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Les militants à l’origine du NPA n’ont pas toujours récusé et repoussé les comités de grève

samedi 18 janvier 2020, par Robert Paris

Les militants à l’origine du NPA n’ont pas toujours récusé et repoussé les comités de grève, les assemblées décisionnelles des salariés, l’autonomie ouvrière, l’action directe des luttes ouvrières et leur indépendance des appareils bureaucratiques des syndicats.

Si la Ligue communiste (future LCR), ancêtre du NPA, n’était pas entièrement claire vis-à-vis des syndicats locaux, se gardant de développer des actions et modes d’organisation prolétariens autonomes vis-à-vis de ces appareils, elle avait plus de réserves vis-à-vis des appareils nationaux qu’aujourd’hui : la radicalisation ouvrière de mai-juin 1968 et des années suivantes avait montré que les travailleurs tenaient à agir de manière autonome et cela a poussé ces extrêmes gauches opportunistes à organiser des comités de grève dans les luttes ouvrières des années 1970.

Il est certain que, même dans la brochure qui suit, œuvre de la Ligue communiste à propos d’une grève de l’EGF Brest en 1973, intitulée « Pourquoi des comités de grève ? », l’analyse de ce groupe politique d’extrême gauche qui se revendiquait alors du trotskysme, ne part pas des prises de position de Trotsky, notamment dans « Les syndicats à l’époque impérialiste » qui relève l’intégration des syndicats des pays impérialistes comme la France à l’appareil d’Etat de la bourgeoisie alors que la LCR les voit plutôt bloqués, coincés, trompés… On remarquera ainsi que la Ligue communiste défend à l’EGF de Brest le comité de grève parce que les syndicalistes locaux l’admettent aussi.

La Ligue y parle du « danger de voir les organisations qui l’assument se bureaucratiser et dégénérer » à une époque où ce n’est plus depuis belle lurette un danger mais une réalité…

On verra que c’est encore sur les syndicats que la LCR comptait alors pour susciter des assemblées générales démocratiques et y faire élire des comités de grève… Et, quand cela s’opposait trop violemment aux volontés des syndicats locaux, la LCR ne passait pas outre. L’exemple de l’EDF de Brest est celui d’un appareil syndical un peu débordé par l’ambiance post-soixante-huitarde et qui se laisse forcer la main…

Voici le texte de cette brochure que l’on comparera avantageusement avec les positions pro-bureaucraties syndicales et anti comités de grève de l’actuel NPA :

Mieux qu’en mai 68

« En Mai 68 l’insurrection étudiante et la grève générale de dix millions de travailleurs firent entrevoir le renversement du régime bourgeois.

Ce qui manqua pour aller jusqu’au bout ce fut en définitive l’organisation par les travailleurs de leur propre pouvoir à partir des usines occupées. Certes des expériences eurent lieu ; des comités de grève furent élus et s’arrogèrent quelque fois des prérogatives qui étaient autant d’empiètements sur le pouvoir bourgeois. Ainsi, à Nantes, à Brest, à Saclay, etc… (note M et R : on peut rajouter à Renault Billancourt, à Hispano Suiza Colombes, etc.)

Mais les réalisations de ce type restèrent trop peu nombreuses pour que se tisse sur tout le territoire le dense réseau de comités ouvriers dont l’existence aurait noué la situation pré-révolutionnaire en crise révolutionnaire achevée et rendu impossible la récupération électorale que la bourgeoisie mena à bien avec la complicité active des directions réformistes.

Depuis lors, malgré la désillusion qui suivit juin, l’offensive ouvrière s’est poursuivie, alimentée par la crise de la classe dominante. Chaque année, depuis mai, a apporté son lot de luttes ouvrières combatives. A travers ces luttes, menées le plus souvent en marge ou à l’encontre des directions ouvrières traditionnelles, les idées de mai font leur chemin en profondeur ; des expériences sont faites qui, partant des acquis de 68, les dépassent de par la richesse de l’initiative ouvrière qui s’y déploie. Les travailleurs, de grève en grève, de Batignolles à Pennaroya, de Pennaroya au Joint Français… fourbissent leurs armes pour un prochain essor de l’offensive ouvrière que la décadence bourgeoise rend inévitable.

L’issue des luttes à venir dépend pour beaucoup de la réponse que l’avant-garde ouvrière saura donner à la question : « comment s’organiser pour vaincre ? »

A cette question décisive, les acquis du marxisme révolutionnaire et les expériences de luttes depuis mai fournissent des éléments de réponse qui convergent sur un point essentiel : « l’auto-organisation des luttes », c’est-à-dire leur prise en charge directe par les travailleurs concernés, est un impératif absolu ; elle est indispensable au jaillissement de l’initiative ouvrière qui peut seule faire céder les patrons. Elle est indispensable à l’organisation de la défiance à l’égard de l’impuissance et des trahisons des directions réformistes.

C’est une tâche essentielle des révolutionnaires que de travailler à ce jour à ce que l’auto-organisation des luttes puisse se réaliser sur la plus vaste échelle dans les affrontements de classe qui viendront ; alors les rêves nés de mai cesseront d’être des rêves.

Dans cette perspective toutes les expériences qui sont faites aujourd’hui sont précieuses ; celle de l’EDF Brest en particulier, exemplaire en ce sens qu’elle a vu des travailleurs trouver dans l’organisation démocratique de leur lutte les ressources nécessaires pour arracher la victoire sur des problèmes que les directions syndicales nationales étaient impuissantes à résoudre depuis des années.

Des travailleurs qui l’ont vécue résument d’un mot la richesse de ses formes d’organisation et la profondeur de la prise de conscience à laquelle elle a donné lieu : « Mieux qu’en mai 68 ! »

L’impasse des directions syndicales

A l’EDF tous les problèmes se posent d’emblée en termes nationaux du fait de la centralisation de la gestion : le statut du personnel est unique, la grille des salaires est valable sur l’ensemble du territoire, les effectifs sont fixés pour la direction générale dans le cadre d’une politique globale, etc…

Dès lors, l’initiative en matière de luttes revendicatives appartient d’ordinaire aux directions syndicales nationales : c’est à leur niveau que les décisions sont prises et qu’il faut riposter.

Or les directions syndicales nationales se sont montrées dans les dernières années impuissantes à faire face à l’offensive du pouvoir et de la direction qui ont su les piéger en jouant successivement de l’intimidation et de la séduction.

C’est en novembre 69 que la partie s’est jouée pour l’essentiel. La CGT seule lance une grève de 24 heures sur les salaires qui suscite une telle mobilisation que la CFDT se met aussi en mouvement et propose pour la fin du mois une grève de 48 heures avec coupures de courant le deuxième jour ; ce jour-là les flics interviennent, bulldozers à l’appui dans les centres parisiens et les CDR se livrent ici et là à des provocations contre la grève. Les fédérations n’organisent aucune riposte et font arrêter la grève dans la matinée.

En une journée le rapport de forces a basculé ; les directions syndicales ont laissé sans réagir le pouvoir « briser les reins » de la grève ; les travailleurs extrêmement combatifs, au départ, restent désemparés, amers et sans perspectives.

Une fois cette grève brisée, la voie est libre pour l’offensive contractuelle. Dans la foulée le gouvernement propose le premier « contrat de progrès » ; la direction CGT, à la différence des autres centrales syndicales, refuse la signature en s’appuyant sur un referendum qui fait apparaître l’opposition de 56% des votants à la signature. Mais, en dehors du referendum, aucune action n’est engagée.

Fin 1970, la direction CGT adhère à son tour à la politique contractuelle, sans consultation cette fois, tirant argument de ce que le contrat proposé est, à la différence du précédent, un « bon » contrat.

Depuis cette date, les rapports salariés-direction à l’EDF ont été déterminés par l’acceptation du cadre contractuel, assorti de grèves-pression de quelques heures et de la participation aux initiatives confédérales. Le bilan de cette période montre parfaitement qu’il n’y a pas de voie moyenne entre la lutte résolue et l’acceptation des contrats : incapables de répondre par l’action de masse aux intimidations gouvernementales, les directions syndicales n’ont eu d’autres solutions que de venir se ranger l’une après l’autre dans la nasse des contrats.

Une lutte pas comme les autres

Les directions nationales piégées, la combativité des travailleurs de l’EDF ligotée dans le cadre contractuel : la direction allait en profiter pour accélérer la rentabilisation de l’entreprise. La rentabilisation de l’EDF se traduit pour le personnel en termes de conditions de travail et d’effectifs ; la politique de la direction est simple : faire face à l’accroissement des activités sans augmenter proportionnellement les effectifs. D’où des journées de travail de plus en plus chargées pour les agents, des conditions de sécurité douteuses, la mauvaise humeur de la clientèle mécontente des retards, etc… En bref, un profond « ras l’bol » sur les conditions de travail auquel les habituelles grèves de 24 heures ne pouvaient plus servir d’exutoire.

« … C’étaient toujours des promesses, des « on verra », des « on prend note ». Puis il y a eu une série noire d’accidents du travail. Tout ça nous a forgé à tous l’esprit de… grévistes illimités. » (conférence de presse du comité de grève)

A ce « ras l’bol » des conditions de travail de plus en plus pénibles est venu s’ajouter à Brest le climat créé en Bretagne par les nombreuses luttes qui s’y sont déroulées depuis le printemps : le Joint, Big-Dutchman, les Kaolins… ont fait la preuve que le combat était payant à condition d’être résolu. Ces luttes menées par des travailleurs sans tradition combative qui faisaient pour la plupart leur première expérience de la grève ont ainsi contribué à faire avancer chez tous les travailleurs de la région, y compris les plus conscients et solidement organisés, l’« esprit de grève illimitée ».

Enfin les syndicats CGT et CFDT de l’EGF Brest n’ont à aucun moment freiné le départ ou le développement du mouvement. Ils avaient au préalable sensibilisé les travailleurs sur ces questions. Ils n’avaient pas prévu, par contre, un démarrage aussi soudain d’une grève illimitée à l’échelon local ; mais dès que les travailleurs en firent la proposition, ils se mirent au service de la lutte et en furent partie prenante jusqu’à la fin.

Dans ces conditions a pu se dérouler à l’EDF Brest une grève de près de trois semaines qui tranche avec le type de lutte traditionnel dans le secteur public et nationalisé. Au terme de cette lutte, les agents de Brest étaient victorieux sur l’essentiel de ce qu’ils avaient demandé : ils obtenaient 54 créations de postes sur les 64 demandées.

Pourtant, le soutien qu’ils ont obtenu à l’échelle nationale a été des plus limités. La CFDT n’a pas eu une attitude hostile, mais sa situation minoritaire dans la branche lui permet de prendre des positions démagogiques sans avoir à les assumer. Quant à la fédération CGT, qui avait elle les moyens de l’extension, ses dirigeants de sont beaucoup et inutilement agités autour de la lutte de Brest pour obtenir… qu’elle cesse. Si bien qu’après 8 jours de grève à Brest, les agents parisiens n’en étaient toujours pas informés. C’est la Taupe Rouge distribuée par la Ligue qui leur donna la nouvelle.

Leur victoire, c’est donc surtout la mobilisation de leurs propres énergies que les grévistes de Brest la doivent. L’explication du succès est dans les formes d’organisation que la grève a trouvées.

La démocratie ouvrière, une arme pour la victoire

« Il était impératif de trouver les moyens de faire une grève soudée. Et pour cela, il n’y a pas d’autres moyens, la démonstration en a été faite depuis, que d’intéresser tous les travailleurs en grève à la conduite de leur grève.

A partir du moment où ça devient leur affaire à tous, pas seulement celle des responsables syndicaux, il est bien évident que c’est dix fois plus solide. On pourra parler des formes précises que cela a pris, mais ce choix c’était la nécessité de construire quelque chose qu’on ne pourrait pas détruire et que rien ne pourrait ébrécher. »

Pourquoi des comités de grève ?

« L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » lit-on dans le Manifeste de Karl Marx. Ce n’est pas un principe abstrait, d’application lointaine. L’émancipation des travailleurs ne se réduit pas à la conquête du pouvoir ; elle commence dans l’usine au moment où les ouvriers se groupent pour résister à l’exploitation patronale et obtenir des améliorations de leurs conditions d’existence.

La résistance à l’exploitation dans l’usine est le premier moment de l’émancipation ouvrière, celui sans lequel rien n’est possible. Mais la condition pour qu’il soit le point de départ de l’émancipation intégrale, c’est précisément qu’il fournisse l’occasion d’une prise en charge directe de leurs intérêts par les travailleurs. Dès cet instant les travailleurs ont à se garder d’abandonner la défense de leurs intérêts à des porte-paroles lointains, échappant à leur contrôle.

La situation que le capitalisme impose à la classe ouvrière lui rend difficile cette prise en charge directe de ses intérêts. Manque d’instruction, manque de temps, fatigue, tout cela fait qu’en temps ordinaire la masse des travailleurs ne s’intéresse que de loin à la défense de ses intérêts contre le patron ; les conditions d’existence que le capitalisme impose aux travailleurs nourrissent en permanence la tendance à abandonner à des porte-paroles spécialisés, les délégués syndicaux, les tâches de revendication face au patronat. Ainsi, l’activité revendicative, la défense des conditions de vie et de travail, tend à devenir l’affaire exclusive des syndicats et des délégués. Une partie des travailleurs ne se syndique pas ; une autre se syndique mais ne participe à aucune vie syndicale régulière ; seule une infime minorité connaît et contrôle les activités des délégués.

Dans ces conditions le risque existe en permanence de voir les organisations auxquelles les travailleurs confient la défense de leurs intérêts, se détourner de leur fonction, privilégier leur auto-conservation par rapport à la défense conséquente des intérêts des travailleurs.

Pourquoi ? D’abord parce que les travailleurs qui reçoivent de leurs camarades la tâche de les représenter en permanence se trouvent par là même bénéficier de certains privilèges, notamment celui d’avoir une activité beaucoup plus intéressante que le travail productif normal. Consciemment ou inconsciemment ils ont tendance à préserver ces privilèges. Ils s’identifient aux conquêtes partielles obtenues par l’organisation et ont naturellement tendance à éviter d’aller trop loin dans l’affrontement avec le patronat de peur de perdre d’un coup ce qu’ils ont patiemment accumulé. Ils sont tentés par ailleurs de se soustraire au contrôle des travailleurs de peur d’être remis en cause et de devoir céder la place.

Ensuite parce que le syndicat ou le délégué ne peuvent pas grand-chose face au patron s’ils ne s’appuient pas sur la mobilisation active et consciente des travailleurs. Les négociations à froid, les pressions à froid n’impressionnent guère les patrons s’ils sentent par ailleurs les travailleurs démobilisés ou indifférents. Le syndicat ne peut rien espérer obtenir du patron sans lutte effective des travailleurs, sans un rapport de forces que seule la grève permet en général d’établir. Dès qu’ils renoncent à mobiliser les travailleurs, les syndicats sont contraints de présenter comme des victoires les miettes dérisoires ou les défaites que leur impose le patronat. Ainsi en fut-il en matière de « contrats de progrès ».

Pour toutes ces raisons, la défense des intérêts des travailleurs par l’intermédiaire des organisations ou des militants qui se font leurs porte-paroles, aussi indispensable qu’elle soit, n’est qu’un pis-aller. Cette délégation de pouvoir est le prix qu’il faut payer à l’exploitation capitaliste. Elle est lourde du danger de voir les organisations qui l’assument se bureaucratiser et dégénérer.

Pour combattre ces dangers de bureaucratisation, il n’y a qu’un moyen :

QUE L’ENSEMBLE DES TRAVAILLEURS PRENNE DIRECTEMENT EN MAINS LA DEFENSE DE SES INTERETS CHAQUE FOIS QUE C’EST POSSIBLE.

En temps ordinaire, la masse des travailleurs ne prend pas spontanément en charge la défense des revendications.

Elle le fait d’autant moins si le syndicat fonctionne de manière bureaucratique et ne fournit pas aux travailleurs syndiqués ou non l’occasion de participer à l’élaboration des revendications et au choix des formes de lutte.

La démocratie syndicale est le premier moyen de lutter contre le risque toujours présent de coupure entre les travailleurs et leurs « représentants ». Elle implique des réunions syndicales régulières, la possibilité de contester les orientations de la direction en place et de s’organiser éventuellement en tendance pour proposer des orientations contradictoires et permettre aux syndiqués de trancher dans la clarté des débats importants.

La démocratie à l’intérieur du syndicat ne suffit pas. Tous les travailleurs ne sont pas syndiqués. Ceux qui le sont se répartissent en général entre plusieurs organisations. Pourtant, tous ceux qui ont un avis sur la meilleure manière d’obtenir satisfaction face au patron doivent pouvoir l’exprimer et en faire part à tous les intéressés.

Pour cela, en temps ordinaire, les syndicats se doivent de susciter chaque fois que nécessaire des assemblées générales du personnel dans lesquelles ils soumettent leurs propositions, débattent ouvertement des désaccords éventuels entre eux et recueillent les suggestions de tous les travailleurs. C’est là le moyen de préparer ce qu’il faudra réaliser quotidiennement en période de lutte.

LA DEMOCRATIE OUVRIERE, nécessaire en toute période, devient EN PERIODE DE LUTTE L’ARME DE LA VICTOIRE.

Toute l’expérience du mouvement ouvrier est là pour le montrer : le patronat ne cède ni aux arguments ni aux simples pressions, il ne s’incline que devant la force collective de la classe ouvrière en lutte. L’ampleur des concessions qu’il fait est à la mesure de la profondeur de la mobilisation des travailleurs. Plus ils sont nombreux à faire connaître activement leur volonté, à prendre des initiatives et plus les victoires ont des chances d’être actives et importantes.

Dès lors, la prise en charge des grèves par les travailleurs eux-mêmes n’est pas un luxe démocratique : elle est le moyen de donner à la lutte la force et la solidité qui garantissent le succès.

L’organisation démocratique de la grève est en effet le moyen de jeter dans la bagarre contre le patron ne maximum de forces, de mobiliser toutes les énergies au service de la lutte en leur fournissant le cadre dans lequel elles peuvent s’exprimer.

L’Assemblée Générale

La discussion en Assemblée Générale à chaque moment important de la grève est la première règle impérative : c’est à l’ensemble des travailleurs en grève qu’il appartient de prendre toutes les décisions importantes concernant la définition des revendications et des formes de lutte.

On nous dira que c’est ainsi que les choses se passent habituellement. Ce n’est vrai qu’en apparence. Certes des AG sont réunies dans la plupart des grèves, mais ce n’est pas pour autant qu’on leur donne le pouvoir de DECIDER elles-mêmes. En règle générale, on se contente de les CONSULTER sur des décisions qui sont déjà prises ; on soumet à l’AG des discussions du syndicat majoritaire ou de l’Intersyndicale en les présentant comme la seule solution possible réaliste. On n’organise pas de véritable débat. S’il y a eu des divergences entre les syndicats ou à l’intérieur d’un syndicat, on les passe sous silence, on ne passe que le compromis final.

Dans ces conditions, le caractère démocratique de la consultation n’est qu’apparent et formel : les travailleurs n’entendent qu’un son de cloche. Ils ont le choix entre l’acceptation et le refus de ce qui leur est proposé. Ceux qui ne sont pas satisfaits des propositions faites sont livrés à eux-mêmes : soit ils se rallient à ce qui est avancé, de peur de briser l’unité, soit ils se réfugient dans une opposition amère et sans perspective.

Il n’y a pas de démocratie réelle sans que la discussion soit encouragée et organisée, sans que les travailleurs soient informés non seulement d’une seule mais de toutes les orientations possibles. S’il y a eu divergence entre les syndicats ou dans un syndicat, il faut le dire. Les travailleurs jugeront par eux-mêmes en connaissance de cause. Le vote ne doit pas intervenir comme une ratification hâtive, mais seulement après que tous les arguments aient été discutés, après que toutes les questions aient reçu une réponse.

Si la discussion est difficile en AG trop nombreuse, alors il faut la diviser en groupes plus restreints dans lesquels chacun puisse s’exprimer et ensuite faire le bilan.

Dans ces conditions seulement les décisions peuvent être prises consciemment par les intéressés eux-mêmes. Procéder de cette façon est indispensable pour forger et consolider l’unité des grévistes en se donnant les moyens de choisir les orientations les plus conformes à leur combativité et de convaincre les hésitants de leur bien-fondé.

L’AG doit donc pouvoir exercer le pouvoir de décision effectif dans la conduite de la grève : c’est la première condition de la démocratie ouvrière dans la lutte. Mais il est évident que tout ne peut se faire en AG. Une fois les grandes options prises, la grève exige, heure par heure, de multiples décisions pour exécuter ce qui a été décidé, rechercher à l’extérieur le soutien financier et l’élargissement, organiser le ravitaillement des familles, organiser l’occupation, les manifestations et aller discuter avec le patron.

Pour toutes ces tâches, l’AG a besoin d’un exécutif.

Le comité de grève

Le comité de grève est l’instrument privilégié qui permet le contrôle de la direction de la grève par les travailleurs concernés.

Il ne peut satisfaire à cette fonction qu’à la condition d’être démocratiquement élu par les grévistes et composé de délégués révocables à tout moment si les propositions qu’ils défendent ne correspondent plus à la volonté de leurs mandants.

L’élection du comité de grève permet de conférer la direction quotidienne de la lutte aux travailleurs les plus combatifs, aux porte-paroles les plus résolus des grévistes. Il se peut que ce soient les dirigeants syndicaux habituels. Il se peut aussi que ce soient des travailleurs qui en temps ordinaire prennent peu de responsabilités, mais se révèlent en période de lutte dynamiques et pleins d’initiatives face au patronat.

L’entrée en lutte en effet modifie profondément l’état d’esprit des travailleurs. Beaucoup qui, en période calme, ne s’intéressent que de loin à l’activité revendicative, s’avèrent pendant la lutte plus décidés et dynamiques que les militants syndicaux habituels ; à l’inverse, d’autres qui excellent dans les tâches syndicales quotidiennes se révèlent incertains et timorés dans la conduite des luttes.

L’organisation de la grève doit tenir compte de ces modifications dans la conscience des travailleurs et dans leur comportement : nul n’a un droit héréditaire à représenter les travailleurs. La direction de la grève doit revenir à des délégués qui expriment le mieux la combativité et la volonté des grévistes, et c’est aux grévistes qu’il appartient de les désigner et de les contrôler à chaque moment.

La mise en place d’un comité de grève élu est donc la tâche prioritaire dès le début de la grève. Une fois en place, le comité de grève exécutera les mandats qui lui seront donnés par les AG de grévistes souveraines. Quand un problème important se présentera, le comité de grève en discute pour en éclaircir les données et livre aux travailleurs le résultat de ses discussions en leur soumettant toutes les hypothèses qu’il a envisagées, aussi bien celles qui ont recueilli la majorité en son sein que les autres. Si une décision urgente doit intervenir, il la prend démocratiquement et rend compte au plus tôt à l’AG.

Et les syndicats ? Nous traiterons par la suite en détail de leurs rapports avec les comités de grève. Disons tout de suite que l’existence d’un comité de grève ne les fait pas disparaître. Bien sûr, ils gardent l’entière possibilité de se réunir, d’adopter des positions et de les défendre au sein du comité de grève ou en AG. Mais les grévistes sont seuls maîtres de la décision finale. La démocratie ouvrière l’emporte en dernière analyse.

Efficacité de la lutte

Décisions importantes en AG des grévistes, gestion quotidienne de la lutte par le comité de grève et les groupes qu’il peut créer : tels sont les deux aspects de la démocratie ouvrière dans la lutte. Tels sont les deux moyens qui permettent de dresser face au patron la force des travailleurs organisés, soudés par une même volonté de vaincre et une adhésion en profondeur aux méthodes et aux objectifs de la lutte.

La démocratie ouvrière dans l’action permet la compréhension directe par le plus grand nombre de travailleurs des conditions de la lutte. Elle suscite la mobilisation massive de toutes les énergies au service de la grève. Elle donne force et densité aux actions qui sont entreprises et favorise la multiplication des initiatives nécessaires pour consolider le rapport de forces avec le patron.

Ce qu’ils ont fait à l’EGF Brest

Les travailleurs de l’EGF Brest avait tout au long de leur grève un « moral de grévistes illimités ». Nul secret derrière cette combativité, mais au contraire le choix conscient, délibéré d’intéresser le maximum de grévistes à la conduite du mouvement, de porter la démocratie dans l’organisation de la grève jusqu’à un niveau de perfection dont on connaît peu d’équivalents.

1- Démocratie dans le lancement du mouvement

D’emblée la lutte est placée sous le signe de la démocratie ouvrière.

La journée d’action du 26 octobre 1972 laisse les travailleurs de l’EGF Brest sur leur faim. Certes, la mobilisation intersyndicale a été importante, mais où sont les résultats ? Depuis quelques temps, l’idée fait son chemin qu’il faut faire davantage. Non pas des pressions rituelles à intervalles réguliers, mais se battre une bonne fois jusqu’à la satisfaction des revendications.

Le lendemain une AG se réunit pour discuter de la lutte à mener sur les questions des effectifs. L’idée d’une grève illimitée sur le problème est avancée. C’est une « idée neuve ». A l’EGF, on n’a pas l’habitude de décider de telles actions à l’échelon local. Pourtant la colère des travailleurs est telle contre la détérioration de leurs conditions de travail qu’ils se sentent la force de vaincre par eux-mêmes.

L’enjeu est d’importance : c’est un gros risque de partir seuls en lutte sur un problème qui met en cause la politique de rentabilisation pratiquée par la direction nationale depuis des années. Aussi faut-il s’assurer au départ que tout le monde est décidé d’aller jusqu’au bout.

Afin que la décision soit vraiment prise collectivement, l’AG trop nombreuse pour que tout le monde puisse s’y exprimer facilement se divise en groupes restreints de discussion dans lesquels chacun donne son opinion. Ensuite, on revient en AG et chaque groupe retransmet la position qu’il a adoptée. Le bilan est sans équivoque : unanimité moins une voix pour la grève illimitée.

2- Première décision : élection du comité de grève

Aussitôt la grève décidée, on discute de son organisation. L’idée de tous est qu’il faut lui donner une direction représentative, à laquelle participent ceux qui « en veulent » le plus, les plus enthousiastes dans le lancement du mouvement.

Le comité de grève, élu démocratiquement, répond à ce besoin. L’idée en est acceptée dans l’enthousiasme, non seulement parce qu’elle correspond de toute évidence aux tâches à accomplir, mais aussi parce que les militants qui s’en font les défenseurs bénéficient de la confiance de tous grâce au travail qu’ils font depuis longtemps dans la boite et dans les syndicats.

Après avoir voté la grève illimitée, l’AG se sépare de nouveau par secteurs de travail. Chacun d’entre eux doit élire ses représentants au comité de grève central. Ainsi se trouve mise en place une direction de la grève dont tous les membres ont la confiance de leurs camarades de travail les plus proches. Il comprend 23 membres : certains ont des responsabilités syndicales, d’autres sont syndiqués mais ne sont connus que dans leur secteur de travail, d’autres enfin ne sont pas syndiqués (ils sont peu nombreux vu le taux élevé de syndicalisation à l’EGF : près de 80%).

C’est sur ces délégués élus, qui rendent compte régulièrement de leurs activités à l’AG que va reposer la tâche quotidienne de la grève sans pour autant qu’ils la monopolisent. Ils vont au contraire travailler au grand jour et associer à leur travail le maximum de grévistes.

3- Le comité de grève et les grévistes

Le comité de grève fonctionne publiquement

Première décision du comité de grève : il travaillera publiquement devant tous les grévistes qui désirent assister à ses réunions. Il s’installe dans une grande salle dans laquelle, en plus des 23 membres, il va y avoir en permanence de nombreux observateurs. Au début, on y perd en efficacité, chacun veut dire son mot sur les sujets discutés et il ya beaucoup de bruit. Mais très vite, le travail s’organise plus rigoureusement et l’assistance se discipline.

La publicité des réunions du comité de grève permet aux grévistes de contrôler directement leurs représentants, de faire aussi quelquefois des suggestions que le comité de grève reprend éventuellement à son compte. C’est en définitive une garantie que la direction de la grève reste étroitement liée aux grévistes.

Le comité de grève organise des commissions de travail

Organiser la grève, rechercher l’élargissement, trouver les soutiens financiers, définir précisément le cahier de revendications : les tâches sont nombreuses et le comité de grève à lui seul n’y suffirait pas. Plutôt que de prendre sur lui toutes les tâches, il va se donner un rôle d’impulsion et de coordination et décentraliser au maximum la prise en charge des tâches.

Des commissions sont mises en place : une commission de presse s’occupe d’informer la population, de faire comprendre aux usagers la lutte engagée afin de préparer le terrain pour des coupures de coupures de courant si nécessaire. Elle publie chaque jour des communiqués sur l’état du mouvement réalise des tracts, répond aux attaques de la direction et des syndicats jaunes (FO, Autonomes, CFTC).

Une autre commission prend en charge la recherche de soutiens financiers : collecter sur les marchés, les stades, démarches auprès des instances syndicales.

Une autre commission s’occupe de l’élargissement et informe en permanence les nombreux groupes ruraux et les autres Centres.

Enfin, et nous y reviendrons, l’élaboration des revendications et la réalisation des dossiers nécessaires pour la négociation vont être l’œuvre des grévistes dans le cadre des groupes de travail.

Le comité de grève soumet les problèmes importants à l’AG

Le comité de grève ne se substitue pas aux grévistes, il est l’exécutif de la grève ; il prend de multiples décisions qui sont quotidiennement nécessaires pour la conduite de la grève. A chaque moment important, il convoque une AG de grévistes et organise la discussion sur la conduite à tenir.

Cette méthode de prise de décision collective fut pratiquée à Brest du début de la grève jusqu’à la fin. On a vu comment la grève avait été décidée. Lorsqu’il fallut reprendre, ce fut dans les mêmes conditions. Une fois obtenues 54 créations de postes sur les 64 demandées, il se dégagea une majorité au comité de grève pour estimer qu’en l’absence de mouvement national, on ne pourrait pas obtenir davantage et qu’il était préférable de « rentrer ».

La proposition fut faite à l’AG et discutée pendant près de 3 heures. Au lieu de faire ratifier d’emblée la proposition de reprise par un vote – ce qui aurait été facilement praticable – le comité de grève invita au contraire les partisans de la poursuite du mouvement à exprimer leur point de vue de façon à ce que la décision ne soit pas prise par un vote formel mais sur la base d’une réflexion approfondie.

Les tenants de la poursuite n’abandonnèrent pas leur point de vue, mais une fois la décision prise majoritairement, s’y rallièrent sans hargne ni grogne, et la grève se termina sans que le moral et la combativité des grévistes ne soient entamés d’aucune façon. Ils prenaient la décision en toute clarté de cesser ^provisoirement le combat, forts de la victoire remportée sur l’essentiel des objectifs avancés, aussi soudés et unis qu’ils l’étaient au début du mouvement.

4- La direction de la grève aux grévistes

Grâce à l’élection du comité de grève, grâce aux rapports qu’il a su établir avec les grévistes, la lutte a été d’un bout à l’autre prise en charge par les travailleurs eux-mêmes.

La quasi-totalité d’entre eux a participé activement au mouvement dans les structures de travail mises en place (90 à 95%). Tous avaient des tâches à accomplir. Tous considéraient la direction de la grève comme leur affaire et entendaient prendre eux-mêmes les décisions sur la conduite à tenir.

A ce titre, la lutte de Brest représente une expérience d’organisation démocratique parmi les plus avancées qu’on connaisse et a valeur d’exemple. Assez rares sont les grèves dans lesquelles un comité de grève est mis en place. Mais, même lorsqu’il en existe un, il se cantonne souvent dans des tâches telles que la propagande, le soutien, l’animation, le ravitaillement, tandis que l’Intersyndicale monopolise de fait la direction de la lutte, en particulier la négociation avec le patronat.

A Brest, les grévistes ne se sont laissés à aucun moment déposséder de la direction de leur mouvement. Lorsque les « secrétaires fédéraux » CGT et CFDT « descendirent » sur place, on leur fit sentir nettement que leur concours serait apprécié, d’autant plus s’ils assumaient l’élargissement de la lutte, mais qu’il n’était pas question qu’ils se substituent au comité de grève dans les rapports avec la Direction. Libre à eux de donner leur avis, mais aux grévistes de décider avant toute proposition à la Direction et avant toute prise de position publique.

Le respect absolu du principe « la direction de la grève aux grévistes eux-mêmes » a donné à la lutte une force considérable : chaque décision prise par tous en connaissance de cause est ensuite assumée par tous avec une discipline et un enthousiasme qui sont la meilleure arme dans la discussion avec le patron.

Le résultat obtenu tranche avec l’amertume et la démoralisation qu’entraîne la prise de décisions dans le dos des travailleurs ou après « consultation » sommaire. Les décisions prises sans l’adhésion active des grévistes, voire contre leur gré, font l’effet d’un « coup de poignard dans le dos » à la lutte engagée. Rappelons-nous la stupeur des grévistes du Joint Français apprenant par la presse au plus fort de leur lutte que leur revendication principale était tombée de 70 à 40 centimes. De même à Paris S.A. Nantes les travailleurs écoeurés apprenant par le journal qu’ils allaient reprendre le travail !

De telles méthodes, non seulement affaiblissent la lutte en cours, mais peuvent démobiliser pour des années les travailleurs qui voient ainsi leur lutte leur échapper.

La direction collective et démocratique de la grève au contraire garantit l’efficacité à court terme et permet aux travailleurs en lutte de sortir de la grève renforcés dans leur détermination et disponibles pour de nouveaux combats. (…) »

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