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Comment Nathalie Arthaud et Lutte Ouvrière effacent R. Luxemburg, P. Lafargue, Jaurès et Vaillant de leur histoire (falsifiée) du mouvement ouvrier français

dimanche 23 avril 2023

Lors du dernier CLT de Lutte ouvrière, une version totalement fausse de l’histoire du mouvement ouvrier français avant 1914 est donnée :

La SFIO, le parti socialiste de l’époque, qui appartient à la seconde Internationale, regroupe alors plusieurs courants, des marxistes comme Jules Guesde, jusqu’au réformiste Jean Jaurès. Tous dénoncent alors la guerre – on connaît la célèbre phrase de Jaurès « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » - mais tous, malgré leurs références à la lutte de classe, ne poussent pas le raisonnement jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la nécessité pour la classe ouvrière de mener la lutte révolutionnaire jusqu’au renversement du pouvoir de la bourgeoisie.

Jaurès, lui, malgré son opposition irréductible à la guerre, reste sur le terrain de la diplomatie bourgeoise. En 1908, il veut croire que l’accord entre les gouvernements français, anglais et russe, peut avoir « des buts et des effets pacifiques ». Tandis que d’autres, plus conséquents, comme Lénine, sont convaincus que la seule issue favorable pour le prolétariat est la transformation de « la guerre impérialiste entre les peuples en une guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs. »

Passons sur le procédé grossier qui consiste à comparer des déclarations de Jaurès en 1908 concernant une guerre future à celles de Lénine qui datent de ... 1915 dans son Projet de résolution de la gauche de Zimmerwald.

Lutte ouvrière, dans le style stalinien, dénigre régulièrement la classe ouvrière et son "manque de conscience". Constatons d’abord dans les lignes ci-dessus les inexactitudes ou approximations qui reflètent un "manque de conscience" chez LO.

Premièrement Jules Guesde était le soi-disant "marxiste" à propos duquel Marx affirma qu’il n’était pas marxiste. Pourquoi LO ne mentionne pas Paul Lafargue, au lieu de Jules Guesde comme authentique marxiste de la SFIO ? Car cela irait contre la thèse de LO que tous les membres de la SFIO : « ne poussent pas le raisonnement jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la nécessité pour la classe ouvrière de mener la lutte révolutionnaire jusqu’au renversement du pouvoir de la bourgeoisie. » Au contraire, Lafargue, membre fondateur de la SFIO, « poussait le raisonnement jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la nécessité pour la classe ouvrière de mener la lutte révolutionnaire jusqu’au renversement du pouvoir de la bourgeoisie, » contrairement à ce que dit LO

LO a tort d’injurier la mémoire de P. Lafargue de cette façon ! Avec J. Guesde, Lafargue avait été un des auteurs, sous la dictée de Marx, du programme de 1880 du Parti ouvrier français. N. Arthaud est à droite non seulement du marxiste authentique P. Lafargue, mais de J. Guesde lui-même.

Certes la SFIO de 1905 n’était pas parfaite, car les authentiques révolutionnaires y côtoyaient les réformistes. Mais que la SFIO soit entièrement réformiste comme le prétend LO est démenti par Rosa Luxemburg qui assista à la fondation de la SFIO en 1905 et y souligne l’existence d’une authentique tendance révolutionnaire :

Trois jours durant, les 23, 24 et 25 avril derniers, s’est tenu à Paris le congrès de toutes les organisations socialistes de France : du Parti socialiste français (les jaurésistes), du Parti ouvrier français (les partisans de Guesde et de Vaillant, c’est-à-dire les guesdistes et les blanquistes), du Parti ouvrier socialiste-révolutionnaire (les allemanistes), ainsi que de quelques organisations indépendantes de province, d’importance moindre.
(...)
les guesdistes et les blanquistes poursuivaient sans répit leurs efforts socialistes en vue de frayer la voie à la lutte de classes du prolétariat contre la bourgeoisie. Ces efforts associaient l’action législative au parlement dans le but d’arracher à la classe dominante le maximum de lois favorables à la classe ouvrière avec l’éducation et l’organisation du prolétariat en vue de conquérir, à la longue et par des moyens révolutionnaires, le pouvoir politique et de mettre ainsi fin à la domination capitaliste.

Fidèle à l’esprit de l’enseignement de Marx, le Parti socialiste de France (formé par des guesdistes et des blanquistes) ne s’est jamais laissé abuser par une quelconque phraséologie démocratique ou nationaliste ; il est toujours demeuré en opposition absolue envers les gouvernements bourgeois et républicains en France, défendant ainsi les intérêts des ouvriers.
(...)

Comme on le voit, les travaux de ce congrès ont été extrêmement fructueux et l’Internationale ouvrière a retrouvé dans le prolétariat français son ancien et héroïque combattant pour les idéaux socialistes.

D’après LO, Rosa Luxemburg se serait donc entièrment trompée !

Enfin, contrairement à ce que prétend LO, Jaurès lui-même était socialiste, certes réformiste, mais dans un sens qui n’a rien à voir avec les socialistes réformistes d’aujourd’hui. Jaurès partageait entièrement, sur le plan économique, les conclusions révolutionnaires de Marx Lénine et Trotsky, bien plus que N. Arthaud, comme en témoigne les citations suivantes :

A coup sûr, il s’opère une concentration industrielle et commerciale incessante, et cette concentration capitaliste, qui exproprie peu à peu les petits et moyens producteurs, ébauche et facilite la concentration socialiste qui expropriera les expropriateurs. (...)

Nous savons très bien que la société capitaliste est la terre de l’iniquité et que nous ne sortirons de l’iniquité qu’en sortant du capitalisme

(...)

Je ne suis pas un modéré, je suis avec vous un révolutionnaire.
(..)

Le parti socialiste est un parti de révolution, précisément parce qu’il ne se borne pas à réformer et à pallier les pires abus du régime actuel, mais veut réformer en son fond ce régime même, précisément parce qu’il veut abolir le salariat, résorber et supprimer tout le capitalisme. précisément parce qu’il est un parti essentiellement révolutionnaire, il est le parti le plus activement et le plus réellement réformateur.

Jaurès, Discours

On voit que Jaurès, bien qu’à l’aile droite du socialisme international, était bien à gauche de N. Arthaud, qui ne parle jamais d’abolition du salariat, mais en fait presque l’apologie, un bon salaire étant prétendument LE gage de sécurité pour les travailleurs.

C’est seulement sur les moyens pour aboutir au socialisme que Jaurès peut être qualifié de réformiste, pas sur les fins. Derrière des Jaurès, Lafargue et Guesde, des travailleurs révolutionnaires étaient membres de la SFIO, également syndicalistes révolutionnaires à la CGT.

LO se place dans la lignée du "marxisme légal" de la petite-bourgeoisie parlementariste de la SFIO, du PC stalinien. Son dénigrement d’une organisation de la IIème internationale comme la SFIO d’avant 1914 est droitier, ne vient pas d’une tendance de gauche prolétarienne.

Jaurès fut salué par Lénine et Trotsky, malgré son réformisme, comme un des grands socialistes européens.

Dans les Izviestias du Comité exécutif central de Russie le 2 août 1918, on lisait, à propos des trois membres de la SFIO Jaurès, Lafargue et Vaillant :

Personnalités à la mémoire desquelles il est prévu d’élever des monuments à Moscou et dans d’autres villes de la République socialiste fédérative socialiste de Russie. Liste soumise à la considération du Conseil des commissaires du peuple par le département des beaux arts du commissariat du peuple à l’instruction publique (2 août 1918)

I. Révolutionnaires et personnalités publiques

1. Spartacus. 2. Tiberius Sempronius Gracchus. 3. Brutus. 4. Babeuf. 5. Marx. 6. Engels. 7. Bebel. 8. Lassalle. 9. Jaurès. 10. Lafargue. 11. Vaillant. 12. Marat. 12. Robespierre. 14. Danton. 15. Garibaldi. 16. Stepan Razine. 17. Pestel. 18. Ryléev. 19. Herzen. 20. BAKOUNINE. 21. Lavrov. 22. Khaltourine. 23 Plekhanov. 24. Kaliaev. 25. Volodarski. 26. Fourier. 27. Saint-Simon. 28. Robert Owen. 29. Jeliabov. 30. Sophie Pérovskaïa. 31. Kibaltchitch.

Au lieu de dénigrer Jaurès, Vaillant et Lafargue, N. Arthaud et Mercier feraient mieux 1) de faire connaissance avec ces « Révolutionnaires et personnalités publiques » 2) de les citer de manière systématique et successivement, dans leurs interventions dans les media patronaux où ils sont invités régulièrement, afin de familiariser les travailleurs avec ces grands noms du socialisme !

Messages

  • ’Au lieu de dénigrer Jaurès, Vaillant et Lafargue, N. Arthaud et Mercier feraient mieux 1) de faire connaissance avec ces « Révolutionnaires et personnalités publiques » 2) de les citer de manière systématique et successivement, dans leurs interventions dans les media patronaux où ils sont invités régulièrement, afin de familiariser les travailleurs avec ces grands noms du socialisme !’

    Pour cela il faudrait qu ils aient le courage d affronter les bureaucraties syndicales qui collaborent ouvertement avec le patronat. Mais pour les affronter il faudrait aussi qu ils cessent tous compromis et négociation avec ce même patronat quand ils ont des postes dans les syndicats !
    Dans le secteur de l industrie militaire cela passe aussi par une propagande sans relâche contre la production d armes qui alimente les conflits sur toute la planète. La lutte contre son propre impérialisme est plus fondamentale que celle pour les salaires surtout quand les salariés sont eux même montres du doigt comme étant privilégiés avec leur CDI face au chômage.
    La retraite est un droit mais pour le prolétariat le plus précaire, ce sera la retraite pour les morts ou la retraite de misère. L age de départ divisé et les syndicats s en frottent les mains.
    A force de saucissonner les luttes et de suivre le calendrier des attaques..la classe ouvrière reste dans les cordes du ring et les syndicats se couchent.
    L autonomie des luttes et ses objectifs anti impérialiste et propre a son statut , c est a dire la dictature du prolétariat contre celle des capitalistes , sont au coeur de ce que les révolutionnaires doivent marteler. Ainsi les exemples de défaite ou de victoire du prolétariat sont toujours révélatrices dans leur étude de ce que le pouvoir ( même celui d un groupe) cherche a effacer ou a tromper.
    Par exemple pour Lo l exemple des comités de grève est réservé a l élite militante...pas l à peine d en parler dans les boîtes...très révélateur quand on sait leur fétichisme syndicaliste !

    • Tout à fait d’accord.

      De plus dans ce CLT, le programme que LO réserve à son "élite" est le suivant, les références historiques de LO étant "truquées" et ne servant qu’à justifier son opportunisme d’aujourd’hui :

      1) Si la bourgeoisie française part en guerre comme en 1914, et pendant la préparation de cette guerre c’est à dire aujourd’hui, nous n’appellerons à aucune action collective anti-guerre des travailleurs car

      a) il est impossible d’empêcher la guerre, c’est prêcher le pacifisme bourgeois de Jaurès

      b) les travailleurs sont patriotes et incapables de résister à la vague chauvine militariste, 1914 l’a prouvé. Aujourd’hui, les travailleurs sont pires qu’en 1914 ou 1939.

      c) nous sommes et resterons une élite isolée, nous méritons déjà des médailles ; nous voyons les bombes arriver mais ne bougerons pas, quel courage de notre part !

      2) Nous ferons une "apologie révolutionnaire" de la mobilisation, car c’était (LO le prétend !) la politique de Trotsky : travailleurs, ne prenez pas les armes par vous-même, attendez que la bourgeoisie vous en propose, et alors engagez-vous, vous apprendrez le maniement des armes pour la future révolution !

      3) Tout ce qui a pu être fait par la CGT ou la II ème internationale en France au chapitre de l’antimilitarisme avant 1914 (et que des gauchistes tels Matière et Révolution nous reprochent de ne pas reprendre aujourd’hui), est à jeter à la poubelle car cela venait ou des anarchistes (CGT) ou des bourgeois de la SFIO comme Jaurès.

  • Un des principaux partis qui fusionnèrent pour former la SFIO en 1905, est le “Parti ouvrier français (les partisans de Guesde et de Vaillant, c’est-à-dire les guesdistes et les blanquistes)” mentionné par R. Luxemburg.

    R. Luxemburg fait sans doute référence au Parti socialiste de France (PSdF) fondé à Ivry le 3 novembre 1901 (d’après G. Lefranc cité ci-dessous, en 1902 d’après wikipedia).

    Ce PSdF réunissait le Parti ouvrier français de Jules Guesde et le Parti socialiste révolutionnaire de Vaillant (« blanquiste »).

    D’après N. Arthaud ce parti regroupait donc des militants socialistes qui « ne poussent pas le raisonnement jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la nécessité pour la classe ouvrière de mener la lutte révolutionnaire jusqu’au renversement du pouvoir de la bourgeoisie » (dont le Communard E. Vaillant !)

    La Charte d’Ivry publiée par le PSdF est pourtant bien plus marxiste que tous les propos de N. Arthaud :

    Le socialiste de France (unité socialiste révolutionnaire, fraction du prolétariat international organisé) poursuit l’émancipation du travail et de la société sur les bases suivantes : entente et action internationale des travailleurs, organisation politique et économique du prolétariat en parti de classe pour la conquête du pouvoir et la socialisation des moyens de production et d’échange, c’est-à-dire la transformation de la société capitaliste en société collectiviste ou communiste.

    Parti de révolution et, par conséquent, d’opposition à l’Etat bourgeois, s’il est de son devoir d’arracher toutes les réformes susceptibles d’améliorer les conditions de lutte de la classe ouvrière, il ne saurait, en aucune circonstance, par la participation au pouvoir central, par le vote du budget, par des alliances avec des partis bourgeois, fournir aucun des moyens pouvant prolonger la domination sur la classe ouvrière.

    Cité par Georges Lefranc p. 112 dans Le mouvement socialiste sous la Troisième République.

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