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Logique formelle et logique dialectique

samedi 12 décembre 2009, par Robert Paris

Les lois élémentaires de la logique formelles sont :
1. La loi de l’identité (A = A)
2. La loi de la contradiction (A n’est pas égal à non A)
3. La loi du tiers exclu (A n’est pas égal à B)
A première vue, ces lois semblent éminemment raisonnables. Comment quelqu’un pourrait-il les contester ? Cependant, une analyse plus précise montre que ces lois comportent de nombreux problèmes et contradictions de nature philosophique. Dans sa Science de la logique, Hegel fait une analyse exhaustive de la loi de l’identité, et prouve qu’elle est unilatérale et, par conséquent, incorrecte.

Tout d’abord, remarquons que l’apparence d’une chaîne de raisonnement dans laquelle chaque étape découle nécessairement de la précédente, est entièrement illusoire. La loi de la contradiction n’est qu’une reformulation de la loi de l’identité sous une forme négative. Il en est de même pour la loi du tiers exclu. La première ligne est simplement répétée de différentes manières. Le tout tient – ou tombe – sur la loi de l’identité (A = A). A première vue, celle-ci est irréfutable, et est véritablement la source de toute pensée rationnelle. Elle est la Sainte des Saintes de la Logique, qui ne doit pas être remise en cause. Cependant, elle a été remise en cause, et par l’un des plus grands esprits de tous les temps.

Dans Les habits neufs de l’empereur, un conte de Hans Christian Andersen, un empereur un peu fou achète à un escroc des vêtements neufs, qui sont supposés être très beaux, mais invisibles. Le crédule empereur se promène dans son costume tout neuf, dont tout le monde reconnaît qu’il est exquis, jusqu’à ce qu’un jour un petit garçon remarque que l’empereur est en fait complètement nu. Hegel a rendu à peu près le même service à la philosophie avec sa critique de la logique formelle. Ses défenseurs ne le lui ont jamais pardonné.

La soi-disant loi de l’identité est, en réalité, une tautologie. Paradoxalement, dans la logique traditionnelle, la tautologie a toujours été considérée comme l’une des erreurs les plus flagrantes qui puissent être commises lorsqu’on définit un concept. Il s’agit d’une définition logique intenable, qui se contente de répéter ce qui est déjà explicite dans la chose qui doit être définie. Expliquons cela plus concrètement. Un professeur demande à l’un de ses élèves ce qu’est un chat, et l’élève répond fièrement qu’un chat est – un chat. Une telle réponse ne sera pas tenue pour très intelligente. Après tout, une phrase est supposée nous dire quelque chose, et celle-ci ne nous dit rien du tout. Pourtant, cette mauvaise définition du félin quadrupède est une expression parfaite de la loi de l’identité dans toute sa gloire. L’élève en question mériterait d’être immédiatement envoyé au fond de la classe. Cependant, pendant plus de deux milles ans, les plus savants professeurs se sont contentés de considérer cette loi comme la plus profonde des vérités philosophiques.
Tout ce que la loi de l’identité nous dit au sujet d’une chose, c’est qu’elle est. Cela ne nous fait pas avancer d’un centimètre. Nous en restons au stade de l’abstraction la plus vide et générale. Nous n’apprenons rien sur la réalité concrète, les propriétés et les fonctions de l’objet en question. Un chat est un chat ; je suis moi ; tu es toi ; la nature humaine est la nature humaine ; les choses sont comme elles sont. Le vide de telles affirmations saute aux yeux. Elles sont l’expression consommée de la pensée unilatérale, formaliste et dogmatique.

Est-ce qu’en conséquence la loi de l’identité est invalide ? Pas entièrement. Elle a son champ d’application, mais il est beaucoup plus limité qu’on pourrait le croire. Les lois de la logique formelle peuvent être utilisées pour clarifier certains concepts, analyser, étiqueter, cataloguer, définir. Elles ont le mérite d’être nettes et précises. Cela n’est pas inutile. Pour les phénomènes simples et courants du quotidien, elles suffisent. Mais pour appréhender des phénomènes plus complexes, impliquant le mouvement, des changements qualitatifs, elles deviennent totalement inadéquates et, en fait, se brisent de part en part.

Le passage suivant de Trotsky résume brillamment la ligne d’argumentation de Hegel au sujet de la loi de l’identité :
« Je vais tenter ici de cerner, de la façon la plus concise possible, l’essentiel de la question. La logique aristotélicienne du syllogise simple part de la proposition que " A " est égal à " A ". Ce postulat est accepté comme un axiome pour quantité d’actions humaines pratiques et pour des généralisations élémentaires. Mais en réalité, " A " n’est pas égal à " A ". C’est facile à démontrer, ne fut-ce qu’en regardant ces deux lettres à la loupe : elles diffèrent sensiblement l’une de l’autre. Mais, peut-t-on objecter, il ne s’agit pas de la dimension ni de la forme des lettres, puisqu’elles ne sont que des symboles de quantités égales, par exemple une livre de sucre. L’objection ne tient pas : en réalité, une livre de sucre n’est jamais égale à une livre de sucre – et des balances plus précises décèlent toujours une différence. On pourra encore objecter : une livre de sucre est égale à elle-même. C’est aussi faux : tous les corps changent constamment de dimension, de poids, de couleur, etc. Ils ne sont jamais égaux à eux-mêmes. Un sophiste répondra qu’une livre de sucre est égale à elle-même " à un instant donné ". Sans même parler de la valeur pratique, bien douteuse, d’un tel " axiome ", il ne résiste pas davantage à la critique théorique. Comment, en effet, comprendre le mot " instant " ? S’il s’agit d’une fraction infinitésimale de temps, la livre de sucre subira inévitablement des changements pendant cet " instant ". Ou bien l’instant n’est-il qu’une pure abstraction mathématique, c’est-à-dire représente un zéro de temps ? Mais tout existe dans le temps et l’existence elle-même n’est qu’un processus ininterrompu de transformation : le temps est par conséquent un élément fondamental de l’existence. Ainsi l’axiome " A " égale " A " signifie que toute chose est égale à elle-même quand elle ne change pas, c’est-à-dire quand elle n’existe pas.

Il peut sembler au premier abord que ces " subtilités " ne sont d’aucune utilité. Elles ont en réalité une importance décisive. L’axiome " A " égale " A " est, d’une part, le point de départ de toutes nos connaissances et, d’autre part, la source de toutes les erreurs dans nos connaissances. On ne peut manier impunément l’axiome " A = A " que dans des limites déterminées. Lorsque les changements quantitatifs de " A " sont négligeables pour la tâche qui nous intéresse, nous pouvons admettre que " A = A ". C’est ainsi par exemple que l’acheteur et le vendeur considèrent une livre de sucre. Ainsi considérons-nous la température du soleil. Ainsi considérions-nous jusqu’à récemment le pouvoir d’achat du dollar. Mais les changements quantitatifs, au-delà d’une certaine limite, se convertissent en changements qualitatifs. Une livre de sucre arrosée d’eau ou d’essence cesse d’être une livre de sucre. Un dollar, soumis à l’action du président, cesse d’être un dollar. Dans tous les domaines de la connaissance, y compris la sociologie, l’une des tâches les plus importantes et les plus difficiles consiste à saisir, au moment précis, le point critique où la quantité se change en qualité. […]
La pensée dialectique est à la pensée vulgaire ce que le cinéma est à la photographie. Le cinéma ne rejette pas les images fixes de la photographie, mais les combine en une série suivant les lois du mouvement. La dialectique ne rejette pas le syllogisme, mais elle nous enseigne à combiner les syllogismes de façon à rapprocher notre connaissance de la réalité toujours changeante. Dans sa Logique, Hegel établit une série de lois – le changement de la quantité en qualité, le développement à travers des contradictions, le conflit entre la forme et le contenu, l’interruption de la continuité, le passage du possible au nécessaire, etc. – qui sont aussi importantes pour la pensée théorique que le simple syllogisme pour les tâches les plus élémentaires. »
Il en est de même avec la loi du tiers exclu, qui soutient qu’il est nécessaire, soit d’affirmer, soit de nier, et qu’une chose doit être soit blanche, soit noire ; soit vivante, soit morte ; soit « A », soit « B ». Autrement dit, elle ne peut être les deux à la fois. Pour les affaires courantes du quotidien, on peut considérer que c’est vrai. D’ailleurs, sans de telles suppositions, une pensée claire et consistante serait impossible. En outre, des erreurs apparemment insignifiantes dans le domaine théorique se font tôt ou tard sentir dans la pratique, où les conséquences y sont souvent désastreuses. De la même manière, une toute petite fissure dans l’aile d’un avion de ligne peut paraître insignifiante, et, en, effet, passera inaperçue à vitesse réduite. Mais à très grande vitesse, cette petite erreur peut provoquer une catastrophe. Dans l’Anti-Dühring, Engels explique les carences de la soi-disant loi du tiers exclu :
« Pour le métaphysicien, les choses et leurs reflets dans la pensée, les idées, sont des objets d’étude isolés, à considérer l’un après l’autre et l’un sans l’autre, fixes, rigides, donnés une fois pour toute. Il ne pense que par antithèses sans moyen terme. Il dit : oui, oui ; non, non – ce qui va au-delà ne vaut rien. Pour lui, soit une chose existe, soit elle n’existe pas ; et une chose ne peut pas être à la fois elle-même et autre chose. Le positif et le négatif s’excluent absolument ; la cause et l’effet s’opposent de façon tout aussi rigide.

Si ce mode de penser nous paraît au premier abord tout à fait plausible, c’est qu’il est celui de ce qu’on appelle le sens commun. Mais si respectable que soit ce compagnon tant qu’il reste cantonné dans le domaine prosaïque de ses quatre murs, le sens commun connaît des aventures tout à fait étonnantes dès qu’il se risque dans le vaste monde de la recherche. Le mode de pensée métaphysique, si justifié et si nécessaire qu’il soit dans nombre de domaines dont l’étendue varie selon la nature de l’objet, se heurte toujours, tôt ou tard, à une barrière au-delà de laquelle il devient étroit, borné et abstrait, et se perd en contradictions insolubles. La raison en est que, devant les objets singuliers, il oublie leurs connexions ; devant leur existence présente, il oublie leur devenir et leur futur périssement ; devant leur repos, il oublie leur mouvement. Les arbres lui cachent la forêt. Pour les besoins de tous le jours, nous savons, par exemple, et nous pouvons dire avec certitude si un animal existe ou non. Mais une étude plus précise nous montre que ce problème est parfois très complexe, et les juristes le savent très bien, qui se sont évertués en vain à découvrir la limite rationnelle à partir de laquelle tuer une enfant dans le sein de sa mère est un meurtre. Il est tout aussi impossible de déterminer le moment de la mort, car la physiologie démontre que la mort n’est pas un phénomène unique et instantané, mais un processus de très longue durée.

De la même manière, tout être organique est à tout moment le même et pas le même ; à chaque instant, il assimile des matières étrangères et en élimine d’autres ; à chaque instant, des cellules de son corps dépérissent et d’autres se forment ; au bout d’un temps plus ou moins long, la substance de ce corps s’est totalement renouvelée, elle a été remplacé par d’autres molécules de matière, de sorte que tout être organique est constamment lui-même et pourtant autre que lui-même. »
Le rapport entre la logique formelle et la dialectique est comparable au rapport entre la mécanique classique et la mécanique quantique. Elles ne se contredisent pas mais se complètent. Les lois de la mécanique classique sont toujours valables pour un très grand nombre d’applications. Cependant, elles ne s’appliquent pas adéquatement au monde des particules subatomiques, lequel implique des quantités infinitésimalement petites et des vitesses énormes. Pareillement, Einstein n’a pas remplacé Newton, mais a simplement exposé les limites au-delà desquelles les système de Newton ne fonctionne plus.

La logique formelle (qui a acquis la force d’un préjugé populaire sous la forme du « bon sens ») est également valable pour toute une série d’expériences du quotidien. Cependant, les lois de la logique formelle, qui reposent sur une conception essentiellement statique de la réalité, se brisent inévitablement lorsqu’on les applique à des phénomènes plus complexes, changeants et contradictoires. Pour utiliser le langage de la théorie du chaos, les « équations linéaires » de la logique formelle ne peuvent exprimer les processus turbulents que l’on observe dans tous les domaines de la nature, de la société et de l’histoire. Seule la méthode dialectique en est capable.

La logique et le monde subatomique

D’autres philosophes, très éloignés du point de vue dialectique, ont compris les carences de la logique formelle. En général, l’empirisme et le raisonnement inductif fleurissaient tout particulièrement dans le monde anglo-américain. Cependant, la science a toujours besoin d’un cadre philosophique lui permettant d’évaluer ses résultats et de s’orienter dans la masse confuse des faits et des statistiques, comme le fil d’Ariane dans le labyrinthe. De simples appels au « bon sens » ou aux « faits » ne suffisent pas.

La pensée syllogistique – méthode déductive et abstraite – est propre à la tradition française, en particulier depuis Descartes. La tradition anglaise, très influencée par l’empirisme, était complètement différente. D’Angleterre, l’école de pensée empirique fut très tôt importée aux Etats-Unis, où elle s’est profondément enracinée. Ainsi, le mode de pensée formel et déductif n’était pas du tout caractéristique de la tradition intellectuelle du monde anglo-américain. « Au contraire », écrivait Trotsky, « on peut dire que cette [école de] pensée se distinguait par le mépris de l’empirisme souverain à l’égard du pur syllogisme, ce qui n’empêcha pas les Anglais de réaliser des conquêtes colossales dans de nombreux domaines de la recherche scientifique. Si l’on y réfléchit correctement, il est impossible de ne pas en arriver à la conclusion que ce rejet empirique du syllogisme est une forme primitive de la pensée dialectique. »
Historiquement, l’empirisme a joué à la fois un rôle progressiste (en luttant contre la religion et le dogmatisme médiéval) et un rôle négatif (dans son interprétation très étroite du matérialisme et sa réticence vis à vis des généralisations théoriques). La fameuse thèse de Locke selon laquelle il n’y a rien dans l’intellect qui ne provienne de l’expérience contient les germes d’une idée profondément correcte. Mais présentée de façon unilatérale, elle pouvait avoir – et eut effectivement – des conséquences néfastes sur le développement de la philosophie. Peu avant son assassinat, Trotsky écrivait à ce sujet :
« " Nous ne connaissons du monde que ce qui nous est donné par l’expérience. " Cette idée est correcte à condition de ne pas comprendre par " expérience " le témoignage direct de nos cinq sens. Si l’on réduit la question à l’expérience dans son sens étroitement empirique, alors il nous est impossible de parvenir à un quelconque jugement sur l’origine des espèces, et encore moins sur la formation de la croûte terrestre. Dire que l’expérience est à la base de tout, c’est en dire trop ou ne rien dire du tout. L’expérience est la relation active entre le sujet et l’objet. Analyser l’expérience en dehors de ce cadre – c’est-à-dire en dehors de l’environnement matériel objectif du chercheur, environnement dont il est distinct mais dont cependant, d’un autre point de vue, il fait partie intégrante – reviendrait à dissoudre l’expérience dans une unité informe où il n’y a ni sujet, ni objet, mais seulement la formule mystique de l’expérience. Une " expérimentation " ou une " expérience " de ce type ne vaut que pour le bébé dans le ventre de sa mère – mais le bébé est malheureusement privé de l’opportunité de partager les conclusions scientifiques de son expérience. »

Le « principe d’incertitude » de la mécanique quantique ne peut s’appliquer aux objets ordinaires, mais seulement aux atomes et aux particules subatomiques. Les particules subatomiques obéissent à des lois différentes de celles du monde « ordinaire ». Elles se déplacent à des vitesses incroyables : par exemple, 1500 mètres par secondes. Elles peuvent se déplacer en même temps dans différentes directions. Dans ce contexte, les formes de pensée qui s’appliquent aux expériences quotidiennes ne sont plus valides. La logique formelle perd toute utilité. Ses catégories abstraites – noir ou blanc, oui ou non, à prendre où à laisser – n’ont aucun point de contact avec cette réalité fluide, instable et contradictoire. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’il s’agit en toute probabilité de tel ou tel type de mouvement, parmi une infinité de possibilités. Loin de partir des prémisses de la logique formelle, la mécanique quantique viole la Loi de l’Identité en affirmant la « non-individualité » des particules individuelles. La Loi de l’Identité ne peut s’appliquer à ce niveau puisque l’« identité » des particules individuelles ne peut être fixée. D’où l’interminable controverse sur le thème : « ondes » ou « particules » ? Comme s’il ne pouvait s’agir des deux à la fois ! Ici, « A » s’avère être « non-A », et « A » peut effectivement être aussi « B ». Cela explique l’impossibilité de « fixer » la vitesse et la position d’un électron au moyen des catégories nettes et absolues de la logique formelle. C’est là un problème sérieux pour la logique formelle et le « bon sens », mais non pour la dialectique et la mécanique quantique. Un électron possède à la fois les caractéristiques d’une onde et d’une particule, ce qui a été prouvé expérimentalement.
En 1932, Heisenberg a suggéré que la cohésion des protons, à l’intérieur du noyau, était maintenue par quelque chose qu’il appelait la force d’échange. Cela impliquait que les protons et les neutrons échangent constamment leur identité. Chaque particule donnée est dans un état constant de flux, se change de proton en neutron pour redevenir proton. Ce n’est que de cette manière que la cohésion du noyau est maintenue. Avant qu’un proton ne puisse être repoussé par un autre proton, il se change en neutron, et vice versa. Ce processus au cours duquel les particules se changent en leur opposé se déroule sans interruption, de sorte qu’à aucun moment il est possible de dire si une particule est un proton ou un neutron. En réalité, elle est les deux – elle est et elle n’est pas.

L’échange d’identité entre les électrons ne signifie pas un simple changement de position, mais constitue un processus complexe au cours duquel l’électron « A » s’interpénètre avec l’électron « B » pour produire un « mélange » composé, disons, de 60% de « A » et de 40% de « B » – et vice versa. Plus tard, ils peuvent avoir complètement échangé leurs identités, tout le « A » étant ici et tout le « B » là. Le flux commencerait ensuite à s’inverser suivant une oscillation permanente, dans un échange cadencé de l’identité des électrons, et ce indéfiniment. La vieille et rigide Loi de l’Identité disparaît complètement dans ce genre d’oscillation d’identité-dans-la-différence qui est sous-tend toute réalité et à laquelle Pauli a donné une expression scientifique avec son principe d’exclusion.
Ainsi, deux millénaires et demi après sa formulation, le principe d’Héraclite selon lequel « tout s’écoule » s’avère être juste – littéralement. Nous avons non seulement un état de changement et de mouvement incessants, mais aussi un processus d’interconnexion universelle, ainsi que l’unité et l’interpénétration des opposés. Les électrons, non seulement se conditionnent réciproquement, mais aussi s’entremêlent et se transforment les uns en les autres. Que nous sommes loin de l’univers statique et immuable de l’idéalisme platonicien ! Comment déterminer la position d’un électron ? En l’observant. Et comment déterminer sa vitesse ? En l’observant à deux reprises. Mais pendant ce lapse de temps, même infinitésimalement petit, l’électron s’est transformé, et n’est plus ce qu’il était. Il est autre chose. Il est à la fois une particule (une « chose », un « point ») et une onde (un « processus », un mouvement, un devenir). Il est et il n’est pas. Du fait de la nature même du phénomène, la vieille méthodologie du « noir ou blanc » propre à la logique formelle et dont se sert la mécanique classique ne donne ici aucun résultat.

En 1963, des physiciens japonais ont suggéré que la particule extrêmement petite connue sous le nom de neutrino changeait d’identité en traversant l’espace à de très grandes vitesses. A un moment, elle est un électron-neutrino, à un autre un muon-neutrino, à un autre encore un tau-neutrino – et ainsi de suite. Si cela est vrai, on peut dire que la loi de l’identité, déjà bien mal en point, vient de recevoir son coup de grâce. Une conception aussi rigide perd complètement pied lorsqu’elle est confrontée aux phénomènes naturels complexes et contradictoires que décrit la science moderne.

Extraits de La Riposte

Messages

  • L’échange d’identité entre les électrons ne signifie pas un simple changement de position, mais constitue un processus complexe au cours duquel l’électron « A » s’interpénètre avec l’électron « B » pour produire un « mélange » composé, disons, de 60% de « A » et de 40% de « B » – et vice versa. Plus tard, ils peuvent avoir complètement échangé leurs identités, tout le « A » étant ici et tout le « B » là. Le flux commencerait ensuite à s’inverser suivant une oscillation permanente, dans un échange cadencé de l’identité des électrons, et ce indéfiniment.

  • « Il nous faut comprendre au sein d’un tout les propriétés naissantes qui résultent de l’interpénétration inextricable des gènes et de l’environnement. Bref, nous devons emprunter ce que tant de grands penseurs nomment une approche dialectique, mais que les modes américaines récusent, en y dénonçant une rhétorique à usage politique. La pensée dialectique devrait être prise plus au sérieux par les savants occidentaux, et non être écartée sous prétexte que certaines nations de l’autre partie du monde en ont adopté une version figée pour asseoir leur dogme. (…) Lorsqu’elles se présentent comme les lignes directrices d’une philosophie du changement, et non comme des préceptes dogmatiques que l’on décrète vrais, les trois lois classiques de la dialectique illustrent une vision holistique dans laquelle le changement est une interaction entre les composantes de systèmes complets, et où les composantes elles-mêmes n’existent pas a priori, mais sont à la fois les produits du système et des données que l’on fait entrer dans le système. Ainsi, la loi des « contraires qui s’interpénètrent » témoigne de l’interdépendance absolue des composantes ; la « transformation de la quantité en qualité » défend une vision systémique du changement, qui traduit les entrées de données incrémentielles en changements d’état ; et la « négation de la négation » décrit la direction donnée à l’histoire, car les systèmes complexes ne peuvent retourner exactement à leurs états antérieurs. »

    Le géologue et paléontologue Stephen Jay Gould Dans « Un hérisson dans la tempête »

  • Dans Les habits neufs de l’empereur, un conte de Hans Christian Andersen, un empereur un peu fou achète à un escroc des vêtements neufs, qui sont supposés être très beaux, mais invisibles. Le crédule empereur se promène dans son costume tout neuf, dont tout le monde reconnaît qu’il est exquis, jusqu’à ce qu’un jour un petit garçon remarque que l’empereur est en fait complètement nu. Hegel a rendu à peu près le même service à la philosophie avec sa critique de la logique formelle. Ses défenseurs ne le lui ont jamais pardonné.

  • Le mérite de la conception de Hegel est qu’elle exige une logique dont les formes soient des formes dynamiques, aient un contenu réel, vivant, des formes inséparablement unies au contenu. La logique est la théorie non des formes extérieures de la pensée, mais des lois du développement de toutes les choses, c’est-à-dire des lois de développement de tout le contenu concret du monde, le bilan de l’histoire de la connaissance. (...) On ne pas peut pas comprendre totalement "Le Capital" de Marx et en particulier son chapitre un sans avoir étudié et sans avoir compris toute la "Logique" de Hegel. "

    (Lénine dans "Les cahiers philosophiques")

  • Période : 1948
    Sujet : Sur le débat logique formelle vs logique dialectique
    Lieu : URSS mais touche également l’occident dans les divers camps (cf Henri Lefebvre).

    Référence : Alexandre Zinoviev (1991). Les confessions d’un homme en trop (p.316-317). Folio actuel.

    Citation d’Alexandre Zinoviev :

    Je n’étais encore qu’un étudiant mais je me sentais suffisamment armé pour prendre part au débat. Bien sûr, ni les "conservateurs", ni les "novateurs" ne retinrent le point de vue que je développai.

    "Il ne s’agit pas, dis-je, de faire comme il existait quelque part une logique dialectique toute prête, que nous n’aurions qu’à identifier comme telle. Cette science n’existe pas et l’expression "logique dialectique" possède d’ailleurs plusieurs sens. Il faut poser le problème autrement. Personne ne remet en cause le fait qu’il existe un mode de pensée et une approche dialectique des phénomènes. On emploie dans cette approche des formes que décrit la logique formelle. Mais on recourt également à d’autres moyens qui nous permettent de nous orienter dans une réalité complexe, changeante et contradictoire. Ce sont ces moyens, qui rendent possible la pensée dialectique qui doivent être pris pour objet d’étude de la logique. Et il importe peu que nous envisagions cette science comme une logique dialectique particulière ou comme une branche de la logique formelle. Sois dit en passant, ces modes de pensée ont déjà été étudiés par John stuart Mill, pour ne citer que lui."

    J’évoquais la méthode hypothético-déductive, dont Tchernychevski, le traducteur des ouvrages de Mill, avait également parlé. Mon intervention me paraît encore pertinente à l’heure actuelle. Elle déchaîna évidemment l’indignation générale. Néanmoins, les discussions qui s’ensuivirent me permirent de préciser l’axe des recherches scientifiques qui allaient m’occuper huit années durant.

    [...]

    ce débat m’obligea à élaborer ma propre conception de ces aspects de la philosophie. Je décidai de concevoir une discipline qui engloberait comme objet unique d’étude les problèmes de logique, de gnoséologie, d’ontologie, de méthodologie et de dialectique ainsi que d’autres matières qui touchent aux problèmes généraux du langage et de la connaissance. Je considérais comme secondaire l’appellation de ladite discipline. "Philosophie" ne me convenait pas. [...] Avec le temps, je me mis à utiliser l’expression "logique complexe" pour distinguer ce que je faisais de ce que faisaient les autres.

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