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« Poissonnière » est-il une injure ? Une mise au point de Daniel Guérin.

vendredi 12 février 2021, par Alex

Le 6 février, un sérieux journal bourgeois, avec d’autres, rapportait un grave incident au Parlement :

« Insulte sexiste » : la députée Mathilde Panot (LFI) obtient les excuses d’un député LREM

Une élue a été qualifiée de « poissonnière » alors qu’elle allait prendre la parole dans l’hémicycle. Le président de l’Assemblée nationale a condamné ces propos.

Qualifiée de « poissonnière » mardi 2 février dans l’hémicycle par le député LREM Pierre Henriet, la LFI Mathilde Panot a obtenu mercredi soir des excuses de l’élu mais réclame « sanction » après cette « insulte sexiste ». « Ce n’est pas une question personnelle. C’est notre institution qui ne doit pas laisser passer ça. Il y a beaucoup trop de sexisme à l’Assemblée nationale, a-t-elle affirmé auprès de l’AFP. Je rappelle qu’il y avait eu des bêlements lors d’une prise de parole de la députée Alice Thourot (LREM) ou que mes collègues Clémentine Autain (LFI) et Elsa Faucillon (PCF) avaient été traitées de ’petites connes’ par le député Meyer Habib (UDI) ».

(Le Figaro)

Il faut condamner cette injure anti-femme du député pro-Macron Pierre Henriet.

Mais les historiens du futur auront peut-être du mal à interpréter cet incident. En quoi le terme désignant la profession honorable de « poissonnière » constitue-t-il une insulte ? Les castes ne sont-elles pas abolies en Europe ? Sinon, pourquoi la députée Panot n’a-t-elle pas tout simplement répliqué « poissonnier » d’après le principe bien connu du « c’est-celui-qui-dit-qui-est » ?

Une députée marxiste aurait pu répliquer : « Député Henriet, le mouvement "Balance ton porc" devrait vous nommer chef de cette porcherie machiste que sont VOS institutions depuis 1789 ». Les poissonnières auraient vite été oubliées devant ce nouveau scandale, et le secteur des classes moyennes des poissonnières serait passé immédiatement en bloc du côté du parti ouvrier.

Un premier problème est donc que la députée Panot injurie également les femmes dans sa réponse, en identifiant la cause des femmes à « nos » institutions bourgeoises.

La députée Panot fait de cette République, régime oppresseur des femmes, un sanctuaire du féminisme : « C’est notre institution qui ne doit pas laisser passer ça ».

Deuxièmement

Le parti de madame Panot, la France Insoumise, est un parti patriote, vive-l’armiste, qui a le culte de Mitterrand, qui fut un des pires oppresseur des femmes africaines, notamment par le Génocide au Rwanda en 1994.

Troisièmement madame Panot n’explique vraiment pas en quoi « poissonnière » constituerait une insulte. Une poissonnière est parfois une femme qui se lève tôt, s’use les mains à la tache, se salit, elle peut vite user sa santé comme une prolétaire. Il peut donc y avoir une insulte à caractère social dans le terme employé par le député Henriet. Mais la député Panot appartient elle-même à un parti bien bourgeois, elle n’a pas souhaité relever cette nuance dans l’insulte, et se faire la championne non d’un féminisme bourgeois, mais d’un féminisme des exploité(e)s. De même qu’un peuple qui en opprime un autre ne peut être un peuple libre, une femme qui soutient la domination bourgeoise, une femme du parti de JL Mélenchon ne peut être une femme entièrement libre, encore moins une vraie féministe.

Mais surtout, quel bas niveau dans les injures, et dans la réponse aux injures !

Le niveau des représentants de la bourgeoisie baisse. Cela n’est-il pas sans importance lorsqu’il s’agit des injures ? Non. C’est important, car savoir injurier de manière correcte est malheureusement une tâche des militants.

Car un agitateur révolutionnaire ne peut pas se priver de ce procédé de la rhétorique que constituent des termes, qualifiés injustement d’injures lorsqu’ils sont basés sur une vraie analyse marxiste. I

Souvenons-nous des Thèses sur la structure, les méthodes et l’action des partis communistes, qui traitent du caractère révolutionnaire des injures basées sur une juste et solide analyse marxiste :

Il ne suffit nullement de jeter simplement à la face des chefs d’Amsterdam l’injure de « jaune ». Leur caractère de « jaunes » doit être montré en détail et par des exemples pratiques. Leur activité dans les unions d’ouvriers, au Bureau International du Travail de la Ligue des Nations, dans les ministères et les administrations bourgeoises, leurs paroles trompeuses dans les discours prononcés aux conférences et aux parlements, les passages essentiels de leurs nombreux articles pacificateurs dans des centaines de journaux et de revues, mais surtout, leur manière hésitante et oscillante de se conduire quand il s’agit de préparer et de mener à bien même les moindres mouvements de salaire et les combats d’ouvriers, tout cela offre chaque jour l’occasion d’exposer la conduite déloyale et de traîtrise des chefs d’Amsterdam et de les marquer du nom de « jaunes ». On peut le faire en soumettant des propositions, des motions et par des discours formulés tout à fait simplement.
(...
Les organisations communistes doivent également, au moyen de leurs groupes ouvriers, se préparer avec soin à toutes les assemblées générales, aux assemblées électorales, aux démonstrations, aux fêtes politiques ouvrières, etc., montées par les partis ennemis.

Que faire ? Premièrement jamais un député marxiste n’aurait injurié une femme en la traitant de poissonnière, et jamais une députée marxiste injuriée par ce terme n’aurait répondu que ce terme est une insulte.

Une analyse de classe du secteur de la poissonnerie, de ses forces productives, permet bien sûr d’éclairer ce sujet. Sans entrer dans les détails d’une telle analyse, donnons-en directement les résultats : un délégué ouvrier marxiste qui souhaiterait, à juste tire, déstabiliser une députée de la France Insoumise qui crierait dans l’assemblée générale d’un mouvement « Vive nos institutions, notre drapeau et nos armées » aurait crié bien sûr non pas « poissonnière ! » mais « poissarde ! ».

Les deux députés se sont disputés autour du terme de « poissonnière », c’est une erreur. L’injure « poissarde ! » est le terme juste. Tout d’abord ce terme n’a rien de misogyne, car on peut très bien qualifier le député Henriet de « poissard ».

Ces deux députés ignorent le terme et le concept de poissarde. Mais il fait partie du vocabulaire du socialisme scientifique, l’injure « poissarde ! » ayant gagné ses lettres de noblesses grâce à Daniel Guérin, et surtout grâce à la vraie féministe Claire Lacombe, une des figures de la Révolution française qui fut justement victime des poissardes, lancées contre elle par les révolutionnaires misogynes.

Poissarde est donc un terme à connaitre comme celui par exemple de « lumpen-prolétariat ». Une poissarde est une fausse féministe comme la députées Panot, qui combat, au nom du féminisme les vraies féministes comme Claire Lacombe. Henriet est un ami des poissardes, un vrai misogyne qui se déguise en féministe en s’appuyant sur les poissardes, comme Chaumette. Bref, la dispute entre Panot et Henriet n’est qu’un débat entre deux politicien(ne)s qui sont tous les deux dans le camp des poissardes.

Ces questions étant complexes, il faut surtout relire Daniel Guérin à propos de l’épisode des poissardes contre Claire Lacombe. Les 12 derniers paragraphes du chapitre IV « La liquidation des enragés » de son ouvrage Bourgeois et bras nus sont donc plus que jamais d’actualité.

  1. Les enragés n’avaient pas seulement attiré les plus révolutionnaires des sans-culottes parisiens. Ils avaient entraîné dans leur sillage les plus révolutionnaires des femmes. Responsables de l’approvisionnement du foyer, elles ressentaient plus directement encore que les hommes les souffrances consécutives à la vie chère, à la disette. Les émeutes contre la vie chère, en juin 1793, avaient été surtout l’oeuvre des femmes. La Société des Républicaines révolutionnaires fut en quelque sorte la section féminine du mouvement des enragés. Elle avait été créée le 10 mai, dans le feu de la lutte contre la Gironde, par une jeune artiste, Claire Lacombe. Dès le début, la Société avait conjugué étroitement l’action économique avec l’action politique, celle contre la hausse des prix et celle pour la liberté.
  2. Mais, les Girondins vaincus, les jacobins eurent moins besoin du concours des femmes, surtout lorsqu’ils virent les Républicaines révolutionnaires faire cause commune avec les enragés. A leur séance du 16 septembre, Claire Lacombe fut injuriée et mise dans l’impossibilité de se défendre. Il fut décidé d’écrire aux femmes révolutionnaires pour les inciter à se débarrasser des femmes suspectes qui menaient la Société et d’engager le Comité de Sûreté générale à les faire arrêter. Quelques instants plus tard, Claire Lacombe était sous les verrous ; elle devait cependant être remise en liberté le lendemain.
  3. Les Républicaines révolutionnaires ne se laissèrent pas intimider pour autant. Elles redoublèrent, au contraire, d’activité. Le 21 septembre, elles se rendirent e députation à la section de la Croix-Rouge. Elles formulèrent des exigences d’ordre politique aussi bien qu’économique : la terreur, le maximum. Le 30, elles se présentèrent au Conseil général de la Commune et Claire Lacombe réclama en leur nom des visites domiciliaires chez les marchands, seul moyen de faire appliquer le maximum. Le Conseil décida de reprendre à son compte la pétition et de la présenter à la Convention.
  4. Mais les attaques redoublèrent. Le 6 octobre, la Société révolutionnaire des Hommes-du-10août dénonça à la Convention « les intentions inciviques de plusieurs femmes se disant révolutionnaires », et demanda la dissolution de leur Société. Le lendemain, Claire Lacombe, admise à la barre à la tête d’une députation, s’indigna contre ceux qui, la veille, l’avaient assimilée à Charlotte Corday. Elle affirma la volonté des femmes révolutionnaires de ne pas se laisser faire : « Nos droits sont ceux du peuple et, si on nous opprime, nous saurons opposer la résistance et l’oppression. »
  5. Claire Lacombe et ses soeurs étaient en butte à l’hostilité toute particulière des femmes de la halle. Leur campagne en faveur du maximum et de sa rigoureuse application avait indisposé ces dernières dont la disette réduisait déjà considérablement les affaires. Les poissardes glissaient vers la contre-révolution. Or les femmes révolutionnaires, dont le local était proche des Halles, portaient en signe de ralliement la cocarde tricolore sur leur coiffure, d’autres le bonnet rouge, d’autres même un pantalon rouge. Les poissardes prirent prétexte de ces toilettes pour manifester leur mauvaise humeur. Elles insultèrent et menacèrent les militantes.
  6. Les adversaires des Républicaines révolutionnaires tirèrent parti de ces incidents. Ils excitèrent contre le club féminin les poissardes. On fit croire faussement aux femmes de la halle que les compagnes de Claire Lacombe voulaient demander à la Convention d’obliger, par décret, toutes les femmes à porter bonnet et pantalon rouges. Aussi, le 28 octobre au matin, un attroupement de près de 6000 mégères déchaînées se forma-t-il aux abords du local où les Républicaines révolutionnaires avaient coutume de tenir leurs réunions, dans les dépendances de l’église Saint-Eustache. les tribunes furent envahies, les membres du club interrompues et insultées.
  7. Le sens de la manoeuvre apparut clairement aux compagnes de Claire Lacombe. L’une d’elle déclara qu’un coup avait été monté pour dissoudre la Société. Sur ces entrefaites, un représentant de l’autorité publique se présenta. Il prit le parti des poissardes, déclara que chaque femme était libre de se coiffer comme bon lui semblait et obligea la présidente à enlever son bonnet rouge. Puis s’adressant aux spectateurs : « Les citoyennes républicaines révolutionnaires ne sont point en séance, tout le monde peut entrer. » Alors une foule innombrable fonça dans la salle, accabla les membres des plus grossières invectives, se livra sur elle à des voies de fait.
  8. Ce furent les agresseurs, non les agressées, qui se plaignirent et portèrent leurs doléances à la Commune. Celle-ci félicita les représentants de l’autorité publique « qui avaient pris des mesures pour empêcher cette Société de s’assembler d’ici quelque temps. » Le lendemain, les femmes de la halle furent admises à la barre de la Convention et présentèrent une pétition par laquelle elles se plaignaient des femmes prétendues révolutionnaires qui ont voulu les forcer à porter le bonnet rouge.
  9. Le lendemain, Amar, le rapporteur de l’Assemblée, osa soutenir que les Républicaines révolutionnaires avaient voulu troubler Paris dans l’intérêt des girondins. Puis, élargissant le débat, il se livra à une violente diatribe antiféministe. Les femmes devaient rester au foyer et étaient impropres à la vie publique.« Il n’est pas possible que des femmes exercent les droits politiques. » Les bourgeois de la Convention applaudirent à tout rompre ce langage réactionnaire et décrétèrent la suppression des clubs et sociétés populaires de femmes, sous quelque dénomination que ce fût.
  10. Les Républicaines révolutionnaires tentèrent une suprême résistance. Le 5 novembre, une députation de citoyennes se présenta à la barre de la Convention pour protester. De nombreuses voix réclamèrent l’ordre du jour, qui fut voté à l’unanimité. La salle retentit d’applaudissements et les femmes pétitionnaires durent se retirer « avec précipitation » de la barre.
  11. Le 17, une députation analogue se présenta à la Commune. Elle fut accueillie par des huées et de si violents murmures qu’il fut impossible à aucune citoyenne d’essayer même de parler. Des tribunes, on criait : « Bas le bonnet rouge des femmes ! » Le président se couvrit. Quand le calme fut revenu, Chaumette, ce misogyne, accusa les « viragos » d’avoir été « payées par les puissances étrangères ». Et il repris les diatribes antiféministes d’Amar :« Depuis quand est-il permis aux femmes d’abjurer leur sexe, de se faire des hommes ? Depuis quand est-il décent de voir des femmes abandonner les soins pieux de leur ménage, le berceau de leurs enfants, pour venir sur la place publique, dans la tribune aux harangues [...] remplir des devoirs que la nature a départis aux hommes seuls ? »
  12. Les femmes révolutionnaires furent éliminées pour avoir voulu semer trop tôt les premières graines dune révolution qui libérera les femmes.

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