dimanche 5 avril 2015, par
Tout est fait pour effacer l’importance dans l’Histoire de la lutte des classes, l’importance politique et révolutionnaire du prolétariat. L’essentiel des commentaires, l’essentiel des points de vue politiques affirment que les guerres opposent les puissances et les classes dirigeantes entre elles, que le fascisme s’oppose à la démocratie bourgeoise et qu’au terrorisme s’oppose seulement l’intervention des gouvernants bourgeois. En somme, dans tout cela, le prolétariat et la révolution sociale ne seraient pour rien. De même, ceux-là affirment que les guerres mondiales ne proviennent que de l’affrontement entre des bourgeoisies nationales aux intérêts contradictoires. Curieusement, les bourgeoisies en question affirment exactement la même chose.
Nous voulons développer ici l’idée que révolution sociale et violences des bourgeoisies (guerre civile, guerre entre nations, guerre mondiale et fascisme) sont des contraires qui ne s’opposent nullement de manière diamétrale mais dialectique, c’est-à-dire qu’ils sont inséparables : la révolution entraîne la guerre et le fascisme et ceux-là entraînent également la révolution sociale.
C’est un point dont l’importance politique est considérable dans la situation actuelle. Dans la vision dichotomique (opposée à la vision dialectique), les guerres ne seraient que des affrontements entre des bourgeoisies ou des fractions des bourgeoisies, par exemple une fraction laïque et une autre religieuse, une fraction du nord, une fraction du sud, une fraction chrétienne et une fraction musulmane, une fraction pro-occidentale et une fraction pro-russe et on en passe. Les peuples n’auraient ainsi d’autre choix que de soutenir une bourgeoisie ou d’être victime des deux fractions bourgeoises.
Bien sûr, certains affirment que la position juste est d’être contre les guerres mais comment la révolution pourrait-elle les combattre si elle n’a aucun rapport avec ces guerres ?
Evidemment l’apparence oppose diamétralement guerres et révolutions : affrontements entre bourgeoisies ou luttes entre exploiteurs et exploités.
Les révolutionnaires peuvent à juste titre poser le problème : guerre ou révolution ou encore fascisme ou révolution, mais les deux sont des parties d’une alternative et pas des perspectives séparées.
Quand la révolution russe se retrouve face à l’alternative Koltchak ou Lénine, c’est parce que la situation a mené les deux termes opposés à cet extrême. La montée de l’un et celle de l’autre sont inséparables.
De même, la montée de la guerre européenne et celle de la révolution sont inséparables dans la France de la révolution de 1789-1793.
On peut encore citer des exemples fameux comme le lien entre la guerre franco-allemande de 1870 et la montée révolutionnaire de Paris.
Certains citent exclusivement le rôle de la guerre dans le murissement de la révolution. Mais il ne faut pas non plus oublier l’inverse : le murissement de la guerre et du fascisme sous la menace de la montée révolutionnaire.
Les régimes pris à la gorge par la révolution se lancent généralement dans la guerre, même s’ils savent qu’ils ne font que retarder et radicaliser encore la révolution.
C’est le cas de la France impériale de Napoléon III (guerre franco-allemande) aussi bien que de la Russie tsariste de 1905 (guerre russo-japonaise) ou de 1914-1917 (première guerre mondiale), ou de l’Allemagne nazie (deuxième guerre mondiale). Ce sont des régimes qui, s’ils ne se lancent pas dans la fuite en avant guerrière, seront rattrapés par la révolution sociale.
C’est également le cas du monde capitaliste en août 1914….
C’est la montée révolutionnaire qui enclenche la première guerre mondiale.
Les guerres servent à étouffer, à détourner, à noyer dans le sans les révolutions qui montent, qui se préparent ou qui ont déjà commencé….
Bien sûr, les rivalités entre bourgeoisies, entre fractions et factions bourgeoises existent mais elles ne justifient pas des bains de sang massifs.
Les industriels se concurrencent, au sein d’une même activité, dans un même pays ou ceux de pays différents mais cela ne suffit pas à expliquer les guerres. Il existe des partis qui misent sur la démocratie bourgeoise et d’autres qui sont fascistes mais ce n’est pas leur affrontement qui explique la venue au pouvoir du fascisme dans un pays.
En effet, les intérêts des bourgeoisies, pour concurrents qu’ils soient, sont aussi des intérêts croisés et ils ont toujours intérêt à négocier plutôt qu’à s’entredéchirer tant que la situation sociale et économique n’est pas au point que la crise du système n’entraîne des risques dangereux de crise sociale révolutionnaire, immédiats ou en perspective.
Tous les grands bains de sang de l’Histoire ont été précédés de situations dans lesquelles les classes dirigeantes ont craint pour leur pouvoir, crainte suscitée par les classes exploitées, y compris quand celles-ci n’ont pas eu conscience de faire peser une telle menace sur les classes exploiteuses.
Les bourgeoisies concurrentes se confrontent un peu militairement mais elles ne déchaînent la violence massive des grandes guerres, des grands génocides, des exterminations fascistes et des guerres mondiales que lorsque les exploités deviennent menaçants.
Bien sûr, nos contradicteurs, qui affirment de manière curieuse être entièrement d’accord avec l’adage de Marx « L’Histoire est celle de la lutte des classes », se couvrent de leur interprétation du fameux texte de Lénine : « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Ce texte, écrit en plein dans la première guerre mondiale, visait à démolir les prétendus buts de guerre des grandes puissances impérialistes. Ces Etats jetaient leur violence massive contre les peuples en cachant leurs objectifs derrière leur prétendue volonté de libérer les peuples de la dictature, de l’oppression et de l’exploitation et affirmaient n’avoir aucune visée de conquête. Lénine démontre le contraire. Cela ne signifie pas que la concurrence entre bourgeoisies nationales soit la source fondamentale du déclenchement des guerres ni n’en détermine le moment et les alliances.
« Le Manifeste de Bâle de la IIe Internationale, qui avait porté dès 1912 une appréciation précisément sur la guerre qui devait éclater en 1914, et non sur la guerre en général (il existe différentes sortes de guerres, il en est aussi de révolutionnaires), est resté un monument qui dénonce toute la faillite honteuse, tout le reniement des héros de la IIe Internationale. C’est pourquoi je reproduis ce manifeste en annexe à cette édition, en attirant une fois de plus l’attention des lecteurs sur le fait que les héros de la IIe Internationale évitent soigneusement les passages du manifeste où l’on parle avec précision, de façon claire et explicite, de la liaison entre cette guerre imminente, précisément, et la révolution prolétarienne, sur le fait qu’ils les évitent avec un soin égal à celui que met un voleur à éviter le lieu de son larcin. »
L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine
En ce qui concerne la pensée de Lénine, faire de la guerre mondiale un simple produit des rivalités entre bourgeoisies impérialistes, c’est omettre toute la propagande du mouvement socialiste, dans les années précédant la guerre, qui expliquait sans cesse ce qui motivait la poussée vers la guerre mondiale par la crainte de la montée du mouvement ouvrier et révolutionnaire.
C’était quelque chose qui ne pouvait pas être ignoré d’un dirigeant du mouvement ouvrier socialiste, lui qui n’avait cessé de proclamer lors des congrès mondiaux dans les années précédant 1914, que la guerre mondiale était la réponse des classes dirigeantes à la montée de la force du prolétariat.
Voici la description par Lénine de la situation mondiale le 1er mars 1913 dans "Les destinées historiques de la doctrine de Karl Marx" :
« Les opportunistes n’avaient pas encore fini de glorifier la "paix sociale" et la possibilité d’éviter les tempêtes sous la "démocratie", que s’ouvrait en Asie une nouvelle source de grandes tempêtes mondiales. La révolution russe a été suivie des révolutions turque, persane, chinoise. Nous vivons aujourd’hui justement à l’époque de ces tempêtes et de leur "répercussion en sens inverse" en Europe. Quel que soit le destin réservé à la grande République chinoise, qui excite aujourd’hui les appétits de toute sorte d’hyènes "civilisées", aucune force au monde ne pourra rétablir le vieux féodalisme en Asie, ni balayer de la surface de la terre le démocratisme héroïque des masses populaires dans les pays asiatiques et semi-asiatiques... A la suite de l’Asie, l’Europe commence à se remuer mais pas à la manière asiatique. La période "pacifique" de 1872-1904 est à jamais révolue. La vie chère et l’emprise des trusts provoquent une aggravation sans précédent de la lutte économique, aggravation qui a même secoué les ouvriers anglais, les plus corrompus par le libéralisme. Une crise politique mûrit sous nos yeux même dans le plus "irréductible" pays de la bourgeoisie et des junkers, en Allemagne. »
Et d’autant moins une surprise pour Lénine, dirigeant bolchevik de Russie, puisque la montée ouvrière marquait la Russie, avec à sa tête le parti bolchevik devenu pour la première fois majoritaire.
On peut lire par exemple Lénine écrire dans « Le socialisme et la guerre » en 1915 :
« Le tsarisme voit dans la guerre un moyen de détourner l’attention du mécontentement qui s’accroît à l’intérieur du pays et d’écraser le mouvement révolutionnaire grandissant. »
La crise mondiale précédente avait affaibli mortellement la bourgeoisie des pays impérialistes et mis au bord du gouffre les anciens empires, déjà mis en cause par les nationalités opprimées (Empire chinois, Empire Ottoman, Empire russe, Empire austro-hongrois, Empire allemand). Il est remarquable que tous ces empires sont menacés avant la guerre et que tous vont chuter. La révolution est bien inséparable de la guerre…
La deuxième guerre mondiale est elle aussi précédée d’une vague révolutionnaire, celle de 1936…
Tous les grands massacres, et pas seulement les guerres mondiales, sont précédés de soulèvements soit révolutionnaires soit pré-révolutionnaires….
Le massacre des Juifs en Europe de l’Est par l’Etat allemand a été précédé par leur soulèvement durant la vague révolutionnaire en Europe en 1917-1923.
Le massacre des Arméniens de Turquie a été précédé par le soulèvement révolutionnaire de ceux-ci, conjointement au soulèvement turc contre l’empire ottoman et à celui des autres nationalités opprimées.
Plus près de nous, tous les autres exemples de génocides et de grands massacres sont liés au soulèvement des travailleurs et des peuples opprimés.
Le génocide rwandais de 1994 est précédé de deux ans par un soulèvement populaire et démocratique de masse à Kigali.
La guerre civile sanglante d’Algérie commençant en 1991 est précédée par le soulèvement ouvrier, populaire et jeune de 1988.
Ce n’est pas un ou deux exemples. C’est une loi de l’Histoire.
La guerre, le fascisme ou le génocide ont le mérite, pour les gouvernants et les classes dirigeantes, d’effacer les traces de la révolution. Après des années de bain de sang, personne ne se souvient plus que ces années ont été précédées d’une révolution sociale dans laquelle les opprimés avaient oublié leurs craintes et s’autorisaient à s’organiser et à décider par eux-mêmes. Après des années de guerre de Yougoslavie, le peuple lui-même ne se rappelait plus des vagues de grève générale qui l’avaient précédé. Le peuple libanais, après plusieurs bains de sang de la guerre interethnique et inter-religieuse, ne se souvenait plus de la montée révolutionnaire qui l’avait précédée. Le massacre des parisiens après la révolution de la Commune n’était nullement nécessité par la lutte elle-même mais par la volonté de noyer dans le bain de sang le souvenir même du peuple révolutionnaire.
La révolution ouvrière d’Iran est suivie par la guerre Iran-Irak.
La révolution qui monte contre Saddam Hussein, notamment chez les Kurdes et les Chiites est détournée par la première guerre d’Irak. Les USA sont contraints de l’arrêter car la révolution explose et ils rendent alors à Saddam sa garde présidentielle pour massacrer la révolution.
La révolution palestinienne de Jordanie est arrêtée par un bain de sang et la révolution du Liban qui lui succède est transformée en guerre. De même, pour les divers soulèvements des Palestiniens d’Israël et de Gaza.
On a fait croire au peuple ivoirien que la lutte n’avait lieu qu’entre deux fractions bourgeoises en guerre, alors que, dans les années précédentes, la révolution sociale montait dans le pays. Exactement comme on avait fait croire la même chose au monde au moment des guerres mondiales, de la révolte en Algérie, de la révolution en Iran ou de celle du Liban...
Les révolutions arabes de Tunisie et d’Egypte ont pris au dépourvu les impérialismes qui n’ont pas pu intervenir. Ils vont se rattraper en Libye et en Syrie, en transformant les révolutions sociales et politiques en guerres et en bain de sang.
Le développement du fascisme se revendiquant de l’Islam va être un moyen de répondre à la radicalisation populaire, et il sera suivi de la répression violente prétendue des courants islamistes en Egypte, les dictateurs militaires égyptiens employant les mêmes méthodes que ceux qu’avaient employé les dictateurs militaires algériens.
La guerre, un moyen contre la révolution sociale, Rosa Luxemburg
Le lien entre la première guerre mondiale et la révolution mondiale
Un débat avec un groupe trotskiste sur le lien entre guerre et révolution
Deuxième guerre mondiale et révolution
Génocide rwandais et révolution
Génocide arménien et révolution
Génocide des Juifs et révolution
Fascisme italien et révolution
Fascisme allemand et révolution
Guerre et fascisme face à la révolution prolétarienne en Espagne
Troisième guerre mondiale ou révolution mondiale : qui l’emportera ?
Mai-Juin 1936 : la grève générale, vers la révolution ou vers la guerre et le fascisme ?
Syrie : la révolution transformée en guerre
Palestiniens : la révolution transformée en guerre
Algérie : de la révolution au fascisme et à la guerre contre les civils
Côte d’Ivoire : de la montée du mécontentement social à la guerre intestine