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Pourquoi nous combattons l’idéologie du progrès ?

vendredi 23 novembre 2012, par Robert Paris

« Le progrès : trop robot pour être vrai. »
dit Jacques Prévert

« Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe. »
dit Albert Einstein

« Il est impossible de prédire les conséquences positives ou négatives du progrès de nos connaissances. »
dit Pierre Joliot

« Il est beau le progrès ! Quand on pense que la police n’est même pas fichue de l’arrêter... »
dit Pierre Dac

Pourquoi nous combattons l’idéologie du progrès ?

On nous dit souvent : vous, les révolutionnaires, vous voulez faire progresser la société et vous défendez le communisme comme une société meilleure. C’est une manière fausse de voir les choses. Nous ne défendons pas l’idée d’une meilleure société. Nous ne sommes pas les propagandistes d’une utopie. Nous ne comptons pas non plus sur nos discours pour pousser les gens à changer le monde. Si telle était notre idée, elle risquerait fort d’attendre longtemps pour se concrétiser car on ne pousse pas le changement par des discours. Nous nous posons le problème très différemment et étudions plutôt le développement de la société humaine, les forces réelles qui le poussent et cherchons à agir consciemment dans le sens de la nécessité objective. Nous constatons alors que ce n’est pas une force du progrès qui pousse la transformation mais une force sociale...

Le progrès est une des idées fausses du bon sens qui nous dit : « On n’arrête pas le progrès. » Pourtant, ce que nous montre la société humaine, ce sont des capacités des structures sociales d’arrêter la transformation jusqu’à ce que des tremblements de terre sociaux mettent en branle ce qui avait été arrêté si longtemps, le mouvements des plaques continentales de la société…

La civilisation est souvent représentée comme un progrès extraordinaire, qui semble quasi miraculeux, et comme une extraordinaire capacité d’organisation sociale des classes dirigeantes. Ces dernières auraient développé des techniques agricoles, d’irrigation et des techniques de domination de peuples entiers, enfin capables de bâtir, sur la base d’immenses territoires agricoles, des villes prospères. L’ordre social aurait bâti la structure sociale et la prospérité. Progrès technique, progrès organisationnel, progrès social et pour finir construction de l’Etat et de la haute civilisation, tel peut être le résumé de la thèse qui a le plus souvent cours sur la naissance et le développement des civilisations. Mais il y a un hic : les découvertes archéologiques ne correspondent nullement à un tel mythe. La connaissance, même limitée de l’histoire ancienne, ne nous amène nullement à ce type de conclusions et fait apparaître une tout autre chronologie et un mécanisme d’émergence de la civilisation profondément différent. La civilisation semble, au contraire, être le produit d’une succession de révolutions sociales et politiques.

Bien des auteurs, y compris se considérant comme révolutionnaires, développent une idéologie qui érige le progrès comme un fait ou comme une force autonome marquant la société humaine, marquant aussi le vivant pour certains et même marquant la matière. Certains confondent cette notion de progrès avec celle de transformation historique. Ils voient en action une force qui serait « le sens inexorable du progrès » et certains attribuent cette conception à Marx. On entend à la fois parler de progrès technique, de progrès scientifique, de progrès social, de progrès idéologique, de progrès économique et de progrès historique plus généralement.

Ces auteurs voient généralement le monde et son histoire comme une lutte entre force du progrès et force de réaction, quand ce n’est pas entre idéologie du progrès et idéologie de la réaction. Pour eux, le capitalisme a été un progrès et pour certains d’entre eux, le socialisme sera un progrès.

Une des questions est la prétention d’attribuer cette conception à Marx et Engels. Une autre est la possibilité de décrire la dynamique historique par un tel combat entre réaction et progrès. Une troisième est la possibilité de décrire ainsi la science, la pensée, la société ou le monde matériel, vivant ou non vivant.

Pourquoi combattons-nous cette idéologie ?

Parce qu’elle fonde le combat historique sur des critères moraux que sont le progrès et la réaction, qui sont des critères absolus, abstraits et anti-historiques.

Pour nous, Marx a dit que le fondement de la dynamique historique des sociétés est la lutte des classes sociales appuyées sur la réalité économique contradictoire mise en place par le mode de production d’une époque.

Dans ce mode de production, dans chaque classe sociale qu’il met en action, dans les luttes entre ces classes, il y a des contradictions et ce sont ces contradictions qui sont le moteur de l’Histoire parce qu’elles ne cessent de remettre en question chaque société et d’obliger la société humaine à changer radicalement.

Il n’y a pas une classe du progrès et une classe de la réaction. Les classes opprimées ne sont pas toujours porteuses d’un avenir ou d’un nouveau mode de production, d’une nouvelle société. La destruction de la vieille société peut entraîner des effondrements spectaculaires. Cela ne signifie pas nécessairement que les idées réactionnaires l’aient emporté.

Un « progrès » d’une époque devient la base de la réaction de l’autre. Le progrès historique peut être fondé sur une régression terrible des conditions d’existence des masses.

La pensée de Marx se caractérise par le refus de placer au dessus de l’Histoire un quelconque principe abstrait ou moral qui la guiderait. Aucune institution, aucune idée, aucune classe n’est en soi progressiste ou en soi régressive. C’est le déroulement de l’Histoire et les étapes réelles de celle-ci qui déterminent dans quel sens peut aller leur action. Et elle est contradictoire : c’est la dialectique des contraires qui pilote les changements.

D’où vient que bien des gens croient voir dans le marxisme une idéologie du progrès et même voir dans Marx le fondateur d’une telle idéologie ?

Du fait que le marxisme n’a jamais été véritablement popularisé massivement avant la grande époque du stalinisme et cette idéologie est paradoxalement celle de la bureaucratie stalinienne. Ironie de l’Histoire que la pire idéologie et la pire société, celle qui a fondamentalement détruit éradiqué tout droit des prolétaires, toute perspective révolutionnaire internationaliste et toute idée révolutionnaire se pare du drapeau du progrès !!! Que la force la plus contre-révolutionnaire de l’Histoire soit présentée comme une locomotive de l’avancée de la société : la force du progrès !

Et cependant ce ne sont pas les staliniens qui ont inventé cette conception mais la bourgeoisie une fois arrivée au pouvoir en Europe occidentale et, en particulier, celle ayant déjà développé son industrie capitaliste et aussi son empire mondial. Elle a dominé le monde en prétendant « apporter le progrès » aux esclaves coloniaux !

Les meilleurs représentants de l’idéologie du progrès s’appellent Turgot, Condorcet, Francis Bacon, Adam Smith, David Hume, les philosophes des Lumières, les socialistes utopistes, puis Herbert Spencer, Auguste Comte, Emmanuel Kant, Charles Darwin, Mac Donald, Victor Hugo, Jean Jaurès, Jules Ferry, Leroi-Gourhan, etc… Elle est reliée souvent au positivisme scientiste, à l’évolutionnisme sociologique, à la science ramenée au changement des technologies.
« Le genre humain a toujours été en progrès et continuera toujours de l’être à l’avenir : ce qui ouvre une perspective à perte de vue dans le temps. » écrit le philosophe Emmanuel Kant

Pour Turgot, par exemple, le progrès s’oppose aux révolutions qui interompnt celui-ci :

"Les progrès [de la civilisation], quoique nécessaires, sont entremêlés de décadences fréquentes par les événements et les révolutions qui viennent les interrompre "

« Le progrès est le mode de l’homme. » écrit Victor Hugo qui a fondé son humanisme sur la confiance dans le combat pour le progrès.

« Je crois que l’avenir de l’humanité est dans le progrès de la raison par la science. » écrit Emile Zola pour qui le progrès découle du scientisme bourgeois.

Les grands admirateurs des progrès de la bourgeoisie vont théoriser que l’avènement de la société bourgeoise, c’est ça le progrès !

« Le premier fait qui soit compris dans le mot de civilisation, c’est le fait de progrès, de développement. » dira François Guizot

Pour Comte, le progrès se fonde sur l’ordre social, sur l’Etat et sur la domination des classes dirigeantes :

« Le progrès est le développement de l’ordre. » déclare Auguste Comte dans « Extrait de Système de politique positive ».

« La formule sacrée du positivisme : L’Amour pour principe, l’Ordre pour base, et le Progrès pour but. » écrit-il encore dans « Système de politique positive ».

Voici ce que Blanqui répondait à Comte dans « Instruction pour une prise d’armes » :

« Doctrine exécrable du fatalisme historique, du fatalisme dans l’humanité. Tout ce qui arrive est bien, par cela seul que cela arrive. Le Catholicisme est irréprochable tant qu’il est le plus fort. Ses torts ne commencent qu’avec sa faiblesse. La féodalité également est un bienfait tant qu’elle écrase. Elle ne devient fléau que par la grâce de son déclin. Travestissement des faits audacieux autant qu’ineptes pour la justification de cette théorie sinistre du progrès quand même, de la santé continue. »

Leroi-Gourhan développe un point de vue diamétralement opposé au notre : progressiste, continuiste, anti-historique, contre la notion de révolution sociale, refusant de compter avec les discontinuités historiques.

Ni l’ethnie ni l’outil ne déterminent le type de société, contrairement à ce qu’affirme Leroi-Gourhan. Ce sont les révolutions sociales qui déterminent le mode de production dominant, celui de la classe dominante. Et c’est le mode de production qui détermine les outils. La découverte technique n’est pas l’essentiel. Bien des exemples le montrent. Ainsi Archimède avait inventé la grue. Elle avait été utilisée pour des objectifs militaires par l’Etat de Syracuse afin de détruire les galères militaires romaines. Mais, pour le transport de matériaux, elle ne l’a jamais été car cette société esclavagiste estimait les esclaves parfaitement suffisants à ce type de tâches…

Présenter la technique comme le moteur d’un progrès continu est très classique dans l’idéologie actuelle, mais ce n’est pas une interprétation valable. Le mode de production n’est pas essentiellement une relation entre l’homme et la nature ou entre l’homme et ses outils mais une relation entre hommes et entre groupes d’hommes. L’image donnée par Leroi-Gourhan de l’homme et de la société humaine n’est pas valable. La société des mégalithes ou les sociétés des mégalithes n’existent pas car le mégalithe n’est pas un système social ni un outil d’un mode de production.

Leroi Gourhan écrit :

« Aussi est-on conduit à poser dans le temps une suite d’états de mieux en mieux adaptés qui illustrent le progrès. Dans le domaine de la morale, des arts, de la société, on peut se demander s’il y a, chez l’Homme, progrès ou stabilité, ou plutôt une série de sursauts ou de chutes qui se traduiraient peut-être par une élévation très lente du niveau général. Dans le domaine technique, le doute n’a jamais effleuré personne : l’Homme perfectionne ses outils avec une efficacité telle qu’il est maintenant, moralement, artistiquement et socialement dépassé par ses moyens d’action contre le milieu naturel, et ce mouvement de progrès technique est si éclatant que, depuis des siècles, chaque groupe qui s’exalte dans ses outils se croit du même coup haussé dans tous les autres domaines. L’Histoire, pour la technologie, est donc fondée non essentiellement sur les accidents politiques mais sur le seul progrès sensible, le progrès matériel. (...) Il y a donc tout un côté de la tendance technique qui tient à la construction de l’univers même et il est aussi normal que les toits soient à double pente, les haches emmanchées, les flèches équilibrées au tiers de leur longueur qu’il est normal pour les gastéropodes de tous les temps d’avoir une coquille enroulée en spirale. »

Extraits de "Milieu et techniques"

L’idée du progrès a, pour eux, de multiples avantages :

 draper les intérêts des classes dirigeantes derrière des pseudo-principes progressistes, des conceptions morales prétendument dans l’intérêt de l’humanité

 faire penser que les sacrifices imposés aux masses le sont pour un avenir meilleur

 imaginer que les changements sociaux ou politiques fondamentaux ont eu lieu par un progrès continu, graduel, lent mais inexorable et pas par des révolutions brutales, violentes et dramatiques

 prétendre que la marche de l’humanité est du côté de la morale, des grands principes, des beaux sentiments, des améliorations progressives mais constantes qui n’ont comme adversaires que des gens qui veulent revenir en arrière, les réactionnaires

Nous pensons que l’histoire des sociétés, l’histoire des hommes, l’histoire des techniques même, l’histoire des sciences, l’histoire du vivant et l’histoire de la matière n’obéissent nullement à cette absurde thèse du progrès en marche inexorable.

Rien n’impose un progrès inévitable. Il n’existe pas de « force du progrès » et il n’y a pas deux pôles qui s’appelleraient progrès et réaction et seraient fondés sur des conceptions de morale ou des principes abstraits.

Ce qui est la base de l’Histoire, ce sont les intérêts économiques, sociaux et politiques contradictoires des classes sociales et leur heurt produit des situations dans lesquelles brutalement le changement devient inévitable. Dans ce type de situations dites révolutionnaires, le pouvoir peut basculer aussi bien dans un sens que dans l’autre et ce qui rend l’affrontement inévitable pour mesurer qui va l’emporter. Les deux camps qui s’affrontent ne se sont jamais appelés progrès et réaction. Marx ne les appelait pas non plus ainsi. Dans le Manifeste communiste, il disait que deux classes sociales s’opposent ce qui est très différent : esclaves et propriétaires d’esclaves, féodaux et serfs, bourgeois et prolétaires.

La lutte des classes n’est pas un progrès, c’est-à-dire un mouvement lent et continu. Elle est, au contraire, l’explosion des contradictions jusque là cachées par l’équilibre des forces et la stabilité des institutions. Et cette explosion ne dit pas si ce qui va en résulter sera le pire ou le meilleur.

Les progrès, même quand ils existent, proviennent de reculs et les reculs proviennent aussi de progrès. Il n’y a pas d’opposition diamétrale de deux forces.

Prenons quelques changements radicaux de la société humaine :

 l’apparition de la propriété privée des moyens de production

 l’apparition de la domination des hommes sur les femmes

 l’esclavage

 le féodalisme

 la construction de l’agriculture capitaliste par l’expulsion des petits paysans

 l’écrasement de l’artisanat par l’industrie

 l’introduction du capitalisme dans le monde par la transformation des peuples en esclaves coloniaux

 la domination du capital industriel et financier monopolistique et l’époque impérialiste des guerres mondiales et de l’oppression du monde

Les voilà les « grandes étapes du progrès » ?!!!!

Peut-on prétendre que le prétendu progrès n’est pas le produit des massacres, de l’oppression et de l’exploitation ? Peut-on prétendre que les étapes historiques sont guidées par autre chose que les itnérêts des classes sociales, ces groupes de classe fondés sur un mode de production, un système global économique et social dans lesquels l’essentiel de la population est traitée en sujette ?

Et la lutte entre l’idée du progrès et l’idée réactionnaire ?
C’est encore une ineptie !

Le socialisme ne sera pas un progrès par rapport au capitalisme. Du moins, on peut dire que c’est un progrès si on veut dire par là que sans le capitalisme et ses capacités de production, le socialisme serait impossible. Mais il faut rajouter que, sans l’effondrement économique et social du capitalisme, sans la chute de la classe capitaliste du fait de ses contradictions internes, les bases objectives du changement social révolutionnaire n’existent même pas. Le socialisme ne peut pas provenir tranquilement du plus haut niveau économique du capitalisme. L’histoire est beaucoup plus cataclysmique que cette imagerie progressive.

Aucune structure, ni sociale, ni vivante, ni matérielle, ni idéologique n’a jamais changé fondamentalement en passant progressivement, continûment, graduellement par toutes les étapes intermédiaires que suppose la notion de « progrès ».

On n’a pas davantage trouvé des étapes graduelles successives entre féodalisme et capitalisme qu’entre esclavagisme et féodalisme. On n’a pas trouvé des étapes progressives entre des étapes diverses des espèces vivantes. On n’a pas trouvé des étapes de pensée entre des conceptions fondamentalement changées dans les sciences et les philosophies.

Qu’il s’agisse des évolutions quantitatives ou qualitatives, nous sommes habitués à « les linéariser », c’est-à-dire à remplir l’infinité de trous qui existent entre les points en supposant que ce que l’on ne connaît pas est aussi dans l’alignement. Il peut s’agir par exemple d’une augmentation de température ou de l’évolution de la taille du cerveau des espèces humanoïdes ou encore de la taille de l’os d’un équidé. Il peut s’agir, en termes qualitatifs, de la chronologie des découvertes techniques de l’homme : découverte de la taille du silex puis découverte du feu, habitat stable, découverte de l’agriculture, découverte de la poterie, etc… Il peut s’agir des évolutions des espèces elles-mêmes avec leurs dates successives d’apparition.
Dans tous ces cas, notre attitude philosophique la plus « naturelle » consistera à aligner les résultats dans une progression régulière. Pourtant, nos connaissances portent toujours sur des mesures parfaitement ponctuelles donc discontinues. Nous ignorons ce qui se passe entre ces mesures et parfois nous savons qu’il y a des trous mais nous voulons marquer seulement la progression entre les avancées sans se figurer que les trous veulent eux aussi dire quelque chose !

Cela nous mène à des recherches fausses du type chaînon manquant, à des considérations également fausses sur le plan scientifique, historique et philosophique. Deux sociétés se sont succédé en Inde. L’une est-elle forcément la suite de l’autre dans un progrès et dans une continuité. Eh bien non ! La société hindoue classique n’est certainement pas la suite de la civilisation de l’Indus. D’autre part, rien ne prouve cette progression. Il y a pu y avoir des ruptures mais il y a aussi pu y avoir des régressions. Si on indique la suite : australopithèque puis homme de Néanderthal puis sapiens-sapiens, on aura tendance à dire que l’on est passé d’un homme qui n’était pas sapiens à un autre qui était seulement sapiens et à un troisième qui est sapiens-sapiens. On y voit le progrès dans une qualité qui serait le savoir mais qu’est-ce qui prouve que l’homme de Néanderthal en savait moins que le sapiens-sapiens ? Rien. C’est un présupposé qui découle de la présentation fallacieuse des faits. On en a d’abord conclu que Néanderthal ne savait pas fabriquer des outils, qu’il n’enterrait pas ses morts, que sa capacité cérébrale était inférieure ou sa capacité de chasseur-cueilleur, mais rien de tout cela n’est nullement prouvé. Et Néanderthal pourrait très bien avoir été supérieur en art, en techniques ou même en art de la guerre et avoir perdu la bataille, au plan historique, pour des raisons bien différentes qu’une capacité inférieure quelconque. Par exemple, il se pourrait que, sexuellement, il ait été attiré par les femelles sapiens-sapiens, de beauté plus fine, et ait fini par ne procréer qu’avec elles, donnant des enfants de plus en plus sapiens-sapiens. Ce n’est qu’une possibilité bien sûr mais elle montre que la survie du « supérieur » ne veut rien dire en l’occurrence. D’autant qu’il s’agit d’espèces interfécondes. On le sait puisque dans notre ADN de sapiens-sapiens, il reste quelque chose du Néanderthal !

L’image de la linéarité historique est tellement classique que, même quand elle n’a aucun sens réel parce qu’elle compare ce qui n’est pas comparable et à niveau qui n’est pas la cause des faits car on ne passe pas directement de l’un à l’autre, elle ne nous choque pas.
Mais ce n’est nullement la conception de Marx. La dialectique n’est pas linéaire, pas continue, pas graduelle, pas progressive mais contradictoire, pas métaphysique et abstraite comme a notion de progrès et n’efface pas la lutte des classes.

Dans le Capital, Marx écrit :

« Tout progrès de l’agriculture capitaliste est l’art de piller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, est un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. . »

Karl Marx écrit dans Les révolutions de 1848 et le prolétariat :

« Toutes nos découvertes et tout notre progrès ont pour résultat, semble-t-il, de doter les forces matérielles d’une vie intelligente et de ravaler l’homme au niveau d’une simple force matérielle. Cet antagonisme entre la science et l’industrie modernes d’une part, la misère et la décadence modernes de l’autre, cette contradiction entre les forces productives et les conditions sociales de notre époque est un fait, un fait paient, indéniable, écrasant. Certains partis peuvent en gémir, d’autres souhaiter l’anéantissement des découvertes modernes pour se délivrer par là-même des conflits actuels. Libre à eux d’imaginer qu’un progrès aussi marqué en économie doit, pour être complet, s’accompagner d’une régression non moins marquée en politique. Quant à nous, nous ne voulons pas méconnaître l’esprit solide qui travaille activement à dénouer toutes ces contradictions. Nous savons que les nouvelles forces de la société n’ont besoin, pour faire œuvre utile, que de nouveaux hommes. Ces hommes, ce sont les ouvriers. Les ouvriers sont le produit de l’époque actuelle en même temps que la machine elle-même. Aux signes qui mettent en émoi la bourgeoisie, l’aristocratie et les malheureux prophètes de la réaction, nous reconnaissons notre vieil ami, notre Robin Hood à nous, notre vieille taupe qui sait si bien travailler sous terre pour apparaître brusquement : la Révolution. Les ouvriers anglais sont les premiers-nés de l’industrie moderne. Ils ne seront sûrement pas les derniers à appeler la révolution sociale, elle aussi fille de cette même industrie, révolution qui sera la libération de toute leur classe dans le monde entier et qui sera aussi internationale que l’est la domination du capital et l’esclavage du salariat. Je sais que la lutte héroïque soutenue par les ouvriers d’Angleterre depuis le milieu du siècle dernier, lutte qui n’a pas eu l’auréole de la gloire, car les historiens bourgeois l’ont laissée dans l’ombre et passée sous silence. »

Dans « Le Capital », tome 1, Karl Marx dit :

« Dans l’agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol. ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses ressources durables de fertilité… La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. »

« La loi qui toujours équilibre le progrès de l’accumulation du capital et celui de la surpopulation relative ou de l’armée de réserve industrielle rive le travailleur au capital plus solidement que les coins de Vulcain ne rivaient Prométhée à son rocher. C’est cette loi qui établit une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale d’esclavage au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. » (Marx Le Capital,

Riazanov, dans « Karl Marx, homme penseur et révolutionnaire », cite un manuscrit de Marx :

« L’humanité acquiert la maîtrise de la nature, mais, en même temps, l’homme devient l’esclave des hommes et de sa propre infamie. La pure lumière de la science elle-même semble avoir besoin, pour resplendir, du contraste de l’ignorance. Toutes nos découvertes et tout notre progrès ont pour résultat, semble-t-il, de doter les forces matérielles d’une vie intelligente et de ravaler l’homme au niveau d’une simple force matérielle. »

Trotsky écrit dans « Le marxisme et notre époque » :

« Les rapports entre les capitalistes, qui exploitent les travailleurs, sont déterminés par la concurrence, principal ressort du progrès capitaliste. Les grandes entreprises bénéficient, par rapport aux plus petites, des plus grands avantages techniques, financiers, organisationnels, économiques et, Iast but not politiques. Une plus grande quantité de capitaux, permettant d’exploiter un plus grand nombre de travailleurs, donne inévitablement, à celui qui la possède, la victoire dans une compétition. Telle est la base de la concentration et de la centralisation du capital.

Tout en stimulant le progrès et le développement de la technique, la concurrence, non seulement détruit les couches de producteurs intermédiaires, mais se détruit elle-même. Sur les cadavres ou semi-cadavres des petits et moyens capitalistes, se dresse un nombre toujours plus réduit de seigneurs capitalistes toujours plus puissants. Ainsi, de la concurrence honnête, démocratique et progressive, surgit irrévocablement le monopole malfaisant, parasitaire et réactionnaire. Sa domination commença à s’affirmer à partir de 1880,et prit sa forme définitive au tournant du siècle. Maintenant, la victoire du monopole est ouvertement reconnue par les représentants officiels de la société bourgeoise. Et pourtant, lorsque Marx, cherchant à prévoir l’avenir du système capitaliste, démontra pour la première fois que le monopole est une conséquence des tendances inhérentes au capitalisme, le monde bourgeois continua à regarder la concurrence comme une loi éternelle de la nature. (…)« Les lois immanentes de la production (…) contraignent à étendre sans cesse le capital pour le conserver et il ne peut que l’étendre au moyen de l’accumulation progressive. » (Karl Marx, la Capital livre 1) (…)

Marx remarque que « deux âmes habitent en son cœur » et qui entrent en conflit : l’une tournée vers la « pulsion d’accumulation », l’autre tournée vers « le désir de jouissance ». (…) En réalité, le capitalisme se fiche comme d’une guigne du développement matériel, de la technique et du progrès considérés comme des catégories autonomes. Il ne les prend en considération que s’ils sont des supports de son accumulation, des moyens permettant d’accroître la production de plus-value (…) »

Contrairement à la dialectique marxiste, l’idéologie du progrès ne voit la marche historique que comme une action positive et non comme une négation de la négation.

Ainsi, la bourgeoisie présente la féodalité comme la réaction alors que ce n’est vrai que de sa période finale, les idéologues du progrès au sein du courant socialiste font de même pour le capitalisme alors que Marx insiste au contraire sur son caractère révolutionnaire à ses débuts. Mais dire révolutionnaire ne veut pas seulement dire progressiste. Cela signifie aussi qu’il est destructeur. Marx affirme que l’Angleterre a fait entrer l’Inde dans le monde moderne en détruisant son artisanat et en imposant les tissus de son industrie, les artisans indiens morts blanchissant les plaines du Gange, dit Marx.

C’est parce que le capitalisme détruit le plus vite possible ses propres production qu’il est aussi dynamique, les crises faisant partie des fonctionnements indispensables du système alors que les progressistes les voient comme négatives, comme des maladies.

Il n’y a pas plus dialectique que la conception de Marx développée dans « Le Capital ». C’est très loin d’un développement sur le fonctionnement progressif. La locomotive de l’économie capitaliste est sans cesse contradictoire. C’est parce qu’il ôte à la majorité la propriété des moyens de production qu’il peut capitaliser ceux-ci. C’est parce qu’il transforme la majorité des hommes en prolétaires, n’ayant que leur force de travail pour vivre, que le capitalisme peut concentrer les richesses et les faire agir à grande échelle. Et, inversement, c’est par l’échange égal, entre valeurs équivalentes, montre Marx, que le capital accroît sans cesse l’inégalité entre classes par l’accumulation de la plus-value extraite du travail humain. Quant au progrès technologique, Marx montre le caractère contradictoire de son effet au sein du capitalisme, apportant un plus concurrentiel au capitaliste individuel mais aggravant la baisse tendantielle du taux de profit, bloquant de plus en plus de capital dans les machines, et diminuant la part relative du capital qui produit de la plus-value. Bizarrement, le système qui a le plus développé les technologies ne peut même pas considérer la technologie entièrement comme un progrès ! On le constate par le fait que le monopole bloque les progrès. Les ententes entre capitalistes ont permis de mettre de côté bien des découvertes scientifiques ainsi que leurs applications pendant de nombreuses années, en convenant qu’aucun secteur ne les utiliserait.

D’ailleurs, les sociétés du passé ne se sont pas non plus jetées sur les progrès techniques comme le croient les idéologues du progrès. Archimède a eu beau découvrir la grue, elle n’est apparue que comme une arme de guerre contre les bateaux de guerre mais pas comme un moyen d’améliorer le travail humain, la main d’œuvre servile étant alors abondante et peu couteuse.

La technologie n’est pas directement le moteur de l’Histoire. C’est la lutte des classes qui l’est et si une classe n’a pas le besoin d’une technologie, l’apparition de cette technologie ne suffit nullement à donner le signal de la chute de l’ancienne classe dominante.
Si Marx développe une idée du sens de l’Histoire, on ne peut pas valablement l’appeler progrès mais plutôt progression non-linéaire, discontinue, par bonds et fondée sur des contradictions dynamiques. Et surtout non pas fondée sur une force du progrès mais sur la lutte des classes….

Michel Tibon-Cornillot expose dans « D’une origine biologique des techniques » :

Selon Hegel, une théorie des machines n’est pas séparable de celles qui concernent l’outil et le travail. Ainsi, le travail est une expression élevée de l’humain dans la mesure où il exprime activement cette part fondamentale de l’homme, sa participation au mouvement de la négativité. En effet, le travail est la négativité même et son action à l’égard de l’objet est de le mettre à mort : "arracher son objet à son contexte vivant et le poser comme un être qui, comme tel, doit être anéanti." L’outil comme expression du travail permet au sujet de faire passer à un niveau supérieur son rapport immédiat à l’anéantissement de l’objet. L’acte de mise à mort passe dans ce nouveau moyen-terme qu’est l’outil : c’est pourquoi l’outil est la mort-même. Mais l’instrument est encore passif, car dans l’utilisation de l’outil traditionnel la part "formelle" de l’anéantissement de l’objet reste dévolue à l’artisan qui tient l’outil et en connaît la technique efficace. Avec l’apparition des machines modernes, d’étranges phénomènes se font jour : "Dans la machine, l’homme supprime même cette activité formelle qui est sienne et fait travailler cette machine pour lui. Mais cette tricherie dont l’homme use face à la nature et par laquelle il s’arrête en deçà de la singularité de la nature se venge contre lui." La machine inaugure un ordre de réalité différent dans la mesure où elle s’émancipe des bornes physiques et mentales de l’homme : elle est l’outil autonomisé, un redoublement de l’autonomisation de l’acte travailleur qui avait commencé avec l’instrument. La machine est une concrétion de l’acte de mise à mort, une extériorisation de l’essence négative du sujet pratique qui acquiert une existence objective autonome. Hegel entrevoit dans cette existence autonome du négatif, dans cette hypostase du travail d’anéantissement de la matière, la possibilité d’un destin irrécupérable : dès 1801, il voyait en ce processus une source d’épouvante.

Cette existence autonome que prend le négatif dans les machines n’en est pas le seul exemple : c’est aussi le cas de l’argent moderne. Pour le jeune Hegel, au début du XIXe siècle, l’économie industrielle dans son ensemble est en train de devenir un nouveau destin. Elle s’anime selon des lois inconnues qui brisent les liens organiques entre les hommes et permettent de produire une masse croissante de biens, tout en appauvrissant une masse croissante d’hommes. Incapable de s’unifier "spirituellement", cette nouvelle nature trouve pourtant son unification par et dans l’argent moderne : "L’argent est ce concept matériel, existant, la forme de l’unité, ou encore la possibilité de toutes les choses du besoin". Etrange notion que celle de "concept matériel" ! Du concept, l’argent tire sa dynamique unificatrice ; il est bien la réalité qui unifie toutes les marchandises et donne accès à tous les biens. Mais ce concept est matériel, alors que le concept en vérité est lui essentiellement spirituel. Comment faut-il alors interpréter cette inversion ? Comme pour les machines, une part du mouvement de l’esprit est passée dans la matière et s’est autonomisée : "Le besoin et le travail élevés à cette universalité (celle de l’argent) forment ainsi pour soi dans un grand peuple un système de communauté et de dépendance réciproque, une vie qui se meut en soi-même - autonome - d’une réalité morte, vie qui, dans son mouvement, s’agite d’une manière aveugle et élémentaire et qui, tel un animal sauvage, a besoin d’être continuellement dompté et maîtrisé avec sévérité."

Les machines et l’argent seraient "animés d’une vie qui se meut en soi-même - autonome - d’une réalité morte". S’agit-il d’un simulacre, ou d’une simulation ou bien plutôt d’une très curieuse réalisation culturelle caractérisant les sociétés occidentales dans leur période moderne ? Comment admettre comme hypothèse de travail l’existence d’hypostases matérielles des productions imaginaires, la présence de concrétions de symboles animées d’une existence objective. »

Bien des auteurs (scientifiques ou non) interprètent aussi le vivant comme le domaine d’action d’une véritable force du progrès. Cette version a été démentie par les découvertes scientifiques des évolutionnistes comme Stephen Jay Gould, des biologistes et des théoriciens de la génétique du développement comme de la coévolution des groupes d’espèces, des gènes homéotiques et de l’épigénétique.

L’idée de la plupart des transformistes étaient que les modifications s’étaient faites en positif : « pour » réaliser telle ou telle modification nécessaire. Des nécessités fonctionnelles guideraient une évolution directive, de progrès. Darwin, au contraire, a proposé un fonctionnement aveugle, en un double mécanisme contradictoire (la sélection et la variation) et, qui plus est, agissant par négation (l’élimination). Il a inventé la création par suppression pour concevoir la formation des espèces nouvelles. Notion dialectique s’il en est, la conception darwinienne proposait plusieurs renversements conceptuels allant dans le même sens, celui de la remise en cause des logiques linéaires et de la logique métaphysique*, pour favoriser une logique dialectique et matérialiste. On comprend que Karl Marx ait considéré que « L’origine des espèces » était un grand pas en avant dans la lutte des idées, allant bien au-delà des précédents transformismes. Tout d’abord, Darwin proposait que l’ordre soit issu du désordre. Le point de vue est dialectique puisque c’est la négation de la destruction par sélection naturelle aveugle qui produit le changement, le nouvel ordre. C’est la lutte désordonnée des individus pour la vie qui est le moteur des transformations, et non un mécanisme directif, orienté en vue d’un but.

Le mot évolution appliqué à la théorie de Darwin allait avoir un sens très différent (....) il désignait "l’apparition, dans un ordre donné, de longues chaînes d’événements" et, surtout, il contenait une idée de perfectionnement progressif, de passage régulier du simple au complexe. (...) Mais en réalité, c’est un terme qu’il employait très rarement, car il voulait bannir toute notion de progrès de ce que nous appelons aujourd’hui évolution. Dans une épigramme célèbre, Darwin écrit qu’il doit s’interdire d’employer les qualificatifs "supérieurs" et "inférieurs" lorsqu’il décrit la structure des organismes. Pouvons-nous prétendre, en effet, que nous sommes des créatures supérieures à l’amibe, qui est aussi bien adaptée à son environnement que nous le sommes au nôtre. (...) la notion de progrès, inséparable de son sens courant, lui déplaisait. (...) On peut toutefois se demander pourquoi les savants ont provoqué ce terrible malentendu en choisissant un mot courant, qui signifie progrès, pour désigner ce que Darwin nommait, moins spectaculairement mais plus correctement, "descendance avec modification". "

Le néo-darwinisme, encore appelé théorie synthétique de l’évolution, affirme qu’un changement d’espèce n’est brutal qu’en apparence, puisqu’il est le produit lent, progressif et régulier des micro-mutations du capital génétique, c’est-à-dire des toutes petites modifications aléatoires de gènes par erreur de copie, le milieu et lui seul donnant un sens à ces variations désordonnées, en donnant un avantage aux plus aptes dans la lutte pour la vie. Le mot clef de la thèse synthétique était donc l’adaptation. Cette thèse a considéré que la pente naturelle du vivant était le perfectionnement et le progrès. Une espèce ne pouvait que s’améliorer sans cesse. Ce point de vue parle donc de succès d’une espèce qui correspondrait à une optimisation de sa valeur adaptative. Une fois l’adaptation maximum atteinte, une espèce ne pourrait que se stabiliser s’il n’y a pas de modification du milieu. Cette thèse s’oppose à tout changement brutal.

Le généticien R.A Fisher, l’un des principaux théoriciens du néo-darwinisme, résume ainsi son point de vue dans « La théorie génétique de la sélection naturelle » : « Chez n’importe quel organisme extrêmement bien adapté, la probabilité pour qu’une modification évolutive considérable (saltation) soit avantageuse devient rapidement infinitésimale à mesure qu’elle gagne en dimension. »

C’est cette thèse, hostile à tout changement radical, brutal et discontinu, non-adaptatif, qui va être contredite sur plusieurs points par Stephen Jay Gould.

Stephen Jay Gould écrit dans « Le pouce du panda » ou « Les grandes énigmes de l’évolution » :

« La « synthèse moderne », version contemporaine du darwinisme qui règne depuis trente ans, a considéré que le modèle de substitution des gènes par adaptation dans les populations locales rendait valablement compte, par accumulation et extension, de toute l’histoire de la vie. (…) Les tendances maîtresses de l’évolution dans les principales lignées ne sont-elles qu’une accumulation plus poussée d’une suite de transformations adaptatives ? De nombreux évolutionnistes (dont je fais partie) commencent à mettre en doute cette synthèse et à soutenir la thèse hiérarchique selon laquelle les différences de niveau dans le changement évolutif reflètent souvent des catégories de causes différentes. Une rectification mineure au sein d’une population peut être le résultat d’un processus adaptatif. (…)Par exemple, dans le cheminement complexe du développement embryonnaire bien des causes simples, des changements mineurs des taux de croissance notamment, peuvent se traduire par des changements nets et surprenants dans l’organisme adulte. (…) Le 23 novembre 1859, le jour précédent la sortie de son livre révolutionnaire, Charles Darwin reçut une lettre extraordinaire de son ami Thomas Henry Huxley. Celui-ci lui offrait son soutien actif dans le combat à venir, allant même jusqu’au sacrifice suprême : « Je suis prêt à mourir sur le bûcher s’il le faut. (…) Je me prépare en aiguisant mes griffes et mon bec. » Mais il ajoutait aussi un avertissement : « Vous vous êtes encombré d’une difficulté inutile en adoptant le « Natura non facit saltum » sans la moindre réserve. » L’expression latine, généralement attribuée à Linné signifie que « la nature ne fait pas de sauts ». Darwin approuvait totalement cette devise ancienne. Disciple de Charles Lyell, apôtre du « gradualisme » en géologie, Darwin décrivait l’évolution comme un processus majestueux et régulier, agissant avec une telle lenteur que personne ne pouvait espérer l’observer pensant la durée d’une vie. Les ancêtres et leurs descendants, selon Darwin, doivent être reliés par « une infinité de liens transitoires » qui forment « une belle succession d’étapes progressives ». Seule une longue période de temps a permis à un processus si lent de réaliser une telle ouvre. Huxley avait le sentiment que Darwin creusait le fossé de sa propre théorie. La sélection naturelle n’avait besoin d’aucun postulat sur la vitesse ; elle pouvait agir tout aussi bien si l’évolution se déroulait sur un rythme rapide. (...)
De nombreux évolutionnistes considèrent qu’une stricte continuité entre micro et macro-évolution constitue un ingrédient essentiel du darwinisme et corollaire nécessaire de la sélection naturelle. (...) Thomas Henry Huxley avait séparé la sélection naturelle du gradualisme et averti Darwin que son adhésion franche et sans fondement sûr au gradualisme pouvait saper son système tout entier. Les fossiles présentent trop de transitions brutales pour témoigner d’un changement progressif et le principe de la sélection naturelle ne l’exige pas, car la sélection peut agir rapidement. Mais ce lien superflu que Darwin a inventé devint le dogme central de la théorie synthétique. Goldschmidt n’éleva aucune objection contre les thèses classiques de la microévolution. Il consacra la première moitié de son ouvrage principal « Les fondements matériels de l’évolution » au changement progressif et continu au sein des espèces. Cependant, il se démarqua nettement de la théorie synthétique en affirmant que les espèces nouvelles apparaissent soudainement par variation discontinue, ou macro-mutation. Il admit que l’immense majorité des macro-mutations ne pouvaient être considérées que comme désastreuses et il les appela « monstres ». (…) Quand Darwin publia "L’origine des espèces", en 1859, il introduisit le terme "sélection naturelle". Mais il n’a nulle part utilisé le mot "évolution", bien que le public suppose que Darwin seul est responsable de ce concept. (...) De nombreux penseurs évolutionnistes, Darwin y compris, n’ont pas échappé à la confusion entre l’idée d’évolution et celle de progrès. Mais la force de Darwin venait de ce que l’idée simple, selon laquelle la survie du plus adapté devait produire des changements évolutionnistes, s’appuyait sur une avalanche de faits (...) »

Stephen Jay Gould affirme : "La théorie darwinienne de l’évolution se distingue radicalement des autres théories de l’évolution du 19ème siècle par son refus implicite d’une idée de progrès qui serait inhérente à l’évolution."

Darwin écrit au biologiste américain Alpheus Hyatt en 1872 : "Après mûre réflexion, je me suis déterminé à penser que l’évolution n’a pas intrinsèquement tendance au progrès.", par opposition au philosophe Herbert Spencer, inventeur de l’expression "la survie du plus apte" qui écrivait : "Le progrès n’est pas accidentel, c’est une nécessité."
Stephen Jay Gould, lui, écrivait :

"L’idée de progrès est une idée pernicieuse, ancrée dans la culture, impossible à tester, inopérante, il faut la remplacer si nous souhaitons comprendre les structures de l’histoire."

Dans "L’émergence de l’homme", le paléoanthropologue Ian Taterstall explique :

« C’est une conception absolument fausse que de mesurer le succès évolutif de telle ou telle espèce en fonction de son progrès en direction du sommet d’une échelle. (...) La plupart des personnes qui veulent se représenter l’apparition de l’homme en termes d’histoire évolutive tendent à la concevoir comme un lent mouvement de perfectionnement, de nos adaptations au cours du temps. Si tel était le cas, le processus nous ayant façonnés apparaitrait rétrospectivement inéluctable. De nombreux paléoanthropologues, ces chercheurs qui étudient les archives fossiles, trouvent une certaine commodité intellectuelle à regarder notre histoire évolutive comme une longue montée laborieuse mais régulière, qui nous a fait passer du stade la brute à celui de l’être intelligent. Ils ont même forgé le terme d’"hominisation" afin de décrire le processus à l’origine de l’homme, ce qui renforce l’impression que non seulement notre espèce est unique en son genre, mais que le mécanisme évolutif qui nous a façonnés l’est tout autant. Cette conception présente de nombreux risques. (...) Les scientifiques l’ont appris petit à petit, à mesure que se sont accumulées les données des archives paléontologiques - lesquelles les ont contraint à abandonner l’idée que notre histoire biologique a uniquement consisté en une simple progression linéaire (...) Depuis des années, les paléontologues se rendaient vaguement compte que (...) les nouvelles espèces, au lieu d’apparaitre en raison d’une transformation graduelle d’une espèce souche, au cours du temps, semblaient surgir brusquement dans les archives géologiques (...) Elles disparaissaient aussi brutalement qu’elles étaient apparues (...) Les archives fossiles n’obéissaient pas aux prédictions de la théorie du changement graduel. (...) Le nouveau schéma explicatif était constitué de longues périodes de stabilité des espèces interrompues par de brefs phénomènes de spéciation, d’extinction et de remplacement. (...) Eldredge et Gould proposaient, en réalité, que l’évolution, tout en étant graduelle, procédait par à-coups : "l’évolution par sauts" (...) . »

La matière elle-même pose le problème du progrès qui sous-entend que l’histoire de l’Univers suivrait une progression vers le mieux, vers le plus progressif, une progression graduelle, continue, lente et vers l’amélioration, vers la vie et l’homme…

Engels rajoutait que la matière elle-même n’était pas sujette au progrès continu, linéaire, graduel.
Sur le caractère contradictoire du mouvement, Engels écrivait dans l’ »Anti-Dühring » :

« Le mouvement lui-même est une contradiction ; déjà le simple changement mécanique de lieu lui-même ne peut s’accomplir que parce qu’à un seul et même moment un corps est à la fois dans un lieu et dans un autre lieu, en un seul et même lieu et non en lui. Et c’est dans la façon que cette contradiction a de se poser continuellement et de se résoudre en même temps, que réside précisément le mouvement. »

Engels écrivait dans « Ludwig Feuerbach » :

« La grande idée fondamentale selon laquelle le monde ne doit pas être considéré comme un complexe de choses achevées, mais comme un complexe de processus où les choses, en apparence stables, - tout autant que leur reflet intellectuel dans notre cerveau, les concepts, se développent et meurent en passant par un changement ininterrompu…, cette grande idée fondamentale a, surtout depuis Hegel, pénétré si profondément dans la conscience commune qu’elle ne trouve sous cette forme générale presque plus de contradicteurs. »

L’histoire de la matière elle-même est un développement contradictoire qui est très loin de la notion linéaire, positive, non contradictoire du progrès. Il y a certes un développement dans les diverses étapes de l’histoire de l’Univers mais il n’y a aucune force qui prédispose cette transformation à aller d’un début à une fin… Le vide quantique n’est pas là pour permettre à la matière de se développer ni la matière inerte n’est là pour permettre à la vie de se développer, ni la vie n’est juste là pour donner un jardin à l’homme !

Tout au long de cette histoire de l’Univers, on constate que les « forces » sont contradictoires : l’expansion entraîne la concentration et la concentration entraine l’expansion, la tendance vers l’ordre provient de la tendance vers le désordre, la création de structures globalement stables provient d’un gain d’instabilité locale, et ainsi de suite…

Conclusion

Il est à remarquer que la bourgeoisie a cessé de développer cette idéologie du progrès depuis qu’elle est pessimiste sur ses propres capacités de développement. Toutes ses thèses les plus récentes sont marquées d’un pessimisme anti-progrès, que ce soit le progrès des connaissances, des techniques, des idées ou des capacités sociales et économiques de l’homme. Au début des années 1970, elle a même commencé à parler des « limites du développement » avec « la croissance zéro », « le réchaufement climatique », « la limite des capacités énergétiques ». Ce ne sont pas des écologistes qui ont lancé ces idées mais le club de Rome initié par des financiers, des politiciens capitalistes, des idéologues qui ne sont même pas de gauche et pas du tout écologistes !

Et face à une bourgeoisie de moins en moins progressiste, une certaine extrême gauche prétend reprendre contre la bourgeoisie… l’idéologie bourgeoise progressiste !!!

Penser que la société progresse graduellement, continûment, transuillement, sans révolutions en sommes, est bien entendu le propre de courants qui ne souhaient pas le changement radical de la société, de courants souvent réformistes qui ont par leurs errements mené la société aux pires défaites et les plus sanglantes, dont les massacres, les fascismes et les guerres mondiales. L’aboutissement du progrès du capitalisme, son plus haut sommet, sera marqué par l’effondrement et non par un progrès tranquille vers le socialisme. C’est exactement ce phénomène qui se déroule en ce moment sous nos yeux si on veut bien les ouvrir pour examiner la réalité…

Dans les courants socialistes, ce n’est pas Marx mais les utopistes qui ont conçu une société idéale qui pouvait être un progrès par rapport au capitalisme. Marx, lui, a cherché le sens dans lequel la société humaine avait tendance à changer et le mode contradictoire et explosif de ce changement, celui des sauts de mode de production. Il a compris que la propriété des moyens de production était la clef de ce changement et que c’est de développement capitaliste lui-même qui allait rendre nécessaire le socialisme et pas seulement l’aspiration des exploités. Il n’a pas voulu fonder une société imaginaire sur la base des aspirations des travailleurs mais participer consciemment au développement historique nécessaire de la société humaine, ce qui est profondément différent.

Ce n’est pas les revendications ni les aspirations des travailleurs qui sont le guide du changement social à venir mais les nécessités objectives, fondées sur les contradictions des mécanismes du système. La classe ouvrière n’a pas et n’aura pas conscience qu’elle doit s’attaquer à la propriété privée des moyens de production. Elle ne prendra pas la tête de la révolution sociale en se donnant cet objectif. Une telle démarche ne peut pas être spontanée de la part des travailleurs. Elle ne peut que provenir d’une orientation de sa direction politique, si un groupe révolutionnaire (ou plusieurs groupes) la dirige. Mais si ces groupes considèrent qu’ils doivent définir leur politique seulement en se fondant sur le niveau de conscience et de combativvité des travailleurs, alors il leur sera impossible de se fonder sur un programme véritablement communiste. S’ils mettent en avant la seule participation aux élections bourgeoises et la participation aux syndicats, intégrés à la société bourgeoise, ils ne pourront pas s’extraire du point de vue spontané des prolétaires qui ne consiste nullement à se voir comme une classe chargée historiquement de construire une nouveau mode de production.

Le communisme n’est pas un progrès par rapport au capitalisme au sens où c’est une action négative, la révolution sociale, qui est le moteur de ce changement. Il ne s’agit pas simplement de prendre ce qu’a apporté le capitalisme pour l’améliorer. Il faut tout changer : comment on produit mais aussi ce qu’on produit, comment ont travaille mais aussi pour quoi on travaille, combien on gagne mais aussi pourquoi l’argent doit nous emprisonner….

Le socialisme sera un progrès pour la société humaine. Oui bien sûr en un sens. Mais pas au sens où le socialisme serait l’aboutissement d’un effort dont le capitalisme aurait été une étape. Le socialisme casse la propriété des moyens de production, casse l’exploitation, détruit les classes sociales, démolit les objectifs même de la société bourgeoise. Il est la négation de celle-ci et non son progrès.

Et surtout, il n’y a aucune relation linéaire allant du capitalisme au socialisme, aucun développement simple, logique, inévitable entre les deux. Le capitalisme, en chutant, peut très bien donner naissance… à la barbarie à la destruction, à l’horreur, à un nouveau féodalisme. Il n’y a pas un programme écrit par avance qui impose que le capitalisme cède la place au socialisme. Une telle évolution est nécessaire et est potentielle mais cette potentialité a besoin de la connaissance, de la conscience et de l’organisation du prolétariat et cela n’a rien de fatal. Nous ne pouvons nullement compter dans cette action sur une prétendue force du progrès qui pourrait agir en lieu et place de l’explosion révolutionnaire des masses et cette explosion n’aura pas comme but le progrès socialiste. Les masses entreront en lutte sur des objectifs dictés en grande partie par les conditions objectives de l’explosion de la société capitaliste en crise. C’est seulement la direction politique du prolétariat qui peut, en se fondant sur l’organisation politique du prolétariat en soviets et en défendant son programme communiste dans les soviets, permettre à la révolution prolétarienne de réaliser les tâches historiquement nécessaires menant au socialisme.

Le socialisme est non seulement une négation de la société bourgeoise mais aussi une négation de l’aspiration spontanée des masses populaires à faire progresser la société actuelle, ce qu’on appelle le réformisme.

Le réformisme, qu’il soit social-démocrate ou stalinien, est le véritable défenseur naturel de l’idéologie du progrès car il vise à faire croire que l’on pourrait doucement, au sein même de la société bourgeoise, aller vers un véritable changement nécessaire aux masses populaires.

Le stalinisme a cultivé cette idéologie du progrès.

A l’ère de la division entre deux blocs, à l’époque de la guerre froide, le camp communiste se définit par "progressiste" par opposition au camp américain "réactionnaire", "colonialiste" ou "néo-colonialiste", soumis à des "forces obscures". L’expression avait déjà été employée avant la deuxième guerre mondiale, par exemple par Nikita Krouchtchev qui parle en 1937 de Staline comme du phare de l’"humanité progressiste". L’expression devint commune après 1945 : ainsi, en 1949 au moment du 70e anniversaire de Staline, Malenkov parlait du dictateur comme d’un "guide de l’humanité progressiste". Les communistes occidentaux ainsi que les compagnons de route du communisme après 1945 font partie du camp qui se disait progressiste. On y trouve aussi toutes les sortes de nationalistes, se couvrant ou non de l’adjectif communistes…

Dans leur cas, l’idéologie du progrès justifie de ne plus vouloir détruire l’impérialisme mais de vouloir se partager le monde en prétendant que le changement sera pacifique.

Des groupes d’extrême gauche diffusant la conception d’une prétendue « lutte entre les idées progressistes et les idées réactionnaires », comme le fait une certaine extrême gauche réaliste et pragmatique de France, ne ferait que propager une idéologie contraire au rôle communiste du prolétariat.

La conception selon laquelle la société est le siège d’un combat entre idées réactionnaires et idées progressistes est… idéaliste et fausse. Le fascisme, par exemple, n’est pas le triomphe d’idées… réactionnaires mais un aboutissement de la crise de la domination de la bourgeoisie qui impose à celle-ci d’écraser violemment le prolétariat quitte à écraser aussi toute démocratie bourgeoise. C’est un combat de classe et pas un simple combat d’idées et les deux camps sont la bourgeoisie et le prolétariat et pas la réaction et le progrès…

La notion de progression fait appel à l’idée que l’on part de quelque chose puis on rajoute ou on multiplie cette chose successivement comme dans la progression des nombres entiers. Il n’y a nullement dans la notion de progrès l’idée que, pour avancer il faut détruire tout ou partie de ce qui existait auparavant en termes de structures, de valeurs, d’institutions ou d’ordre social. La notion progressive de la civilisation fait croire à une continuité de la succession des sociétés. La notion progressive des idées laisse entendre que les anciennes idées ont été des pas vers les nouvelles ce qui est loin d’être exact lorsqu’il s’agit véritablement de pas en avant des conceptions.

La marche de l’histoire est dialectique parce qu’il n’y a pas de véritable transformation qui ne soit en même temps une destruction que ce soit sur le terrain politique, social, idéologique, scientique ou de celui des changements naturels, matériels ou du vivant…

Pour progresser, il faut détruire d’anciennes structures de conservation, d’anciennes idéologies, d’anciens modes de fonctionnements, d’anciennes traditions, d’anciennes classes dirigeantes, d’anciens modes de production ou de domination…

Même le progrès des idées est destructeur. Celui qui développe une thèse vraiment nouvelle doit détruire d’anciens schémas d’abord dans son propre esprit pour avancer dans sa nouvelle conception. C’est là où la science ne peut se contenter d’observations. L’idée nouvelle en sciences, comme en philosophie ou dans d’autres domaines, nécessite de détruire des idées reçues fortement implantées et jamais remises en question.

Pour développer la physique quantique, il n’a pas suffi de faire progresser l’électromagnétisme mais il a fallu en détruire la conception fondamentale. Pour développer la relativité, Einstein a été contraint de détruire dans sa propre pensée bien des idées reçues sur l’espace, le temps et le mouvement. Quoi de plus destructeur que d’affirmer comme Einstein que l’existence de phénomènes ayant lieu au même moment n’a pas de réalité physique. Quoi de plus destructeur que d’affirmer comme la physique quantique que la lumière est particule et la matière est étendue dans l’espace comme une onde et interfère comme la lumière.
Chez Galilée, chez Hegel, chez Darwin, chez Marx, chez Lénine ou Trotsky et bien d’autres, la révolution est d’abord conceptuelle et elle est destructrice des anciennes idéologies et pas simple construction se surajoutant à celles-ci.
Galilée affirme que les planètes ne sont pas des lumières dans un espace céleste mais des pierres comme sur terre.
Hegel affirme que c’est la négation qui est constructrice et que les contraires sont coexistants, interactifs et interdépendants.
Darwin affirme que les espèces sont bâties par une action, aveugle, non dirigée et non pilotée, de la destruction de multiples variations produites par la transformation des espèces.

Marx affirme que la nécessité historique est la destruction de la propriété privée des moyens de production.

Lénine affirme que la révolution prolétarienne appelle les peuples colonisés à s’appuyer sur le prolétariat pour détruire l’oppression de l’impérialisme.

Trotsky affirme que le prolétariat, dans ses révolutions, doit prendre en charge les tâches bourgeoises que la bourgeoisie n’a pas été capable de réaliser. C’est la notion de révolution permanente.

Ces révolutions conceptuelles sont tellement destructrices que certaines ne sont toujours pas connues et acquises par le grand public.

Quant à la réalité historique, c’est la réaction qui entraîne la progression brutale. C’est le frottement des plaques des plaques continentales de la terre qui provoque les grandes avancées des tremblements de terre. En politique, c’est également la réaction qui provoque les grandes avancées sociales. Sans la réaction des nobles de l’Ancien régime rien de ce qui a fait de la révolution française une avancée historique n’aurait été possible. Sans la réaction de la bourgeoisie russe se fondant sur le général Kornilov pas de révolution d’Octobre en Russie en 1917 car les soviets ouvriers n’auraient pas été convaincus de la nécessité de prendre le pouvoir. Sans la réaction des énéraux espanols, pas de révolution prolétarienne en Espagne.

Opposer comme deux pôles, abstraitement et moralement séparés, le progrès et la réaction, c’est casser la dynamique historique et s’empêcher de penser le changement historique révolutionnaire.

Par exemple, le groupe d’extrême gauche français Lutte ouvrière affirme que nous sommes dans une période de recul dans laquelle les idées réactionnaires grandissent et les idées progressistes régressent. Il soutient que la période précédente, des gens soutenaient des courants plus progressistes. Mais qui sont ces courants dits progressistes, ceux des staliniens, des nationalistes, des petites bourgeoisies radicales du tiers monde issues souvent des officiers des armées du tiers monde ! Des forces qui loin de faire progresser la lutte l’ont en fait détournée et ont sauvé la domination impérialiste mondiale. L’impérialisme n’a-t-il pas perdu l’essentiel des guerres coloniales et n’a-t-il pas cependant conservé et accru sa domination sur le monde ? Cette idée d’une lutte entre idées progressistes et idées réactionnaires est donc un piège politique. Quand les situations se tendent, que les crises sociales et politiques s’annoncent, les courants extrême des deux bords grandissent en même temps et ceux qui désarment la radicalisation du camp des opprimés sont justement les partisans de la thèse du progrès et les défenseurs des idées du progrès….

Le suite

Messages

  • « Tous les écrivains communistes et socialistes sont partis de cette double constatation : il apparaît, d’une part, que les faits d’éclat les plus féconds demeurent sans résultats brillants, voire aboutissent à la trivialité et, d’autre part, tous les progrès de l’esprit
    ont été, jusqu’ici, des progrès dirigés contre la masse de l’humanité
    qui fut poussée dans une situation de plus en plus inhumaine. Ils considéraient donc
    (comme Fourier, par exemple) le progrès comme une phrase abstraite, dénuée de sens, ou supposaient (comme Owen, entre autres) que le monde civilisé souffrait d’un vice fondamental. À partir de cette observation, ils soumirent les bases matérielles de la société actuelle à une critique incisive. À cette critique communiste correspondit aussitôt,
    dans le domaine pratique, le mouvement de la grande masse, contre laquelle s’était jusqu’alors déroulée l’évolution historique. »

    MARX-ENGELS,
    La Sainte-Famille

  • La bourgeoisie, devenue dominante à l’échelle mondiale, tient bien sûr à présenter son système de domination comme le sommet de la civilisation humaine. C’est très loin d’être vrai pour l’essentiel des êtres humains. Les réformistes ont fait mine de comprendre la conception matérialiste de l’Histoire de Marx, la lutte des systèmes sociaux au travers de la lutte des classes, comme une lutte du progrès contre la réaction. Mais l’Histoire n’est nullement une succession linéaire et continue de la civilisation. La lutte des classes ne signifie pas l’action d’un facteur positif mais l’action des contradictions internes des systèmes sociaux. Quant au cours réel de l’Histoire, il faudrait être aveugle pour y voir l’action d’un facteur positif du progrès. Comment prétendre que les victoires d’une société sur une autre ont été fondées sur la supériorité en termes de progrès ou de civilisation ? Par exemple les Romains battant les Grecs ? Ou les Mongols battant l’empire musulman ? Ou encore les barbares triomphant de l’empire de Chine ou de l’empire romain ? Les révolutions sociales victorieuses, elles-mêmes, ne sont pas non plus de simples triomphes du progrès comme la victoire des exploités sur le régime des Pharaons qui a supprimé ce régime pendant plus de cent ans… Et qui a entraîné une régression économique et sociale de grande ampleur. Ou encore les révolutions qui ont mis fin à l’existence de villes et de civilisations multiples, les exploités se dispersant sans fonder de nouvelles sociétés.
    Il est bien plus juste de dire, avec un point de vue contradictoire dialectiquement, que c’est la réaction qui provoque une avancée historique, comme la réaction nobiliaire qui pousse en avant la révolution française, la réaction tsariste qui pousse en avant la révolution, la réaction militaire fasciste d’Espagne en 1936 qui y entraîne l’avancée révolutionnaire prolétarienne. Et, inversement, ce sont les risques d’avancées révolutionnaires qui entrainent les reculs les pires et les violences les plus féroces. Le fascisme est provoqué par la crainte de la révolution, les génocides le sont également.

  • L’homme n’est nullement l’aboutissement d’un processus linéaire et continu de progrès, pas plus que ne le sont les autres espèces. Il s’agit de processus bien plus contradictoires dialectiquement. Tout d’abord, la diversification existe certes à tous les niveaux hiérarchiques d’organisation du vivant mais existent aussi des mécanismes de combat contre la diversification, des mécanismes de lutte pour la conservation qui amènent des périodes de stase ou de stabilité apparente des espèces.
    Pour que l’évolution reprenne, il faut un choc appelé « stress » qui suspend les mécanismes de conservation internes comme les hsp ou les mécanismes immunologiques qui sélectionnent le soi et éliminent le non-soi. Les chocs climatiques, environnementaux (comme l’apparition d’une atmosphère d’oxygène, les changements des pôles ou celle des plantes ou encore un volcanisme intense) sont la cause de ces agressions qui mobilisent les mécanismes de conservation et libèrent les tendances spontanées du matériel génétique à produire de la diversité. Une espèce ou une série d’espèces se voient ainsi capables de produire, brutalement donc sans grand changement du matériel génétique de base, des espèces nouvelles. Ce n’est nullement un changement lent et continu mais une spéciation brutale d’une ou plusieurs espèces et chaque espèce pouvant ouvrir une ou plusieurs voies nouvelles. Dans le cas de l’homme, il semble bien qu’il se soit agi d’une évolution en buisson avec plusieurs voies différentes ouvertes en même temps. Donc il n’y a pas eu évolution des pré-singes vers les pré-hommes mais multiplication des évolutions des pré-singes vers toutes sortes de singes nouveaux dont les humanoïdes. Ces nouvelles espèces semblent bel et bien s’être croisées et notamment on remarque que les lignées humaines ont des points communs avec les lignées orang outan, les lignées chimpanzés et les lignées gorille. Aucune de ces quatre lignées, homme compris, n’est directement issue d’un arbre précédent. Il y a eu recroisement entre les pré-espèces. C’est ce type de phénomène que l’on peut à bon droit appeler développement inégal et combiné. Les transformations sont inégales et se recombinent ensuite.

  • « L’évolution de la vie à la surface de la planète est conforme au modèle du buisson touffu doté d’innombrables branches et continuellement élagué par le sinistre sécateur de l’extinction. Elle ne peut du tout être représentée par l’échelle d’une inévitable progrès. »

    La vie est belle (1989), Stephen Jay Gould

  • Discontinuités de l’Histoire

    « L’humanité ne progresse pas d’un mouvement continu et régulier. Son histoire est faite d’à-coups, de reculs, de bonds en avant et de rechutes. »

    Erich Maria Remarque dans « L’île d’espérance »

  • « Malgré les prétentions « du progrès », on constate des régressions et des mouvements circulaires constants. Loin de soupçonner que la catégorie du « progrès » est absolument vide et abstraite, la critique absolue s’évertue à reconnaître le « progrès » comme absolu, afin de postuler, pour expliquer la régression, un « adversaire personnel » du progrès : la masse…. « 

    Karl Marx dans « La sainte famille »

  • « L’histoire de la vie ressemble à un gigantesque élagage ne laissant survivre qu’un petit nombre de lignées, lesquelles peuvent ensuite subir une différenciation ; mais elle ne ressemble pas à cette montée régulière de l’existence, de la complexité et de la diversité, comme on le raconte traditionnellement. »

    La vie est belle (1989), Stephen Jay Gould

  • Bernard Pivot interview Louis Guilloux :

    Pivot : « Qu’est ce que vous faites du progrès ? »

    Guilloux : « Quel Progrès ? Le frigidaire, la voiture ? Ecoutez, Bernard, quand même ! Ce n’est pas sérieux ! Je ne crois pas au bonheur par la diffusion, la prolifération des commodités, des machines. Ce sont des échappatoires, des fuites. Il n’ y a qu’une question qui nous intéresse, ce n’est pas ce qu’est la vie, mais ce que nous pouvons en faire ».

  • Pour voir ce qu’est l’idéologie du progrès (théorie non dialectique car non contradictoire, non révolutionnaire et non historique, même si elle se prétend le contraire), lite le Cercle Léon Trotsky de l’organisation française Lutte Ouvrière intitulé « Développement des sciences et fondements des idées communistes »

    Clt de LO

    C’est une idéologie selon laquelle les phases de progrès et de régression se succèdent mais où les contraires ne sont pas imbriqués l’un dans l’autre et liés intimement comme l’affirme la conception dialectique. Selon cette conception, nous sommes dans une phase de recul liée au recul de la société capitaliste et pas dans une phase d’avancée du prolétariat, conception défaitiste vis-à-vis de la révolution !

  • Le paléoanthropologue Ian Tattersall écrit dans "L’émergence de l’homme" :

    "Il n’est pas de meilleur exemple que l’histoire du cerveau des vertébrés pour démontrer que le changement évolutif n’a pas simplement consisté en une amélioration graduelle au cours des âges : l’évolution du cerveau ne s’est pas ramenée à la simple addition de quelques connexions, pour aboutir finalement, au bout des temps, à une grande et magnifique machine. L’évolution a, en fait, fonctionné sur un mode opportuniste, affectant de façon assez anarchique des structures cérébrales anciennes à des fonctions nouvelles, et ajoutant de nouvelles structures ou élargissant les anciennes au petit bonheur. (...) Les facultés humaines sont de nature émergentes. (...) Les aptitudes à la parole et à l’écriture sont localisées chacune dans un hémisphère opposé du cerveau. (...) Le changement évolutif survenu dans notre passé s’est opéré sur un mode sporadique. (...) Dans le domaine anatomique aussi bien que technique, l’histoire de notre lignée a reposé sur l’addition, par moments, d’innovations, et non sur une montée graduelle vers la perfection."

  • La civilisation, un progrès continu ?

    L’historien contemporain ne peut plus considérer la révolution comme un produit des seuls 17e, 18e et 19e siècles. Il lui faut désormais rajouter les révolutions sociales qui ont éclaté dès la plus ancienne antiquité, car les villes avec leur rassemblement de population, avec leurs émotions, leurs rébellions et leurs révolutions ont produit révolutions sociales et politiques dès les débuts de la civilisation, c’est-à-dire vers 3500 avant J.-C à Sumer, 3300 avant J.-C en Egypte et dans la vallée de l’Indus, 2500 avant J.-C en Chine, 2000 avant J.-C en Crête, en Grèce orientale et en Turquie, 1500 ans avant J.-C en Méso-Amérique et au Pérou.

    Mais d’où vient cette éclosion extraordinaire, cette multiplication des moyens techniques et sociaux ? La question est toujours aussi controversée. La civilisation est souvent représentée comme un progrès extraordinaire, qui semble quasi miraculeux, et comme une extraordinaire capacité d’organisation sociale des classes dirigeantes. Ces dernières auraient développé des techniques agricoles, d’irrigation et des techniques de domination de peuples entiers, enfin capables de bâtir, sur la base d’immenses territoires agricoles, des villes prospères. L’ordre social aurait bâti la structure sociale et la prospérité. Progrès technique, progrès organisationnel, progrès social et pour finir construction de l’Etat et de la haute civilisation, tel peut être le résumé de la thèse qui a le plus souvent cours sur la naissance et le développement des civilisations. Mais il y a un hic : les découvertes archéologiques ne correspondent nullement à un tel mythe. La connaissance, même limitée de l’histoire ancienne, ne nous amène nullement à ce type de conclusions et fait apparaître une tout autre chronologie et un mécanisme d’émergence de la civilisation profondément différent. La civilisation semble, au contraire, être le produit d’une succession de révolutions sociales et politiques.

    En Histoire comme dans bien d’autres domaines, la seule forme de transformation admise est l’évolution graduelle et continue. Même un historien comme Gordon Childe, chantre de la « révolution néolithique », de la « révolution urbaine » et de la « révolution industrielle » [1], voit dans la transformation du monde plus une action continue du progrès technologique c’est-à-dire essentiellement une capacité des classes dirigeantes, qu’une transformation révolutionnaire, c’est-à-dire l’action des masses, violente et destructrice de l’ancien ordre. « Pour accomplir la révolution néolithique, les hommes, ou plutôt les femmes durent non seulement découvrir les plantes et les méthodes de culture qui leur convenaient, mais encore inventer des instruments pour labourer, moissonner, emmagasiner les récoltes, et les transformer enfin en nourriture. » écrit Gordon Childe. Il rajoute « L’étude de l’histoire de l’humanité depuis ses origines met en relief une évolution économique continue qui abouti aux méthodes employées par les sociétés les plus évoluées pour assurer leur existence.(...) Les sanctuaires ont toujours été reconstruits sur le même emplacement ce qui prouve la continuité des traditions à travers les multiples changements apportés par des civilisations différentes. » Est-il exact que les révolutions sociologiques, économiques et politiques que sont la vie urbaine, l’agriculture et l’élevage, la civilisation et l’apparition de l’Etat soient des progrès dus à évolution graduelle et continue dans une continuité des traditions, des cultures, des techniques, des croyances et des institutions [2] ? La révolution néolithique porte bien son nom de révolution [3] même si bien des auteurs cherchent à l’effacer en soulignant qu’il s’est inscrit dans une continuité sur le long terme. La « longue durée » est ce terme préféré de l’historien Fernand Braudel et qui a marqué nombre d’auteurs, comme on l’a vu précédemment. C’est également cette conception qui sous-tend les travaux de Jean Guilaine comme son ouvrage « De la vague à la tombe » à propos de « la conquête néolithique de la Méditerranée ». Il décrit cette période entre – 8000 avant J.-C et – 2000 qui a connu la sédentarisation des populations et la rupture radicale avec une société de chasseurs-cueilleurs. La civilisation néolithique est marquée par le développement d’un rite des morts, notamment les mégalithes. Evoquant « l’émergence des processus de néolithisation », rejetant le terme de rupture, il appelle évolution les « (dys)continuités entre les périodes ». Bien entendu, l’extension dans l’espace et le temps qu’il décrit est bien réelle, mais la révolution provient de l’interaction d’échelle. L’émergence de l’agriculture, de la sédentarisation, ou du commerce sont des processus relativement rapides et brutaux. C’est une remarque que l’on peut généraliser aux phénomènes d’émergence. La durée des révolutions des extinctions et apparitions d’échelle est courte relativement au temps de quasi conservation des espèces. La durée des changements climatiques comme les périodes où démarrent des glaciations est courte relativement aux périodes de calme climatique. De même, la durée de passage de la vie nomade à la vie sédentaire, de la cueillette à la culture, de la chasse à l’élevage est très courte. Et surtout, c’est le fait de souligner le progrès technique comme seule source de la transformation qui induit en erreur. Tout d’abord, la découverte et le progrès technique sont effectivement relativement lents. Ils n’enclenchent pas directement les changements sociaux nécessités par l’utilisation à grande échelle de ces techniques nouvelles. Les changements ne peuvent être réduits à des modifications graduelles des techniques ou des cultures. En effet, pour passer de la vie de chasseur-cueilleur à celle de cultivateur, c’est une véritable révolution de l’organisation sociale qui est indispensable et ne peut se produire qu’en cassant de multiples traditions et donc un certain type de pouvoir, que ce soit celui des sorciers, des chefs traditionnels, des directions tribales, claniques, religieuses, communales ou urbaines puis celles de l’Etat. La révolution sociale a toujours besoin d’une action vigoureuse et rapide. On ne pénètre pas un bloc de pierre par une action lente et continue en surface mais par un choc énergique, par la pénétration brutale d’une pointe !

    Avant même l’apparition de l’Etat, avant même la naissance des villes, le néolithique est une véritable révolution sociale, le renversement de la société nomade des chasseurs-cueilleurs, la remise en cause de leurs croyances autant que de leur mode de vie. Les dernières études sur la néolithisation vont dans le sens d’une transformation par bonds et non d’une évolution continue et graduelle, qu’il s’agisse d’une population exportant ses coutumes et modes sociales en se déplaçant, ou d’une transplantation d’idées, de culture, d’idées, de progrès technologiques et conceptuels et d’un mode de vie et de travail. Ces hypothèses ont longtemps été agitées par les spécialistes mais diverses études commencent à trancher le débat, montrant que de tels changements sont des révolutions sociales. Au Néolithique, agriculture et élevage ont remplacé cueillette et chasse. Là où le nomadisme avait laissé place à des villages, des villes se sont développées à une vitesse étonnante, des inégalités sociales sont apparus. Cela s’est déroulé il y a 12.000 ans en Anatolie, dans le Sud-Est de la Turquie et au sein de la Turquie, atteignant la côte ouest (de la Turquie à la Palestine) 9300 ans avant J.-C, mais ensuite il s’agit véritablement de bonds : 7000 ans avant J.-C en Grèce, 5500 ans avant J.-C en Europe centrale puis 4500 avant J.-C en France du sud et en Espagne. Des études du matériel génétique portant sur des squelettes anciens, notamment les travaux de l’équipe de l’anthropologue Wolfgang Haak en 2005, ne décèlent « aucune trace de mélange génétique », comme le rappelle un article d’Agnès Trimoreau dans « Sciences et vie » d’août 2006. D’où la conclusion provisoire contre la thèse de la colonisation par une population. Les dates reconnues de néolithisation notamment dues aux recherches sur les dépôts de graines contraignent également à renoncer à la thèse d’une progression « culturelle » lente. Il s’agit bien d’une révolution sociale avec tout ce que cela suppose de changement brutal, radical, renversant un ordre ancien. Cela amène l’auteur de l’article précédemment cité à conclure que « En trois millénaires, l’agriculture a progressé par bonds. » L’idée d’une progression culturelle se propageant continûment et pourtant même leurs adeptes reconnaissent des constatations qui ne vont nullement dans ce sens. C’est le cas de l’historien Paul Radin dans « la civilisation indienne » qui y défend la progression continue de l’influence Maya. Pourtant il écrit que « L’influence Maya s’étendit vers le nord. Au delà du Rio Grande ou du Golfe du Mexique, elle formait le centre de toute vie sociale, économique et religieuse. Là où la culture du maïs s’arrêtait, finissait également la civilisation. Parvenue à l’isthme de Panama, nous nous trouvons devant une solution de continuité. (...) Nous nous attendions à voir la civilisation décroître graduellement au sud de l’isthme au fur et à mesure que nous pénétrions en Amérique du sud. Pourtant en Colombie, en Equateur, au Pérou et en Bolivie, le niveau atteint par les Maya se maintient presque partout. » On retiendra non seulement la « solution de continuité », c’est-à-dire la discontinuité mais aussi le fait que la civilisation s’arrête là où se termine la culture du maïs. Cela signifie que ce n’est pas seulement un concept culturel qui s’impose mais un système d’exploitation fondé sur une forme de travail de la terre.

    Radin relève que la discontinuité n’est pas seulement celle de la zone d’influence mais également celle de l’histoire de cette civilisation et même de chaque ville : « L’histoire de la civilisation Maya est dominé par un phénomène essentiel, le bref laps de temps durant lequel chaque ville fut occupée. Des cités et même des régions entières furent abandonnées sans qu’on puisse découvrir de cause apparente. Rien de plus inexplicable que ces continuels déplacements, cet abandon de telle ville, cette création de telle autre. Pour les expliquer on a eu recours à toutes sortes d’hypothèses, depuis la malaria jusqu’à une brusque modification climatique, la pression des hordes d’envahisseurs ou quelque cataclysme. Mais aucune n’est valable et l’énigme reste entière. » Remarquons que la discontinuité est bien le constat de base, que l’hypothèse de révoltes des travailleurs n’est pas envisagée même si aucune des autres hypothèses ne s’est vérifiée. Pour la chute de l’empire Maya, l’auteur évoque cependant la possibilité d’une révolution, sans discuter d’avantage cette hypothèse : « C’est entre les années 472 et 620 qu’est comprise la période la plus brillante de la civilisation maya. Puis elle se termine brusquement. Une terrible catastrophe semble s’être abattue sur ces villes florissantes. Quelques savants ont parlé d’une guerre civile, d’autres des ravages d’une épidémie et d’autres encore de décadence sociale. Mais en fait nous ne savons rien de précis (...) Vers l’an 600, toutes les villes mayas furent abandonnées et il se produisit une immigration vers le nord. La période de transition va de 620 à 980. » On notera une fois encore que ces grandes chutes de civilisation, qui peuvent être attribuées à des guerres civiles, à des décadences sociales, vont faire chuter la classe dirigeante et le régime sur de longues périodes : ici 360 ans. Ce qui change n’est pas seulement l’occupation d’une ville ou d’une région. C’est tout un mode de production et de relations sociales qui est brutalement abandonné et changé. On sera amené à constater qu’il s’agit là de révolution sociale, même si nous avons montré précédemment que les historiens envisagent plus volontiers n’importe quelle autre hypothèse.

    Les études sur les civilisations considèrent souvent que l’ordre est issu, directement et sans contradiction, d’un autre ordre que la structure est l’évolution d’une autre structure sans passer par une phase de déstructuration, que le progrès est l’aboutissement positif et logique d’un autre progrès. Pour ces auteurs, ce qui importe pour trouver le fil conducteur, c’est d’établir la continuité de l’élément considéré alors comme caractéristique de la civilisation, que ce soit la culture, la religion, la tradition ou le mode de gouvernement. En fait, la civilisation est fondée sur des contradictions sociales et d’abord l’exploitation des paysans. Sans l’existence et l’accumulation entre les mains d’une minorité des biens produits par les agriculteurs, on peut engendrer ni les villes, ni l’artisanat, ni le grand commerce. Ce surplus issu de la production agricole, Jared Diamond l’estime ainsi dans « Effondrement » : « L’agriculture de l’Egypte ancienne, bien que moins efficace que l’agriculture mécanisée moderne, l’était tout de fois assez pour qu’un paysan égyptien produise cinq fois plus que la nourriture qui lui était indispensable ainsi qu’à sa famille. Mais un paysan maya ne pouvait produire que le double de ses besoins et de ceux de sa famille. »

    Les contradictions sociales n’ont fait que croître au cours du développement de la civilisation, si bien qu’au plus haut sommet d’une civilisation elles étaient les plus fortes et les plus explosives, produisant des ruptures brutales de l’équilibre social. Le développement des classes dirigeantes, des chefs religieux et du pouvoir a pu accroître tellement les dépenses dispendieuses de celles-ci que la productivité de l’agriculture ne suffisait plus à y répondre. Par exemple, la coutume des champs du « ka », pour entretenir l’âme du mort – en réalité les prêtres chargés de prier pour lui et lui permettre d’aller au paradis – se sont accru au fur et à mesure des morts de dignitaires, au point de ponctionner considérablement les revenus de la population. Suite aux révoltes, une réforme contraindra à un changement des coutumes et on devra représenter les victuailles offertes au lieu de les déposer devant les temples.

    Dans « Egypte », Nancy Mac Grath souligne cette idée d’une continuité de la civilisation égyptienne : « En quoi la plus vieille histoire du monde peut-elle nous intéresser ? En quoi 3600 ans d’histoire et de civilisation (du premier roi unificateur jusqu’à l’arrivée d’arrivée d’Alexandre le Grand en Egypte) sont-ils pour nous une leçon ? (…) Il y a la continuité entre l’Egypte de la pierre polie et le premier royaume unifié autour de Héliopolis, avec comme rois les serviteurs d’Horus, dont le dernier sera Ménès. (…) Une grande leçon est à tirer de cet aspect monolythique et ancien d’une civilisation, (…) la continuité de la civilisation égyptienne. (…) Jean Vercoutter écrit dans « L’Egypte ancienne » : « l’histoire égyptienne se déroule comme une courbe uniforme. » (…) Elle est l’histoire d’une civilisation en tant que telle : l’Egypte pharaonique. Trois mille ans de temples, tombeaux, hiéroglyphes, religion, … »

    En somme la civilisation serait un produit des rois égyptiens. Et pourtant le même auteur écrit : « Ce serait une démarche analphabète et grossière de ne pas voir combien l’Egypte classique est déjà inscrite dans le registre de l’Egypte archaïque. (…) Religion, écriture et art sont déjà présents avant l’Ancien Empire. » Donc avant les rois et pharaons, l’art et la civilisation avaient commencé depuis longtemps à fleurir et cela n’empêche pas l’auteur de diffuser la thèse que la civilisation c’est l’Egypte pharaonique ! La civilisation égyptienne, ce serait d’abord se religion rendue fameuse par les constructions et inscriptions pharaoniques et pourtant le même auteur nous rappelle que la population a très longtemps, tout au long des premiers règnes, ignoré complètement la religion des pharaons : « C’est au moment où s’achève l’Ancien Empire, entre 2500 et 2000 ans (après la révolution sociale) que les secrets des centres initiatiques d’Héliopolis seront divulgués par le « Texte des pyramides », alors qu’ils étaient jusque là réservés aux pharaons. En effet, une révolution contestatrice profonde éclata dans cette fin du troisième millénaire et de l’Ancien Empire, contre un pouvoir royal affaibli et contesté. (…) C’est seulement après cette révolution que le texte des pyramides, jusque là secret magique, sera inscrit sur tous les tombeaux. » La civilisation égyptienne serait un modèle de continuité, et pourtant, l’auteur connaît les révolutions, n’ignore pas les discontinuités de cette histoire : « Cette chronologie des pharaons (…) se caractérise par des « trous » immenses : comme dit Vercoutter, il faut imaginer ce que serait l’histoire de France où il manquerait la guerre de Cent ans, les guerres de Religion, la Révolution française… et où on ne connaîtrait que dans ses grandes lignes sept rois et un empereur. Sans rien savoir des périodes intermédiaires. C’est cela, aujourd’hui, l’histoire connue de l’ancienne Egypte : les périodes inconnues ou presque forment les deux tiers de l’histoire totale. 190 rois et 30 dynasties sont répertoriées. Ce que l’on appelle les « Périodes intermédiaires » sont des périodes troublées séparant l’Ancien Empire du Moyen Empire (guerres civiles et révolutions sociales). (…) C’est à la mort de Pépi II que commence une époque de bouleversements sociaux aux conséquences décisives pour la civilisation égyptienne y compris sur le plan religieux (divulgation sous une pression populaire violente, des secrets d’Héliopolis, de l’Esotérisme des Mystères solaires, qui allaient ouvrir l’Egypte aux Codes funéraires que l’on verra dans les Tombeaux). (…) On pourrait baptiser cette Première Période Intermédiaire de « Première Révolution Sociale du monde ». Des monarques provinciaux se soulevèrent contre l’autorité centrale en déclin. Des paysans se révoltèrent contre le système féodal oppressif. (…) Plus tard, la littérature antiroyale de la Période des troubles révolutionnaires (première période intermédiaire) propagera l’image de rois tyranniques ayant écrasé le peuple égyptien sous les corvées et les grands travaux. »

  • Gould dans « Quand les poules auront des dents » :

    « La vie n’est pas une saga du progrès : elle est plutôt une histoire de bifurcations et de méandres compliqués, avec des survivants temporaires qui s’adaptent aux transformations du milieu local et n’approchent guère de la perfection. »

  • « La vie a donc débuté avec un mode bactérien statistique. Ce mode bactérien s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui et se maintiendra éternellement, du moins jusqu’à l’explosion du Soleil et la destruction de la Terre…comment affirmer que le progrès fournit la dynamique génératrice de l’évolution, alors que le mode de la complexité n’a jamais changé ?… Le paradigme du succès de la vie a de tout temps été la bactérie ».

    Stephen Jay Gould, 1997. L’éventail du vivant

    • Gould, en parlant de la richesse de la vie bactérienne, considérait que nous vivons dans « l’âge des bactéries » : la vie sur Terre a toujours été, et sera toujours, caractérisée par les bactéries. La suprématie de ces formes de vie, relativement simples, peut être mesurée par leur durée (elles représentent les plus vieux organismes et seront les dernières à s’éteindre), leur résistance remarquable (elles supportent bien les conditions extrêmes), leur ubiquité (on les trouve partout et seules les laves incandescentes en sont dépourvues), leur taxonomie (chacune des divisions des Bactéries et Archaea est plus grande « que les trois règnes multicellulaires (plantes, champignons et animaux) réunis »), et leur utilité puisque ce sont elles qui génèrent une partie de l’oxygène dans l’atmosphère aujourd’hui, et qui, en symbiose, contribuent aux autres formes de vie, y compris la nôtre.

  • « Ce perfectionnement [de l’évolution] conduit inévitablement au progrès graduel de l’organisation des êtres vivants », écrit Darwin. Mais sa position est nuancée (sinon contradictoire), car il souligne ailleurs qu’il « n’existe aucune tendance innée à un développement progressiste ».

  • Stephen Jay Gould a consacré un remarquable ouvrage (L’Éventail du vivant. Le mythe du progrès) à réfuter l’idée de progrès dans l’histoire de la vie. Il s’appuie entre autres sur le fait qu’il existe toujours des représentants actuels de phylums « simples » apparus à des périodes plus anciennes, et qui rencontrent encore un succès évolutif remarquable. Ainsi les poissons, apparus bien avant les mammifères et plus « simples » qu’eux, constituent plus de la moitié des vertébrés. Et que dire des bactéries et des unicellulaires, qui forment l’essentiel de la biomasse de la planète ! Autrement dit, plus de complexité ne laisse en rien présager un plus grand succès évolutif. Sans compter que chaque lignée évolue, comme nous l’avons vu, tantôt en se complexifiant, tantôt en se simplifiant. Gould propose de l’évolution des lignées l’image de la marche de l’ivrogne qui, longeant un trottoir d’un pas mal assuré, finit par tomber dans le caniveau. Est-il intrinsèquement attiré par le caniveau ? Non, sa démarche est erratique… S’il se heurte au mur, il repart de l’autre côté ; mais si par hasard il arrive au caniveau, il y tombe. De même, le vivant ne peut jamais se simplifier en deçà d’un minimum, mais peut « tomber » dans des niveaux d’une complexité accrue.

  • « Le rêve du progrès est devenu la peur du progrès. »

    C.L.RL James dans « Le matérialisme dialectique et le destin de l’humanité »

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