vendredi 2 septembre 2016, par
Marx a été, tout au long de sa vie, odieusement calomnié par de nombreux auteurs dont l’un des plus connus est Karl Vogt, un suppôt, mouchard appointé du second empire…
Un exemple des calomnies contre Marx, le journal « L’univers » - 19 mars 1883 écrivait à sa mort :
« Marx fonda l’Internationale, terrible et vaste plan, dont la réalisation amènerait une dictature des travailleurs et conduirait le monde à la « liquidation sociale »... Marx était juif, comme son compagnon socialiste Lassalle. Aussi avait-il à un haut degré toutes les particularités distinctives de sa race. Il aimait le luxe, le faste et le bien-être matériel, tout en fulminant avec indignation contre le capital et la bourgeoisie. Toujours comme Lassalle, époux d’une Allemande d’origine princière, Marx parvint à épouser une jeune fille noble et riche, sœur du comte de Westphalen, le ministre ultraconservateur prussien de la réaction de 1850. Alors le juif put satisfaire ses goûts. Il s’entoura de tout le luxe que lui permit la fortune de sa femme. On possédait un bel hôtel à Londres ; on louait en hiver des villas sur la Riviera ; au printemps, on allait jouir du climat délicieux de l’île de Wight ; on s’installait à Ventnor, l’ancienne résidence de l’impératrice d’Autriche ; puis en été on cherchait la fraîcheur dans un chalet d’Interlaken ou de Brunnen. Tout en menant cette large existence, Marx ne cessait de faire ses plus larges efforts pour révolutionner les travailleurs en les excitant à demander la liquidation sociale. Il se garda bien de donner l’exemple de cette liquidation. Sa générosité pour les travailleurs était toute platonique. Le juif Marx a puisé ses principales idées dans les fameuses doctrines de Luther. « Faites ce que vous voudrez, mentez, parjurez-vous, volez, tuez les riches et les princes, croyez seulement que vous avez bien fait. » Ces infâmes paroles, le fondateur de l’Internationale se les était appropriées ; il les avait arrangées selon les besoins du siècle. Les travailleurs trouvent que l’équité exige la liquidation et que chacun est roi en vertu des principes de la souveraineté nationale. »
Ou encore, ici le journal Le Figaro de mars 1883 : « Bien qu’il soit réellement la père du socialisme moderne, Karl Marx, qui n’a jamais fait que travailler à son bureau et qui était fortuné, n’eût certainement pas tardé à passer pour réactionnaire. Il est mort assez tôt pour n’être pas dédaigné, comme l’ont été et le seront tour à tour tous ceux qu’on appelle aujourd’hui les quarante-huiteux. »
Et jusqu’à nos jours, on trouve encore des calomnies grossières contre Marx…
On peut ainsi lire ici que « à l’époque, peu de gens savaient que Marx dépendait du fils fortuné d’un capitaliste pour vivre et se délectait de sa vie indolente d’homme entretenu… Bien que sa famille et lui manquassent d’argent, Marx refusait de se salir en prenant un métier comme les autres exilés (il considérait cela comme un « vil commerce ») et préférait se débrouiller avec les petites sommes qu’Engels lui envoyait régulièrement. Ce dernier jouissait d’une rente de son père d’un montant de deux cents livres par an (ce qui équivaudrait à environ cent soixante-dix mille euros aujourd’hui) et possédait deux maisons, une en ville, l’autre à la campagne… Marx profitait au maximum de cette générosité. Même dans sa situation précaire, il employait un secrétaire, non parce qu’il en avait vraiment besoin mais parce qu’une personne de son statut et de son ambition se devait de maintenir les apparences. (On l’a même entendu déclarer qu’il refusait de mener une existence « sous-prolétarienne ».) À la même époque, le boulanger refusait de continuer à lui livrer du pain tant qu’il n’aurait pas réglé sa note. Le journaliste Francis Wheen, auteur de l’une de ses biographies, estime que les bonnes années, Marx recevait jusqu’à cent cinquante livres de son bienfaiteur, « une somme permettant à une famille de la petite bourgeoisie de vivre assez confortablement ». À ce moment-là, Marx n’avait encore rien écrit. Il faisait simplement des « recherches » interminables à la British Library depuis des années et menait une vie notoirement dissolue. »
On peut lire chez ses détracteurs actuels des mensonges aussi gros que chez ceux de son époque. On lit ici que Marx engrossait la bonne, profitait de tout le monde et exploitait même honteusement ses filles, ce qui aurait contraint deux d’entre elles au suicide !!!
Cependant, le rapport de la police prussienne sur l’exil de Marx à Londres, peu suspect de sympathie politique, notait :
« Le chef de ce parti (les communistes) est Karl Marx ; les autres dirigeants les plus proches sont Friedrich Engels, qui vit à Manchester et Freiligrath et Wolff « Lupus » à Londres, Heine à Paris, Weydemeyer et cluss aux États-Unis ; Burgers et Daniels sont à Cologne (Köln) et Weerth, à Hambourg. Mais l’esprit actif et créatif, l’âme véritable du parti est Marx ; Je tiens donc à vous parler de sa personnalité… il porte la barbe ; ses yeux sont grands, fougueux et pénétrant, il a quelque chose de sinistre, de démoniaque. Cependant, il montre, à première vue, le regard d’un homme de génie et d’énergie. Sa supériorité intellectuelle exerce une influence irrésistible sur ceux qui l’entourent. Sa femme, la soeur du ministre prussien de Westphalen, est une femme cultivée et agréable, qui, pour l’amour de son mari, s’est adapté à une vie de gitane et maintenant se sent parfaitement bien dans leur environnement, dans cette misère. Il a deux filles et un garçon, tous très mignon et les mêmes yeux intelligents du père… En tant qu’époux et père Marx, malgré son caractère agité et violent, est le plus tendre et le plus doux des hommes qui soit du monde. Marx vit dans un des pires quartiers de Londres et par conséquent l’un des moins onéreux. Son domicile est constitué de deux pièces, celle face à la rue et le Hall et l’autre qui est à l’arrière et sert de chambre pour dormir. Dans toute la maison il n’y a pas un seule meuble propre et en bon état. Tout est en ruine, ébréché, usé, revêtu d’une couche de poussière de l’épaisseur d’un doigt ; partout règne le plus grand désordre. Au milieu de la pièce trône une relique, une grande table, recouverte d’une couche de cire qui n’a jamais été poncée. Ici s’entassent manuscrits, livres et journaux de Marx, jouets pour enfants, pièces pour l’usage des femme, tasses de thé aux bords fissurés, sales, des cuillères, des couteaux, des fourchettes, des chandeliers, des encriers,, des pipes de porcelaine hollandaise, de la cendre de tabac : tout entassé, empilé sur cette unique table. Quand on entre dans la maison de Marx, le charbon et la fumée de tabac est tellement dense que dans un premier temps vous devez aller à tâtons comme dans une caverne ; puis progressivement la vue s’habitue à la fumée et commence à apercevoir quelque chose, comme dans un brouillard. Tout est sale et couverte de poussière, s’asseoir est vraiment une entreprise dangereuse. Ici, une chaise qui tient seulement trois jambes, au-delà les enfants jouent sur une autre chaise, En train de cuisiner par hasard ensemble. Naturellement toute la collation est offerte au visiteur, mais les enfants traînent au milieu des déchets de cuisine, et vous sentez que vous risquez de détruire vos pantalons en les posant sur la dite chaise. Mais tout cela ne cause pas à Marx et à son épouse la moindre gêne. L’hôte est le plus sympathique du monde ; Pipe, tabac et tout ce qui peut être trouvée dans la maison est offert avec la plus grande cordialité. Une conversation intelligente et agréable permet de surmonter les lacunes domestiques, rendre tolérable ce qui dans un premier contact était juste désagréable. Puis, enfin au bout du compte vous trouvez l’atmosphère intéressante et originale. »
Aucun dirigeant politique n’a été autant combattu et calomnié de son vivant que Marx.
Persécuté en Allemagne, Karl Marx se réfugia à Paris, d’où il fut expulsé en 1848 sur la demande du gouvernement prussien. C’est alors qu’il se réfugia en Belgique.
Banni encore une lois d’Allemagne où il était rentré. Il revint de nouveau Paris et prit part aux journées de Juin. On l’arrêta et il fut interné dans le Morbihan : Il s’échappa et alla se fixer à Londres.
Marx a été pourchassé dans toute l’Europe, condamné à s’exiler dans le seul pays d’Europe qui n’arrêtait pas pour délit d’opinion, l’Angleterre. Mais ce dernier pays, s’il ne l’a jamais arrêté ni pourchassé, en a fait un banni et un misérable qui ne doit jamais être reconnu ni accepté et qui est censé mourir de faim…
La vie de Marx en exil est extraordinairement difficile comme en témoigne toute sa correspondance, notamment avec Engels. Le soutien financier d’Engels, également installé en Angleterre, lui permet de survivre. Malgré ce soutien, Marx et sa famille doivent faire face à une extrême misère : « Ma femme est malade, la petite Jenny est malade, Léni a une sorte de fièvre nerveuse. Je ne peux et je ne pouvais appeler le médecin, faute d’argent pour les médicaments. Depuis huit jours, je nourris la famille avec du pain et des pommes de terre, mais je me demande si je pourrais encore me les procurer aujourd’hui » (à Engels, 4 septembre 1852). L’un de ses enfants, Edgar, meurt d’ailleurs de sous-alimentation.
Karl Marx a vécu dans la pauvreté et n’a pu survivre et travailler à son œuvre et à l’organisation du mouvement ouvrier que parce qu’il a été soutenu financièrement par son ami et camarade Engels. Ce n’est pas dû au fait qu’il voulait d’abord travailler ses propres écrits mais à la volonté de la bourgeoisie de le faire crever de faim, en lui refusant tout emplois.
Toute la bourgeoisie s’est donné le mot : pas question de donner un emploi ou même une ligne d’article dans un journal à Marx. Il va devoir se faire éditer comme journaliste sous de faux noms… aux USA !!!
Marx n’aura jamais de travail fixe, et vivra dans une pauvreté accablante qui conduira même un de ses fils à mourir de faim. Il écrivit d’ailleurs ironiquement « Je ne pense pas qu’on ait jamais écrit sur l’argent tout en en manquant à ce point ».
Jusqu’à sa mort, Marx restera une sorte d’anachorète à commencer par ses vadrouilles. Il passera plusieurs fois par la France au gré des révolutions, reviendra de temps en temps dans sa patrie natal en Allemagne, et finira par se réfugier en Angleterre.
D’ailleurs ceux qui parlent de son appartement deux pièces de Londres le décrive comme une sorte de taudis, dans lequel les objets s’entassent autant que la famille Marx de façon relativement anarchique.
« Marx, qui avait commencé par être un des chefs de la bourgeoisie radicale, se vit abandonné dès que son opposition se fit résolue, et traité d’ennemi dès qu’il devint communiste. Après l’avoir insulté, calomnié, traqué et expulsé d’Allemagne, on organisa contre lui et contre ses travaux la conspiration du silence. (…)Après l’insurrection du 18 mars 1871, où on voulut voir la main de l’Internationale, et après la défaite de la Commune, que le Conseil général de l’Internationale défendit contre la campagne de calomnies de la presse bourgeoise de tous les pays, le nom de Marx devint célèbre dans le monde entier. »
Lafargue, « Souvenirs personnels sur Karl Marx »
« « Rien d’humain ne m’est étranger », répond-il modestement à ses filles, qui devaient naturellement connaître mieux que quiconque ses faiblesses. Cette réponse, il aurait pu la faire à tous ceux de ses adversaires qui, avec un zèle digne d’une meilleure cause, s’efforçaient de découvrir dans sa vie ou dans ses lettres quelques défauts. Si haut qu’un homme s’élève au-dessus de son milieu, il lui demeure attaché par un grand nombre de liens. Il est difficile, il est presque impossible de dépouiller entièrement le vieil homme. Marx n’y arriva pas plus qu’un autre. Il se trompa aussi, il pécha aussi dans sa vie comme en politique. Quiconque a lu ses lettres à Engels, Becker, Weydemeyer ne peut que s’étonner que Marx ait su, dans les pénibles conditions où il vécut des années durant — Il ne sortit de la gêne qu’à partir de 1869 — garder sa joie de vivre et cette clarté spirituelle qui faisaient l’étonnement de ses amis et de ses connaissances. Les coups terribles du sort lui arrachèrent souvent un mot brutal et cruel, le rendirent parfois même injuste envers ses proches. Mais, chaque fois, secouant d’un geste puissant l’emprise des difficultés quotidiennes, il reprit fièrement sa route, « tenace, ému et pressé », il se remit à l’œuvre toute sa vie. »
« La confession de Karl Marx », David Riazanov
Son compagnon Engels déclarait à l’enterrement de son camarade et ami Karl Marx : « Marx était avant tout un révolutionnaire. Contribuer, d’une façon ou d’une autre, au renversement de la société capitaliste et des institutions d’Etat qu’elle a créées, collaborer à l’affranchissement du prolétariat moderne, auquel il avait donné le premier la conscience de sa propre situation et de ses besoins, la conscience des conditions de son émancipation, telle était sa véritable vocation. »
« Les conditions de cette vie d’émigré étaient extrêmement pénibles, comme le révèle clairement la correspondance entre Marx et Engels (éditée en 1913). Marx et sa famille étaient écrasés par la misère ; sans l’appui financier constant et dévoué d’Engels, non seulement Marx n’aurait pu achever Le Capital, mais il aurait même fatalement succombé à la misère… Plusieurs enfants de Marx moururent tout jeunes, à Londres, alors que la famille souffrait d’une grande misère. »
Lénine, « Karl Marx »
Franz Mehring écrit ainsi dans son « Karl Marx, Histoire de sa vie » :
« Malheur au génie indépendant et incorruptible qui s’oppose fièrement à la société bourgeoise, qui sait lire dans le fonctionnement de ses rouages internes les signes avant-coureurs de sa fin prochaine et qui forge les armes qui lui donneront le coup de grâce. A un tel génie, la société bourgeoise réserve des supplices et des tortures qui peuvent paraître moins barbares que ne l’étaient le chevalet de l’Antiquité et le bûcher du Moyen Agr, mais qui au fond n’en sont que plus cruels. Parmi les hommes de génie du XIXe siècle, nul n’a plus souffert de ce destin que le plus génial d’entre eux, Karl Marx. Déjà, durant les dix premières années de son activité publique, il avait dû lutter jour après jour contre la pauvreté, et avait enduré les affres de l’exil en allant s’établir à Londres. Mais son destin, pour ainsi dire prométhéen, ne commença vraiment qu’au moment où, luttant pour la cause de l’humanité au prix des pires difficultés, il se trouva, à la force de l’âge, confronté dans le même temps aux plus vils soucis de l’existence quotidienne, à la peur démoralisante du lendemain. Jusqu’au jour de sa mort, il ne parvint pas à s’assurer des moyens d’existence, si modestes soient-ils, dans le cadre de la société bourgeoise. En outre, la vie qu’il menait était loin de ressembler à la vie que le philistin croit communément être celle du génie. A ses gigantesques capacités intellectuelles répondait une gigantesque puissance de travail ; le surmenage qu’il s’imposait en travaillant jour et nuit commença à ébranler très tôt la santé de fer qui était la sienne au départ. Etre incapable de travailler, c’était, disait-il, être condamné à mort quand on n’est pas une bête, et en disant cela, il était terriblement sérieux et sincère. (…) Tout chercheur insatiable qu’il était, Marx demeura toujours conscient – cette idée, il l’avait exprimée tout jeune – que si l’écrivain ne doit pas travailler dans un but lucratif, il doit néanmoins gagner sa vie pour pouvoir travailler ; Marx n’a jamais ignoré l’ « impérieuse nécessité d’un travail rémunéré ». Mais toutes ses tentatives dans ce sens échouèrent invariablement devant la suspicion, la haine ou, dans le meilleur des cas, la peur d’un milieu hostile. Même ces éditeurs allemands qui se targuaient d’ordinaire d’être indépendants reculèrent devant le nom décrié de ce démagogue. Tous les partis allemands usèrent uniformément des mêmes calomnies ; quand le brouillard de ces médisances ne réussissait pas à masquer les purs contours de sa silhouette gigantesque, c’est un autre type de méchanceté sournoise qui accomplissait son œuvre infâme : le silence systématique. Jamais une nation n’a banni si longtemps, si complètement de son horizon le plus grand de ses penseurs, comme l’Allemagne le fit dans le cas de Marx. La seule chose qui aurait pu apporter à Marx quelque sécurité matérielle à Londres était son activité pour le « New York Daily Tribune » avec lequel il collabora une bonne dizaine d’années à partir de 1851. Avec ses 200.000 abonnés, le « Tribune » était alors le journal le plus lu et le plus riche des Etats-Unis, et, en se faisant propagandiste du fouriérisme américain, il s’était malgré tout élevé au-dessus de ces entreprises purement capitalistes qui ne recherchent que le profit. En soi, les conditions qui étaient faites à Marx n’étaient pas des plus désavantageuses ; il devait écrire deux articles par semaine et recevoir pour chaque article 2 livres sterling (40 marks). Cela lui aurait fait un revenu de 4000 marks par an, grâce à quoi il aurait pu, même à Londres, surnager… Evidemment, la question n’était nullement de savoir si les honoraires que Marx touchait du journal américain correspondaient tant soi peu à la valeur scientifique et littéraire de ses contributions. Une entreprise de presse capitaliste ne tient compte que des prix du marché, et c’est là son bon droit dans une société bourgeoise. Marx n’a d’ailleurs jamais exigé davantage, mais ce qu’il aurait été néanmoins en droit d’exiger, même dans une société bourgeoise, c’était le respect du contrat conclu, et peut-être aussi une certaine considération pour son travail, choses dont le « New York Daily Tribune » et son éditeur se moquèrent complètement. Dana était certes en théorie fouriériste, mais en pratique c’était un Yankee, un homme d’affaires endurci ; Engels dira un jour dans un accès de colère que Dana le socialiste ne valait pas plus cher que le plus infâme escroc petit-bourgeois. Bien qu’il eût parfaitement conscience de la valeur du collaborateur qu’était Marx – il ne manquait pas d’en faire valoir les mérites auprès de ses abonnés -, Dana ne renonça à aucune des indélicatesses qu’un exploitant capitaliste croit pouvoir se permettre vis-à-vis de quelqu’un dont il exploite la force de travail, allant même jusqu’à détourner purement et simplement les contributions que Marx lui envoyait pour les reprendre à son compte et les publier comme éditoriaux, procédé qui n’arrivait que trop souvent et qui provoquait le légitime courroux de l’auteur. Non content de réduite les appointements de Marx de moitié quand les affaires allaient moins bien, il ne payait que les seuls articles qu’il passait réellement et ne se gênait pas pour mettre au rebut tout ce qui ne cadrait pas avec ses idées. Il arrivait que pendant trois ou six semaines d’affilée les articles de Marx atterrissent dans la corbeille à papier. Au demeurant, les quelques journaux de langue allemande qui ouvrirent temporairement leurs colonnes à Marx, comme la « Wiener Presse », n’agissaient pas différemment. Marx a donc pu dire à juste titre qu’en travaillant pour des journaux, il s’en sortait moins bien que le premier pigiste venu. Dès 1853, il aspira à quelques mois de solitude pour pouvoir mener dans le calme ses travaux scientifiques : « Il semble que je n’y arriverai pas. Gratter continuellement pour les journaux m’ennuie. Ça prend beaucoup de temps, je m’éparpille, et en fin de compte pour rien. On a beau être aussi indépendant que l’on veut, on n’est pas moins lié au journal et à son public, surtout quand on est payé à la ligne comme moi. Des travaux purement scientifiques, c’est tout à fait autre chose… » Après avoir travaillé encore quelques années sous la tutelle de Dana, Marx avait encore changé de ton : « C’est vraiment écœurant d’être embauché par cette feuille de chou. Piler des os, les moudre pour en faire de la soupe, comme les indigents de maison des pauvres, voilà à quoi se réduit le travail politique auquel on est largement condamné dans ce concern ». Marx a partagé le sort d prolétaire moderne, existence misérable, mais aussi totalement précaire. Ce que l’on savait autrefois de façon assez vague, les lettres de Marx à Engels nous le montrent maintenant de façon terriblement saisissante : on le voit cloué chez lui faute de manteau ou de chaussures pour marcher dans la rue, on le voit une autre fois manquant de l’argent nécessaire pour s’acheter du papier ou pour lire les journaux, on le voe courant à droite et à gauche pour trouver les quelques timbres qui lui permettront d’envoyer un manuscrit à son éditeur. A cela s’ajoutaient les éternels démêlés avec les épiciers et autres commerçants à qui il achetait les produits de première nécessité et qu’il était dans l’incapacité de payer, sans parler des menaces du propriétaire prêt à tout instant à lui envoyer l’huissier pour le faire saisir, ou encore des éternelles visites au mont-de-piété dont les taux usuraires engloutissaient les derniers sous qui auraient pu chasser du seuil de la maison le spectre de la misère. Spectre qui ne se contentait pas d’apparaître à la porte, mais trônait effectivement à table. Habitués depuis sa prime jeunesse à une vie sans soucis, sa femme, qui était pourtant le courage et la générosité mêmes, finissait par fléchir sous les assauts et les coups du destin, et souhaitait la mort pour elle et ses enfants. On trouve dans les lettres de Marx certaines allusions à des scènes de ménage, et il lui est arrivé de dire qu’il n’y avait pas plus grande folie, pour les hommes embrassant de grandes causes, que celle de se marier et d’être ainsi infidèle à soi-même en se condamnant pour toujours aux petites misères de la vie domestique. Néanmoins, même si les plaintes de sa femme lui faisaient parfois perdre patience, toujours il lui trouvait excuses et justifications ; elle souffrait incomparablement plus que lui, disait-il, des incroyables humiliations et malheurs qui étaient leur lot, d’autant qu’elle ne pouvait trouver refuge dans le monde de la science qui, pour lui, restait toujours son réconfort et sa sauvegarde. Voir les enfants privés des joies simples de l’enfance leur faisait également mal à tous les deux. Si triste que fut le destin de ce grand penseur, il ne prit cependant une grandeur tragique que parce que Marx choisit de son plein gré d’endurer ces tourments pendant des décennies et qu’il résista à toutes les tentations de trouver un havre de paix au sein d’une profession bourgeoise qu’il aurait pu exercer sans le moindre déshonneur. Il explique lui-même son attitude, avec des mots très simples, et sans la moindre emphase : « Je dois poursuivre mon but envers et contre tout et ne pas laisser la société bourgeoise faire de moi une machine à faire de l’argent. » (lettre de Marx à Weydemeyer le 1er février 1859) (…) A la veille de con cinquantième anniversaire, Marx écrit : « Un demi-siècle sur les épaules et toujours aussi pauvre ! » Aussi lui est-il arrivé un jour de souhaiter plutôt être à cent pieds sous terre que de continuer à végéter comme il le faisait ; à une autre occasion encore le désespoir lui arracha ce cri : « Même à mon pire ennemi je ne souhaite pas de passer comme moi huit semaines enlisé dans le même bourbier » ; Marx était surtout exaspéré de voir ces sordides contingences lui anéantir l’esprit et briser sa puissance de travail. (…) Cependant, ce n’est pas grâce à ses seules et prodigieuses facultés que Marx put triompher des obstacles rencontrés sur sa route. On peut humainement penser qu’il aurait fini par succomber d’une façon ou d’une autre s’il n’avait trouvé en la personne d’Engels un ami dont la fidélité et la totale abnégation ne peuvent commencer à être appréciés à leur juste mesure que depuis la publication de leur correspondance. »
« Marx était avant tout un révolutionnaire. Contribuer, d’une façon ou d’une autre, au renversement de la société capitaliste et des institutions d’Etat qu’elle a créées, collaborer à l’affranchissement du prolétariat moderne, auquel il avait donné le premier la conscience de sa propre situation et de ses besoins, la conscience des conditions de son émancipation, telle était sa véritable vocation. La lutte était son élément. Et il a lutté avec une passion, une opiniâtreté et un succès rares. Collaboration à la première Gazette rhénane en 1842, au Vorwärts de Paris en 1844,48 à la Deutsche Zeitung de Bruxelles en 1847, à la Nouvelle Gazette rhénane en 1848-1849, à la New York Tribune de 1852 à 1861, en outre, publication d’une foule de brochures de combat, travail à Paris, Bruxelles et Londres jusqu’à la constitution de la grande Association internationale des travailleurs, couronnement de toute son œuvre, voilà des résultats dont l’auteur aurait pu être fier, même s’il n’avait rien fait d’autre. Voilà pourquoi Marx a été l’homme le plus exécré et le plus calomnié de son temps. Gouvernements, absolus aussi bien que républicains, l’expulsèrent ; bourgeois conservateurs et démocrates extrémistes le couvraient à qui mieux mieux de calomnies et de malédictions. Il écartait tout cela de son chemin comme des toiles d’araignée, sans y faire aucune attention et il ne répondait qu’en cas de nécessité extrême. Il est mort, vénéré, aimé et pleuré par des millions de militants révolutionnaires du monde entier, dispersés à travers l’Europe, et l’Amérique, depuis les mines de la Sibérie jusqu’en Californie. » affirmait Engels devant le tombeau de Marx…
Ce que la correspondance de Marx et Engels nous enseigne
Le rapport dialectique de Marx et Engels, véritable pierre de touche du marxisme
Friedrich Engels, le compagnon de Karl Marx
Marx et Engels dans la révolution
La confession de Karl Marx », par Riazanov
Riazanov, Karl Marx, homme, penseur et révolutionnaire
Marx sali par la trahison de la social-démocratie ?
Marx sali par la trahison du stalinisme ?