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Le langage et la pensée

lundi 6 juin 2016, par Robert Paris

Les aires de l’hémisphère gauche du cerveau humain concernées par le traitement du langage

Le langage et la pensée

Les avis divergents des philosophes :

Hobbes : « Le vrai et le faux sont des attributs du langage, non des choses. Et là où il n’y a pas de langage, il n’y a ni vérité ni fausseté. »

Hegel : « C’est dans le mot que nous pensons… c’est le mot qui donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. »

Marx : « Le langage est aussi vieux que la conscience – il est la conscience réelle, pratique, aussi présente pour les autres hommes que pour moi-même, et, comme la conscience le langage nait du seul besoin, de la nécessité du commerce avec d’autres hommes. »

Marx : « La production des idées, des représentations et de la conscience, est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes : elle est le langage de la vie réelle. »

Goethe : « Le langage fabrique les gens bien plus que les gens ne fabriquent le langage. »

Freud : « L’écriture est le langage de l’absent. » dans « Malaise dans la civilisation »

Rousseau : « Le premier langage de l’homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eût besoin, avant qu’il fallût persuader des hommes assemblés, est le cri de la nature... »

Rousseau : « Si les hommes ont eu besoin de la parole pour apprendre à penser, ils ont plus besoin encore de savoir penser pour trouver l’art de la parole. »

Bergson : « Nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage. »

Merlau-Ponty : « Il n’est pas (...) de pensée qui ne soit complètement pensée et qui ne demande à des mots les moyens d’être présente à elle-même. Pensée et parole s’escomptent l’une l’autre. Elles se substituent continuellement l’une à l’autre. Elles sont relais, stimulus l’une pour l’autre. »

Merlau-Ponty : « Le langage est pour la pensée à la fois principe d’esclavage puisqu’il s’interpose entre les choses et elle, et principe de liberté puisqu’on se débarrasse d’un privilège en lui donnant son nom. »

Wittgenstein : « Le langage travestit la pensée. Et notamment de telle sorte que d’après la forme extérieure du vêtement l’on ne peut conclure à la forme de la pensée travestie ; pour la raison que la forme extérieure du vêtement vise à tout autre chose qu’à permettre de reconnaître la forme du corps. »

Wittgenstein : « Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde. »

Wittgenstein : « Le langage travestit la pensée. Et notamment de telle sorte que d’après la forme extérieure du vêtement l’on ne peut conclure à la forme de la pensée travestie ; pour la raison que la forme extérieure du vêtement vise à tout autre chose qu’à permettre de reconnaître la forme du corps. »

Leroi-Gourhan : « Il y a possibilité de langage du moment où la préhistoire livre des outils, puisque outil et langage sont liés neurologiquement et puisque l’un et l’autre sont indissociables dans la structure sociale de l’humanité. »

Lévi-Strauss : « Qui dit homme dit langage, et qui dit langage dit société. »

Lévi-Strauss : « Le propre du langage est d’être un système de signes sans rapport matériel avec ce qu’ils ont pour mission de signifier. »

Lévi-Strauss : « Le propre du langage est d’être un système de signes sans rapport matériel avec ce qu’ils ont pour mission de signifier. Si l’art était une imitation complète de l’objet, il n’aurait plus ce caractère de signes. Si bien que nous pouvons concevoir l’art comme un système significatif... Mais qui reste toujours à mi-chemin entre le langage et l’objet. »

Michel Moscato : « Comme le soulignent les chercheurs marxistes, il existe entre le langage et la pensée un lien dialectique de structuration réciproque : le langage devient le reflet de la pensée et les systèmes de pensée sont régulés par le langage. »

Chacun a conscience que la parole a eu, avant l’écrit, une importance considérable, avant l’écrit, dans notre capacité à penser mais où se situe cette importance : avant, après, en deça, au-delà ou encore ailleurs ? Inversement, notre pensée a eu un rôle certainement déterminant dans notre capacité à parler puis à écrire, mais à quel stade, dans quel sens avec quel ordre d’apparition des deux ? Il y a entre les deux une interaction qui rend difficile de séparer, de distinguer, d’étudier de manière indépendante. Il n’y a pas clairement des actions distinctes même si ce sont deux fonctions différentes du cerveau qui agitent des zones différentes de nos hémisphères cérébraux. Impossible de dire laquelle primerait sur l’autre en voyant les deux fonctions agir et activer des réseaux neuronaux différents. Bien sûr, on peut penser sans directement parler mais on aura quand même le sentiment de se parler à soi-même et d’avoir, silencieusement, proféré des paroles en s’adressant à soi-même. Est-ce que cela est véritablement nécessaire pour penser, nous n’en savons rien. Pour parler, il faut nécessairement un cerveau qui pense d’abord aux paroles qui vont être proférées et qui les choisit, les pèse, les imagine et les met en relation mais cela ne nous dit pas qu’il y aurait une prééminence d’une des activités sur l’autre. La pensée consciente est sans doute liée à la parole mais qu’en est-il de la pensée inconsciente ? Nous n’en savons rien. Même grâce à la comparaison avec des animaux avancés, qui ont une espèce de pensée, nous ne pouvons pas déduire grand-chose car la pensée humaine et les moyens de communications animaux sont distincts, y compris en ce qui concerne les grands singes. Quant aux autres espèces d’êtres humains, nous sommes encore moins capables de raisonner sur leurs capacités à parler et à penser…Cela ne peut pas éclairer notre lanterne.

Il nous reste un moyen pour étudier le lien entre parole et pensée, c’est d’étudier ce qui se produit pour les êtres humains dont l’un des deux attributs est, momentanément ou durablement, affecté, détruit ou inhibé.

Les aphasiques, ceux qui ont perdu le langage, pensent tout de même. Si le cerveau gauche est déconnecté, le langage est perdu mais le cerveau droit parvient cependant, dans ces conditions extrêmes, à réfléchir, raisonner et penser. Il est donc certain que le langage, s’il a une influence considérable et indiscutable, sur la pensée, n’est pas le préalable à la pensée…

L’absence ou la déficience de la pensée ou de la parole pour un être humain sont-ils directement reliés ? Une expérience a été réalisée par un roi qui a élevé des enfants en imposant que personne ne leur parle. Le résultat a été des êtres humains tellement choqués qu’ils en sont morts. La communication avec d’autres êtres humains nous est aussi nécessaire que de nous nourrir ! Non seulement nous avons besoin de communiquer pour penser mais nous en avons besoin pour vivre !

Pensons-nous avec des paroles, comme si nous parlions avec nous-mêmes comme avec quelqu’un d’autre ? Ou bien notre pensée consciente est-elle une extériorisation d’une pensée intérieure, inconsciente, dans laquelle nous sommes silencieux et ne parlons, consciemment, avec personne ?

« Aucun mortel ne peut garder un secret si ses lèvres restent silencieuses ce sont ses doigts qui parlent » écrit ainsi Sigmund Freud…

Il convient tout d’abord de remarquer que notre pensée n’est pas reliée seulement avec la parole, mais aussi avec les sentiments, avec les émotions reliés aux autres sons, par exemple à la musique, aux images, à la peinture, aux sensations du toucher, aux odeurs, aux saveurs, aux peurs, aux tristesses, aux plaisirs, aux diverses réactions que nous ressentons au cours de notre vie. La parole n’est qu’un des moyens de ressentir, qu’un des moyens d’exprimer, qu’un des moyens de transmettre et d’échanger. Il y a le langage du visage, le langage des mains, le langage des gestes et attitudes, le langage des mouvements et positions du corps, etc. Et tous ces langages ont eu une plus grande importance qu’aujourd’hui, avant l’apparition et le développement du langage des mots. Et ces divers langages ont eu leur rôle dans l’apparition et le développement de la pensée humaine.

Si la parole était l’outil indispensable à la pensée, les sourds-muets en seraient dépourvus, ce qui n’est pas le cas. L’écrit peut pallier à l’oral. Les échanges peuvent se faire par gestes. La pensée a besoin d’échanges mais cela n’indique pas de quelles sortes d’interactions il doit s’agir. Tous les types d’échanges peuvent être un langage et aider à la formation d’une pensée même si la langue orale puis écrite des hommes a été une étape indispensable de l’histoire de la conscience humaine.

Une autre piste pour suivre le développement interactif du langage et de la pensée est le développement infantile : en effet, l’enfant développe en même temps sa pensée et son langage et, s’ils sont interconnectés, l’un ne semble pas précéder l’autre, contrairement à ce qu’affirme le philosophe Alain. Il semble également qu’il soit impossible de considérer séparément et indépendamment la parole et la pensée mais, bien au contraire, conjointement et de manière intimement mêlée, contrairement à ce qu’affirme Descartes dans « Le discours de la méthode ». On ne peut considérer la parole comme un simple outil de la pensée. La parole est une fonction aussi complexe et fondamentale du cerveau que la pensée. L’un n’est nullement un simple outil de l’autre. Aucun n’est plus fondamental ou plus élémentaire que l’autre.

Il y a de multiples raisons de penser que le langage est issu d’une interaction entre de multiples capacités non langagières, que sont les gestes porteurs de message, les sons, les mouvements du corps et que cela provient de l’intégration des zones correspondant à ces diverses capacités, au sein de l’hémisphère gauche, celui qui va être porteur du langage humain.

Rita Carter écrit dans « Atlas du cerveau » :

« Les raisons de l’apparition du langage demeurent mystérieuses, mais le cerveau lui-même nous fournit quelques indices. Les principales aires du langage se situent dans les lobes temporaux et frontaux de l’hémisphère gauche. Si l’on observe une coupe horizontale du cerveau effectuée à un certain niveau, on constate que ces aires sont marquées par une protubérance caractéristique et unilatérale. Les aires équivalentes de l’hémisphère droit se chargent surtout de traiter les bruits de l’environnement et les facultés spatiales : rythme et mélodie de la musique ; localisation des objets dans le monde extérieur ; mouvements manuels délicats, y compris les gestes – mais pas la langue des signes. Les animaux, à l’exception de certains primates qui présentent ce qui ressemble à un minuscule renflement, ne possèdent pas d’aires du langage. Leur cerveau est plus ou moins symétrique, et les bruits qu’ils produisen sont traités dans les deux hémisphères avec les bruits issus de l’environnement. La région où s’est développé le langage est riche de connexions avec des structures cérébrales plus profondes spécialisées dans les stimuli sensoriels ; c’est une des zones où les impressions issues de différents sens – en particulier le toucher et l’audition – sont rassemblées et recomposées pour former des souvenirs cohérents. En admettant que les ancêtres immédiats de l’homme possédaient la même configuration cérébrale que les primates actuels, il semble que le langage soit apparu dans une région où se sont concentrées plusieurs fonctions fondamentales. Peut-être le cerveau de l’homo habilis – premier bénéficiaire de l’épanouissement du langage – avait-il commencé à s’étendre, et était-il comprimé à l’intérieur de la boîte crânienne, rendant inévitable la fusion d’aires contiguës et de leurs capacités respectives. Les sons se sont trouvés reliés aux gestes des mains, eux-mêmes associés à la synthèse des souvenirs sensoriels en un ensemble cohérent. Existait-il de meilleurs ingrédients pour créer le langage ? Une fois celui-ci installé dans le cerveau, il s’est rapidement accaparé une surface étendue de l’hémisphère gauche, se développant si vite qu’il a repoussé vers l’arrière les fonctions visuelles et s’est approprié les régions autrefois réservées aux facultés spatiales. Les fonctions visio-spatiales conservaient bien entendu leur importance, et restaient à leur place dans l’hémisphère droit. Ainsi a commencé la spécialisation hémisphérique qui confère au cerveau humain son fonctionnement asymétrique absolument unique. »

Rita Carter explique que la capacité langagière est cependant tout à fait indépendante de l’intelligence comme le prouve notamment l’exemple des enfants malades du syndrome de Williams : ils ont un débit extraordinaire de mots, de phrases, d’expression mais une capacité intellectuelle très faible. C’est une maladie due à une mutation génétique. Ces enfants sont de véritables moulins à paroles mais leurs histoires, pleine de vie, n’ont ni queue ni tête et sont complètement inventées, sans connexion avec la réalité. Ces enfants ont de faibles capacités de faire face à des difficultés nécessitant un bon niveau de pensée. Langage et pensée sont donc deux facultés différentes et pas la même sous deux formes distinctes.

Le cas inverse de celui de la maladie de Williams est l’autisme. Contrairement au cas précédent, les autistes ont des difficultés relationnelles (manque d’empathie) même s’ils sont intelligents. L’autisme est un dysfonctionnement du langage et pas de l’intelligence. Voilà une nouvelle preuve de dissociation de ces deux capacités.

Cependant, chez l’individu normal, les deux capacités, loin d’être dissociées, se développent de concert et sont indispensables l’une à l’autre.

La capacité langagière provient de la même zone que celle qui est capable de construire nos fictions…

Chez les patients au cerveau divisé (split-brain), nous découvrons donc que leur hémisphère gauche doté des facultés de langage ne cesse d’élaborer consciemment des scénarios qui donnent sens au réel. Cette faculté de scénarisation du réel revient ainsi à considérer ces productions mentales conscientes comme d’authentiques œuvres de fiction ! Plutôt que de recueillir dans un premier temps les données objectives de son propre comportement, puis de discuter raisonnablement telle ou telle hypothèse afin d’essayer de l’expliquer, le patient façonne sans aucun recul une cause fictive de son propre comportement, et ne démord plus de cette explication qui a force de croyance ! Tiens donc, le patient split-brain nous met ainsi sous les yeux ce que nous avions fini par retenir de l’inconscient freudien : la dimension fictive de nos constructions mentales conscientes ! (…) Ce que nous isolons chez de tels patients à l’aide de ces petites expériences n’est rien d’autre qu’un accès privilégié à certains pas de leur « réalité psychique », pour reprendre les termes de Freud. Cette réalité psychique nous apparaît ici parfaitement dissociée de la réalité objective : ce qui fait véritablement sens pour le patient c’est une construction mentale fictive. Cette fiction qui est parfaitement contredite par la réalité objective n’en demeure pas moins une construction mentale d’une puissance autrement plus tangible et plus forte pour l’économie mentale du patient que la réalité "expérimentale" dont il est pourtant l’objet. A n’y pas douter, ces fictions sont les véritables habitants de la pensée consciente de ces patients.

Ce résultat spectaculaire, qui indique l’omniprésence et la prégnance des fictions dans notre pensée consciente, se rencontre dans bien d’autres syndromes neurologiques.

Rita Carter écrit encore dans « Atlas du cerveau » :

« Le processus qui permet de donner un sens à un flot de paroles est extraordinairement complexe. Le cerveau doit d’abord les identifier comme langage. Cette première reconnaissance serait réalisée en partie par le thalamus, puis complétée par le cortex auditif primaire. Le discours est ensuite transmis pour traitement aux aires du langage, tandis que les bruits extérieurs, la musique et les messages non verbaux – grognements, cris, rires, soupirs et exclamations comme « beurk ! » - sont dirigés ailleurs. La majorité de nos connaissances sur les régions cérébrales chargées du langage vient de l’étude des sujets dont les problèmes langagiers ont été causés par des attaques ou d’autres types de lésons du cerveau. Certains présentent d’étranges symptômes : ils parlent avec aisance, mais n’ont aucune idée de ce qu’ils disent ; ils peuvent lire, mais pas écrire. Les zones corticales qui se consacrent à la maîtrise de la langue sont situées tout autour du cortex auditif – de l’hémisphère gauche dans 95% des cas. Elles englobent une grande partie des lobes temporaux, et s’avancent jusqu’aux lobes pariétaux et frontaux. Deux aires principales sont connues depuis plus de cent ans – celle de Wernicke et celle de Broca – mais les récentes études réalisées au moyen de l’imagerie médicale suggèrent l’implication d’autres aires, notamment une partie de l’insula : cette zone cachée du cortex se trouve au fond de la scissure de Sylvius, un sillon qui divise les lobes temporaux et frontaux… Une fois le discours identifié, les mots reçoivent un sens tandis que le ruban sonore emmêlé et indistinct est séparé en éléments – mots et phrases. Ces deux mécanismes doivent s’accomplir simultanément car il est presque impossible de saisir la construction du langage si l’on n’en perçoit pas la signification… La différence entre deux consonnes n’est audible que pendant une fraction de seconde. Si vous la manquez, vous n’aurez aucun moyen de savoir si l’on vous parle de votre père ou d’un gâteau au rhum. On pense que c’est là précisément que réside l’origine d’une des nombreuses formes de surdité verbale qui, chez des enfants par ailleurs intelligents et attentifs, limite la compréhension normale du langage. Les neurologues ont découvert une zone minuscule –d’un centimètre carré environ – proche de l’aire de Wernicke, que seule l’audition des consonnes stimule. Lorsqu’on la désactive par inhibition électromagnétique, les patients éprouvent des difficultés à comprendre les mots dont l’identification dépend des consonnes, tandis qu’ils continuent à saisir ceux dont les phonèmes distincts sont des voyelles… L’analyse du sens des mots est quant à elle effectuée soit dans l’aire de Wernicke, soit dans une aire très proche – une zone corticale qui s’étend au-dessus et à l’arrière du lobe temporal, jusqu’au lobe pariétal… L’aire de Broca, sur le côté du lobe frontal, est plus antérieure. Elle jouxte la partie du cortex moteur qui contrôle la mâchoire, le larynx, la langue et les lèvres. Cette aire corticale semble contenir les programmes qui commandent au cortex moteur voisin d’articuler le discours. Les patients atteints de lésions dans cette partie du cerveau comprennent parfaitement ce qu’on leur dit, et savent ce qu’eux-mêmes veulent dire. Simplement, ils ne peuvent l’exprimer. Les mots qu’ils parviennent à produire sont surtout des noms communs ou des verbes délivrés dans un style télégraphique et haché… L’émergence simultanée du langage et de la conscience de soi traduit peut-être simplement la maturation en parallèle des deux aires cérébrales concernées : celles du langage et les lobes frontaux. Il se peut également que les deux phénomènes soient indissociables. »

Le langage est issu d’une époque où l’homme détient seulement un embryon de pensée et des racines du langage. Les deux vont interagir et donner à la fois notre pensée et notre langage. Cela fait que nous pouvons reprendre à notre compte ces propos de Hegel dans sa « Philosophie de l’esprit » de son « Encyclopédie » :

« C’est dans les mots que nous pensons. Nous n’avons conscience de nos pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et par la suite nous les marquons d’une forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. C’est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l’externe et l’interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage, et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de plus haut, c’est l’ineffable. Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement, car, en réalité, l’ineffable, c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. »

Le grand intérêt de prendre conscience que le langage est inséparable de la pensée est d’éviter d’en faire un instrument neutre, indépendant de la vie des hommes, de leurs modes de vie, de leurs conceptions, de leurs relations. Il n’y a pas de neutralité de la pensée par rapport à la vie des hommes, ni dans un sens, ni dans l’autre. Le langage modifie les conceptions des hommes et inversement. Exprimer un point de vue, c’est changer une situation. Ne pas l’exprimer, c’est la figer.

En ce sens, pensée et langage ont un rôle dialectique. Exprimer ou ne pas exprimer une pensée intérieure, c’est lui donner vie ou la laisser mourir. Pensée et langage ont un rôle complémentaire qui est un rôle d’interdépendance mais aussi de destruction mutuelle. Quand on pense, on modifie le langage et quand on exprime, on modifie la pensée.

Pensée et langage ne sont pas seulement indispensables mutuellement mais aussi des moyens de transformation et donc de destruction l’un de l’autre. Ce sont aussi des contraires dialectiques.

Le langage peut trahir une pensée cachée, une pensée enfouie, une pensée inhibée et réprimée. Le langage ne sert donc pas seulement à exprimer la pensée consciente mais aussi à faire ressortir une pensée que nous cherchons à empêcher de devenir consciente.

Il y a donc une contradiction qui est à l’œuvre également dans la relation entre langage et pensée. Certains philosophes pensent que « ce qui se conçoit bien s’énonce aisément. » Mais ce n’est pas qu’une question de technicité : ce que nous acceptons de penser s’énonce aisément et ce que nous essayons de ne pas penser s’énonce difficilement…

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