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Matérialisme et empiriocriticisme - Lénine - Notes critiques sur une philosophie réactionnaire

dimanche 21 décembre 2014, par Robert Paris

Dix questions au conférencier

Le conférencier admet‑il que le matérialisme dialectique est la philosophie du marxisme ?
Dans la négative, pourquoi n’a‑t‑il jamais examiné les innombrables déclarations d’Engels à ce sujet ?
Dans l’affirmative, pourquoi les disciples de Mach appellent‑ils « philosophie du marxisme » » leur « révision » du matérialisme dialectique ?
Le conférencier admet‑il la division essentielle des systèmes philosophiques, telle que l’énonce Engels, en matérialisme et idéalisme, étant donné que la tendance de Hume dans la philosophie moderne, tendance appelée « agnostique » par Engels, qui déclare que le kantisme est une variété de l’agnosticisme, est une tendance médiane, hésitant entre les deux précédentes ?
Le conférencier admet‑il que la théorie de la connaissance du matérialisme dialectique se fonde sur l’admission de l’univers extérieur et de son reflet dans le cerveau humain ?
Le conférencier reconnaît‑il la justesse de la thèse d’Engels sur la transformation de la « chose en soi » en « chose pour nous » ?
Le conférencier reconnaît‑il la justesse de l’affirmation d’Engels selon laquelle « l’unité réelle du monde consiste en sa matérialité » ? [1]
Le conférencier reconnaît‑il la justesse de l’affirmation d’Engels selon laquelle « la matière sans mouvement est tout aussi inconcevable que le mouvement sans matière » ? [2]
Le conférencier admet‑il que les idées de causalité, de nécessité et de loi, etc. reflètent dans le cerveau humain les lois de la nature, les lois du monde réel ? Ou Engels aurait‑il eu tort de l’affirmer ? [3]
Le conférencier sait‑il que Mach a exprimé son accord avec le chef de l’école immanente, Schuppe, et lui a même dédié son dernier et principal ouvrage philosophique ? Comment le conférencier explique‑t‑il cette adhésion de Mach à la philosophie manifestement idéaliste de Schuppe, défenseur du cléricalisme et, de façon générale, manifestement réactionnaire en philosophie ?
Pourquoi le conférencier a‑t‑il passé sous silence la « mésaventure » de son camarade d’hier (d’après les Essais [4]), le menchévik louchkévitch, qui (après Rakhmétov [5]) déclare aujourd’hui Bogdanov [6] idéaliste ? Le conférencier sait‑il que Petzoldt classe, dans son dernier livre, divers élèves de Mach parmi les idéalistes ?
Le conférencier confirme‑t‑il le fait que la doctrine de Mach n’a rien de commun avec le bolchévisme ? Que Lénine a maintes fois protesté contre cette doctrine ? Que les menchéviks Iouchkévitch et Valentinov sont de « purs » empiriocriticistes ?

Rédigé en mai‑juin 1908.
Publié pour la première fois en 1925 dans le Recueil Lénine, III

Notes

[1] Anti‑Dühring, 2° édit. allemande, 1886, p. 28, première partie, § IV, « Le schème de l’univers ».

[2] Anti‑Dühring, 2° édit. allemande, 1886, p. 45, § VI, « Philosophie de la nature, cosmogonie, physique, chimie ».

[3] Anti‑Dühring, pp. 20 et 21, § III, « L’apriorisme », et pp. 103 et 104, § XI, « Liberté et nécessité ».

[4] C’est‑à‑dire les Essais sur la philosophie marxiste ‑ Note du traducteur.

[5] Nom de plume du menchévik Plekhanoviste Oskar Blum.

[6] Pseudonyme d’Alexandre Malinovski.

Nombre d’écrivains qui se réclament du marxisme ont entrepris parmi nous, cette année, une véritable campagne contre la philosophie marxiste. En moins de six mois, quatre livres ont paru, consacrés surtout, presque entièrement, à des attaques contre le matérialisme dialectique. Ce sont tout d’abord les Essais sur [ ? il aurait fallu dire : contre] [1] la philosophie marxiste, Saint­Pétersbourg, 1908, recueil d’articles de Bazarov, Bogdanov, Lounatcharski, Bermann, Hellfond, Iouchkévitch, Souvorov ; puis Matérialisme et réalisme critique, de Iouchkévitch ; La Dialectique à la lumière de la théorie contemporaine de la connaissance, de Bermann ; Les Constructions philosophiques du marxisme, de Valentinov..

Toutes ces personnes ne peuvent ignorer que Marx et Engels qualifièrent maintes fois, leurs conceptions philosophiques de matérialisme dialectique. Toutes ces personnes, qui se sont unies ‑ malgré les divergences accusées de leurs opinions politiques ‑ dans leur hostilité envers le matérialisme dialectique, se prétendent cependant des marxistes en philosophie ! La dialectique d’Engels est une « mystique », dit Bermann. Les conceptions d’Engels ont « vieilli », laisse tomber incidemment Bazarov, comme une chose qui va de soi. te matérialisme serait, paraît‑il, réfuté par ces hardis guerriers, qui invoquent fièrement la « théorie contemporaine de la connaissance », la « philosophie moderne » (ou « positivisme moderne »), la « philosophie des sciences de la nature contemporaines », voire même la « philosophie des sciences de la nature du XX° siècle ». Forts de toutes ces doctrines prétendument modernes, nos pourfendeurs du matérialisme dialectique en arrivent sans crainte à reconnaître purement et simplement le fidéisme [2] (on le voit bien mieux chez Lounatcharski, mais il n’est pas le seul ! [3]) ; ils perdent, par contre, toute hardiesse, tout respect de leurs propres convictions quand il s’agit de définir nettement leur attitude envers Marx et Engels. En fait, abandon complet du matérialisme dialectique, c’est‑à‑dire du marxisme. En paroles, des subterfuges sans fin, des tentatives de tourner le fond du problème, de masquer leur dérobade, de substituer un matérialiste quelconque au matérialisme en général, le refus net d’analyser de près les innombrables déclarations matérialistes de Marx et d’Engels. Véritable « révolte à genoux », selon la juste expression d’un marxiste. Révisionnisme philosophique typique, car seuls les révisionnistes se sont acquis une triste renommée en s’écartant des conceptions fondamentales du marxisme, trop conscients de leur crainte et impuissants à « régler leur compte » ouvertement, avec netteté, énergie et clarté, aux idées qu’ils ont abandonnées. Quand les marxistes orthodoxes avaient à combattre certaines conceptions vieillies de Marx (ainsi que l’a fait Mehring à l’égard de certaines affirmations historiques), ils l’ont toujours fait avec tant de précision, de façon tellement circonstanciée que jamais personne n’a pu relever dans leurs travaux la moindre équivoque.

On trouve d’ailleurs dans les Essais « sur » la philosophie marxiste une phrase qui ressemble à la vérité. C’est cette phrase de Lounatcharski : « Nous [il s’agit évidemment de tous, les auteurs des Essais] nous fourvoyons peut‑être, mais nous cherchons » (p. 161). Que la première moitié de cette phrase soit une vérité absolue, et la seconde une vérité relative, c’est ce que je m’efforcerai de démontrer complètement dans le présent ouvrage. je me bornerai pour l’instant à faire observer que si nos philosophes, au lieu de parler au nom du marxisme, parlaient au nom de quelques « chercheurs » marxistes, ils témoigneraient d’un plus grand respect d’eux‑mêmes et du marxisme.

En ce qui me concerne, je suis aussi un « chercheur » en philosophie. Plus précisément : je me suis donné pour tâche, dans ces notes, de rechercher où se sont égarés les gens qui nous offrent, sous couleur de marxisme, quelque chose d’incroyablement incohérent, confus et réactionnaire.

Septembre 1908. L’auteur.

Notes

[1] Dans le présent ouvrage, tout texte mis entre les crochets est dû à Lénine, sauf indication du contraire ‑ Note du traducteur.

[2] Doctrine substituant la foi à la science ou, par extension, attribuant à la foi une certaine importance. Lénine utillise ce terme pour échapper à la censure. (Note de l’auteur)
Dans une lettre à Oulianova‑Elizarova du 26 octobre (8 novembre 1908), Lénine écrivait : « ... si la censure se montrait très sévère, on pourrait remplacer partout le mot « cléricalisme » par le mot « fidéisme » avec une note explicative (« Fidéisme : une doctrine substituant la foi à la science ou, par extension, attribuant à la foi une certaine importance »). Cela au cas où il serait nécessaire d’expliquer le caractère des concessions que je consentirais » (Œuvres, 4° éd. russe, t. 37, p. 316). Dans une autre lettre à sa sœur Lénine proposait de remplacer le mot « cléricalisme » par le mot « chamanisme », à quoi elle répondit : c Le « chamanisme » arrive trop tard. Mais est‑ce mieux ? » (ibid., p. 586). Le texte de Matérialisme et empiriocriticisme montre que le mot « cléricalisme » qui était initialement dans le manuscrit de Lénine avait été remplacé par le mot « fidéisme » ; toutefois, dans certains passages le mot restait. La note proposée par Lénine a été donnée dans la première édition du livre et conservée dans les éditions ultérieures. (N.R.)

[3] Allusion au courant de la « construction de Dieu » courant qui prit naissance parmi certains intellectuels bolchéviques durant la période consécutive à la défaite de la révolution de 1905.
Ce courant cherchait à construire une religion « socialiste », donc concilier marxisme et religion. Ses principales têtes étaient Lounatcharski et Bazarov. Gorki en était proche. (N.R.)

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