le crâne arrondi, s’étendent pour devenir dominant chez l’homme moderne. C’est ainsi que l’on a pu montrer mathématiquement par les méthodes Procrustes, que le crâne de l’homme adulte avait conservé la forme de celui d’un singe juvénile ancestral commun et que la bipédie temporaire était devenue permanente chez l’homme.
Des contraintes physiques au vivant ?
Gould a écrit dans son livre « La vie est belle » en 1989 : « La vie exhibe une structure obéissant aux principes de la physique, mais tout dépend de l’échelle ou du niveau envisagé. Il y a des lois pour le cadre général (formes générales liées aux contraintes de construction et fonctions des organismes) et la contingence pour le détail ».
Qu’en est-il vraiment ? Il faut faire ici appel à une approche pluridisciplinaire impliquant la paléontologie, la biologie et la physique.
Depuis les années quatre-vingt on a commencé à prendre en compte un certain nombre de phénomènes physiques qui ne répondent pas aux « lois de structuration linéaire » de la physique classique (quand deux variables sont liées selon une ligne, cf. un pendule), mais procèdent de « lois » particulières dites “ lois de puissance[3] en x2 », exprimant l’existence potentielle de structurations fractales sous-jacentes.
Qu’est-ce qu’une structure fractale ? En travaillant sur les bruits de fond du téléphone, le cours du coton et la longueur de la côte de Bretagne, Benoît Mandelbrot[4] a découvert une structuration universelle qu’il a nommée : « fractale » du latin « fractus » (brisé, irrégulier). On dit d’un objet qu’il est « fractal » s’il possède une structure à toutes les échelles. Si elles sont identiques, « le fractal est dit autosimilaire ». L’autosimilarité signifie que l’on retrouve le même motif quand on zoom sur un motif où l’on trouve un motif identique à l’intérieur d’un motif identique, et ainsi de suite… Mais Mandelbrot n’a introduit ni théorie, ni de dynamique, c’est le travail de Laurent Nottale (1982) que nous allons examiner plus loin en détail.
L’un des plus beaux exemples de fractale est celui des poumons humains. Le motif « bifurcation » se retrouve dans 16 dichotomies successives produisant 60.000 branchioles conduisant aux 60.000 acinis contenant les alvéoles. L’arbre des veines et des artères des poumons se réalise en 23 dichotomies aboutissant aux 8 millions d’artérioles et veines terminales en échelles décroissantes. On sait aujourd’hui que le gène Hoxb-5 influence la morphogenèse des branchements.
Les structures fractales sont abondantes dans la hiérarchie du vivant. On trouve des structures fractales dans les régions non-codantes de l’ADN, ce qui permet de compacter le filament d’ADN long de 1m dans le minuscule chromosome. On en retrouve aussi dans la morphologie des cellules des bactéries, des algues, des plantes, des coraux et des neurones, dans les organes (poumons, reins, vaisseaux sanguins, estomac, intestin), dans les déplacements et oscillations des populations et même dans les apparitions et extinctions des espèces (Dubois et Chaline, 1991). La raison de cette abondance de structures fractales dans le vivant est simple : La fractalisation augmente les surfaces de façon de façon considérable dans un ‘espace fini’ et cet avantage est donc retenu par la sélection naturelle. Ainsi, les poumons humains dépliés couvriraient la surface d’un court de tennis.
L ‘explication des structures fractales : la théorie de la relativité d’échelle de Nottale
Le « principe de relativité d’échelle » définie par Nottale en 1982 postule que les lois fondamentales de la nature doivent être valides, quel que soit l’état d’échelle du système de référence. Le principe de relativité d’échelle complète le principe de relativité de Galilée, Poincaré et Einstein qui s’appliquait seulement aux états de position, d’orientation et de mouvement. La théorie de la relativité d’échelle consiste à appliquer le principe de relativité aussi aux transformations d’échelle. Seuls les rapports d’échelle ont un sens, jamais une échelle absolue !
Les conséquences de ce concept sont importantes. La géométrie courbe de l’espace-temps de la relativité d’Einstein devient fractale aux petites et aux grandes échelles cosmologiques (lois quantiques avec en particulier l’équation de Schrödinger généralisée et la dépendance d’échelle), mais elle n’est pas fractale à nos échelles (physique classique et indépendance d’échelle). La dynamique de type classique se transforme en une dynamique nouvelle ayant un caractère quasi-quantique, naturellement capable de morphogenèse !
Lois log-périodoques et phénomènes critiques
Des lois log-périodiques apparaissent ‘naturellement’ dans cette approche, quand on passe à des transformations non-linéaires. Ce sont des lois de prédictibilité à caractère indéterministe !
Qu’est-ce qu’une loi log-périodique ? Une loi « log-périodique » montre une périodicité dans les changements d’échelle, en fonction d’un logarithme de la variable comme, par exemple, lorsque l’on fait un zoom en continu 2, 4, 8, 16, 32).
Les premières applications de ces lois log-périodiques ont été réalisées par Sornette et Sammis en 1995 à propos du tremblement de terre de Kobé au Japon. Ils ont montré que des émissions d’ions chlore (Cl-) identifiés par des capteurs ne se répartissaient pas selon une loi linéaire, mais selon une loi log-périodique. En conséquence, si l’on avait su la signification de cette émission d’ions chlore, on aurait pu prévoir le tremblement de terre environ quarante heures à l’avance.
Nottale dans le livre « Des fleurs pour Schrödinger »[5], a pu évaluer le prochain pic de probabilité des tremblements de terre en Californie. En prenant les données de l’US Geological Survey EarthQuake Data Center pour les années 1932-2006 et Earth Quake Data Base pour les tremblements de terre historiques, années 1500-1932, Nottale a pu montrer que la distribution observée est très bien ajustée par une loi de puissance soumise à une forte oscillation log-périodique décélérant depuis l’époque critique de 1796. L’histogramme de la distribution des dates des tremblements de terre de magnitude supérieure à 5 en Californie du Sud, montre que le prochain ‘pic de probabilité’ est prévu autour de 2047.
Autre sujet d’importance, la disparition de la banquise arctique liée au réchauffement climatique. En utilisant les données issues du US National Snow and Ice Data Center de 1979 à 2008 concernant la surface de banquise arctique restante (au 15 septembre de chaque année), Nottale a pu proposer deux modèles. Tout d’abord une diminution à taux constant selon une ligne droite. La date estimée par le modèle linéaire de la disparition de la banquise arctique est de 2080-2100 ; c’est celle des experts actuels du climat. Mais, Nottale, en utilisant une diminution suivant une loi critique, a trouvé un temps critique Tc = 2012, qui mène à une disparition totale de la banquise arctique en septembre 2011 et encore, sans prendre en compte la diminution d’épaisseur, mal connue, mais estimée à 15% par décade, qui pourrait encore rapprocher cette date. Dans un travail publié en 2006[6], Nottale avait prédit l’état de la fonte en 2009. L’état de la banquise arctique en septembre 2011 sera un bon test de la théorie.
L’arbre de la vie est-il fractal ?
Les exemples des applications des lois log-périodoques à la géophysiques ont permis à Nottale de tester l’hypothèse que le vivant pourrait suivre de telles lois. C’est ce que nous avons pu montrer en 1999 dans une notre intitulée[7] : L’arbre de la vie a-t-il une structure fractale ? Les travaux de Sornette et al. ont suggéré à Nottale de traiter l’arbre de la vie comme les autres arbres végétaux structurés de manière fractale, mais dans le temps au lieu de l’espace. Nottale a proposé une pure chronologie discrète avec une loi discrétisée. Il a montré qu’on pouvait prendre comme référence des rapports, le temps critique Tc, bien que celui-ci soit à l’infini du point de vue des rangs. Les premiers tests des loi-log-périodiques à la macroévolution ont été réalisés respectivement sur les échinodermes, les dinosaures sauropodes et théropodes, les rongeurs, les chevaux, les primates et l’ontogenèse humaine et enfin la vie dans son développement global.
On a pu se demander au point de vue évolutif à quoi correspond le temps critique. On peut alors se demander si ce temps critique ne « pourrait pas correspondre à une perte de potentialité d’évolution de ce système biologique par manque d’innovation », puisqu’aucune nouveauté majeure n’apparaît plus après cette date ?
Précisons tout de suite un point très important, si la date du temps critique peut être calculée par la loi log-périodique avec une certaine approximation, on ne peut cependant en aucun cas dire ce que sera la nature, ni l’ampleur de cet événement.
L’introduction de lois probabilistes (non déterministes du point de vue des trajectoires individuelles, qui restent imprédictibles, mais déterministes du point de vue de l’évolution de structures décrites en termes de densité de probabilité, ce que nous avons appelé un « déterminisme structurel »), dans des phénomènes structurels réputés se faire exclusivement au hasard des mutations triées par la sélection naturelle peut sembler paradoxale.
En fait il n’y a aucune incohérence dans l’existence de ces lois déterministes pour les structures (c’est le cas de la mécanique quantique standard, archétype de la perte du déterminisme classique, dans laquelle l’équation de Schrödinger dépendante du temps décrit bien pourtant une évolution parfaitement causale et déterminée de la fonction d’onde et donc de la probabilité qui s’en déduit). Il s’agit d’une prédictibilité à caractère probabiliste. Les structures sont déterministes ; il s’agit d’un déterminisme essentiellement structurel.
Application de la relativité d’échelle à l’origine de la vie et à son évolution
Nottale a montré que dans cette nouvelle approche très générale, la dynamique classique se transformait en une dynamique nouvelle ayant un caractère quasi-quantique naturellement et spontanément capable de morphogenèse. On entend par là une description en termes de densité de probabilité qui est donnée par le carré du module d’une « fonction d’onde », elle-même solution d’équations du type Schrödinger ou Schrödinger non-linéaire. Mais cette mécanique macroquantique n’inclut pas d’autres propriétés spécifiques du domaine quantique standard (qui sont en fait souvent liées à l’élémentarité), tels l’indiscernabilité de particules identiques ou le paradoxe EPR.
C’est ainsi que l’on s’attend, dans ce cadre, à voir apparaître des morphologies comme les matérialisations des zones de plus hautes probabilités. C’est-à-dire que l’on aborde ici une théorie très générale de l’auto-organisation, en particulier au niveau de la morphogenèse et de l’évolution morphologique.
Une application de cette nouvelle mécanique quantique macroscopique déduite de la relativité d’échelle concerne les effets d’une augmentation d’énergie du système dans l’espace standard. Elle ne se traduit pas comme on pourrait s’y attendre d’un système classique par une augmentation de taille du système, mais par un changement de structure se réalisant par un saut. L’augmentation d’énergie ne permet pas l’apparition d’une nouvelle structure avant qu’elle n’ait atteint son niveau de quantification naturel suivant, un seuil défini. Par exemple, dans le cas d’un potentiel d’oscillateur harmonique tridimensionnel isotrope, quand l’énergie augmente d’un facteur 5/3, (en passant du niveau fondamental qui correspond à 3/2 du quantum d’énergie au premier niveau excité qui vaut 5/2 de ce quantum), le système fondamental unique se divise en deux sous-systèmes et un système double apparaît. C’est une duplication spontanée. Des applications au vivant sont potentiellement possibles sous une forme nouvelle, qui prend en compte le fait que ce sont des systèmes hors équilibre, et pourrait peut-être être signifiantes pour certaines duplications dans le vivant, comme celle de la duplication de certaines molécules, en particulier des acides aminés (ARN et ADN), ainsi que la division cellulaire ou certains autres types de duplications. Il ne s’agit pas bien sûr d’ « expliquer » ces duplications de systèmes biologiques, qui dépendent de nombreux autres paramètres d’essence biologique, mais de suggérer l’existence d’un lien profond entre duplication et énergie quantifiée.
Dans l’espace des échelles, on peut passer d’une description classique déterministe à une description de type quantique à l’aide d’une équation de Schrödinger agissant maintenant dans cet espace, permettant de rendre compte de manière probabiliste d’une organisation hiérarchique. En ce qui concerne l’espace des échelles, la discrétisation des structures possibles, qui décrit une organisation hiérarchique, exprime les sauts d’une nouvelle quantité dite conservative, que Nottale a dénommé la complexergie. Des résultats très surprenants sont alors possibles.
Il faut bien distinguer les effets quantiques macroscopiques déjà connus (tels la supraconductivité), au sens de la mécanique quantique standard fondée sur la constante microscopique universelle de Planck h, de la proposition d’une nouvelle sorte d’effets quasi-quantique macroscopique déduits de la relativité d’échelle et fondés sur une constante d’auto-organisation qui est propre au système considéré et n’a plus de raison d’être microscopique.
Cette nouvelle mécanique macroquantique dans l’espace des échelles pourrait vraisemblablement s’appliquer au vivant. La vie et ses premières structures pourraient n’être qu’une conséquence des diverses solutions de l’équation généralisée de Schrödinger agissant dans l’espace ordinaire et dans l’espace des échelles et correspondant à un nombre croissant de niveaux hiérarchiques imbriqués respectivement et successivement, les coacervats, les procaryotes, les eucaryotes avec l’apparition de la membrane nucléaire et enfin les pluricellulaires.
L’apparition de la vie pourrait donc être le résultat d’une structuration physique macro-quantique spontanée, s’étant effectuée à une période déterminée de l’histoire de la Terre, vers 3,8 milliards d’années, lorsque les paramètres énergétiques du système inorganique sont entrés dans les zones de probabilité permettant la structuration spontanée du système.
La combinaison des effets quantiques dans l’espace des échelles et dans l’espace standard permet d’associer la structuration hiérarchique du vivant à celle des processus de duplication, indispensables pour la reproduction du vivant. On peut se demander si l’auto-organisation spontanée des lipides en globules (micelles) n’est pas l’expression macroscopique de l’équation de Schrödinger généralisée dans l’espace des échelles ?
L’état du système vivant unicloisonné procaryote, de type bactérien, a duré longtemps, depuis environ 3,8 milliards d’années jusqu’à l’apparition des eucaryotes, vers 1,5 à 1,4 milliard d’années. Ce passage majeur s’est réalisé par un saut depuis l’état fondamental de complexergie (n = 0) à un premier état excité de cette complexergie (n = 1). Ce saut structurel s’est traduit aussi par l’apparition d’une membrane nucléaire autour du noyau, désormais lui aussi cloisonné ; c’est un cloisonnement emboîté. Ce cloisonnement, dans un cloisonnement, correspond à une invariance d’échelle, à une structuration fractale. Notons que le passage des procaryotes aux eucaryotes se traduit par une augmentation de taille des cellules de 1µm à 10 µm, donc d’un facteur 10.
Plus tard encore, le système Vie est passé à un nouvel état excité de la complexergie (n = 2) qui a permis l’apparition d’une nouvelle structuration fractale du vivant, celle des organismes pluricellulaires, qui s’est réalisée un peu avant 1 milliard d’années.
Avec ces trois niveaux de complexergie, le vivant avait achevé, il y a environ 1 milliard d’années, sa structuration générale emboîtée en procaryotes, eucaryotes et pluricellulaires. Les sauts entre ces trois états se sont réalisés temporellement selon un répartition log-périodique. La suite de l’évolution s’est réalisée par une diversification au sein de chacun de ces types structuraux de base par le biais des gènes de régulation et des gènes ouvriers que nous avons évoqués plus haut.
Nottale a montré aussi une autre application de ‘l’équation de Schrödinger généralisée’ dans la morphogenèse d’une structure florale. La croissance à partir d’un centre décrit par une onde sphérique sortante, avec brisure de symétrie haut-bas et force constante vers le bas, peut s’exprimer à des échelles différentes (collisions de particules, formes des nébuleuses planétaires). En biologie se développent des formes florales : les pétales, sépales et étamines émergent tous de la même solution et sont tracés suivant les ‘angles de probabilité maximale’. Le résultat en est une plante identifiée dans nos jardins, le tulipier (Liriodendron tulipifera). Si l’on change une variable, par exemple si l’on inverse la force constante de tension qui détermine aune courbure, on obtient une nouvelle fleur théorique qui pousse aussi dans nos jardins, le Platycodon, une Campanulacée.
Galilée écrivait dans l’’Essayeur’ (1623) que « la nature était écrite en langage mathématique », cela a été confirmé par Léonard de Pise (Fibonacci) et Léonard de Vinci qui en ont donné les premières équations. Ce travail de Nottale ne fait que confirmer cette appréciation de Galilée, l’inventeur de la relativité.
En conclusions,
1. La paléontologie permet de reconstituer, grâce aux fossiles découverts dans un cadre stratigraphique de mieux en mieux daté, et environnemental de plus en plus précis, l’histoire de la vie avec ses événements contingents : les radiations, dépendant des niches écologiques disponibles et les extinctions en masse, résultant de l’histoire de la Terre.
2. La paléontologie apporte les preuves concrètes indiscutables de l’évolution des espèces.
3. La paléontologie permet d’évaluer les relations de parenté entre les organismes par la cladistique et d’analyser les relations ancêtres-descendants en termes d’hétérochonies du développement.
4. La paléontologie a permis de montrer l’existence de contraintes et de lois physiques universelles de « structuration » insoupçonnées, celles de la Relativité d’échelle de Nottale et l’existence de structurations fractales à certaines échelles retenues par la sélection naturelle.
5. La paléontologie et la physique ont montré l’existence de répartitions log-périodiques des événements évolutifs majeurs : des lois de prédictibilité à caractère indéterministe, donc probabiliste, celles de la mécanique quantique macroscopique.
6. Si la paléontologie n’apporte rien sur les mécanismes de l’évolution que seule la biologie peut dévoiler, elle participe avec la génétique et la biologie du développement, à EVO-DEVO, le nouveau stade actuel de la théorie de l’évolution en apportant la dimension temporelle de l’évolution…
7. La paléontologie n’a identifié rigoureusement ‘aucune finalité’, ni aucun ‘dessein intelligent’, seulement des canalisations résultant de contraintes du développement et de la sélection naturelle. Une interprétation en termes de finalité et de dessein intelligent pour expliquer la complexité du vivant ne relève pas de la science, mais de la philosophie ou de la religion.
8. D’ailleurs, s’il y avait finalité et dessein intelligent, y aurait-il eu des « extinctions massives » liées à la « contingence » de l’histoire de la Terre ? Y aurait-il des « anomalies du développement abominables, comme les anencéphalies, les aniridia (enfants sans les yeux) ou des phocomélies » résultant de mutations au hasard ? et une sélection naturelle, l’implacable et impitoyable loi du plus fort ?
Références
Ce texte illustrant la conférence donnée le 22 novembre 2009 dans le cadre du « Colloque Darwin, Héritage et enjeux pour notre Société » à Nancy est tiré de l’ouvrage où se trouvent toutes les références citées :
Nottale, L., Chaline, J. et Grou, P. 2009. Des fleurs pour Schrödinger. La relativité d’échelle et ses applications. Ellipses, Paris, 421p.
[1] Laboratoires de Biogéosciences (UMR CNRS 5561) et de Paléobiodiversité et Préhistoire de l’EPHE, Université de Bourgogne, Centre des Sciences de la Terre, 6 Bd. Gabriel et 143 av. V. Hugo, 21000 Dijon, France. (++33380573546 ; jean.chaline@orange.fr).
[2] La bouche se forme en premier, chez les deutérostomiens, c’est l’anus qui se forme en premier et la bouche en second.
[3] Qu’est-ce qu’une loi de puissance ? Considérons la suite de nombres 2, 4, 8, 16, 32… c’est une suite de nombres qui sont appelés « puissances successives de 2 ». C’est une loi de puissance exponentielle de raison 2 le nom du rang (1, 2, 3, 4, 5, … 23) correspond au logarithme à base 2, l ’inverse de la fonction exponentielle…
[4] Mandelbrot. 1975. Les Objets fractals. Flamarion, Champs, Paris.
[5] Nottale, Chaline & Grou. 2009. Des fleurs pour Schrödinger. La relativité d’échelle et ses applications. Ellipses, Paris, 421 p.
[6] Nottale. 2006. Un nouveau paradigme pour la physique ? Nouvelles perspectives. In : Les Grands défis Technologiques et scientifiques au XXIe siècle. (Bourgeois & Grou , Eds).Ellipses, Paris,
[7] Chaline, J., Nottale, L. & Grou, P. 1999. L’arbre de la vie a-t-il une structure fractale ? Le Point sur… C. R. Ac. Sc. Paris, 328 (IIa) : 717-726.
Messages
1. Paléontologie et Théorie de l’évolution, 10 février 2020, 13:25
Les sauts entre ces trois états se sont réalisés temporellement selon un répartition log-périodique