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La grève « pour les dix francs » des ouvriers de Renault en 1947 contre le patron, le gouvernement, le PCF et la CGT
mardi 19 décembre 2023, par
La grève « pour les dix francs » (et l’échelle mobile des salaires) des ouvriers de Renault en 1947 animée par le comité de grève dirigé par Pierre Bois (militant du groupe de Barta)
Le point fondamental qui doit être souligné dans cette courte introduction, c’est que, si cette grève a été dirigée de cette manière remarquable, c’est parce que la direction du groupe politique qui était derrière (le groupe de l’ouvrier Pierre Bois et du dirigeant politique Barta) était guidée par une perspective révolutionnaire, c’est-à-dire faisait confiance à la classe ouvrière non seulement pour diriger une grève mais pour diriger demain toute la société vers le socialisme...
Pierre Bois
LA GREVE DES USINES RENAULT
Publié dans “La Révolution prolétarienne” du 25 mai 1947
Depuis des mois chez Renault, comme partout, le mécontentement des ouvriers augmentait en même temps qu’augmentaient les difficultés de la vie.
Quelle est la situation chez Renault ? On a souvent dit que Renault était la boîte la plus mal payée de la région parisienne. Ce n’est pas tout à fait exact. En général, dans la métallurgie, les boîtes moyennes et surtout les petites boîtes payent davantage que les grosses entreprises genre Renault ou Citroën. Cela tient à ce que dans les petites boîtes la rationalisation est beaucoup moins poussée que dans les grosses. Les patrons ont intérêt à garder leur personnel qui se compose en grande partie d’ouvriers professionnels. Dans les grosses entreprises, du fait de la rationalisation, le personnel se compose en grande partie d’ouvriers spécialisés, facilement remplaçables.
D’autre part, dans les grosses entreprises, le patronat a les reins plus solides pour résister à la pression ouvrière.
S’il est vrai que les ouvriers des grosses boîtes sont moins payés que ceux des petites, les tarifs dans les grosses entreprises, comme Citroën et Renault, sont sensiblement les mêmes. Il est évident qu’on peut montrer des bulletins de paye de 42 francs et 34,30 frs. chez Renault, tandis qu’on montre des bulletins de 62 francs chez Citroën. Mais l’inverse est également vrai. Tout dépend des conditions de travail et du moment.
Ainsi, dans l’ensemble, avant l’augmentation des 25%, les ouvriers de Renault étaient mieux payés que ceux de chez Citroën. Depuis que les ouvriers de chez Citroën se sont mis en grève et ont failli renverser la voiture de Hénaff (fin février 1947), la moyenne des salaires chez Citroën est sensiblement supérieure à celle de chez Renault.
On a essayé d’expliquer la prétendue infériorité des salaires chez Renault par le fait des nationalisations. Au début de la grève, les ennemis des nationalisations –toute la presse de droite– ont tenté d’expliquer notre grève par la faillite des nationalisations. Et s’ils ont eu l’air d’appuyer notre mouvement au début, ils se sont immédiatement rétractés lorsqu’ils ont vu que le conflit devenait un problème gouvernemental. Les amis des nationalisations ont essayé de faire croire que notre mouvement était uniquement dirigé contre les nationalisations. Tout cela est faux.
En réalité, dès 1945, dans de nombreuses boîtes, notamment chez Citroën, une forte opposition se manifesta, de très nombreuses grèves sporadiques eurent lieu et si elles ne donnèrent que des résultats insignifiants, c’est que la bureaucratie syndicale ne rencontrant pas une opposition organisée suffisamment forte fut à chaque fois en mesure de saboter les mouvements. C’est ainsi que plusieurs camarades, après un travail de quelques mois, furent mis à la porte ou durent prendre leur compte après les brimades conjuguées de la section syndicale et de la direction.
Le mouvement de mécontentement chez Renault, qui a abouti à la grève, n’est pas d’aujourd’hui et il n’est pas non plus particulier à Renault. Chez Renault, comme partout ailleurs, la section syndicale était incapable d’interpréter ce mécontentement. Elle ne s’en souciait pas. Elle vivait en dehors ou au-dessus des ouvriers. Pourtant elle prétendait grouper 17.000 adhérents sur les 30.000 ouvriers. En réalité, la plupart ne payaient plus leurs cotisations. Il n’y avait plus de réunions syndicales et quand, par hasard, il y avait une assemblée, le nombre des présents était infime. Devant la carence de la section syndicale, les ouvriers devaient donc chercher un autre moyen de se défendre.
Aussi nous disions dans le tract qui convoquait au meeting public du lundi 28 avril : “Les organisations dites ouvrières, non seulement ne nous défendent pas, mais encore s’opposent à notre lutte. C’est à nous qu’il appartient de défendre nous-mêmes nos revendications : 1º 10 francs de l’heure sur le taux de base ; 2º Paiement intégral des heures de grève. Seule l’action peut nous donner satisfaction”.
“Nous avons déclenché le mouvement. Nous appelons tous les ouvriers à se joindre à nous, à nommer des représentants qui viendront se joindre à notre comité de grève qui siège en permanence au Département 6 (secteur Collas)”.
Notre tract du 6 mai explique la cause du conflit : “En réalité ce sont les dépenses ruineuses de l’Etat qui provoquent l’inflation. M. Ramadier qui fait fonctionner la planche à billets pour couvrir, en partie, ces dépenses, veut en même temps en rendre responsable la classe ouvrière. La classe ouvrière, voilà l’ennemi pour ceux qui parlent au nom des capitalistes. La classe ouvrière doit non seulement supporter tous les sacrifices qu’on lui impose au nom de promesses non tenues ; mais dès qu’elle réclame les choses les plus indispensables pour vivre, on l’accuse, par-dessus le marché, de tous les maux qui sont les conséquences du fait que l”économie est dirigée par une poignée de capitalistes parasites.
“Nous voulons la hausse des salaires par rapport aux profits des capitalistes.
“Notre revendication : le minimum vital en fonction du coût de la vie, c’est à-dire garanti par l’échelle mobile, n’est pas une revendication particulière. C’est une revendication qui intéresse toute la classe ouvrière.
“Contrairement à ce qu’on a tenté d’expliquer, la grève Renault na pas eu lieu parce que chez Renault on est plus mal payé que partout ailleurs. Si le tarif de chez Renault est actuellement un peu inférieur à Citroën ou à certaines petites boîtes, il est supérieur au tarif de boîtes même importantes comme le L.M.T., la Radiotechnique, l’Air liquide, etc.
Lorsque nous sommes allés à la Commission du travail, M. Beugnez, le président de cette commission et député M.RP., nous a dît : “Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez Renault, mais je crois qu’il faut ramener le conflit à des proportions techniques.” Pour ces gens-là il fallait limiter le conflit à des proportions techniques. Mais le conflit Renault n’était pas un conflit technique. C’était un conflit social. Les ouvriers de notre usine ont mené un combat d’avant-garde dans un mouvement général Et la meilleure preuve, c’est que la lutte pour la revalorisation des salaires, commencée chez Renault, s’est étendue à tout le pays.”
La montée de la grève
Depuis quelques semaines, dans l’usine, se manifestaient divers mouvements qui avaient tous pour origine une revendication de salaire. Tandis que la production a augmenté de 150% en un an (66,5 véhicules en décembre 1945 et 166 en novembre 1946) notre salaire a été augmenté seulement de 22,5 tandis que l’indice officiel des prix a augmenté de 60 à 80%.
Dans l’Ile, c’est pour une question de boni que les gars ont débrayé ; à l’Entretien, c’est pour clamer un salaire basé sur le rendement. Au Modelage Fonderie, les ouvriers ont fait une semaine de grève. Ils n’ont malheureusement rien fait pour faire connaître leur mouvement parce qu’ils pensaient que “tout seuls, ils avaient plus de chance d’aboutir”. Au bout d’une semaine de grève, ils ont obtenu une augmentation de 4 francs, sauf pour les P1.
A l’Artillerie aussi, il y a eu une grève. Ce sont les tourneurs qui ont débrayé les premiers, le jeudi 27 février, à la suite d’une descente des chronos. Les autres ouvriers du secteur se sont solidarisés avec le mouvement et une revendication générale d’augmentation de 10 flancs de l’heure ainsi que le réglage à 100% ont été mis en avant. Cela équivalait à la suppression du travail au rendement. Sous la pression de la C.G.T., le travail a repris. Finalement, les ouvriers n’ont rien obtenu, si ce n’est un rajustement du taux de la prime, ce qui leur fait 40 centimes de l’heure.
A l’atelier 5 (trempe, secteur Collas), un débrayage aboutit à une augmentation de 2 francs.
A l’atelier 17 (Matrices), les ouvriers, qui sont presque tous des professionnels, avaient revendiqué depuis trois mois l’augmentation des salaires. N’ayant aucune réponse, ils cessèrent spontanément le travail.
Dans un autre secteur, les ouvriers lancent une pétition pour demander la réélection des délégués avec les résultats suivants : 121 abstentions, 42 bulletins nuls comportant des inscriptions significatives à l’égard de la direction syndicale, 172 au délégué C.G.T., 32 au délégué C.F.T.C.
Au secteur Collas les ouvriers font circuler des listes de pétition contre la mauvaise répartition de la prime de rendement D’autres sections imitent cette manifestation de mécontentement, mais se heurtent à l’opposition systématique des dirigeants syndicaux.
L’atelier 31, secteur Collas, qui avait cessé spontanément le travail par solidarité pour l’atelier 5, n’ayant pu entraîner le reste du département, a été brisé dans son élan par les délégués. On le voit, depuis plusieurs semaines, une agitation grandissante se manifestait Partout volonté d’en sortir, mais partout aussi sabotage systématique des dirigeants syndicaux et manque absolu de direction et de coordination.
La première journée
Le mercredi 23 avril, les ouvriers du secteur Collas (boîtes de vitesse, direction, pignons) élisent parmi eux, en réunion générale, un bureau avec mandat de préparer et de décider l’action dans les meilleures conditions.
Le vendredi 25 avril, à 6 h.30, un piquet est à la porte et distribue un tract du Comité de grève, tandis que l’ordre de grève est affiché.
Le courant a été coupé, chaque transfo est gardé par un piquer. Les portes d’entrée sont également gardées ; une affiche invite les ouvriers a assister à la réunion générale, à 8 heures, dans le hall. Un nouveau vote confirme la grève par une majorité d”environ 85% . Après plusieurs manoeuvres des cégétistes, l’atelier 5 (la Trempe) refuse de se joindre au mouvement. Quoique faisant partie du département 6, il restera toujours à l’écart du Comité de grève.
Le secrétaire général Plaisance, ainsi que les délégués, tout en désapprouvant notre grève promettent de “s”incliner devant les décisions de la majorité”. Une délégation se rend à la direction pour déposer la revendication.
Pendant ce temps, exception faite des piquets qui restent à leur poste, l’ensemble des ouvriers se répand dans les divers ateliers pour les inviter à se joindre à nous. Les moteurs s’arrêtent ; les délégués syndicaux les remettent en route. Quoique certains ouvriers soient au courant du mouvement de grève, la majorité est surprise ; elle hésite devant l’hostilité farouche des délégués.
A 13 heures, profitant de ce qu’il règne dans les autres secteurs une certaine confusion susceptible de démoraliser les ouvriers de Collas, les délégués syndicaux réclament un nouveau vote dans ce secteur. La réponse est ferme : “Nous ne sommes pas des enfants qui changent d’opinion toutes les cinq minutes.” Ils refusent le vote. En fin de journée, la grève tient ferme à Collas. Dans les autres secteurs, la pression des éléments cégétistes a eu raison de l’hésitation des ouvriers. A part quelques secteurs isolés, le travail a repris.
Le meeting de la Place Nationale
Le samedi et le dimanche, peu d’ouvriers sont présents à l’usine, en dehors des piquets. Mais le Comité de grève travaille. II faut étendre la grève à toute l’usine. C’est la seule garantie du succès. Un tract est tiré invitant les ouvriers à se joindre au mouvement ; il sera distribué le lundi matin à toutes les entrées de l’usine. Un meeting est prévu pour le lundi à la place Nationale. II faut que le secteur Collas fasse la démonstration qu’il est décidé à lutter. Il lui faut convaincre les autres secteurs d’agir avec lui. Naturellement, le lundi matin, quand les tracts sont distribués, quelques accrochages ont lieu avec les P.C.F. au Bas-Meudon, à la place Nationale, mais sans gravité.
Au meeting, le Comité de grève appelle les ouvriers à se joindre au mouvement- La revendication est commune, la lutte doit être commune. Les 10 francs intéressent tous les ouvriers ; il faut réaliser l’unité d’action. Les ouvriers, convaincus de la justesse des revendications, apprécient le sentiment de démocratie qui anime le Comité de grève qui les invite à venir s’exprimer. Ils ont compris que l’affaire est sérieuse. A peine le meeting est-il terminé qu’on vient nous chercher pour aller à l’usine O. Un cortège se forme. A notre arrivée, des chaînes entières quittent le travail. A la suite d’un second meeting, un comité de grève est formé à l’usine O.
Pendant tout l’ après-midi le secteur Collas recevra des dizaines de délégations d’ouvriers représentant tantôt leur département, tantôt leur atelier, tantôt un petit groupe de camarades demandant des directives pour mener le combat.
Mardi matin, environ 12.000 ouvriers sont en grève, malgré l’opposition des cégétistes. La direction syndicale se sent débordée. Pour essayer de reprendre le mouvement en main et de le contrôler, elle utilise une première “manoeuvre” en appelant elle-même à la grève générale, dune heure, pour soi-disant appuyer ses propres négociations avec la direction. Mais une fois en grève, les travailleurs de toute l’usine y restent, refusent de limiter le mouvement à une heure et suivent le secteur Collas dans la grève et dans ses revendications.
L’attitude de la direction
Les responsables cégétistes nous ont reproché d’avoir déclenché le mouvement juste au moment où le président-directeur de la régie, M. Lefaucheux, était absent. En fait, M. Lefaucheux est toujours absent. Et depuis plus d’un mois il était saisi de nos revendications.
Le vendredi du déclenchement de la grève, les représentants de la direction se retranchent derrière des formalités légales pour refuser de discuter avec le Comité de grève “qu’ils ne connaissent pas”. Cela n’empêchera pas les mêmes représentants patronaux de venir s’adresser au Comité de grève trois heures plus tard pour réclamer libre passage du matériel dans les départements en grève. Ce qui est évidemment refusé.
Dès le samedi, on apprend que M. Lefaucheux est de retour. Le lundi matin, il discute avec… la section syndicale.
Le mardi 29 avril, après un meeting du Comité de grève, 2.000 ouvriers environ se rendent à la direction. M. Lefaucheux est au ministère. Promesse est faite aux ouvriers que le Comité de grève sera reçu dans la soirée. Mais le soir, lorsque la masse des ouvriers est absente, il refuse, avec le plus grand mépris, de nous recevoir.
Seule la complicité des responsables cégétistes a permis à la direction de refuser de recevoir les délégués du Comité de grève, mandatés par les ouvriers et de ne pas prendre en considération la volonté de ces derniers. La direction avait le plus grand intérêt à discuter avec les responsables cégétistes qui, sous couleur de représenter, eux, les ouvriers, négociaient et manoeuvraient avec la direction pour la reprise du travail.
Le lundi 12 mai, lorsque les ouvriers de Collas décideront de continuer seuls la lutte, M. Lefaucheux invitera les représentants du Comité de grève, en présence de deux délégués syndicaux- N’ayant pas obtenu la reprise du travail, il tentera le lendemain une manoeuvre d’intimidation en venant lui-même s’adresser aux ouvriers, qui le feront déguerpir sous leurs huées parce qu’il refusera de répondre publiquement aux questions du Comité de grève La direction emploiera alors, sans plus de succès du reste, d’autres méthodes d’intimidation. Elle enverra inspecteur du travail nous menacer de poursuites pour entraves à la liberté du travail.
La direction tantôt se raidit et cherche à nous intimider, tantôt essaie les formes paternalistes ; tantôt enfin elle se retranche derrière les décisions gouvernementales. Elle refuse de connaître le Comité de grève mais, en fin de compte, c’est l’action des grévistes qui tranche les questions et non les discussions des “représentants légaux”.
La maîtrise et les grands bureaux
Ce n’étaient pas les employés et les techniciens qui pouvaient se mettre en avant du conflit. Mais lorsque les ouvriers ont eu donné le coup d’envoi, ils ont suivi le mouvement. Certains éléments se sont même placés à l’avant-garde. En général, le mouvement a bénéficié de la neutralité bienveillante de la maîtrise. L’influence du M.F.A. (Mouvement Français de l’Abondance) parmi le personnel collaborateur est un facteur certain de la sympathie de celui-ci en faveur du mouvement.
Lorsque le secteur Collas a continué seul la grève, la maîtrise, officiellement, n’a pas fait grève (elle a remis les moteurs en route quand la direction lui en a donné l’ordre), mais elle a favorisé le mouvement plutôt qu’elle ne l’a saboté.
Les Grands Bureaux ont été les premiers à suivre le mouvement. Certainement, l’influence de la C.F.T.C., qui voyait avant tout une attaque anti-P.C.F., a favorisé le débrayage des bureaux. Mais dans la lutte, ce sont surtout des éléments étrangers à la C.F.T.C. qui ont eu un rôle dirigeant. Quant à ses adhérents. ils ont agi beaucoup plus en liaison avec le Comité de grève qu’avec leur organisation chrétienne. Celle-ci s’est tenue à l’écart et s’est même désolidarisée du mouvement dès que celui-ci a pris un caractère général, par conséquent préjudiciable au patronat.
La C.G.T. dans le conflit
Les ouvriers du secteur Collas, qui sont à l’origine du conflit, sont pour la grosse majorité des syndiqués à la C.G.T. Mais certains, depuis plusieurs semaines, d’autres depuis plusieurs mois, avaient cessé de payer leurs cotisations, ayant compris la politique de trahison menée par leurs dirigeants syndicaux, comme du reste une forte proportion des ouvriers dans l’ensemble de l’usine.
La C.G.T. est contre la grève, car pour elle maintenant “la grève, c’est l’arme des trusts”.
Le premier jour, L’Humanité ne parle pas de la grève. Encore un de ces nombreux conflits que la bureaucratie syndicale arrivera bien à étouffer… Le deuxième jour, la grève est définie comme étant l’oeuvre d’une poignée de provocateurs.
Chaque jour, un tract du Syndicat des métaux est distribué pour discréditer le Comité, ce “Comité de provocateurs”. Les bonzes répandent les calomnies les plus abjectes qui sont plus souvent des insinuations que des affirmations, car ils sont incapables de reprocher quoi que ce soit aux membres du Comité malgré tout le mal qu’ils se donnent à constituer “leurs dossiers”. C’est ainsi qu’ils se sont servis, pour discréditer le mouvement, d’un certain Salvade que le Comité de grève n’a jamais connu.
Le citoyen Plaisance, après avoir déclaré publiquement à Collas, le lundi matin 28, qu’il se pliait aux décisions de la majorité, n’hésitait pas à déclarer à midi, au meeting de la place Nationale, “qu’une poignée de gaullistes-trotskystes-anarchistes avait voulu faire sauter l’usine.”
Les principes les plus élémentaires de la démocratie sont foulés aux pieds. Au meeting de la C.G.T., le même lundi 28 avril, les ouvriers du secteur Collas qui veulent prendre la parole, sont brutalement refoulés, tandis que la voiture haut-parleur s’éloigne sous les huées de la foule. Au meeting de la C.G.T. du mercredi 30 avril, dans l’île, une opposition encore plus brutale repousse les camarades du Comité de grève qui voulaient approcher du micro pour parler. A l’A.O.C. et à l’atelier 176 particulièrement, les cégétistes se sont barricadés pour empêcher tout contact avec l’extérieur.
Les nervis du P.C.F. n’hésitent pas à s’opposer, physiquement, à tout ce qui n’est pas en concordance avec leur politique. A certains endroits, la provocation est flagrante. Ils insultent et brutalisent des grévistes. Si ceux-ci résistent, c’est la bagarre qui justifie l’intervention de la police. Mais ces manoeuvres sont déjouées par la volonté unanime des ouvriers de bannir de telles méthodes. Là où la force aura donné raison au gangstérisme, le discrédit n’en sera que plus affirmé. C’est à la collecte des timbres que ces messieurs s’en apercevront.
La grève qui s’étend oblige la section syndicale à se joindre au mouvement. Evidemment, elle ne reconnaît pas la revendication de 10 francs sur le taux de base. Devant le refus de la direction et du gouvernement de lâcher même les misérables 3 francs de prime que la section syndicale revendique, celle-ci appelle à un débrayage d’une heure.
Mais les travailleurs de la Régie ne sont pas satisfaits. Une fois les machines arrêtées, ils refusent de les remettre en route. Le mardi 29 avril, l’usine compte plus de 20.000 grévistes. Alors la C.G.T. vire encore un peu plus sur la gauche. C’est 10 francs qu’elle réclame maintenant comme “prime à la production”.
Mais ce qui compte avant tout, c’est de faire reprendre le travail aux ouvriers.
Aussi, le vendredi, la section syndicale organise-t-elle un vote pour ou contre la grève sur la base d’une augmentation de 3 francs de prime. C’est une escroquerie, car la section syndicale n’a pas obtenu la prime de 3 francs. Les ouvriers par 11.354 voix contre 8.015 votent la continuation de la grève.
Huit jours se passent, sans que les discussions autour du tapis aient rien apporté de nouveau.
En effet, si de son côté le Comité de grève emploie toutes ses forces à élargir le conflit aux autres usines pour faire capituler le gouvernement (distribution d’un tract dans ce sens par des délégations de grévistes aux autres usines, où ils se heurtent encore au sabotage des délégués cégétistes), le syndicat des métaux, lui, ne cesse de “lancer du sable sur les incendies” qui s’allument çà et là (Unic, Citroën, etc.).
Enfin, les 3 francs sont accordés. Nul doute que si les ouvriers avaient voté la première fois pour la reprise du travail, ils n’auraient rien eu. Néanmoins, le syndicat des métaux clame partout sa victoire. Il faut vite reprendre le travail, car, les 10 francs, nous les aurons dans “le calme et la discipline”. Un second vote est organisé pour demander aux ouvriers de reprendre le travail. Tous les moyens de propagande sont utilisés. La violence est employée contre les distributeurs de tracts du Comité de grève qui appelle à la continuation du mouvement. On demande aux ouvriers de reprendre le travail avec les mêmes conditions qu’ils ont refusées huit jours plus tôt. Il est clair qu’on spécule sur leur lassitude, car peu d’ouvriers ont la possibilité de vivre plus de huit jours sans travailler ; on spécule aussi sur l’hésitation des travailleurs qui voient parfaitement qu’ils n’ont rien à attendre du syndicat, mais qui, dans beaucoup d’endroits, n’ont pas de direction à eux. Même ceux qui rejoignent le Comité de grève, s’ils ont pour la plupart une grande volonté de lutte, manquent cependant encore d’expérience.
Partout les ouvriers sont mécontents de reprendre avec une dérisoire prime de 3 francs. Partout où il y a une direction (secteur Collas, département 88), une forte majorité se prononce pour la continuation de la grève, mais l’ensemble de l’usine se prononce pour la reprise par 12.075 voix contre 6.866. Plus d’un tiers du personnel s’est abstenu.
La grève continue
Quand on apprend le résultat du vote en faveur de la reprise, le vendredi 10 mai, il est déjà 6 heures du soir, la grosse majorité des ouvriers est partie. Ceux qui restent sont pour la continuation de la grève. Mais que feront les autres ?
Le lundi matin, au secteur Collas, les ouvriers arrivent ; les moteurs tournent déjà ; certains ouvriers se mettent au travail, mais sans beaucoup d’entrain. Un peu plus tard, le Comité de grève convoque une réunion dans le hall. Les ouvriers sont pour la grève. On ne peut tout de même pas reprendre avec 3 francs. Le Comité de grève, bien qu’il soit pour la grève, indique les dangers de combattre sans le reste de l’usine. Les ouvriers répondent qu’il ne faut pas s’occuper des autres ; dans notre secteur, la majorité est pour la grève. Les moteurs qui tournaient à vide s’arrêtent à nouveau. Mais comme nous sommes seuls à continuer le combat, il serait vain de croire que l’on peut obtenir les 10 francs. Nous limitons notre revendication au paiement des heures de grève. Le gouvernement continue à se montrer inflexible. A deux reprises, M. Lefaucheux nous affirme que nous n’aurons rien.
Le syndicat des métaux essaie par tous les moyens de dresser les ouvriers de l’usine contre ceux de Collas. Il demande à la direction et au gouvernement d’intervenir contre nous. La grève, au secteur Collas, c’est un complot de 200 hommes. La section syndicale pose cette question mercredi : qui tire les ficelles ? Ce sont les ouvriers de l’usine qui se chargent de répondre le jour même. Malgré les dix jours de grève qu’ils viennent de faire, dans la seule journée de mercredi, ils collectent près de 60.000 frs. pour les grévistes de Collas. Le jeudi, le gouvernement cède devant la ténacité ouvrière et accorde une indemnité de 1.600 francs pour tous les ouvriers de la régie.
La section syndicale, une fois de plus, clame sa victoire, car c’est elle qui a été admise aux délibérations.
Les ouvriers de Collas ne sont pas satisfaits : 1.600 frs. pour trois semaines de grève, c’est peu. Mais on ne peut pas continuer une lutte inégale ; il faut préparer d’autres combats. Le travail reprend, mais dans l’usine les ouvriers ne sont pas dupes : “C’est bien grâce aux gars de Collas si on a eu les 1.600 francs !”
Le rôle du secteur Collas
Ce sont les ouvriers de Collas qui ont commencé la grève, ce sont eux qui l’ont terminée. C’est le Comité de grève qui a donné l’ordre de grève, c’est lui qui a donné l’ordre de reprise.
Pour déclencher la grève comme pour la terminer, de même que dans toutes les questions importantes, le Comité de grève a toujours consulté les ouvriers avant d’agir.
Le mouvement est parti de Collas parce que c’est là que s’était constitué un groupe de camarades actifs qui ont d’abord préparé les esprits à un mouvement revendicatif ; dans les derniers temps, les ouvriers s’impatientaient même de ne pas recevoir un ordre de grève. Ces camarades ont ensuite organisé la grève. Cette organisation, à l’origine très faible (une poignée de copains), a révélé, une fois de plus, que les ouvriers sont très actifs quand ils savent pourquoi ils combattent, et qu’ils ont quelque chose de ferme à quoi ils puissent s’accrocher. Non seulement les ouvriers de Collas ont tenu leur secteur en grève pendant trois semaines, mais ils ont été à peu près les seuls à se dépenser avec énergie pour développer le mouvement.
La première semaine, plusieurs fois par jour, ils se sont répandus dans les ateliers pour aller aider des ouvriers à empêcher le sabotage par la section syndicale. Dès que quelque chose ne marchait pas dans un coin, on venait chercher les gars de Collas.
La seconde semaine, toute l’usine étant arrêtée, ce sont encore les ouvriers de Collas, à peu près seuls qui se répandirent dans de très nombreuses usines de la région parisienne pour inviter les autres ouvriers à nous suivre. Bien souvent ils eurent des accrochages sérieux avec les dirigeants cégétistes. Dans les boîtes où les travailleurs disaient qu’ils attendaient les ordres de la C.G.T., les ouvriers de Collas répondaient : “Vous pouvez attendre longtemps !” Et on sentait dans cette réponse la fierté qu’ils éprouvaient de n’être pas à la merci d’un ordre des bureaucrates. Ils agissaient “seuls”, avec un sens d’autant plus grand de leurs responsabilités.
Nos conclusions
Nous étions entrés en lutte pour arracher les 10 francs sur le taux de base, comme acompte sur le minimum vital calculé sur l’indice des prix. Mais nous avons repris le travail avec l’aumône de 3 francs de “prime”
Les responsables officiels du syndicat vantent cette “victoire”, cependant déjà annihilée pour les mois à venir par l’inflation (rien que dans les deux dernières semaines, l’Etat vient de mettre en circulation vingt nouveaux milliards de francs-papier). Il n’a pas été question, dans les négociations officielles du syndicat, de garantir notre salaire par l’échelle mobile, c’est-à-dire son calcul sur l’indice des prix.
Mais notre lutte, même sabotée, a-t-elle été inutile ? Tout au contraire ! Si nous avons subi un échec partiel quant aux gains immédiats, nous avons, par contre, réussi à renverser complètement la vapeur.
Nous avons tout d’abord prouvé à tous ceux qui nous croyaient mûrs pour la capitulation, résignés aux bas salaires, à l’esclavage économique, que la classe ouvrière n’a rien perdu de sa capacité de lutter, unie pour la défense de ses intérêts vitaux.
Nous avons secoué le joug de nos soi-disant représentants qui, au lieu d’être les défenseurs de nos revendications, étaient devenus nos gardes-chiourme.
Nous avons obligé la direction patronale à reconnaître le principe du paiement des heures de grève.
Nos revendications, les 10 francs et l’échelle mobile, sont approuvées par la majorité des ouvriers de la France entière (voir les journaux), et la direction syndicale officielle devra lutter réellement pour ces revendications, sinon une deuxième vague ouvrière la jettera elle-même par-dessus bord.
En lançant son appel à la grève générale, le Comité de grève avait affirmé sa conviction que la victoire totale des revendications pouvait être obtenue.
En regard des résultats obtenus, ne pourrait-on pas dire qu’il a été trop optimiste ? Qu’on en juge : il a suffi que deux départements, 6 et 18, continuent la grève, appuyés sur la sympathie active de toute l’usine, pour que la revendication sur laquelle les bonzes syndicaux avaient capitulé – le paiement des heures de grève – soit accordée à toute l’usine. C’est ainsi que nous avons obtenu les 1.600 francs.
Il a suffi, d’autre part, de la grève Renault pour qu’une vague d’augmentations, allant jusqu’à 10 francs, soit accordée dans presque toutes les usines. C’est ainsi que les usines Citroën ont obtenu les 3 francs sans un seul jour de grève.
Il n’y a pas de doute qu’une grève générale aurait arraché la victoire totale. Mais la grève générale était-elle possible ?
La grève générale manifeste sa réalité tous les jours en province et à Paris. La grève générale ce n’est pas une chose qu’on décrète, c’est un mouvement profond surgi de la volonté unanime de toute la classe ouvrière, quand elle a compris qu’il n’y a pas d’autre moyen de lutte. En présence de cette volonté de la classe ouvrière, on peut seulement agir de deux façons ; soit, comme l’a fait le Comité de grève, donner le maximum de forces à l’action ouvrière en l’unifiant en un seul combat livré par la classe ouvrière pour des objectifs communs : la grève générale ; soit, comme la fraction dirigeante de la C.G.T. et de la C.F.T.C., fractionner les luttes ouvrières, les séparer artificiellement les unes des autres, les mener dans l’impasse des primes.
Or, de même que la grève Collas, le vendredi 25 avril, avait entraîné dans la lutte toute l’usine Renault, la continuation de la grève dans toute l’usine aurait entraîné dans la lutte ouverte toute la classe ouvrière.
De la lutte que nous venons de mener, il reste prouvé que la grève est l’arme revendicative essentielle des travailleurs. Il reste prouvé également que, quelles que soient les manoeuvres intéressées, pour ou contre la grève, de tous les pêcheurs en eau trouble, la volonté unanime des travailleurs est capable de triompher de tous les obstacles.
Dans nos prochaines luttes, nous entrerons mieux préparés et nous obtiendrons ce que nous n’avons pu obtenir cette fois-ci.
25 mai 1947
Pierre BOIS
TRAVAILLEURS DE LA METALLURGIE DE LA REGION PARISIENNE
Les Ouvriers des Usines Renault en Grève s’adressent à vous,
DEPUIS LE MARDI 29 AVRIL NOTRE GREVE A PRIS UN CARACTERE GENERAL
Déjà, depuis plusieurs semaines, des grèves partielles réclamant un rajustement des salaires avaient éclaté dans l’usine. Car avec un salaire de 42 francs pour un O.S. face à la montée incessante du coût de la vie, aucun d’entre nous ne peut joindre les deux bouts. C’est pourquoi le vendredi 25 avril, les départements 6 et 18 se mettant en grève, un comité de grève, élu en assemblée générale à la presque unanimité, a été mandaté de mener la lutte pour 10 frs. d’augmentation de l’heure sur le taux de base.
Paiement des heures de grève.
Le Comité de grève, pour mener cette lutte qui intéresse tous les travailleurs, a fait immédiatement appel à toutes les usines Renault. Et malgré l’opposition de la Direction syndicale officielle, les travailleurs, organisés ou non, et quelle que soit leur appartenance aux différentes organisations syndicales ou politiques, ont été UNANIMES pour adopter nos revendications.
Mandatés pour exposer nos revendications à la direction patronale, celle-ci, en la personne de M. Lefaucheux, a refusé de nous recevoir et a traité la délégation ouvrière avec le plus grand mépris. M. Lefaucheux bafoue le droit le plus élémentaire des ouvriers d’élire librement leurs représentants. Il veut nous imposer ceux qui dans le passé l’ont aidé dans son action anti-ouvrière et avec lesquels il espère, mais en vain, s’arranger, pour nous berner une fois de plus.
QUE REPRÉSENTENT LES 10 FRANCS ?
Devant notre action décidée, le patronat et la direction syndicale opposent à notre revendication des 10 francs une augmentation de la prime à la production. Mais le système des primes au rendement, tout ouvrier le sait, c’est la surexploitation de la force de travail de l’ouvrier et ne présente aucune garantie du point de vue salaire.
Jusqu’à présent, la politique patronale a toujours été de nous faire courir après les prix à l’aide de petites satisfactions partielles pour calmer notre mécontentement. Notre revendication actuelle, qui est celle du minimum vital, c’est-à-dire, pour nous limiter au chiffre de la C.G.T., de 7.000 francs par mois, 10 francs d’augmentation sur le taux de base pour 40 heures de travail, doit mettre fin une fois pour toutes à cet état de choses. Car l’augmentation que nous réclamons doit être garantie par son adaptation constante aux indices des prix en fonction de ce qu’il nous fait acheter pour vivre sans mettre en danger notre santé, nous voulons L’ECHELLE MOBILE DES SALAIRES.
Cette revendication, la C.G.T. elle-même l’avait mise en avant au mois de décembre (salaire minimum vital calculé selon l’indice des prix). Mais la direction de la C.G.T. l’a abandonnée, cependant que, malgré les heures supplémentaires et la cadence toujours plus vive, malgré les promesses sur l’augmentation du pouvoir d’achat au fur et à mesure de l’augmentation de la production, et celles sur la baisse des prix, plus nous travaillons, moins nous gagnons et moins nous pouvons manger. (Dans notre usine la production a augmenté de 150% tandis que le salaire réel a continuellement baissé).
Toute la classe ouvrière se trouve dans la même situation. C’est pourquoi notre direction patronale n’a pu que recourir à un subterfuge, en prétextant qu’elle était en déficit et que c’est la politique gouvernementale qui s’oppose à l’augmentation des salaires.
A cela nous répondons que ni le prétendu déficit, ni la politique gouvernementale n’ont empêché M. Lefaucheux de trouver l’argent pour payer une augmentation de 30% sur les produits sidérurgiques.
Mais si le patronat trouve le moyen d’obtenir l’autorisation du gouvernement pour verser une augmentation de 30% aux potentats milliardaires de la sidérurgie, comme il trouve en général toujours l’autorisation du gouvernement pour toutes ses manœuvres contre les ouvriers et les consommateurs devant notre pression unanime sur le patronat nous verrons le gouvernement s’incliner devant la classe ouvrière unanime dans ses revendications, comme il a dû le faire en juin 1936.
NOUS VAINCRONS
On nous présente souvent la puissance des trusts comme un épouvantail qui doit toujours nous écraser. Mais la classe ouvrière, unie dans la défense de ses revendications, n’est-elle pas plus puissante qu’un trust ? Nous avons le monopole de la force travail, sans laquelle ces messieurs ne peuvent plus récolter des bénéfices.
La revendication que nous formulons est une revendication générale qui intéresse tous les ouvriers.
Camarades, nous faisons appel à vous parce que vous êtes dans la même situation que nous et que personne ne peut se résigner à la situation actuelle. Par conséquent, puisque la lutte est inévitable et nécessaire, il faut que nous nous mettions tous ensemble en mouvement, car seule l’union de tous les travailleurs assurera la victoire pour tous. Les sacrifices terribles que nous avons supportés pendant des années, la lutte que nous avons menée depuis 1934 contre le patronat sont un gage que les travailleurs ne se résigneront pas.
Déjà la Section syndicale de l’usine Alsthom nous a envoyé un message de solidarité morale et pratique des ouvriers de leur usine avec nous.
Camarades, nous sommes tous d’accord pour lutter pour ne pas supporter les frais d’un capitalisme qui nous écrase dans la misère, tandis que d’un autre côté une poignée de milliardaires qui ont réalisé des énormes profits continuent comme auparavant à s’enrichir.
Jusqu’à maintenant notre action a été empêchée par ceux qui, tout en se disant nos dirigeants, non seulement ne nous défendent pas, mais encore s’opposent à notre lutte, soit parce qu’ils ont été les complices des patrons, soit parce que n’ayant pas confiance en eux-mêmes, ils ont adopté l’attitude néfaste de l’attentisme.
C’est à nous qu’il appartient de défendre nous-mêmes nos revendications. Nous avons dû vaincre 1es mêmes difficultés que vous connaissez. Mais notre exemple vous prouve que ces difficultés peuvent être surmontées : les ouvriers de notre usine ont élu dans la lutte, directement de leur sein, des délégués avec mandat de faire aboutir leurs revendications. La classe ouvrière est riche d’hommes qui se révèleront dans l’action et qui, même s’ils manquent d’expérience au début, peuvent vite, avec l’appui de tous, se corriger dans l’action.
Voilà, camarades, ce que nous avons à vous dire, voilà quelle est la vérité, et vous saurez faire justice de toute la campagne de calomnies qui est l’arme de la division.
Notre usine a commencé le mouvement. Nous appelons tous nos camarades de la métallurgie, tous les ouvriers de la Région parisienne, à se joindre à nous. Faisons pour nous-mêmes, ne fût-ce qu’une partie des sacrifices que nous obligent à faire tous les jours les patrons pour leur profit et nous vaincrons.
VIVENT LES 10 FRANCS !
VIVE LE MINIMUM VITAL GARANTI PAR L’ECHELLE MOBILE !
VIVE LA SOLIDARITE DE LA CLASSE OUVRIERE UNIE DANS SES REVENDICATIONS !
Le Comité de grève général des Usines Renault
30 avril 1947.
Les ouvriers de l’Entreprise de Presse Réaumur, de tout cœur avec les grévistes des métaux (Régie Renault), leur adressent leur salut fraternel et sont heureux de leur signaler que les TYPOGRAPHES, ROTATIVISTES, IMPRIMEURS, ROGNEURS et MANOEUVRES ont spontanément abandonné leur salaire pour l’exécution de ce travail.
Fin 1946, la CGT, devant le mécontentement grandissant des ouvriers et son impuissance à obtenir quelques revendications pour compenser quelque peu la hausse des prix, essaie de trouver un biais pour réclamer des augmentations de salaires. Elle lance l’idée d’une "prime progressive de production" (PPP).
Au début de l’année 1947, elle annonce un "premier succès". Elle a obtenu une prime progressive de production de 2 francs de l’heure au coefficient 100 avec effet rétroactif en 1946.
Cette prime, loin de satisfaire les travailleurs, les révolte.
Dans le secteur Collas (Départements 6 et 18) à l’initiative d’un militant de la tendance trotskyste Lutte de Classe (Union Communiste) s’est constitué un petit groupe révolutionnaire.
Les ouvriers qui composent ce groupe ne se réclament pas tous du trotskysme. Ce sont des ouvriers qui veulent lutter pour que ça change. Ils sont contre le capitalisme, mais ils ne se disent pas communistes, au contraire, car pour eux le communisme, c’est le PCF qui leur fait retrousser les manches et dont les militants responsables se conduisent en gardes-chiourmes.
L’ACTION SE PREPARE
Ils déclenchent une campagne d’agitation contre la prime progressive de production (PPP qui étant hiérarchisée, accorde davantage aux improductifs qu’aux productifs). Au Département 6 qui comprend 1200 travailleurs, ils lancent une pétition qui recueille 850 signatures, malgré l’hostilité et l’obstruction des dirigeants du syndicat CGT.
Le 15 février 1947, ils publient le premier numéro d’un bulletin intitulé La Voix des Travailleurs de chez Renault.
Ce même 15 février, la section syndicale organise une réunion pour désigner les représentants à une "conférence de production". De la prime et de sa répartition, il n’en est pas question.
Les ouvriers qui sont à l’origine de la pétition invitent les travailleurs à se rendre à la réunion.
Voici le texte de leur convocation :
Camarades des Départements 6 et 18,
Notre section syndicale convoque une réunion pour désigner les délégués à une conférence de production. Mais elle ne nous donne aucune réponse à notre pétition au sujet de la prime.
Nous savons que les représentants syndicaux veulent étouffer notre protestation. Craignant d’avoir à s’expliquer sur la prime devant tout le monde, ils veulent refuser l’entrée de la réunion aux non-syndiqués.
Il ne faut pas nous laisser étouffer par leurs procédés bureaucratiques.
Tous ce soir à la cantine, syndiqués et non-syndiqués, pour imposer l’égalité de la prime.
Des ouvriers du secteur.
Alors que d’ordinaire, les réunions syndicales sont désertées, ce jour-là, c’est plus d’une centaine de travailleurs qui viennent y assister.
Les dirigeants de la CGT ont prévu le coup et ont mis à la porte des militants qui interdisent l’entrée non seulement aux non-syndiqués mais également aux syndiqués qui ne sont pas à jour de leurs cotisations.
Il faut dire qu’à l’époque presque tous les ouvriers étaient "syndiqués" puisque cela était quasiment imposé par l’appareil syndical. Les timbres et les journaux étaient vendus ouvertement dans les ateliers et ceux qui les refusaient étaient vite repérés. Néanmoins depuis quelque temps, certains travailleurs faisaient la grève du timbre.
Les ouvriers qui étaient à l’origine de la pétition font alors observer que le fait de ne pas être à jour de ses cotisations, surtout pour une période inférieure à trois mois, ne pouvait pas être considéré comme une démission. Et comme ils sont, de loin, les plus nombreux, ils poussent un peu et rentrent dans la cantine qui sert de lieu de réunion.
Après le rapport du délégué sur la fameuse "conférence de production", plusieurs ouvriers interviennent pour s’opposer à la prime de production.
C’est alors que le secrétaire général du syndicat se lève furieux : "Il apparait qu’on veut empêcher la CGT de parler (la CGT, c’est lui, pas les syndiqués) . Il apparait qu’ici on veut faire de la démagogie..."
A ce mot de démagogie, un ouvrier se lève en disant : "On a compris, la séance est levée." Et il sort, suivi de l’assistance, à l’exception de 13 fidèles de l’appareil syndical !
A la suite de cet incident, comme l’a si bien dit notre camarade, on a compris. On a compris que si nous voulions faire quelque chose, il faudrait le faire sans les syndicats et même contre eux.
Les camarades regroupés autour de La Voix des Travailleurs de chez Renault poursuivent leur activité. Ils sortent leur bulletin tous les quinze jours et font des réunions qui regroupent 10, 12, 15 personnes. Leur audience s’accroit. Bientôt des réunions ont lieu avec des membres du MFA (Mouvement Français de l’Abondance), mouvement économiste regroupant surtout de la petite maitrise ; avec des anarchistes, des syndicalistes de la CNT, des bordiguistes et des trotskystes du PCI.
Ces assemblées réunissent 50 à 60 personnes mais dans une assez grande confusion, chacun voulant faire prévaloir son point de vue.
Le MFA critiquent les hausses de salaires qui ne mènent à rien. Mais devant les hausses des prix contre lesquelles ils ne peuvent rien, ils acceptent de rallier la proposition d’une hausse de salaires.
Le PCI (trotskyste) veut à toute fin baptiser ces réunions "Comité de lutte" pour les plier à une discipline commune tant pour les objectifs que pour l’organisation de l’action.
Les anarchistes de la CNT discutent sur "l’instinct grégaire des masses". Ils n’ont pas de but. "Ce qu’il faut, c’est la grève, on verra bien après."
Quant aux bordiguistes, ils sont divisés en deux tendances. Pour les uns ce qui compte surtout, c’est la "théorie" qu’il faut approfondir en attendant que les ouvriers soient d’eux-mêmes prêts à engager une lutte (sous leur direction évidemment). Les autres sont pour l’action immédiate afin de renverser le pouvoir bourgeois et de le remplacer par un pouvoir ouvrier mais sans la dictature (?) d’un parti. Climat assez peu favorable pour engager une action positive.
Les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault rétorquent aux camarades du PCI qu’on ne peut pas s’intituler "Comité de lutte" ni agir en tant que tel.
"Nous sommes des camarades de tendances différentes - disent-ils en substance - avec une formation différente, donc avec des idées et des positions différentes. Se mettre d’accord entre nous est une utopie. Ce qu’il faut c’est travailler à organiser les travailleurs. C’est notre droit de chercher à les influencer selon nos convictions, mais c’est notre devoir de se soumettre à leurs décisions collectives.
Les "Comités", ce sont les organes de lutte de la classe ouvrière où les ouvriers élisent les représentants révocables à tout instant pour appliquer les décisions prises à la majorité des travailleurs.
Nous devons aider les travailleurs à constituer leurs comités et non nous désigner nous-mêmes comme "Comité de lutte".
Les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault proposent donc de cesser les discussions qui ne peuvent qu’être stériles en l’absence du contrôle de la grande masse des travailleurs. Ils proposent que l’on se mette d’accord sur deux objectifs :
1/ face à l’augmentation des prix, de la politique du gouvernement et de la complicité des organisations qui se réclament de la classe ouvrière, proposer aux travailleurs de revendiquer une augmentation de salaires de 10 francs sur le taux de base ;
2/ considérant que seule la grève est capable de faire aboutir une telle revendication, faire de l’agitation pour la grève.
De fait, seuls les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault font de l’agitation dans ce sens dans leur bulletin. La CNT, elle, publie des papillons où est inscrit en caractères de plus en plus gros le mot "GREVE" sans autre explication.
Cette agitation se développe dans un climat d’autant plus favorable que depuis quelques jours, en face de la poussée des prix, des réactions spontanées, mais toujours contenues et entravées par l’appareil stalinien de la CGT, se produisent dans différents secteurs de l’usine.
Voici à ce propos, ce qu’écrivait P.Bois, dans un article paru dans La Révolution Prolétarienne et intitulé "La montée de la grève" :
Depuis quelques semaines dans l’usine, se manifestaient divers mouvements qui avaient tous pour origine une revendication de salaire. Tandis que la production a augmenté de 150% en un an (66,5 véhicules en décembre 45 et 166 en novembre 46) notre salaire a été augmenté seulement de 22,5% tandis que l’indice officiel des prix a augmenté de 60 à 80%.
Dans l’Ile, c’est pour une question de boni que les gars ont débrayé ; à l’Entretine, c’est pour réclamer un salaire basé sur le rendement. Au Modelage-Fonderie, les ouvriers ont fait une semaine de grève. Ils n’ont malheureusement rien fait pour faire connaitre leur mouvement parce qu’ils pensaient que "tout seuls, ils avaient plus de chance d’aboutir". Au bout d’une semaine de grève, ils ont obtenu une augmentation de 4 francs sauf pour les P1.
A l’Artillerie aussi, il y a eu grève. Ce sont les tourneurs qui ont débrayé les premiers, le jeudi 27 fevrier, à la suite d’une descente des chronos. Les autres ouvriers du secteur se sont solidarisés avec le mouvement et une revendication générale d’augmentation de 10 francs de l’heure ainsi que le réglage à 100% ont été mis en avant. Cela équivalait à la suppression du travail au rendement. Sous la pression de la CGT le travail a repris. Finalement, les ouvriers n’ont rien obtenu, si ce n’est le réajustement du taux de la prime, ce qui leur fait 40 centimes de l’heure.
A l’atelier 5 (Trempe, secteur Collas), un débrayage aboutit à une augmentation de 2 francs.
A l’atelier 17 (Matrices) les ouvriers, qui sont presque tous des professionnels, avaient revendiqué depuis trois mois l’augmentation des salaires. N’ayant aucune réponse, ils cessèrent spontanément le travail.
Dans un autre secteur, les ouvriers lancent une pétition pour demander la réélection des délégués avec les résultats suivants : 121 abstentions, 42 bulletins nuls comportant des inscriptions significatives à l’égard de la direction syndicale, 172 au délégué CGT, 32 au délégué CFTC.
Au secteur Collas, les ouvriers font circuler des listes de pétition contre la mauvaise répartition de la prime de rendement. D’autres secteurs imitent cette manifestation de mécontentement, mais se heurtent à l’opposition systématique des dirigeants syndicaux.
L’atelier 31, secteur Collas, qui avait cessé spontanément le travail par solidarité pour l’atelier 5, n’ayant pu entrainer le reste du Département a été brisé dans son élan par les délégués. On le voit, depuis plusieurs semaines une agitation grandissante se manifestait. Partout volonté d’en sortir, mais partout aussi sabotage systématique des dirigeants syndicaux et manque absolu de direction et de coordination.
UNE TENTATIVE RATEE
Au milieu du mois de mars 1947, les travailleurs de l’atelier 5 (Trempe-Cémentation) débrayent pour réclamer une augmentation de 2 francs de l’heure.
Au Département 6, tout proche, des ouvriers qui publient La Voix des Travailleurs de chez Renault, mais qui ne sont pas officiellement connus en tant que tels, car la moindre "preuve" légale suffirait à les faire licencier, se rendent en délégation auprès des grévistes de l’atelier 5.
Le délégué de cet atelier, stalinien sectaire aussi grand que fort en gueule, les envoie balader. Non seulement il n’a pas besoin d’un coup de main des gars du Département 6, mais de plus il ne veut pas qu’ils compromettent son mouvement en se joignant à eux.
Les camarades du Département 6 n’attendaient rien d’autre de cet individu, mais cela pose un problème. Que devons-nous faire ?
Si on se met en grève, les staliniens de la CGT vont hurler que l’on sabote "leur grève". Par ailleurs, il est certain que si nous devons tenter quelque chose nous avons intérêt à le faire pendant que d’autres sont déjà en lutte.
Très rapidement, les ouvriers décident de se mettre en grève. Cela représente une centaine de personnes sur les 1200 que compte le Département 6 et les 1800 du secteur Collas (6 et 18). Mais il n’est pas question de se mettre en grève à 100.
Tous les travailleurs en grève se répandent alors dans les ateliers pour demander aux autres ouvriers de venir se réunir dans le hall de l’atelier afin de décider tous ensemble de la poursuite ou non du mouvement.
A peu près la moitié du Département, soit 5 à 600 travailleurs, rejoignent le lieu de la réunion en arrêtant les moteurs. Mais tandis que se déroule le meeting, les délégués, qui étaient en réunion et qui ont appris la chose, reviennent en hâte, remettent les moteurs en route et engagent leur campagne de dénigrement, de démoralisation et de calomnies.
"Vous n’obtiendrez rien par la grève" disent-ils en substance. "Les patrons n’attendent que cela pour envoyer la police, et puis une grève, ça peut durer un mois, peut-être plus - Vous allez crever de faim - Vous vous laissez entrainer par des aventuriers, des anciens collabos", etc., etc.
Les ouvriers ne sont guère sensibles à ces arguments. Seulement ils savent qu’ils ont contre eux la Direction et le gouvernement. Si en plus il faut se battre contre les syndicats, cela leur parait au dessus de leurs moyens.
Le mouvement reflue. Les moteurs retournent, les ouvriers retravaillent. Devant cet effrittement, les camarades qui ont convoqué le meeting le terminent en constatant leur échec et en proposant de mieux s’organiser la prochaine fois.
VERS LA GREVE
Les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault ne sont nullement découragés et ils continuent leur action.
Au début d’avril, ils font circuler une pétition pour réclamer une augmentation de 10 francs sur le taux de base. Partout où elle peut être présente, cette pétition recueille une grosse majorité de signatures.
Pour faire parvenir les pétitions à la Direction, il faut les faire porter par les délégués. Devant le succès de ces pétitions ceux-ci n’osent refuser mais ils sabotent.
Là, ils font pression sur les ouvriers pour empêcher les listes de circuler, ici ils prennent les feuilles et les font disparaître.
Personne n’a d’illusions sur la valeur des pétitions, mais les travailleurs les signent d’abord parce que c’est un moyen d’exprimer leur mécontentement et de donner leur accord à une augmentation de salaire qui ne soit pas lié au rendement.
Ensuite parce que c’est un moyen de tester les délégués pour voir jusqu’à quel point ils osent s’opposer à leur volonté.
Enfin pour beaucoup leur signature est un désaveu de l’attitude des délégués voire la marque d’une hostilité qu’ils ne sont pas mécontents de pouvoir manifester.
On parle d’augmentation de 10 francs, on parle de grève. Il y a bien des bulletins La Voix des Travailleurs de chez Renault qui créent une certaine agitation, il y a bien des pétitions, il y a bien eu la tentative avortée du mois de mars, mais tout cela ne débouche sur rien.
Certains ouvriers sont impatients. "Alors ça vient cette grève !" Mais d’autres sont sceptiques.
Dans une de leurs réunions, les ouvriers qui font paraître La Voix des Travailleurs de chez Renault décident d’agir.
Le jeudi 17 avril 1947, ils organisent un meeting à la sortie de la cantine. Evidemment, les ouvriers qui travaillent en équipe ne sont pas là. Mais la grande majorité de ceux qui travaillent en "normale" sont présents.
L’orateur monte sur le rebord d’une fenêtre d’un bâtiment situé juste à la sortie de la cantine.
Il explique la situation aux travailleurs.
"Les prix augmentent, les salaires restent bloqués. Ce qu’il nous faut c’est 10 francs de plus sur le taux de base."
D’ailleurs, ce chiffre, il ne l’invente pas. C’est celui qui a été proposé par le secrétaire général de la CGT, Benoit Frachon, c’est celui qui a été retenu par le Comité confédéral.
"Ce qu’il faut, c’est obtenir cette revendication. Et en fait il n’y a pas d’autres moyens que la grève. Les dirigeants de la CGT vont contre la grève, alors il faudra la faire sans eux, peut-être contre eux."
L’orateur réfute les arguments avancés par les délégués lors du débrayage manqué.
"On nous dit que l’on va crever de faim. Mais nous avons crevé de faim pendant cinq ans. On nous dit que le gouvernement va nous faire envoyer des gaz lacrymogènes comme le 30 novembre 1938. Pendant cinq ans il nous a bien fallu résister à autre chose que des gaz lacrymogènes. Les bombes ne nous faisaient pas seulement pleurer les yeux ; elles écrasaient nos maisons et nous avec."
"Vraiment, c’est à croire que ceux qui se réclament du "parti des fusillés", qui se disent les "héros de la Résistance" n’ont rien vu pendant les cinq ans qu’a duré cette guerre."
L’orateur montre sans fard les difficultés de la lutte : des privations, peut-être des coups, et en cas d’insuccès des licenciements. Mais parallèlement il rappelle les souffrances cent fois pires que "nous venons d’endurer pour des intérêts qui n’étaient pas les nôtres."
"Malgré des difficultés réelles, nous sommes tout à fait capables de mener une lutte et d’en sortir victorieux."
"Et ceux qui veulent nous décourager en prétendant que nous en sommes incapables nous méprisent ou ont des intérêts différents des nôtres, ou les deux à la fois."
L’orateur termine son exposé en appelant à la lutte.
D’abord il propose le principe de voter une augmentation de 10 francs sur le taux de base. Toutes les mains se lèvent à l’exception d’une trentaine, les irréductibles du PCF.
Ensuite, il propose la formation d’un Comité de grève et demande des volontaires. Les amis de La Voix des Travailleurs de chez Renault lèvent la main. D’autres suivent.
Les candidats montent sur la tribune improvisée et l’orateur fait ratifier leurs candidatures par un vote.
L’assistance s’attend au déclenchement de la grève. L’orateur précise alors aux travailleurs que le Comité de grève qu’ils viennent d’élire va aller déposer la revendication à la Direction. Dorénavant, ce Comité est mandaté pour agir en leur nom. Il le fera. Mais pour l’heure il demande aux travailleurs de regagner leur travail.
Sitôt le meeting terminé, le Comité de grève se rend à la Direction du Département qui commence par faire des difficultés en prétendant que les membres du Comité de grève ne sont pas des représentants "légaux".
Les représentants du Comité de grève lui font observer qu’ils ont été élus non en vertu d’une loi bourgeoise mais par les travailleurs eux-mêmes.
Le refus de discuter avec eux équivaudrait à un camouflet lancé aux travailleurs qui ne manqueraient pas d’en tirer les conclusions.
Le chef du Département change alors sa défense.
Ce n’est pas lui qui peut décider d’une augmentation de 10 francs de l’heure sur le taux de base. Il en référera à la Direction.
Le Comité de grève lui donne alors 48 heures pour donner la réponse de la Direction en lui rappelant que le principe de la grève a été voté par les ouvriers.
Manifestement, le chef du Département n’est pas du tout impressionné. Après le meeting il s’attendait à un mouvement de grève. Dans les circonstances d’alors ce ne pouvait être bien plus grave avec l’hostilité des délégués. Mais c’est toujours ennuyeux pour un chef d’avoir affaire à des conflits sociaux. Or, voilà que tout se termine au mieux par la vantardise de quelques "jeunots". Le travail a repris, pour lui c’est l’essentiel.
Le Comité de grève se réunit à plusieurs reprises pour essayer de trouver les meilleures conditions du déclenchement de la grève.
D’abord, il se renseigne sur l’état des stocks. Par des magasiniers, il apprend que les stocks de pignons sont assez faibles. Or c’est le Département 6 qui les fabrique.
Les membres du Comité de grève sont des O.S. inexpérimentés qui connaissent très peu le fonctionnement de l’usine. Il faut se renseigner sur les moyens de couper le courant à la centrale du Département dans des conditions de sécurité. Mais ils ne connaissent personne.
Les gens qui vont nous renseigner sont-ils avec nous ? "S’ils sont au Parti communiste il y a de fortes chances pour qu’ils vendent la mêche. Par ailleurs donnent-ils de bons renseignements, sont-ils vraiment qualifiés pour les donner ?"
Les membres du Comité de grève savent tourner des manivelles, appuyer sur des boutons, mais tripoter des lignes de 5 000 volts, manoeuvrer des vannes de distribution de vapeur ou d’air comprimé, cela les effraie un peu. Il faut être prudent. Car ils savent qu’à la moindre erreur les staliniens ne manqueront pas de monter en épingle "l’incapacité de ces aventuriers".
Quand ils retournent voir le chef du Département, celui-ci n’a évidemment aucune réponse de la Direction Générale. Il faut donc agir.
Mais un double problème se pose. Le jeudi, c’est le jour de paye, et de plus, c’est le vote pour élire les administrateurs représentants les ouvriers aux Caisses de Sécurité sociale, organisme nouvellement créé.
Si on veut déclencher une grève avec le maximum de chances de succès, il est prudent d’attendre que les travailleurs aient la paie en poche. car une paye, c’est un quinzaine d’assurée.
Par ailleurs, déclencher une grève avant l’élection des administrateurs de la Sécurité sociale, c’est peu souhaitable.
Le Comité de grève sait que les dirigeants de la CGT et du PCF ne manqueront pas d’exploiter une telle décision en essayant de démontrer que le but des "anarcho-hitléro-trotskystes", puisque c’est ainsi qu’ils les nomment, est de saboter les élections des administrateurs de la Sécurité sociale pour nuire à la CGT.
Attendre le lundi suivant, c’est risquer de voir baisser la température qui est encore chaude.
Il ne reste donc que le vendredi. C’est prendre le risque de voir couper le mouvement par un week-end. Mais d’un autre côté, cela offre l’avantage de vérifier l’ampleur de l’action au cours de la première journée et de permettre un repli sans trop de risques en cas d’insuccès.
Le mercredi 23 avril, le Comité de grève organise un meeting pour donner le compte rendu négatif de la démarche auprès de la Direction.
Voici le compte rendu de cette réunion fait par un témoin et publié dans La lutte de classe, journal de l’Union Communiste (trotskyste) à laquelle appartient le responsable du Comité de grève, Pierre Bois :
A 12h30, lorsque j’arrive, le trottoir (large d’au moins 8 mètres) est encombré d’ouvriers qui sont là par dizaines et discutent, tandis que, par paquets, les ouvriers sortant de la cantine continuent d’affluer. Toutes les conversations roulent sur le même sujet : ce qui va se passer tout à l’heure. Et le mot de grève circule.
Un tract diffusé dans la matinée, de la main à la main, nous a fait savoir que le Comité de grève, élu à l’Assemblée générale précédente par 350 ouvriers contre 8, a tenu à nous réunir afin de nous mettre au courant des démarches qu’il a effectuées auprès de la Direction.
Une heure donnée doit être respectée, et, à 12h30 précises, un camarade, qui est déjà sur la fenêtre, commence à parler.
Au premier rang de cet auditoire, bien plus nombreux que la fois précédente, où se retrouvent presque tous les ouvriers des deux Départements faisant la "normale", soit quelque 700 ouvriers, des coups d’oeil significatifs s’échangent ; les visages sont plutôt gais, quoique les esprits soient tendus.
Le camarade explique brièvement, en termes clairs, l’échec de la délégation, auquel d’ailleurs on s’attendait. Et, devant l’auditoire ouvrier attentif, il démontre que l’arme gréviste reste le seul moyen permettant d’obtenir satisfaction.
Au milieu des cris d’approbation qui fusent de toutes parts, il explique que la grève à venir sera une lutte des plus sérieuses qu’il faudra mener avec résolution jusqu’au bout.
"Il ne sera plus question de jouer de l’accordéon ou de rester les bras croisés à attendre que ça tombe, mais il faudra s’organiser pour faire connaitre le mouvement dans toutes les usines, faire des piquets de grève et défendre les issues de l’usine au besoin."
Répondant d’avance aux objections que pouvaient faire certains sur la perte d’argent que cela occasionnerait, et l’intervention toujours possible de la police, il indique que le paiement des jours de grève sera exigé.
"Quant aux lacrymogènes de la police, pendant plus de six ans nous avons reçu des bombes sur la gueule et on n’a rien dit. On s’est continuellement serré la ceinture avec les sacrifices que la bourgeoisie nous a imposés pour défendre ses coffres-forts. Et aujourd’hui, nous n’aurions pas la force et le courage d’en faire une infime partie pour nous ?"
Appuyant ces paroles de cris bruyants, les ouvriers marquaient leur approbation.
Passant au vote, le camarade demande aux ouvriers de se prononcer sur la grève en tant que moyen à envisager dans les délais les plus courts.
Tandis que quelques voix seulement votent "contre", les ouvriers votent "pour".
C’est alors que le délégué cégétiste, littéralement poussé par ses "copains" qui lui ont frayé un chemin, s’avance pour exposer son point de vue, ainsi que le camarade venait de le demander, invitant les opposants à émettre leur point de vue.
Malgré le calme relatif, les ouvriers étant curieux de connaître ses objections, il ne put éviter de s’attirer la réplique d’un ouvrier : "Tu vois, ici au moins, il y a de la démocratie."
Grimpant sur la fenêtre, parlant à voix basse et ne sachant pas trop quoi dire, le délégué entreprit d’expliquer aux ouvriers la "situation réelle en ce qui concerne les salaires" ; pour son malheur, il se mit à parler d’une délégation qui était allée voir Lefaucheux (avec la demande d’établir une égalité de salaires entre les ouvriers d’ici et ceux de chez Citroën, avec effet rétroactif) que d’ailleurs, ajoute-t-il, elle ne trouva pas.
Manifestement, les ouvriers vomissent les délégations et, à peine le délégué achevait-il ses dernières paroles que sa voix était couverte d’exclamations plus ou moins significatives :
"Les délégations, on en a assez". "Jusqu’où comptez-vous nous mener en bateau ?". "On n’en veut plus de tes délégations, maintenant, ce qu’il faut, ce sont des actes". J’ajoute moi-même : "Egalité avec Citroën, mais là-bas ils crèvent de faim aussi".
Abrégeant son exposé, le délégué lança un "appel au calme", et une mise en garde "contre les démagogues" fut non moins huée que les "délégations".
Après quoi, il dut descendre pour céder la place à un ouvrier d’une trentaine d’années qui, grimpé sur la fenêtre, expliqua en quelques mots ce qu’il pensait des délégués et des délégations :
"Camarades, depuis des mois, on nous fait attendre des augmentations qui doivent toujours arriver demain. On nous a déjà fait l’histoire en février et on nous a dit que l’absence de Lefaucheux, à l’époque, avait empêché les revendications d’aboutir. Cela a recommencé hier, une fois encore, il n’était pas là. Et les délégués sont repartis, comme avant. Cela ne peut plus durer. Jusqu’à quand allons-nous nous laisser mener ? Maintenant, ce n’est pas des paroles qu’il nous faut, ce sont des actes."
Complétant dans le même sens ce que l’ouvrier venait de dire, le premier camarade parla du minimum vital qui fut mis à l’ordre du jour de la CGT, en novembre, et qui devait être appliqué avec effet rétroactif également.
"Mais la CGT, dit-il, capitula sur le minimum vital et l’on ne parla plus ni du minimum vital ni de son effet rétroactif. Comment pouvons-nous croire à présent des personnes qui ont capitulé de la sorte ? Qu’est-ce qui nous prouve qu’ils ne capituleront pas de la sorte demain, avec leurs délégations ?"
Cet incident clos de la bonne manière, le camarade demande alors, pour clore la réunion, que les ouvriers manifestent par un second vote leur confiance au Comité de grève afin de l’habiliter à déclencher la grève au moment opportun.
Si la grande majorité qui accorda sa confiance au Comité de grève fut la même que précédemment, il n’en fut pas de même des "contre" qui voyaient leur nombre ramené à 8. Lorsque la majorité vota, un ouvrier qui se trouvait près du délégué lui cria à l’oreille : "Tu les vois, ceux qui sont pour l’action : rinces-toi l’oeil !"
Ainsi les ouvriers ont de nouveau voté pour la revendication des 10 francs sur le taux de base ; ils ont de nouveau voté pour la grève et dans une proportion plus importante, puisque ce jour-là même des "équipes" ont quitté le travail pour assister au meeting et que le nombre des participants a doublé depuis le 17 avril. De nouveau, les ouvriers ont réélu leur Comité de grève qui s’est accru de quelques membres.
De plus, estimant que la responsabilité de la grève incombe à la Direction, ils revendiquent le paiement des heures de grève.
Bois clôt le meeting en demandant de nouveau aux ouvriers de reprendre le travail en attendant les décisions du Comité de grève. Il leur rappelle que, dès maintenant, la grève est décidée et qu’elle sera déclenchée au moment qui paraitra le plus opportun au Comité de grève.
Certains travailleurs commencent à s’impatienter ou à ironiser. "Ils se dégonflent". Les membres du PCF et de la CGT rient sous cape. Pour eux, ils ont affaire à des petits garçons.
Nous sommes mercredi et les membres du Comité de grève, eux, savent qu’il faut attendre la paye et l’élection des administrateurs de la Sécurité sociale, donc le vendredi.
Ils ne sont pas mécontents que certains ne les prennent pas au sérieux car ils veulent aussi mettre de leur côté l’effet de surprise et, au fond d’eux-mêmes, ils sont assez satisfaits du bon tour qu’ils vont jouer (du moins ils l’espèrent) à ceux qui les prennent pour des petits rigolos.
Mercredi donc, jour de meeting, le Comité de grève se réunit le soir après le travail, car tous sont des O.S. et aucun n’a un quelconque mandat officiel. Ils se réunissent dans un sous-sol.
Dans une salle au dessus, se réunit une cellule du PCF, ce qui fait dire à un membre du Comité de grève : "S’ils savaient ce qu’on fait, ils diraient encore qu’on fait du travail "en dessous."
Pierre Bois rappelle aux membres du Comité de grève les raisons du choix de la date du vendredi et réclame de tous les membres du Comité de grève l’engagement de garder le plus grand secret sur nos intentions. Toute indiscrétion sera considérée comme une trahison et traitée comme telle.
Mais les membres du Comité de grève sentent suffisamment l’importance de leur rôle et ont suffisamment conscience de leurs responsabilités pour ne commettre aucune indiscrétion.
Le Comité de grève décide donc de déclencher la grève pour le vendredi matin. Le Comité de grève se compose de 11 membres. Il faut prévoir des piquets à toutes les portes dès 6 heures du matin ainsi qu’aux postes-clés : Centrale électrique, Transformateur, etc.
Il faudrait une cinquantaine d’ouvriers pour les piquets. Mais en plus, il faut garder le secret de l’opération pour bénéficier de l’effet de surprise. Cela est possible à 11 personnes qui, de plus, se sentent responsables pour avoir été élues par leurs camarades. A cinquante, on prend indiscutablement un risque.
Le Comité de grève prend donc les dispositions suivantes : la grève est décidée pour le vendredi 25 avril. Mais seuls les membres du Comité de grève sont au courant et ils ne doivent sous aucun prétexte donner connaissance de cette décision à qui que ce soit.
Chaque membre du Comité de grève doit recruter 5 ouvriers pour leur demander de venir vendredi matin à 6 heures en leur expliquant qu’il s’agit de faire une répétition pour préparer la grève. Mais même à ces camarades qui viennent en principe pour une répétition, il est démandé de ne pas faire savoir qu’ils viendront ce jour-là.
La journée du jeudi 24 avril se passe sans histoire. Les ouvriers touchent la paye, on élit les administrateurs de la Sécurité sociale.
La grève, on en parle bien sûr, mais on n’ose plus tellement y croire.
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LA GREVE EST DECLENCHEE
Vendredi 25 avril, les permiers ouvriers qui arrivent à 6h15 pour commencer à 6h30 trouvent un piquet à la porte qui distribue un tract très court. Ce n’est pas un tract ordinaire. C’est un ordre du Comité de grève. Ordre donné au nom des travailleurs qui ont mandaté ce comité.
ORDRE DE GREVE
Le Comité de Grève composé des camarades :
Quatrain < atelier 31
Bois
Merlin
Lévêque
Vayer < magasin
Shartmann < atelier 30
Lopez
Alvarez < atelier 101
Faynsilberg < atelier 317
Delaunay < atelier 236
Gadion
élu démocratiquement à la majorité des ouvriers à la réunion générale du 23 avril et mandaté pour engagé la bataille des 10 francs lance le mot d’ordre de grève aux ouvriers des Départements 6 et 18 pour le VENDREDI 25 AVRIL à 6h30 du matin.
La revendication présentée est :
1°/ 10 francs d’augmentation de l’heure sur le taux de base.
2°/ Paiement des heures de grève.
Le Comité de Grève met en garde les ouvriers contre certains éléments défaitistes qui n’hésitent pas à affirmer à l’avance que nous serons battus. Ces gens ont une telle peur de NOTRE VICTOIRE qu’ils ont déjà tenté des manoeuvres policières de mouchardage pour sabrer l’autorité des membres du Comité.
Le Comité de Grève invite les ouvriers en grève à se conformer strictement aux directives qui leur seront données.
Dans le combat que nous engageons, chaque ouvrier aura une tâche précise à remplir. Nous devons être disciplinés et résolus. Ce que chacun fait TOUS les jours pour le patron, nous devons être capables de le faire pour nous-mêmes.
La victoire est à ce prix.
TOUS UNIS DANS L’ACTION, ET NOUS ARRACHERONS NOS LEGITIMES REVENDICATIONS.
Le 25-4-47 Le Comité de Grève
Les ouvriers arrivent, lisent l’ordre de grève. La plupart restent habillés et attendent l’arrivée des ouvriers de la "normale" à 7h1/2, puis l’heure de meeting à 8 heures. Quelques uns sont sceptiques. Il leur est difficile de se débarrasser de leurs habitudes. Ils vont au vestiaire, enfilent leur "bleu", lentement se dirigent vers leur machine.
Fin avril, à 6h30, il ne fait pas encore très clair. Ils actionnent l’interrupteur. Tiens ! pas de lumière ! Ils appuient sur le bouton de mise en marche de leur machine. Rien. Cette fois, on dirait bien que c’est la grève.
Ceux qui y ont cru dès le départ, et ne se sont pas déshabillés viennent les regarder. Ils sourient d’un air narquois.
"Alors, tu n’as pas lu le tract, tu ne sais pas que c’est la grève. Tu ferais mieux d’aller te rhabiller, le courant n’est pas prêt de revenir. Regarde un peu !"
En effet, au fond de l’atelier, là où se trouve un transformateur sur lequel on lit : "courant 5 000 volts, danger", les grilles de sécurité ont été enlevées, la manivelle est abaissée, le courant coupé et un piquet d’une dizaine de grévistes monte la garde.
A un moment donné, un chef qui vient d’arriver n’en croit pas ses yeux, il s’approche du piquet : "Vous avez coupé le courant, il faut le remettre tout de suite, il y a des appareils de sécurité qui ne peuvent fonctionner sans courant ; vous risquez de tout faire sauter."Imperturbable, un membre des piquets de grève lui rétorque :
"T’en fais pas, papa, on a pris nos précautions et si tu as la trouille tu n’as qu’à retourner dans les toiles retrouver bobonne."
A la porte, les piquets de grève distribuent l’ordre de grève à tous les ouvriers qui arrivent. La plupart gagnent le terre-plein oùils sont invités au meeting. Quelques uns, trop heureux de voir que "ça marche", retournent arroser ça au bistrot qui est à l’entrée des ateliers.
A 8 heures, le meeting commence dans le hall. P. Bois rappelle les raisons de cette grève. Ils expliquent aux grévistes les raisons qui ont amené le Comité de grève à déclencher la grève ce vendredi :
"Maintenant l’action est engagée. Elle ira jusqu’au bout."
Il demande une dernière fois aux ouvriers de confirmer leur choix et de s’engager.
"Si nous sommes des mauviettes, il est encore temps de reculer. Sinon, en avant !"
Pour ce dernier vote, P. Bois demande aux ouvriers du Département qui sont pour la grève de se placer sur la gauche. La grande masse des travailleurs prend place à gauche. Ceux qui sont contre à droite. Les délégués et quelques membres du PC se retrouvent seuls à droite. Les abstentions au fond de l’assistance. L’ensemble des blouses blanches et quelques blouses grises gagnent le fond. Le vote est acquis. La grève est effective.
Le secrétaire général du syndicat, Plaisance, qui est venu assister au meeting, demande alors la parole. Il n’approuve pas cette grève des 10 francs sur le taux de base mais en tant que militant responsable de la CGT, il a assisté au vote (sourires de l’assemblée) et il s’incline devant les décisions des travailleurs.
Plaisance, le secrétaire de la CGT, et quelques délégués se joignent à elle.
Les membres de la délégation, des ouvriers du secteur Colas, sont ahuris de voir avec quelle aisance les "responsables" syndicaux se déplacent dans les bureaux, sourient aux grands caïds, leur serrent la main. Vraiment, ils sont bien dans la maison.
Mais malgré leur connaissance des lieux et des personnes, quand la délégation arrive devant le bureau du président-directeur général Lefaucheux, il n’y a personne pour la recevoir. M. Lefaucheux est, parait-il, au Cameroun.
Nous sommes reçus par le directeur du personnel et quelques autres grands "pontes" qui ne peuvent rien faire sans M. Lefaucheux. L’entrevue est vite terminée.
Pierre Bois dit alors au directeur du personnel M. Le Garrec, qui demande aux membres de la délégation de reprendre le travail en attendant le retour du directeur général :
"Nous constatons que vos pouvoirs sont limités. Nous vous aurons prévenu. Si Monsieur Lefaucheux veut voir son usine remarcher, qu’il se dépêche de rentrer pour nous accorder les 10 francs sur le taux de base."
Aux Départements 6 et 18, le Comité de grève s’organise. Il prend possession d’un bureau. Il reçoit des informations, donne des ordres. Quelques ouvriers en liesse font des stages un peu trop prolongés au bistrot. Le Comité de grève décide de ne laisser sortir les ouvriers que sur présentation d’un bon de sortie signé par lui. Des consignes sont données aux piquets qui exécutent scrupuleusement.
Au Comité, on est plus large. On délivre facilement un bon de sortie sauf à ceux qui commencent à avoir la langue un peu trop pâteuse. Ils sont peu nombreux et la grande majorité des ouvriers approuvent cette mesure. Ils ont la fièreté de leur mouvement et ils ne voudraient pas qu’il soit entâché des excès de quelques individus qui ne se contrôlent pas. Tout se passe d’ailleurs très bien et sans heurts.
Parallèlement, à la demande du Comité de grève, se sont constitués des groupes d’ouvriers qui se répandent dans l’usine pour appeler les travailleurs à se mettre en grève.
Des ateliers entiers débrayent, mais les délégués et les militants de la CGT remettent les moteurs en route, exhortant les travailleurs à ne pas se laisser entrainer.
Il s’ensuit une assez grande confusion. Dans les ateliers, les ouvriers débrayent, reprennent le travail, redébrayent. Ce n’est qu’aux Départements 6 et 18 que la grève est totale : les ateliers sont fermés, les camions qui doivent passer par ce secteur pour aller d’un atelier à l’autre sont stoppés.
Il n’y a que l’atelier 5 (Trempe-Cémentation), celui qui avait débrayé seul un mois plus tôt, dominé par un stalinien de choc, qui continue imperturbablement son travail.
Les grévistes des Départements 6 et 18 les laissent travailler. Les portes sont bouclées ; quand ils n’auront plus de pièces, ils finiront bien par rejoindre le mouvent ou s’arrêter.
D’ailleurs, des femmes de cet atelier qui font un travail absolument épouvantable sympathisent déjà avec les grévistes.
A un moment, le directeur du personnel vient au Département demander au responsable du Comité de grève de laisser passer les camions. Devant son refus, il menace :
"Vous prenez un gros risque, il y a entrave à la liberté du travail."
— - Pardon, c’est vous qui faites entrave au droit de grève, mais si vous voulez demander vous-mêmes aux ouvriers de saboter leur grève, vous avez la parole."
— - Présenté comme cela, vous avez le beau rôle."
Et le monsieur quitte les lieux.
A midi, place Nationale, Plaisance, secrétaire du syndicat CGT, harangue les travailleurs :
"Ce matin, une bande d’anarcho-hitléro-trotskystes a voulu faire sauter l’usine."
Protestation indignée de ceux qui savent. Etonnement de ceux qui ne sont pas au courant.
Ce premier vendredi de grève se termine sur deux visites.
Plaisance, secrétaire de la CGT, qui le matin avait dit aux ouvriers de Collas que bien qu’il n’approuvait pas ce mouvement il se ralliait aux décisions des travailleurs, se voit vivement reprocher son attitude de midi où il a prétendu que des bandes "d’énergumènes anarcho-hitléro-trotskystes" avaient voulu faire sauter l’usine.
Il est pris sérieusement à partie par des ouvriers et tente de se justifier en prétendant "qu’en 1936, faire sauter l’usine, cela voulait dire la mettre en grève".
"--- Enfin, les copains, vous ne vous souvenez plus !"
Vieux renard hypocrite va ! il devra quitter l’atelier sous les huées des ouvriers et surtout des ouvrières.
C’est également le directeur du personnel, M. Le Garrec, qui vient voir ce qui se passe et essayer d’influencer les travailleurs.
Il faut signaler que Le Garrec avait pris sa carte du PCF à la "Libération", sans doute pour augmenter son autorité sur le personnel dans cette période délicate, suivant en cela l’exemple du P.D.G. Lefaucheux qui était devenu également président de France-URSS.
Un ouvrier espagnol qui a participé à l’insurrection des Asturies en 1934, qui a fait la guerre d’Espagne à Barcelone et qui est membre du Comité de grève, le prend alors à partie :
"Monsieur le directeur, hier c’est vous qui commandiez "l’ousine", demain c’est peut-être la police, mais aujourd’hui ce sont les ouvriers. Vous n’avez rien à faire ici."
Interloqué, le directeur du personnel rétorque :
"Je ne discute pas avec les étrangers."
Ce qui lui vaut cette réplique :
"Monsieur le directeur, il y a un étranger ici, c’est vous. Ici il n’y a que des ouvriers et le bourgeois qui se présente. L’étranger, c’est vous parce que vous n’êtes pas de la même classe. Pour les travailleurs il n’y a pas de patrie, il n’y a que des classes. Allez ! Ouste ! Sortez !"
Bonne leçon d’internationalisme donnée au directeur "communiste".
LA GREVE SE DEVELOPPE
Le samedi et le dimanche, les ateliers en grève sont occupés par quelques piquets, mais rien d’important ne se passe. La décision, c’est lundi que nous la connaitrons. Le Comité de grève s’y prépare.
Le lunidi matin, il distribue un tract où il demande à tous les travailleurs de l’usine de se joindre à ceux du secteur Collas déjà en grève. Il les invite à un meeting place Nationale à 12h30.
Des groupes de grévistes se présentent aux portes de l’usine pour distribuer le tract du Comité de grève. Dans de nombreux secteurs ils sont agressés par des militants du PCF. Cela les rend furieux.
"Quoi, non seulement ils sont contre la grève, mais en plus ils nous tabassent."
Pendant toute la matinée, les grévistes du secteur Collas préparent le meeting de 12h30. Ils savent que le PCF et la CGT risquent de venir en force avec des voitures munies de haut-parleurs pour saboter le meeting. Ils préparent des porte-voix en carton et en tôle.
Le Comité de grève décide que si le PCF et la CGT viennent avec des voitures haut-parleurs qui couvrent la voix des orateurs, ils tiendront le meeting à l’intérieur de l’usine.
Dès 11 heures, les grévistes de Collas se répandent dans les ateliers pour appeler au meeting (sauf les piquets qui restent à leur poste). Comme le vendredi, cela entraine des débrayages, des reprises, des redébrayages.
A 12h30, les groupes se rapprochent de la place Nationale qui est déjà noire de monde. Dans la rue, quatre voitures haut-parleurs. Deux des syndicats, une de L’Humanité et une quatrième bien plus puissante.
P. Bois, à la tête du cortège, prend contact avec les groupes qui ont parcouru les ateliers.
"Ca y est, ils ont amené la grosse artillerie. Il va falloir faire notre meeting à l’intérieur de l’usine."
Soudain, un camarade vient vers nous :
"Alors, qu’est ce que vous faites, pourquoi vous vous êtes arrêtés ?"
"Tu n’as pas vu, il va falloir rester à l’intérieur. Avec toutes leurs radios, dehors on ne pourra pas se faire entendre."
"Mais non, venez, la plus grosse c’est à nous. Les Jeunesses socialistes tiennent leur congrès. Ce matin, ils sont venus nous voir. Nous leur avons demandé s’ils ne savaient pas où on pourrait trouver une voiture-radio. Ils ont accepté de nous prêter la leur, et à l’oeil ! Venez dehors, les communistes sont malades."
Et de fait, nous pouvons tenir notre meeting. Notre haut-parleur est plus puissant que les trois autres réunis.
Dès la fin du meeting, nous nous dirigeons vers l’usine O située à 1 km de là. Quand nous arrivons, ça débraye.
A notre retour à Collas, le bureau du Comité de grève est submergé par des dizaines de délégations. Certains viennent en isolés, d’autres viennent au nom de leur atelier, d’autres encore se sont fait élire et représente un Département entier. Le soir, plus de 10 000 travailleurs sont en grève.
LA CGT PREND LE TRAIN EN MARCHE
Le lendemain, mardi 29 avril, dès le matin, il y a 12 000 grévistes. La CGT tente alors une manoeuvre. Elle organise un débrayage de 11h à 12h pour soutenir ses revendications.
Personne n’est dupe. Ceux qui n’étaient pas encore en grève débrayent à 11h, mais ils ne reprendront pas le travail. A partir de ce moment, la grève est totale dans toute l’usine.
Dans l’après-midi, les grévistes de Collas vont manifester à plus de 2 000 à la Direction. Lefaucheux est absent. Il est au ministère. Le soir, à son retour, le nombre de manifestants ayant sérieusement diminué, il refuse de recevoir le Comité de grève. Il essaye même de jouer au dur :
"Dans la Résistance, on m’appelait le commandant Gildas.", voulant montrer par là qu’il ne se laisse pas influencer.
Le lendemain, mercredi 30 avril, le Comité Central de Grève qui s’est constitué autour du Comité de grève de Collas lance l’ordre de grève générale à toute l’usine.
En fait, la grève est déjà effective depuis la veille, mais le Comité Central de Grève en donnant cet ordre, au nom des nombreuses délégations qui ont constitué un Comité Central de Grève de 105 membres, tient à prendre la responsabilité du mouvement.
La CGT, dans un tract calomniateur, annonce un meeting pour le soir au square Henri-Barbusse. Puis finalement, elle décide de tenir son meeting dans l’Ile dans le but de reprendre la situation en main.
Pendant ce temps, le Comité Central de Grève délibère. Mais brusquement, on vient l’informer que les commandos cégétistes sont en train de "balayer" les piquets de grève. Le CCG suspend sa séance et se rend dans l’Ile où il tente sans succès de parler au meeting de la CGT.
Au retour, des énervés de la CGT menacent de liquider des membres du Comité de grève en les "balançant" dans la Seine. Des ouvriers s’interposent et, finalement ; tout rentre dans le calme.
Le soir, les staliniens s’organisent pour venir déloger les grévistes de Collas qui occupent leur Département.
La défense s’organise : caisses de boulons, de pignons, air comprimé pour pulvériser de l’acide, etc. Apprenant que les grévistes de Collas sont prêts à la riposte, les cégétistes renoncent à leur projet.
Jeudi 1er mai, le défilé cégétiste a lieu de la République à la Concorde. Le Comité de grève tire un tract à 100 000 exemplaires qui sera diffusé sur le parcours du défilé.
Ce tract qui appelle à la grève générale est tiré aux Entreprises de Presse Réaumur. Les ouvriers de cette entreprise abandonnent leur salaire pour le tirage de ce tract en signe de solidarité.
Sur le parcours de la manifestation du 1er mai, de nombreux accrochages, parfois violents, ont lieu entre les membres du service d’ordre cégétiste et les grévistes auxquels se sont joints des membres des Jeunesses socialistes.
Le 2 mai, le Comité de grève envoie de nombreuses délégations à la porte des entreprises pour appeler les travailleurs à la lutte.
Partout, ils rencontrent la sympathie des travailleurs qui, dans de nombreux secteurs, se mettent eux aussi en grève. Mais le plus souvent, les nervis du Parti communiste provoquent des bagarres et le travail reprend. Ainsi, chez Citroën Balard et à la SNECMA Kellermann.
Dans l’usine, la CGT intensifie sa campagne de calomnies. Elle organise un référendum pour ou contre la continuation de la grève prévenant les travailleurs que la solution du conflit est subordonnée à une décision du gouvernement. 21 286 travailleurs prennent part au vote :
11 354 s’expriment pour la continuation de la grève.
8 015 s’expriment pour la reprise du travail.
1 009 votent nul.
538 s’abstiennent.
La CGT s’incline devant cette décision des travailleurs, mais elle continue sa campagne de dénigrement.
Le Comité de grève est informé par l’intermédiaire d’employés travaillant dans les bureaux que des gens "bien placés" pourraient lui ménager une entrevue avec le ministre du travail Daniel Meyer.
Ne voulant négliger aucune possibilité de réglement du conflit, une délégation du Comité de grève se rend chez un certain M. Gallienne.
Très vite, les délégués se rendent compte qu’ils sont chez un ancien bras droit de Louis Renault qui voudrait essayer de manoeuvrer le Comité de grève dans une opération anti-nationalisation. Ils arrêtent là toute discussion.
Le 8 mai, le Comité de grève obtient une entrevue avec un député MRP, Beugniez, président de la Commission du Travail à l’Assemblée Nationale.
Ce monsieur veut surtout voir s’il n’y a pas dans ce conflit des éléments anti-cégétistes qui pourraient favoriser la CFTC.
Nous lui disons son fait et il est vraiment très déçu de constater notre détermination.
C’EST LA REPRISE
COLLAS CONTINUE SEUL
Le vendredi 9 mai, la CGT publie un tract où elle annonce que la Direction a accordé 3 F de l’heure sur la prime de production. Sur cette base, elle appelle les travailleurs à reprendre le travail.
Par 12 075 voix contre 6 866 le personnel décide la reprise.
Mais au secteur Collas d’où est partie la grève, la grande majorité est pour la continuation de la lutte.
Le lundi 12 mai, le travail doit donc reprendre. Mais le Comité de grève estime que si la grève doit cesser, la reprise doit se faire dans l’ordre comme le déclenchement du conflit.
Il convoque donc les travailleurs à un meeting dès le matin à 8h. Mais les travailleurs ne sont nullement décidés à capituler.
Le responsable du Comité de grève, P. Bois, explique alors :
"Si nous n’avons pas pu faire plier la Direction sur la revendication essentielle des 10 francs sur le taux de base alors que toute l’usine était en grève, il serait utopique d’espérer une victoire en poursuivant la lutte dans un seul secteur.
Malgré tout, nous ne pouvons accepter une défaite."
Il propose de continuer la lutte jusqu’au paiement des heures de grève.
L’inspecteur du travail vient essayer de démoraliser les grévistes en leur jouant le petit couplet de l’entrave à la liberté du travail. Rien n’y fait. Les travailleurs votent à une très forte majorité pour la proposition du responsable du Comité de grève.
La solidarité s’organise. Dans la seule journée du lundi de la reprise, 50 000 francs sont collectés par les autres secteurs de l’usine qui ont repris le travail, faisant par là la preuve qu’ils ne sont nullement hostiles aux grévistes de Collas.
La CGT intensifie sa campagne de dénigrement et de calomnies, traitant les grévistes "d’énervés", "d’agités", "de diviseurs" et exigeant que le ministre du Travail, Daniel Meyer, prenne des mesures pour faire tourner l’usine.
Mais le secteur Collas ne tourne pas, il paralyse le reste de l’usine, et la Direction s’inquiète. Elle fait savoir au Comité de grève qu’elle est prête à recevoir une délégation du Comité de grève mais "accompagnée des délégués régulièrement élus". Le Comité de grève accepte.
Bien sur, la Direction veut sauver la face en recevant d’une façon non officielle le Comité de grève. Mais chacun comprend cette astuce juridique, et personne ne voit de compromission à se faire accompagner par des délégués qui ont toujours été hostiles au mouvement.
Ceux-ci d’ailleurs non plus ne se sentent nullement gênés de se compromettre avec les "anarcho-hitlero-trotskystes’ du Comité de grève, trop heureux de l’honneur que leur fait le patron en leur demandant, en bons larbins qu’ils sont, d’ouvrir la porte aux "énervés".
Le président-directeur général commence un discours où il met en garde le Comité de grève contre les dangers de la poursuite du conflit : danger pour l’entreprise, danger pour la nationalisation, danger pour les ouvriers.
Pierre Bois lui fait remarquer qu’au point où en sont les choses, il lui est très facile d’écarter tous ces dangers en accordant le paiement des heures de grève.
Pierre Lefaucheux essaie alors de jouer la carte sentimentale :
"Je sais, monsieur Bois, que si vous dites à vos camarades de reprendre le travail, ils le feront et je vous demande de le faire."
Pierre Bois bondit à ces paroles :
"Vous me demandez de trahir mes camarades, il est inutile de continuer cette discussion."
— - Ne vous fâchez pas, je ne voulais pas vous offenser.
— - Vous l’avez fait, mais si vous pensez que les travailleurs sont prêts à capituler, vous pouvez vous-même aller le leur demander."
C’est un coup de poker, P. Bois pense bien que Lefaucheux va se dérober.
"Eh bien, c’est entendu, je vais leur parler."
— - Bien, nous allons annoncer votre visite."
Les membres du Comité de grève sortent suivis de Lefaucheux et de ses directeurs.
Des camarades partent en avant pour préparer une estrade au directeur : la plate-forme bien huileuse d’un camion.
Arrivé au Département, P. Bois monte le premier sur l’estrade improvisée et appelle les ouvriers.
S’adressant à Lefaucheux devant les travailleurs assemblés, il lui dit :
"Monsieur le directeur, vous êtes ici dans un secteur en grève. En tant que responsable du Comité de grève, il m’appartient de vous accueillir et de vous présenter à mes camarades.
"Camarades, voici M. Lefaucheux qui vient vous demander de saboter vous-mêmes votre mouvement. Il ne veut pas payer les heures de grève, mais il voudrait vous voir reprendre le travail. Il a prétendu que vous n’aviez guère envie de continuer la grève et que si vous ne repreniez pas le travail, c’est parce que je vous influençais. Je lui ai proposé d’essayer de venir vous influencer dans l’autre sens, ce qu’il va essayer de faire. Monsieur le directeur, vous avez la parole."
M. Lefaucheux est blême.
"Ce n’est pas très sport" dit-il.
Puis il a fait son discours dans un silence glacial. Quand il a fini, les travailleurs lui font une conduite de Grenoble pour le raccompagner, chacun lui réclamant le paiement des heures de grève et les 10 F.
LA DIRECTION CEDE
Le vendredi 16 mai, la Direction, "dans le but de créer un climat favorable à la production", propose une somme de 1 600 francs pour la reprise et une avance de 900 francs pour tous les travailleurs (avance qui, d’ailleurs, sera définitivement accordée par la suite).
C’est en fait, donner satisfaction d’une façon déguisée à la revendication du paiement des heures de grève réclamé par le Comité de grève.
Sur cette base, le lundi 19, après une dernière assemblée des grévistes, le Comité de grève propose la reprise du travail. Celle-ci a lieu après une réunion et un vote.
Les ouvriers du secteur Collas ne se sentent nullement battus.
Ils ont commencé avant les autres, fini après les autres, et par leur tenacité ils ont obtenu le paiement déguisé des heures de grève pour tous.
En effet, l’ensemble des travailleurs a fait grève du 29-4 au 12-5, ce qui fait huit jours ouvrables. Alors que le salaire d’un O.S. était d’environ 7 000 francs par mois (20 jours ouvrables) pour un O.S., la reprise s’est faite avec une indemnisation des heures perdues de 2 500 francs.
Pour la majeure partie de l’usine, les travailleurs n’ont rien perdu.
A Collas, évidemment, les ouvriers ont fait grève depuis le 25 avril jusqu’au 16 mai, ce qui fait 15 jours ouvrables. Ils ont donc perdu un peu d’argent dont une partie d’ailleurs a été rattrapée par les collectes.
Mais les travailleurs de Collas n’étaient pas du tout déçus. Ils avaient mené une grève eux-mêmes. Malgré l’hostilité de la CGT, ils avaient tenu. Ils avaient même gagné. Bien sûr, les 3 francs de prime étaient, qu’on le veuille ou non, à leur actif. Ensuite, le paiement des heures de grève, sans être une victoire, c’était un succès. Et cet ouvrier de Collas n’était pas peu fier quand il racontait comment un autre ouvrier de l’usine lui avait dit :
"N’empêche que c’est bien grâce à vous, les gars des Pignons, si on a eu les 1 600 et les 900 balles."
Mais les travailleurs de Collas étaient aussi heureux et fiers d’avoir vaincu les contraintes. A la fois celles de la maitrise et celles de la bureaucratie. Pour eux, leur secteur, c’était une petite République où règnait la liberté et la démocratie.
"Chez nous, il n’y a pas de chefs, c’est nous qui décidons." disait fièrement un ouvrier. Ils étaient fiers de leur mouvement parce qu’ils y participaient vraiment.
Chaque matin et souvent plusieurs fois par jour se tenait une assemblée générale où on décidait de ce qu’on allait faire.
D’abord les piquets, puis les délégations aux autres ateliers dans la première semaine, aux autres entreprises dans la seconde.
Et puis la solidarité. Des groupes partaient dès le matin chez les commerçants ou à la porte des entreprises avec le macaron du Comité de grève et des trons scellés. Non pas que l’on craignait que certains grévistes mettent de l’argent dans leur poche, mais les ouvriers voulaient que ça soit ’régulier". Le soir, l’argent était compté.
Les délégations d’entreprises apportaient, elles aussi, leur soutien moral et le produit de leurs collectes.
Tout était inscrit et affiché au Comité de grève. Tout fut distribué équitablement à la fin de la grève, les travailleurs ayant pu vivre sur leur paye pendant toute la durée du conflit.
Rappelons que le Comité de grève avait pris la précaution de déclencher l’action le lendemain de la paye.
Du côté cégétiste c’était différent, l’argent rentrait sous forme de collectes ou de dons de syndicats.
Un jour, la CGT annonça que les grévistes pourraient recevoir... 1 kg de morue et 1 kg de lentilles !!! On en parla longtemps à Collas, des lentilles et de la morue de la CGT. La CGT avait aussi demandé aux travailleurs de s’inscrire pour des secours éventuels.
Ce fut un beau tollé quand le responsable du Comité de grève prit la parole dans une assemblée générale pour dire :
"Ceux qui se sont faits inscrire pour les secours de la CGT ne vont pas tarder à être servis."
En effet, grâce à notre équipe de nettoyage des ateliers, nous avions pu retrouver la liste des inscrits... au fond d’une poubelle.
Petits détails, bien sûr, mais qui montrent bien la différence entre un mouvement conduit par les ouvriers eux-mêmes et une action dirigée bureaucratiquement.
LA CGT CRIE VICTOIRE
La CGT, après avoir violemment dénoncé les "irresponsables" du "comité des provocateurs" qui ont poursuivi seuls la grève malgré ses appels à la reprise, s’octroie, bien entendu, le bénéfice de la nouvelle victoire. Elle n’hésite pas à écrire que c’est ’la section syndicale" qui "en poursuivant son action" (?), a obtenu les 1 600 francs pour tous. Elle précise même : "CETTE VICTOIRE fut obtenu après deux nouvelles heures de discussion par notre délégation dans le bureau du ministre du Travail, Daniel Meyer, et en présence de la Direction."
CONCLUSIONS SUR NOTRE GREVE
par PIERRE BOIS du Comité de grève Collas
Nous étions entrés en lutte pour arracher les 10 francs sur le taux de base, comme acompte sur le minimum vital calculé sur l’indice des prix. Mais nous avons repris le travail avec l’aumône de 3 francs de "prime".
Les responsables officiels du syndical vantent cette "victoire", cependant déjà annihilée pour les mois à venir par l’inflation (rien que dans les deux dernières semaines, l’Etat vient de mettre en circulation vingt nouveaux milliards de francs-papier). Il n’a pas été question, dans les négociations officielles du syndicat, de garantir notre salaire par L’ECHELLE MOBILE, c’est-à-dire son calcul sur l’indice des prix.
Mais notre lutte, même sabotée, a-t-elle été inutile ? Tout au contraire ! Si nous avons subi un échec PARTIEL quant aux gains immédiats, nous avons, par contre, réussi à renverser complètement la vapeur.
Nous avons tout d’abord prouvé à tous ceux qui nous croyaient mûrs pour la capitulation, résignés aux bas salaires, à l’esclavage économique, que la classe ouvrière n’a rien perdu de sa capacité de lutter, unie pour la défense de ses intérêts vitaux.
Nous avons secoué le joug de nos soi-disant représentants qui, au lieu d’être les défenseurs de nos revendications, étaient devenus nos gardes-chiourme.
Nous avons obligé la direction patronale à reconnaître le principe du PAIEMENT DES HEURES DE GREVE.
Nos revendications, les 10 francs et l’échelle mobile, sont approuvées par la majorité des ouvriers de la France entière (voir les journaux), et la direction syndicale officielle devra lutter réellement pour ces revendications, sinon une deuxième vague ouvrière la jettera elle-même par-dessus bord.
En lançant son appel à la grève générale, le Comité de grève avait affirmé sa conviction que la victoire totale des revendications pouvait être obtenue.
En regard des résultats obtenus, ne pourrait-on pas dire qu’il a été trop optimiste ? Qu’on en juge : il a suffi que deux départements, 6 et 18, continuent la grève, appuyés sur la sympathie active de toute l’usine, pour que la revendication sur laquelle les bonzes syndicaux avaient capitulé – le paiement des heures de grève – soit accordée à toute l’usine. C’est ainsi que nous avons obtenu les 1.600 francs.
Il a suffi, d’autre part, de la grève Renault pour qu’une vague d’augmentations, allant jusqu’à 10 fr., soit accordée dans presque toutes les usines. C’est ainsi que les usines Citroën ont obtenu les 3 francs sans un seul jour de grève.
Il n’y a pas de doute qu’une grève générale aurait arraché la victoire totale.
Mais la grève générale était-elle possible ?
La grève générale manifeste sa réalité tous les jours en province et à Paris. La grève générale ce n’est pas une chose qu’on décrète, c’est un mouvement profond surgi de la volonté unanime de toute la classe ouvrière, quand elle a compris qu’il n’y a pas d’autres moyens de lutte. En présence de cette volonté de la classe ouvrière, on peut seulement agir de deux façons : soit, comme l’a fait le Comité de grève, donner le maximum de forces à l’action ouvrière en unifiant en un seul combat livré par la classe ouvrière pour des objectifs communs : LA GREVE GENERALE ; soit, comme la fraction dirigeante de la C.G.T. et de la C.F.T.C., fractionner les luttes ouvrières, les séparer artificiellement les unes des autres. Les mener dans l’impasse des primes.
Or, de même que la grève Collas, le vendredi 25 avril, avait entraîné dans la lutte toute l’usine Renault, la continuation de la grève dans toute l’usine aurait entraîné dans la lutte ouverte toute la classe ouvrière.
De la lutte que nous venons de mener, il reste prouvé que la grève est l’arme revendicative essentielle des travailleurs. Il reste prouvé également que, quelles que soient les manoeuvres intéressées, pour ou contre la grève, de tous les pêcheurs en eau trouble, la volonté unanime des travailleurs est capable de triompher de tous les obstacles.
Dans nos prochaines luttes, nous entrerons mieux préparés et nous obtiendrons ce que nous n’avons pu obtenir cette fois-ci.
Liberté et discipline ouvrières
Les "responsables" syndicaux s’agitent. Mais ce n’est pas pour déjouer les manoeuvres de la direction qui essaie de se rattraper. Ils déploient une grande activité... en faisant circuler des tracts contre les "provocateurs" avec toutes sor-tes d’insinuations et de calomnies. Mêlant le vrai et le faux, ils visent avant tout les ouvriers qui, à l’encontre du sabotage de la section syndicale, ont tenu bon dans la grève, et particulièrement les départements 6 et 18 (secteur Colas). Tous les ouvriers ont pu voir le comportement anti-démocratique des dirigeants de la section syndicale pendant la grève.
Aussi, ces derniers essaient-ils, maintenant, par tous les moyens, de discréditer le Comité de grève, dont ils n’osent et ne peuvent cependant pas mettre en cause aucun de ses membres. Leur grossière calomnie ne prend pas. Mais en l’utilisant quand même, ils veulent démoraliser les ouvriers et faire le jeu de patrons. La preuve de leur mauvaise foi et de leurs intentions malhonnêtes, c’est qu’ils s’adressent aux "pouvoirs publics" (qui sont toujours du côté des patrons) pour "ouvrir une enquête sur les perturbateurs".
Mais il y a un moyen très simple de démasquer les provocateurs, s’il y en a. C’est de former dans l’usine même des commissions d’ouvriers pris dans la rang et chargés d’enquêter. Aux départements 6 et 18, les ouvriers ne connaissent pas de provocateurs. Si les dirigeants politiciens du syndicat ont des documents, qu’ils les apportent aux 6 et 18 ; qu’ils les montrent et qu’ils s’adressent directement aux ouvriers qui sont assez grands pour juger eux-mêmes.
Nous demandons, d’autre part, que les dirigeants syndicaux rendent compte de l’utilisation des sommes encaissées pour le soutien de la grève.
Voilà le moyen. Mais ils se garderont bien de l’utiliser. Et s’ils ne veulent pas utiliser ce procédé démocratique, c’est qu’ils sont de vulgaires calomniateurs qui veulent cacher, par la calomnie, leur travail antiouvrier.
Dans l’usine : ni Gestapo, ni Guépéou, ni police ; liberté et discipline ouvrières.
STRATEGIE... OU TRAHISON ?
Tous ceux qui ont des profits à perdre ont tremblé et tremblent encore. Les conflits sociaux et la crainte de la grève générale troublent leur sommeil. Les coffres-forts sont alarmés. Les journaux reproduisent les discours de Ramadier contre les "provocateurs" : "la greve générale est une provocation". Dans ce concert alarmé des intérêts sordides, les dirigeants de la C.G.T. figurent en bonne place.
Qui sont les provocateurs ? Partout, comme chez Renault, la volonté de grève surgit d’en bas. Le communiqué de la Fédération de l’Eclairage dit textuellement :
"Les délégués fédéraux... se sont réunis le samedi 24 mai 1947 porteurs de mandats pour la greve immédiate et sans limite donnes dans des assemblées d’organisations de base" (Humanité, 25-5).
C’est sans doute pour ne pas se laisser provoquer... par les ouvriers que les dirigeants cégétistes ont décidé de ne pas tenir compte de la volonté de la base "pour une grève immédiate et sans limite". "Le comité national, poursuit le communiqué, calme, maitre de ses décisions, ne s’est pas laissé entrainer sur ce plan."
Pour ne pas respecter la démocratie, les dirigeants de la C.G.T. traitent les ouvriers en enfants, tout en mettant en avant leur sagesse et leur "calme".
Mais c’est leur "calme" devant les souffrances des ouvriers qui a permis au gouvernement d’ajourner la révision des salaires au mois de décembre et d’utiliser, contre les grèves isolées, des méthodes totalitaires, comme la réquisition militaire. Les capitalistes, eux, ne prêchent pas du tout le calme : par leur porte-parole, le gouvernement, ils opposent aux ouvriers leur volonté et leur force unies.
Sans se concerter, d’un bout à l’autre du pays, les travailleurs ont eu recours à la même méthode de lutte : la grève et, en même temps, à la suite de la grève Renault.
Tous les efforts des capitalistes, c’est de passer sans trop de dommages à travers cette situation et avec le moins de concessions possible.
Si les dirigeants cégétistes s’opposent à la lutte ouvrière gréviste, ce n’est pas par stratégie, c’est parce qu’ils ne savent plus lutter avec les ouvriers. Tout ce qu’ils savent, c’est se déplacer en auto pour se rencontrer avec les potentats de l’industrie ou des ministres, négocier confortablement autour du tapis vert. Ils prêchent le calme, parce qu’ils haïssent la lutte de ceux qui troublent leurs bons rapports avec les capitalistes. Et parce que dans la lutte ouverte, ce ne sont pas eux, mais d’autres qui font le travail de dirigeants. Que deviendraient dans une grève générale leurs grands et petits postes ? Dieu nous en préserve !
Ce sont les travailleurs qui veulent un mouvement d’ensemble, qui ferait capituler rapidement les capitalistes. Ce sont les bureaucrates qui n’en veulent pas.
Mais l’attitude des bureaucrates n’a pas nom "stratégie", mais "trahison".
Les mois qui viennent décideront du sort de la classe ouvrière pour longtemps. Car ce n’est pas tous les ans que la classe ouvrière se trouve prête, dans son ensemble, à mener la lutte. La trahison de quelques milliers de bureaucrates sera-t-elle plus forte que la volonté de millions et de millions d’exploités ?
La Voix des Travailleurs.
COMMENT S’ORGANISER
De nombreux ouvriers nous font savoir leur répugnance à continuer de payer des cotisations pour engraisser des bureaucrates qui sabotent leur action. Le prochain numéro de La Voix sera consacré à l’étude des moyens et des formes d’organisation que nous pourrons envisager pour continuer notre lutte.
Nos 10 francs !
La fraction dirigeante de la C.G.T. nous avait dit : "Reprenons le travail sur la base des 3 francs et nous aurons ensuite les 10 francs par des négociations." Le résultat, c’est que le gouvernement prétend maintenant ajourner la révision des salaires à décembre.
La fraction dirigeante du syndicat a "soutenu" nos revendications comme la corde soutient le pendu. Les 3 francs n’étaient pas un acompte sur les 10 francs, à partir du 1er mai, comme elle l’a prétendu, mais un appât pour nous faire capituler.
Il faut que la direction syndicale qui nous a forcés à la reprise du travail s’explique immédiatement sur les moyens d’obtenir les 10 francs ! Nous examinerons ce qu’elle en dit et nous verrons ensemble ce qu’il faut faire devant la nouvelle situation. Et si la direction cégétiste continue à saboter, comme par le passé, nous envisagerons nous-mêmes les moyens de lutte. Car, depuis notre mouvement, nous nous sommes enrichis d’une grande expérience et nous ne voulons plus nous laisser mener avec des promesses trompeuses. Nous sommes entrés en lutte pour que ça change et ça doit changer.
Nos 10 francs à partir du 1er mai !
Minimum vital calculé sur l’indice des prix (Echelle mobile des salaires) !
BOYCOTT DES ELECTIONS DE DELEGUES AUX 1er ET 2ème TOURS
Nous allons être appelés à voter pour les délégués du personnel. En juin 1936, l’action de la classe ouvrière a imposé au patronat la reconnaissance officielle des délégués. Mais si les conventions collectives prévoient la possibilité pour les ouvriers d’élire des délégués de leur choix, la bourgeoisie, fidèle à sa tradition de reprendre de la main gauche ce qu’elle a dû céder de la main droite, a modifié cette loi par plusieurs décrets, dont le dernier en date est celui de l’ex-ministre Croizat.
Que dit cette loi du 16 avril 1946 ?
D’abord que les candidats doivent être présentés sur les listes des organisations syndicales les plus "représentatives". Or nous savons comment sont établies ces listes. Les futurs délégués, choisis par la C.E., sont présentés à l’assemblée générale du syndicat (une trentaine d’ouvriers, bien souvent moins). Un exemple nous suffira pour montrer toute l’iniquité de cette "représentation".
Au secteur Collas, la grosse majorité des ouvriers, écoeurés par les méthodes bureaucratiques et policières des dirigeants syndicaux, ont cessé de payer leurs cotisations.
Après la grève, ils se sont réunis pour former une nouvelle C.E., qui a été élue à l’unanimité des ouvriers syndiqués et non syndiqués, à l’exception des dirigeants qui avaient jugé plus sage de ne pas se présenter à la réunion. La section syndicale de la R.N.U.R. a refusé de reconnaître cette C.E. parce qu’elle avait été élue par des ouvriers non à jour de leurs cotisations.
Or tous les ouvriers sont des syndiqués, et s’ils refusent actuellement de payer des cotisations c’est qu’ils en ont assez de confier leur argent à des gens qui l’utilisent pour les combattre et les calomnier (voir la série de tracts de la C.G.T. pendant la grève).
Mais, pour les dirigeants actuels du syndicat, la volonté d’un millier d’ouvriers mécontents est moins précieuse que celle d’une trentaine de "syndiqués" (lire : cochons de payants).
D’après la loi en vigueur, plus de mille ouvriers qui ont prouvé leur combativité pendant la grève ne peuvent pas élire légalement leur représentant, tandis qu’une poignée de jaunes a la possibilité d’élire les siens.
En somme, on nous offre une illusion de démocratie. C’est pourquoi, dans ces conditions, il est préférable de ne pas avoir de délégués que d’en avoir de mauvais (ceux qui se substituent au contremaître pour pousser à la production et faire la police dans l’usine).
Certains camarades ont pensé, après l’attitude répugnante des dirigeants cégétistes dans notre grève, qu’il fallait faire bloc contre eux aux élections. Certains sont même allés jusqu’à envisager favorablement la proposition de la C.F.T.C. de faire une liste d’union contre les bureaucrates de la C.G.T.
Or, il ne peut être question pour nous de faire bloc avec des organisations réactionnaires contre des organisations bureaucratisées.
Le problème n’est pas pour nous d’avoir des délégués à tout prix et d’envisager toutes les combines possibles pour faire élire nos représentants. Le problème, c’est d’imposer au patronat et au gouvernement la libre élection des délégués. Hors de cela, nos délégués ne sont que des représentants imposés bureaucratiquement.
C’est pourquoi nous devons avant tout engager la lutte pour avoir la possibilité d’élire des représentants de notre choix.
1°) Chaque ouvrier doit avoir la possibilité de présenter sa candidature sans avoir à passer par la censure d’une organisation bureaucratique ;
2°) Nous devons avoir la possibilité d’élire nos représentants par département, car il est absolument anormal que nous soyons appelés à nous prononcer sur des noms que nous ne connaissons pas et qu’on veut nous faire élire bureaucratiquement.
C’est ainsi qu’au secteur Collas, les délégués cégétistes "dans la ligne" seraient élus par les voix du restant de l’usine contre la volonté des ouvriers de ce secteur.
Pour faire échec aux manoeuvres bureaucratiques des "dirigeants" syndicaux qui veulent nous imposer leur candidature,
Pour imposer des élections démocratiques de délégués,
Vous vous abstiendrez tous au premier et deuxième tours des élections de délégués pour pouvoir présenter au troisième tour des délégués :
De votre choix,
Par département.
Pierre Bois
LOI SUR LES ELECTIONS DE DELEGUES DU PERSONNEL
Premier tour. – Les candidats sont élus à la majorité absolue des inscrits (pour 20.000 inscrits, il faut 10.001 voix).
Deuxième tour. – Les candidats sont élus à la majorité relative à condition qu’il y ait au moins la moitié de votants que d’inscrits (sur 20.000 inscrits s’il n’y a pas 10.001 suffrages exprimés, les élections sont nulles).
Troisième tour. – Les électeurs pourront voter pour des candidats autres que ceux présentés par les organisations syndicales.
LE TRAVAIL N’EST PAS LA LIBERTE
Les premiers "bienfaits" du plan Monnet se font sentir chez Renault. Pour augmenter la production selon le "plan", la semaine passe de 45 à 48 heures. A cela, la C.G.T. n’a vu aucun inconvénient. Pendant la grève, elle nous affirmait que sa prime à la production devait être basée sur la production actuelle. Seulement, pour accroître la production, on n’a rien trouvé de mieux que de nous faire faire des heures en plus. Il n’a pas été un seul instant question de machines neuves, de rationalisation de la production pour alléger notre peine. On a tout simplement cherché à augmenter la durée de notre effort : comme il est difficile d’accélérer notre cadence, on nous fait travailler trois heures de plus par semaine.
Est-ce que pour cela notre niveau de vie sera plus élevé ? Non. Au fur et à mesure que la durée de notre présence à l’usine s’accroît, notre standard de vie baisse. 45 heures, 48 heures... Sans compter que la presque totalité du salaire des "heures supplémentaires" passe dans les caisses de l’Etat (impôt cédulaire), notamment pour les P1, P2 et P3.
Ce qui est plus grave, c’est que c’est une atteinte à notre santé, car le séjour prolongé dans l’atmosphère empoisonnée de la régie ne peut que miner un peu plus notre organisme.
C’est, de plus, une atteinte à notre droit le plus élémentaire, mais aussi le plus sacré : la liberté de réunion. Il n’est pas facile de nous réunir après 9 et 10 heures de travail abrutissant. Et dans ces conditions, il nous est encore bien plus pénible de réfléchir aux moyens de défendre nos intérêts.
Et ne parlons pas des réunions sportives. Car faire une séance de culture physique après 9 heures et demie de travail à la régie devient non plus un moyen d’entretenir notre santé, mais un surmenage de plus pour notre corps.
En allongeant notre journée de travail, c’est le souci de nous abrutir, qui guide le patronat, plutôt que celui de la production.
DURIEUX.
Où en est la démocratie au département 49 ?
Mercredi 14 mai, les délégués ont tenté de m’emmener de force à la direction pour avoir diffusé un tract du Comité de grève de Collas. Devant l’hostilité des ouvriers, outrés de ces méthodes, ils sont allés voir le contremaître, puis le chef d’atelier, enfin le comité d’entreprise. N’ayant certainement pas obtenu ce qu’ils désiraient, un responsable est venu me trouver, me menaçant de me briser les reins.
Le soir, une équipe de matraqueurs m’attendaient. Mais ils se tinrent tranquilles quand ils virent que j’avais eu la précaution de me faire accompagner par des camarades.
Ces "responsables", qui sont les fervents défenseurs de la production, passent beaucoup plus de temps à discuter qu’à leur boulot.
Ils diffusent journellement des tracts et des journaux pendant le travail, et ce sont eux qui veulent, par la force, nous empêcher d’émettre nos opinions.
Il faut qu’eux-mêmes ne soient pas très convaincus de la justesse de leur position pour user de telles méthodes.
Au 49, comme ailleurs, nous saurons imposer la démocratie.
Les ouvriers sont assez grands pour juger où sont les diviseurs.
Jean BOIS
DANS L’USINE ...
Sous prétexte de mécaniser la paye, la direction a décrété qu’elle aurait lieu à dates fixes (tous les 7 et 15 par exemple), c’est-à-dire toutes les quinzaines au lieu de toutes les quatorzaines.
Le système de la paye à jours fixes (par exemple tous les deux mardis) était une conquête de 1936. De cette manière, la paye tombait au bout d’un temps toujours le même ; tandis que maintenant, sans compter le jour supplémentaire d’attente, lorsque l’arrêt des comptes tombera sur un dimanche ou un samedi, ce sera autant de jours reportés à la quinzaine suivante. Certaines quinzaines seront de dix jours, d’autres de onze ou douze jours, et le prélèvement des impôts en sera augmenté dans ce dernier cas.
Nous ne voulons pas de ces combines. Toutes les payes doivent être les mêmes et avoir lieu à jour fixe. Notre salaire n’est pas tellement grand que nous puissions attendre après.
De nombreux ouvriers du secteur 88, qui travaillaient en équipe, ont refusé de continuer et reviennent à la journée normale. "Lorsque nous faisons équipe, expliquent-ils, il faut manger le matin, à midi, à 6 heures, le soir, et ensuite, quand nous rentrons au milieu de la nuit, il faut manger encore. Il est impossible de diviser nos 250 grammes de pain en quatre. Par conséquent, nous ne faisons plus équipe".
Au département 49, les "responsables" syndicaux staliniens essaient toujours de maintenir leur "autorité" par des méthodes de gangstérisme. Deux ouvriers ont été menacés "de se voir démolir" ; étant nouveaux dans l’usine et ne sachant pas comment réagir devant de pareilles méthodes, ils ont pris leur compte.
Camarades, si de pareils faits se reproduisent, ne cédez pas à la violence, alertez vos camarades d’atelier, et, surtout, signalez le fait à La Voix.
LES TRAVAILLEURS EN LUTTE
A LYON
Aussitôt après la grève générale et la manifestation des ouvriers pour un meilleur ravitaillement, "des commissions paritaires ont siégé TARD DANS LA NUIT pour examiner la question des salaires". Chez Peugeot, augmentation de 7 à 13 francs ; chez Bronzavia, de 4 à 19 francs plus un acompte de 1.000 francs à valoir sur la prime générale de 10 francs ; au garage Thiers, 5 francs et 2 fr.50 pour les apprentis ; dans les entreprises textiles, le salaire moyen maximum sera appliqué partout où il ne l’était pas encore. Le paiement de la journée de grève générale a été accordé. "Les pourparlers continuent entre les représentants des syndicats ouvriers et des chambres patronales", les patrons "ne sont pas hostiles à l’établissement des primes de rendement dans le cadre des accords nationaux".
A L’AIR LIQUIDE, BOULOGNE
Les ouvriers refusent la prime de 3 francs qui leur a été proposée et ont voté à l’unanimité (400 voix moins 12) la continuation de la grève. Ils demandent également le paiement des heures de grève. Malgré ce vote, les responsables cégétistes organisent un nouveau vote le mardi 27 "pour ou contre la continuation de la grève".
Il faut boycotter de tels votes qui, n’ayant d’autre objet que de faire revenir les ouvriers sur leur décision, visent tout simplement à les démoraliser et à les faire capituler. Nous en savons quelque chose... A l’exemple de notre revendication, les ouvriers de la Polymécanique à Pantin, ont exigé et obtenu le paiement des heures de grève.
PROFITS ET SALAIRES ...
Les profits des capitalistes présentent des augmentations considérables.
Alors que la part des salaires dans l’industrie et le commerce a diminué depuis un an de 31 à 28 p.100, la part des capitalistes dans le revenu national a augmenté de 65 p.100. Dur avec les ouvriers, le gouvernement est tendre pour les capitalistes. C’est ainsi, qu’entre autres, l’indemnité allouée aux actionnaires de la Banque de France est portée de 28.000 à 44.500 francs.
Cependant de nouvelles hausses de prix se préparent sous prétexte de hausse des salaires. Seul un salaire minimum vital garanti par l’échelle mobile peut défendre la classe ouvrière contre les atteintes continuelles du patronat à notre pouvoir d’achat.
https://matierevolution.fr/spip.php?article2203
IL Y A UN AN ...
Il y a un an, le 25 avril, les ouvriers du secteur Collas, chez Renault, en se mettant en grève pour un "véritable minimum vital", déclenchèrent un mouvement revendicatif qui s’étendit ensuite, par étapes, à toute la classe ouvrière.
Ce mouvement rompait avec deux années et demie de soumission complète des travailleurs au bon plaisir des patrons, soutenus par toutes les tendances syndicales officielles (C.G.T. frachoniste et jouhaussiste, C.F.T.C., etc...). Et il ouvrait une nouvelle période de renaissance du mouvement ouvrier qui, malgré les revers actuels dus à la puissance encore debout des vieux bureaucrates syndicaux, n’est pas close.
Il n’est pas inutile que les lecteurs de La Voix, dont une grande partie est précisément de ceux qui ont participé à cette grève, trouvent ici un historique des événements de l’année dernière.
La grève fut préparée de longs mois à l’avance, par le travail d’un petit nombre de militants ouvriers groupés autour du journal La Lutte de classes (organe de l’Union communiste-trotskyste). La fraction Renault de ce groupe (créé pour renverser les capitalistes et instaurer la démocratie économique et politique ouvrière), appela les travailleurs à plusieurs reprises, par des tracts, à changer complètement d’orientation.
Ainsi le 7 janvier, dans un tract, elle concluait : "Ce qu’il faut faire, c’est dire à la bourgeoisie et à nos soi-disant représentants : Nous n’avons plus confiance en vous, ni en vos discours, ni en vos manoeuvres. Nous n’avons confiance qu’en une seule chose : notre action."
Le 13 février, elle commença à publier La Voix des Travailleurs de chez Renault (dont notre journal n’est que la continuation), qui proclamait : "Nous en tant qu’ouvriers, nous avons décidé de discuter, au moyen de ce bulletin, quelle est l’attitude qu’on doit avoir ; nous voulons opposer la conception de la majorité des ouvriers prise sur le vif, à ceux qui prétendent avoir le secret du "bon point de vue" et qui n’hésitent pas, pour faire triompher ce point de vue, même quand il est en contradiction avec l’opinion de la majorité des ouvriers, à employer des procédés répugnants."
Par ses tracts et par La Voix des Travailleurs de chez Renault, le groupe réussit à donner aux ouvriers confiance en eux-mêmes et à les amener à prendre en leurs propres mains la défense de leurs intérêts.
Et c’est ainsi que, le 23 avril 1947, eut lieu l’assemblée générale des ouvriers du secteur Collas qui décida la grève déclenchée le vendredi 25 avril. Elle avait pour but immédiat une augmentation de 10 francs sur le taux de base et le paiement des heures de grève.
Nous reproduisons ci-dessous le compte rendu publié à l’époque dans La Lutte de Classes nº 89 (26 avril 1947). "Le camarade" qui prit le premier la parole et dont le compte rendu devait encore taire le nom, c’est le camarade Pierre Bois.
Nous continuerons à rappeler dans les prochains numéros les principales étapes de la grève.
A 12 h30, lorsque j’arrive, le trottoir (large d’au moins 8 mètres) est encombré d’ouvriers qui sont là, par dizaines et discutent ; tandis que, par paquets, les ouvriers sortant de la cantine continuent d’affluer. Toutes les conversations roulent sur le même sujet : ce qui va se passer tout à l’heure. Et le mot de grève circule. Un tract diffusé dans la matinée, de la main à la main, nous a fait savoir que le Comité de grève, élu à l’Assemblée générale précédente par 350 ouvriers contre 8, a tenu à nous réunir afin de nous mettre au courant des démarches qu’il a effectuées auprès de la direction.
Une heure donnée doit être respectée, et à 12h 30 précises, un camarade, qui est déjà sur la fenêtre, commence à parler. Au premier rang de cet auditoire, bien plus nombreux que la fois précédente, où se retrouvent presque tous les ouvriers des deux départements faisant la "normale", soit quelque 700 ouvriers, des coups d’œil significatifs s’échangent ; les visages sont plutôt gais, quoique les esprits soient tendus. Le camarade explique brièvement, en termes clairs, l’échec de la délégation, auquel d’ailleurs on s’attendait. Et, devant l’auditoire ouvrier attentif, il démontre que l’arme gréviste reste le seul moyen permettant d’obtenir satisfaction. Au milieu des cris d’approbation qui fusent de toutes parts, il explique que la grève à venir sera une lutte des plus sérieuses qu’il faudra mener avec résolution jusqu’au bout.
"Il ne sera plus question de jouer de l’accordéon, ou de rester les bras croisés à attendre que ça tombe, mais il faudra s’organiser pour faire connaître le mouvement dans toutes les usines, faire des piquets de grève et défendre les issues de l’usine au besoin."
Répondant d’avance aux objections que pouvaient faire certains sur la perte d’argent que cela occasionnerait, et l’intervention toujours possible de la police, il indique que le paiement des journées de grève sera exigé ; quant aux "lacrymogènes" de la police, "pendant plus de six ans nous avons reçu des bombes sur la gueule et on n’a rien dit. On s’est continuellement serré la ceinture avec les sacrifices que la bourgeoisie nous a imposés pour défendre ses coffres-forts. Et aujourd’hui, nous n’aurions pas la force et le courage d’en faire au moins une infime partie pour nous ?"
Appuyant ces paroles de cris bruyants, les ouvriers marquaient leur approbation.
Passant au vote, le camarade demande aux ouvriers de se prononcer sur la grève en tant que moyen à envisager dans les délais les plus courts. Tandis que quelques voix seulement votent "contre", les ouvriers votent "pour". C’est alors que le délégué cégétiste, littéralement poussé par ses "copains" qui lui ont frayé un chemin, s’avance pour exposer son point de vue, ainsi que le camarade venait de le demander, invitant les opposants à émettre leur point de vue. Malgré le calme relatif, les ouvriers étant curieux de connaître ses objections, il ne put éviter de s’attirer la réplique d’un ouvrier :
"Tu vois, ici au moins, il y a de la démocratie".
Grimpé sur la fenêtre, parlant à voix basse et ne sachant pas trop quoi dire, le délégué entreprit d’expliquer aux ouvriers la "situation réelle en ce qui concerne les salaires". Pour son malheur, il se mit à parler d’une délégation qui était allée voir Lefaucheux (avec la demande d’établir une égalité de salaires entre les ouvriers d’ici et ceux de chez Citroën, avec effet rétroactif) que d’ailleurs ajouta-t-il, elle ne trouva pas.
Manifestement, les ouvriers vomissaient les délégations et, à peine le délégué achevait-il ses dernières paroles que sa voix était couverte d’exclamations plus ou moins significatives.
"Les délégations, on en a assez"
"Jusqu’où comptez-vous nous mener en bateau ?"
"On n’en veut plus de tes délégations, maintenant ce qu’il faut, ce sont des actes."
J’ajoute moi-même :
"Egalité avec Citroën, mais là-bas ils crèvent de faim aussi."
Abrégeant son exposé, le délégué lança un "appel au calme" et une mise en garde "contre les démagogues" fut non moins huée que les "délégations". Après quoi, il dut descendre pour céder la place à un ouvrier d’une trentaine d’années qui, grimpé sur la fenêtre, expliqua, en quelques mots, ce qu’il pensait et des délégués et des délégations :
"Camarades, depuis des mois, on nous fait attendre des augmentations qui doivent toujours arriver demain. On nous a déjà fait l’histoire en février et on nous a dit que l’absence de Lefaucheux, à l’époque, avait empêché les revendications d’aboutir. Cela a recommencé hier et, une fois de plus encore, il n’était pas là. Et les délégués sont repartis, comme avant. Cela ne peut plus durer. Jusqu’à quand allons-nous nous laisser mener ? Maintenant, ce n’est plus des parlottes qu’il faut, ce sont des actes."
Complétant dans le même sens ce que l’ouvrier venait de dire, le premier camarade parla du minimum vital qui fut mis à l’ordre du jour de la C.G.T. en novembre et qui devait être appliqué avec effet rétroactif également.
"Mais la C.G.T., dit-il, capitula sur le minimum vital et l’on ne parla plus ni du minimum vital ni de son effet rétroactif. Comment pouvons-nous croire à présent des personnes qui ont capitulé de la sorte ? Qu’est-ce qui nous prouve qu’ils ne capituleront pas de la sorte demain, avec leurs délégations ?"
Cet incident clos de la bonne manière, le camarade demande alors, pour clore la réunion, que les ouvriers manifestent par un second vote leur confiance au Comité de grève afin de l’habiliter à déclencher la grève au moment opportun.
Si la grande majorité qui accorda sa confiance au Comité de grève fut la même que précédemment, il n’en fut pas de même des "contre" qui voyaient leur nombre ramené à 8. Lorsque la majorité vota, un ouvrier qui se trouvait près du délégué lui cria à l’oreille : "Tu les vois, tous ceux qui sont pour l’action, rince-toi l’œil !"
GREVE GENERALE CHEZ RENAULT
Le Comité de grève, élu le 23 avril 1947 par l’assemblée générale des ouvriers des départements 6 et 18, se mit aussitôt à la besogne. Il lui fallait prendre toutes les dispositions nécessaires au déclenchement de la grève, ainsi que fixer la date au moment le plus favorable pour les ouvriers. Le jour choisi fut le vendredi 25 avril, aussitôt après la paye. Ce matin-là, à 6h 30, le comité donna l’ordre de grève, impatiemment attendu par tous les ouvriers. Aussitôt les piquets de grève, prévus à l’avance, entrèrent en action et les deux départements furent occupés.
Le mouvement était donc parti. Mais le plus difficile restait à faire. Personne n’avait la naïveté de croire qu’une augmentation de 10 francs sur le salaire de base et le paiement des heures de grève pouvaient être obtenus par douze cents grévistes ! Pour renverser la vapeur, pour mettre un frein à la rapacité capitaliste, il fallait, comme en juin 1936, une action gréviste de la majorité de la classe ouvrière.
Dans cette voie, un grand obstacle se dressait devant le comité de grève. La majorité des travailleurs (comme l’ont prouvé ensuite la grève générale des cheminots, la grève générale de chez Citroën, de Sochaux, du métro, et enfin les grèves de novembre-décembre) était, en effet, tout à fait disposée à recourir à l’action gréviste généralisée : mais l’appareil cégétiste, Frachon et Jouhaux en tête, allait sûrement s’opposer avec acharnement à un mouvement qui, surgi en dehors de leur contrôle, dérangeait leurs combinaisons avec le gouvernement capitaliste. Or, si chez Renault, à Collas et partiellement dans d’autres départements, le 88 par exemple, l’influence des bureaucrates avait été mise en échec par le travail de la fraction "lutte de classes", partout ailleurs il n’en était pas de même. C’est la lutte qui devait donc découvrir jusqu’à quel point les travailleurs seraient capables de s’émanciper des bureaucrates par leurs propres forces.
Le comité de grève, composé par les onze ouvriers suivants : Bois, Schwartzman, Faynsilberg, Quatrain, Delanoy, Lopez, Alvarez, Mertin, Lévêque, Vayer et Gadion, décida par conséquent d’entraîner d’abord dans la grève tous les ouvriers de chez Renault. Par un tract, il appela les ouvriers à un meeting général pour le lundi 28 avril.
Tenu place Nationale, ce meeting fut un succès complet pour le comité de grève. Une voiture-micro, amenée par les Jeunesses socialistes (qui devaient peu après rompre avec le parti de Blum), permit à ses dirigeants d’exposer les motifs et les buts de la grève aux ouvriers massés sur la place. Des représentants de certaines organisations syndicales, C.N.T., "Front Ouvrier", C.F.T.C., prirent aussi la parole pour exprimer la sympathie de leurs organisations pour la grève.
Les dirigeants cégétistes n’osèrent même pas se montrer. Ils avaient convoqué "leur" meeting dans la soirée et, après avoir parlé sous les huées d’une grande partie de l’assistance, se défilèrent quand les dirigeants du comité de grève demandèrent la parole.
Mais il ne suffisait pas de discours pour que le mouvement s’étendit effectivement dans tous les départements. Les discours peuvent tout au plus donner à la masse une conscience plus claire des buts qu’elle veut atteindre. Ce sont les ouvriers de chez Collas qui, après le meeting, réussirent à élargir le mouvement ; ils allèrent directement dans les ateliers et les firent débrayer. Et, au soir, dix à douze mille ouvriers avaient arrêté le travail.
Dès lors, la généralisation de la grève n’était plus qu’une question d’heures. C’est pourquoi les dirigeants cégétistes tentèrent une dernière "manœuvre", avant de recourir à "d’autres moyens". Le mardi 29 avril, ils appellent les ouvriers de chez Renault à se mettre en grève... POUR UNE HEURE, pour appuyer leurs "revendications" auprès de la direction. Ils espéraient qu’après une telle "action", les ouvriers reprendraient sagement le joug de la direction syndicale.
Les 30.000 ouvriers et employés de l’usine suivirent l’appel de la C.G.T., mais refusèrent de reprendre le travail ensuite. Si la grève était nécessaire, si la C.G.T. elle-même y avait été contrainte, c’est le comité de grève qui avait raison : non pas une pitrerie symbolique, mais grève jusqu’à complète satisfaction.
Devant ce résultat tout à fait inattendu par eux, les dirigeants cégétistes décidèrent de recourir à "d’autres moyens". Deux jours plus tard, Thorez devait parader à l’occasion du 1er mai et une grève d’une telle envergure déclenchée contre sa volonté, mettait en danger non seulement son prestige, mais aussi sa place au gouvernement.
Le mercredi 30 avril, ils firent irruption dans l’usine et les troupes de choc staliniennes eurent vite fait de chasser les faibles piquets de grève que certains ouvriers avaient constitués dans les départements. Mais ils n’osèrent pas s’attaquer à Collas, car il y avait là 1.200 ouvriers décidés, enthousiastes, qui se savaient bien dirigés et étaient par conséquent prêts à se défendre contre toute attaque. Dans l’après-midi, à un meeting dans l’île, Hénaff exhorte ainsi ses gardes du corps contre les ouvriers qui veulent prendre la parole : "MAIS TIREZ DONC !"
D’autre part, vis-à-vis de l’extérieur, pour cacher le véritable rôle qu’elle joue, la C.G.T. adopte officiellement la grève et ses revendications. Pour mieux les enterrer, comme on le verra par la suite. Mais "par d’autres moyens", c’est-à-dire par la violence, les staliniens enregistrent leur premier succès. En installant aux portes des départements leurs hommes de main baptisés "piquets de grève", ils isolent la masse des ouvriers de chez Renault du comité de grève. Dans ces conditions, l’essai d’élargir le comité de grève par des représentants d’autres départements ne donne aucun résultat positif, car les ouvriers qui en viennent représentent leur propre bonne volonté, mais n’ont pas d’appui sérieux parmi leurs camarades d’atelier.
Le même sort attendait les ouvriers de Collas, qui essayèrent de débaucher les ouvriers de chez Citroën, et les militants ouvriers (Jeunesses socialistes, parti communiste internationaliste, etc...), qui s’employèrent à diffuser, dans le cortège du 1er mai le tract du comité de grève adressé à toute la métallurgie. A noter que ce tract fut imprimé à 100.000 exemplaires gratuitement par les typographes de la rue Réaumur (S.N.E.P.). Des secours en argent commençaient par ailleurs à arriver au département 6. Quelques grèves, comme celle des camions Bernard, éclataient ça et là. Mais les grandes "boîtes", sous la pression stalinienne et malgré une grande effervescence, ne bougèrent pas.
Cependant, le lendemain, vendredi 2 mai, chez Renault, les ouvriers tiennent bon. En dépit des pressions et de la manœuvre cégétiste consistant à "reprendre" les revendications du comité de grève. Les bonzes syndicaux voulaient faire reprendre le travail avec 3 francs de "prime au rendement" et promettaient d’obtenir les 10 francs, toujours sur la base d’un rendement accru, par des négociations ultérieures avec M. Lefaucheux. Par 11.354 voix contre 8.015 et 1.009 annulées, les travailleurs de la régie refusèrent de capituler.
Ainsi se termine la première semaine de grève, qui révèle pleinement la force et la faiblesse du mouvement. Sa force, c’est la volonté de tous les ouvriers de reprendre leurs traditions de lutte, d’en finir avec la collaboration de classe. Sa faiblesse, c’est le manque d’une organisation véritablement ouvrière. De ce fait, les ouvriers sont sans défense devant l’action répressive de l’appareil bureaucratique cégétiste, aussi bien dans la majeure partie des usines Renault que dans les autres usines. Tandis que le comité de grève voit ainsi diminuer considérablement ses chances de déclencher un mouvement général comme en juin 1936, les dirigeants cégétistes peuvent maintenant, après avoir circonscrit la grève à l’intérieur de Renault, tenter d’y mettre fin par un nouveau vote. Ils y réussiront une semaine après, le 9 mai.
L’histoire de cette deuxième semaine de grève fera l’objet du prochain article.
Fait digne de remarque, la grande presse capitaliste qui, avant la généralisation du mouvement, avait accordé ses "faveurs" au comité de grève, se ravise aussitôt. Ces messieurs avaient essayé de jouer au plus fin, escomptant que d’un côté ils allaient discréditer la C.G.T., dont la collaboration était payée par des postes ministériels à Thorez et Cie, et que de l’autre côté le comité de grève serait impuissant à mener une véritable lutte. Mais le comité de grève avait porté un coup décisif à la politique de soumission des ouvriers au patronat. Son mouvement allait avoir les répercussions les plus profondes sur toute la vie politique, économique et sociale de la France. Ces messieurs les journalistes capitalistes se hâtèrent donc de suivre le conseil que Duclos leur avait donné à la Chambre : "il fallait jeter des pelletées de sable sur l’incendie au lieu de l’attiser !" Et, à partir du moment où la grève devient générale chez Renault, C.G.T., gouvernement et capitalistes marchent, par une savante division du travail, la main dans la main contre les ouvriers.
Mai 1947, grève générale chez Renault
LES MINISTRES P.C.F. CONTRAINTS DE DEMISSIONNER
Comme nous l’avons fait remarquer dans notre précédent article, du fait que la C.G.T., par des manœuvres et par la violence, avait réussi à isoler le secteur Collas et l’usine Renault du reste de la métallurgie, le vote du vendredi 2 mai, en faveur de la continuation de la grève (11.354 contre 8.015) n’amènera aucun changement notable pendant la deuxième semaine. La section syndicale Renault, la C.G.T. et le P.C.F. n’auront qu’à continuer le double jeu commencé dans la première semaine pour arriver à leurs fins : étrangler un mouvement qui est non seulement un désaveu cinglant du soutien total qu’ils avaient apporté au blocage des salaires au profit des capitalistes, mais aussi une révolte ouverte contre leur emprise bureaucratique.
Tout ce beau monde qui, au déclenchement de la grève, avait crié à la "provocation", devient, en paroles, le défenseur de la grève Renault et de ses revendications. Mais, dans la pratique, il en est tout autrement.
Dans l’usine même, la section syndicale travaille en-dessous pour amener les ouvriers par un nouveau vote, à accepter, de guerre lasse, les propositions de M. Lefaucheux, repoussées le 2 mai. Ces propositions sont les suivantes :
1º prime horaire de production de 3 frs. ;
2º paiement des bons coulés au salaire de base ;
3º paiement des heures perdues ;
4º révision des temps insuffisants ;
5º commission de révision des chronos.
La section syndicale promet que l’union des métaux fera aboutir les 10 francs par des négociations ultérieures... Il n’est même pas question du paiement des heures de grève, deuxième revendication des grévistes !
Pour sa part, pour effrayer les ouvriers des autres usines tentés de se mettre en grève en même temps que ceux de chez Renault, la direction de la C.G.T. se rallie aux "arguments" de M. Ramadier, premier ministre, et prétend avec lui qu’"une revalorisation générale des salaires provoquerait une hausse des prix". Or, les 10 francs réclamés par les travailleurs de chez Renault ne peuvent être obtenus que précisément dans le cadre d’une "augmentation générale".
Le comité de grève ne laisse pas ce mensonge sans riposte et réplique dans un tract (6 mai) : "Ce sont les dépenses ruineuses de l’Etat qui provoquent l’inflation (hausse des prix). M. Ramadier, qui fait fonctionner la planche à billets pour couvrir en partie ces dépenses, veut en même temps en rendre responsable la classe ouvrière. La classe ouvrière, voilà l’ennemi pour ceux qui parlent au nom des capitalistes. La classe ouvrière doit non seulement supporter tous les sacrifices qu’on lui impose au nom de promesses non tenues ; mais dès qu’elle réclame les choses les plus indispensables pour vivre, on l’accuse, par-dessus le marché, de tous les maux qui sont la conséquence du fait que l’économie est dirigée par une poignée de capitalistes parasites. NOUS VOULONS LA HAUSSE DES SALAIRES PAR RAPPORT AUX PROFITS CAPITALISTES", concluait justement le tract du comité de grève, mais il est diffusé seulement chez Renault...
A la Chambre, le 3 mai, après certains discours de députés staliniens de second plan sur la "solidarité avec les justes (mais sans dire lesquelles !) revendications des ouvriers", Duclos, au nom du groupe, déclare à Ramadier : "Nous sommes pour la stabilité du franc... Nous vous aiderons quelle que soit la conclusion politique de ce débat". Il avait du reste déjà déclaré aux journalistes américains : "La grève générale est une idiotie !"
Dans ces conditions, les efforts réunis du gouvernement, de la Chambre, du P.C.F.. et de la C.G.T. ont provisoirement raison de la combativité ouvrière. Le vendredi 9 mai, une majorité de 12.075 ouvriers et employés, contre 6.886, se prononce pour la reprise du travail chez Renault.
Mais Collas n’a pas encore dit son dernier mot. Il le montrera le lundi 12 mai, quand les ouvriers de ce secteur resteront seuls en grève en réclamant le paiement des heures de grève.
Cependant, le vote du 2 mai eut des conséquences importantes sur le plan gouvernemental. Les ministres P.C.F., qui jusqu’alors avaient cru les ouvriers résignés à leur politique de trahison, réalisèrent brusquement qu’il n’en était rien... Ils avaient dit aux ouvriers qu’on ne revendiquait pas dans un pays ruiné par la guerre et n’avaient pas toléré que ceux-ci se mettent en grève, alors que tous les gouvernements auxquels ils avaient participé – de De Gaulle à Ramadier – toléraient et organisaient le pillage de l’effort ouvrier par une poignée de parasites capitalistes. Et, en fait, quand la production eût atteint son niveau de 1938, les salaires étaient tombés plus bas que sous l’occupation !
L’explosion de chez Renault, en démontrant que la C.G.T. ne réussirait pas à endiguer indéfiniment la révolte de la classe ouvrière contre leur politique de trahison, pose au P.C.F. le dilemme suivant : continuer à partager officiellement la responsabilité du blocage des salaires en conservant les postes ministériels et entrer partout en lutte ouverte avec les ouvriers, ou bien résigner leurs postes ministériels en attendant que l’orage se passe.
Les ministres P.C.F. se décident pour une "opposition loyale". Comme l’avait prévu le journal La Lutte de classes, le 14 février 1946, la grève générale qui s’annonçait, les oblige "à se mettre temporairement du côté de la classe ouvrière pour ne pas se couper des masses et pour endiguer leur mouvement". C’est ce à quoi le P.C.F. et la C.G.T. vont s’employer avec zèle les mois suivants.
Nous parlerons de la troisième semaine de grève et des enseignements généraux du conflit dans le prochain et dernier article.
12 MAI 1947 : LE SECTEUR COLLAS
PROLONGE LA GREVE GENERALE CHEZ RENAULT
Le lundi 12 mai, les ouvriers des départements 6 et 18 montrèrent qu’ils n’avaient pas dit leur dernier mot. A une très forte majorité, ils décident, même seuls, de continuer la lutte.
Bien entendu, il ne peut plus être question d’obtenir "les 10 francs" ; mais ils réclament le paiement des heures de grève, leur deuxième revendication, que la C.G.T. avait complètement passé sous silence. "Sans paiement des heures de grève, explique le tract du comité de grève, le 13 mai, le droit légalement reconnu à la grève ne sera que le droit de se laisser mourir de faim".
En présence d’une volonté de lutte aussi ferme, M. Lefaucheux se décide à recevoir les dirigeants du comité de grève et de faire appel à leur "civisme". (Plus tard, il niera le fait, car il avait pris la précaution de les faire accompagner par les délégués cégétistes encore en fonction, bien qu’ils ne représentent plus personne). Il n’avait jusqu’alors essayé que des contacts "clandestins", dans le but de les corrompre.
L’entrevue reste infructueuse et finit sur ce court dialogue :
M. LEFAUCHEUX. – Ce serait "couler" la Régie que de payer les heures de grève !
P. BOIS. – Vous préférez "couler" les ouvriers qui n’arrivent pas à se nourrir ! Vous avez cependant pu payer les 30 % d’augmentation au trust de la sidérurgie ?
M. LEFAUCHEUX. – C’était une hausse autorisée par le gouvernement. Ils ont présenté la note, il fallait bien payer !
P. BOIS. – Maintenant, ce sont les ouvriers qui présentent la note et il faudra également payer ! Vous trouverez bien l’autorisation du gouvernement !
Effectivement, il ne restait rien d’autre à faire à M. Lefaucheux que "d’obtenir" le consentement de M. le ministre du Travail, le "socialiste" Daniel Mayer. Celui-ci, qui pendant la grève générale avait refusé de reconnaître le comité de grève, expression de la volonté de la majorité des ouvriers de l’usine, se lamente maintenant publiquement sur l’"inconséquence" démocratique que commet le comité de grève en continuant la lutte après le vote du 9 mai ! Il avait compté sur la section cégétiste pour étouffer complètement le mouvement, mais les dirigeants cégétistes, impuissants, font eux-mêmes appel au gouvernement et sa police contre les "250 (sic !) énervés" du secteur Collas !
Car la majorité des ouvriers de chez Renault n’avait voté qu’à contre-cœur la reprise du travail. Ils se rendent compte que cette décision, due à la trahison des dirigeants cégétistes et du P.C.F. réduit à néant leur lutte de deux semaines et ils sont indécis. Partout, dans tous les départements, dans tous les ateliers, tantôt une minorité, tantôt une majorité, continue à ne pas travailler. D’autant plus que la continuation de la grève au secteur Collas paralyse, par manque de pièces, le travail de toute l’usine. Et, n’étant pas en grève officiellement, ces travailleurs ne perdront pas leur salaire. Toute leur sympathie va donc au secteur Collas, dont la réussite serait une victoire pour tous.
Le jeudi 15, au soir, MM. Mayer et Lefaucheux capitulent devant les "énervés". Tous les travailleurs de la Régie recevront 1.600 francs "d’indemnité de reprise du travail". Mais personne n’est dupe de la formule de M. le ministre. Bien que la somme ne représente que le paiement d’une semaine de grève, l’essentiel est acquis : la reconnaissance officielle que le paiement des heures de grève est un droit pour les ouvriers. Et toutes les grèves ultérieures surgies de la base poseront invariablement cette revendication. Le Monde (16 mai), organe officieux des 200 familles, reconnaît la défaite de la direction et de la C.G.T. "Les accords intervenus (mettant fin à la grève) se payent de concessions assez lourdes".
Sur cette base, le vendredi 16 mai, après trois semaines de grève jour pour jour, les travailleurs du secteur Collas décident à leur tour de reprendre le travail.
Ainsi prend fin la grève des 30.000 ouvriers des usines Renault. Mais, tel Samson ébranlant les colonnes du temple, elle avait déjà complètement bouleversé la situation politique et sociale de la France.
A QUOI ONT SERVI LES GREVES ?
En se posant la question : A quoi ont servi toutes ces grèves de l’année dernière ? la plupart des ouvriers ne manquent pas de se dire : à rien, sinon de nous avoir enfoncé un peu plus ; notre pouvoir d’achat est maintenant bien plus faible qu’en avril 1947. C’est en somme, exactement ce que la propagande capitaliste de la "grande presse" n’a cessé de leur répéter.
Mais, si simple que cela paraisse, rien n’est plus éloigné de la vérité. Que les ouvriers aient fait ou pas grève, leur pouvoir d’achat a constamment baissé dès avant-guerre ; et si avec la guerre cette baisse a pris des proportions catastrophiques, l’après-guerre, en dépit du relèvement de la production a vu se poursuivre le même processus.
Il y a à cela deux causes principales. D’un côté, les dépenses croissantes de l’Etat capitaliste qui, pour rejeter le fardeau des armements sur les travailleurs, l’impôt n’y suffisant plus, a eu recours à l’impôt, ensuite à l’inflation, c’est-à-dire l’émission illimitée. De l’autre côté, la concurrence capitaliste internationale, de plus en plus âpre, qui a déterminé les monopoleurs français, pour lutter contre leurs rivaux internationaux à abaisser au maximum le prix de revient. Ils l’ont fait à la manière capitaliste, entièrement sur le dos des ouvriers : diminution relative des salaires par la hausse des prix intérieurs tout en exigeant un rendement sans cesse accru. Rien de plus éloquent, à ce point de vue, que le chiffre donné par la Régie Renault concernant l’accroissement du rendement depuis 1945 : 15 ouvriers par mois pour fabriquer une voiture, actuellement 6 seulement !
Avant, pendant et après le mouvement gréviste de mai-décembre 1947, l’Etat et le patronat ont mené une seule et même politique, à savoir réduire les travailleurs à l’état de parias ; le mouvement n’a été que la conséquence de cette politique.
La réponse correcte à la question "A quoi ont servi les grèves ?" n’est pas, comme le fait la presse réactionnaire, de rendre celles-ci responsables de la situation actuelle, mais de reconnaître qu’elles n’ont réussi ni à arrêter, ni même à freiner l’exploitation dont les travailleurs sont victimes. Bien que tous les mouvements aient réussi à arracher des concessions au moins partielles et même, comme dans le cas de la grève générale des cheminots au mois de juin, de très importantes concessions, les capitalistes ont toujours repris d’une main ce qu’ils ont été obligés de lâcher de l’autre. Par la hausse des prix et par des lois fiscales scélérates (lois Schumann), le patronat a regagné, et au-delà, tout ce que les ouvriers lui ont arraché par la lutte gréviste. Et il ne peut en être autrement tant que tous les leviers de commande économiques et politiques restent entre ses mains. Cela s’est produit même après juin 1936, quand la classe ouvrière, en menant un combat uni a gagné sur toute la ligne, mais que les organisations syndicales n’ont rien fait pour obtenir la garantie de ces revendications.
C’est pour éviter cela que le comité de grève Renault (tract du 30 avril) demandait L’ECHELLE MOBILE, c’est-à-dire l’adaptation automatique des salaires à l’indice des prix, ce qui, en cas de victoire, ouvrait la voie au CONTROLE OUVRIER sur les affaires des capitalistes. Mais le comité de grève n’eut pas les forces nécessaires pour aller jusqu’au bout. La lutte s’est donc menée sur le seul terrain de l’augmentation des salaires, revendication qui (bien qu’élémentaire dans toute grève) est absolument insuffisante dans les conditions actuelles du capitalisme, pour assurer une victoire tant soit peu durable.
Mais même n’ayant pu atteindre leur but – faute d’une organisation véritablement ouvrière – les luttes grévistes de mai-décembre 1947 ont-elles été inutiles ?
Il serait aussi faux de le croire. Ce que la bourgeoisie poursuit en appauvrissant les travailleurs, c’est non seulement essayer de "tenir" des marchés internationaux, mais aussi de rendre les ouvriers moralement incapables de réagir à aucune de ses entreprises, pour finalement les soumettre à la dictature militaire.
Or, dans les luttes grévistes de mai-décembre 1947 (et malgré l’échec de cette dernière provoqué par la direction de la C.G.T.), les travailleurs ont sauvegardé et renforcé leur capacité de combat. Ils ont évité la déchéance morale : Face au patronat les ouvriers se sont dressés comme une classe décidée à se défendre contre la rapacité capitaliste !
Un autre résultat décisif de ces grèves a été de mettre fin à l’emprise totalitaire des bonzes staliniens de la C.G.T. sur le mouvement ouvrier. Bien que, faute de cadres véritablement prolétariens, une nouvelle centrale syndicale démocratique n’ait pas été créée, il existe maintenant beaucoup plus de possibilités de s’organiser librement à la base qu’avant mai 1947.
En fait, même battues, les grèves d’une certaine envergure ne peuvent en aucun cas faire empirer la situation de la classe ouvrière. Ecoles élémentaires de résistance au patronat, de solidarité et de démocratie ouvrières, elles sont presque toujours, quels que soient les résultats immédiats, le seul moyen de progrès ultérieurs. Car de même que l’enfant n’apprend à marcher qu’en tombant, la classe ouvrière, classe exploitée et opprimée, ne peut qu’après d’innombrables échecs remporter le succès.
A. MATHIEU.
NI DU NEUF, NI DU RAISONNABLE !
En réclamant un gouvernement d’union démocratique, la résolution finale du comité central du P.C.F., qui vient de se tenir les 15 et 16 avril, à Gennevilliers, confirme qu’en politique non plus l’on ne saurait rester assis entre deux chaises.
Tel est bien le cas du parti stalinien en France. Ce fut uniquement la peur d’être débordés par les trotskystes qui obligea les ministres staliniens à donner leur démission, quand la grève Renault d’avril 1947 révéla que les ouvriers en avaient assez de la misérable politique du produire d’abord, revendiquer ensuite, grâce à laquelle Thorez était arrivé à la charge de "ministre d’Etat". Phraséologie "révolutionnaire" sans révolution, verbiage revendicatif sans aucune véritable lutte pour les salaires, tantôt en brisant les luttes commencées par d’autres, tantôt en lançant dans des combats décisifs seulement la minorité des travailleurs (grève de novembre-décembre), tout cela n’avait qu’un but de la part des dirigeants du P.C.F. : reprendre leurs troupes en main, lasser la classe ouvrière qui avait osé troubler leur quiétude ministérielle !
N’étant partis que pour empêcher les travailleurs de trouver une voie nouvelle, la lutte véritable, côte à côte, avec les ouvriers du rang, leur fait l’effet de strapontins ; après avoir réussi en grande partie leur travail de démoralisation, les chefs staliniens ne pouvaient donc que briguer à nouveau quelques misérables fauteuils ministériels.
Car gouvernement d’union démocratique, c’est cela et rien de plus. Ennemi de l’action indépendante des travailleurs, craignant comme la peste la révolution socialiste, inséparable d’une véritable démocratie ouvrière, que reste-t-il à Thorez pour étayer ses prétentions gouvernementales, sinon l’arithmétique parlementaire ?
Or celle-ci le pousse, encore et à nouveau, dans les bras des Blum, des Bidault et autres "démocrates" ; c’est pourquoi, encore et à nouveau, il tend la main ; mais, comme l’a fait remarquer un journaliste, tel un dieu hindou, il en tend d’innombrables ! Dans tous les sens, même opposés, ajouterons-nous : au catholique-ouvrier et au catholique-prêtre, au démocrate-ouvrier et au démocrate-politicien, au résistant-ouvrier et au résistant-patron ; en un mot, aux exploités en même temps qu’aux exploiteurs. Mais, si l’on tend la main au patronat sous prétexte de démocratie, de résistance et d’anti-américanisme, c’en est fait de la lutte pour un véritable minimum vital, pour l’adaptation des salaires au coût de la vie en réduisant les profits des capitalistes et pour le contrôle sur les livres de comptes des requins de la finance et l’industrie ; car on ne peut pas, en même temps, s’unir et s’attaquer à quelqu’un !
De son côté, De Gaulle se livre au même jeu. Seulement, dans son jargon, la politique de la main tendue prend nom de j’en appelle à tous. Il a, lui aussi, besoin, le pauvre homme, des Schuman, des Herriot, des Daladier, des Blum et autres parlementaires du même calibre, pour "sauver la France", c’est-à-dire revenir au gouvernement. Le fait qu’il réclame de nouvelles élections ne change rien à l’affaire : s’unir au Parlement ou s’unir pour des élections parlementaires n’est qu’une seule et même opération.
Ainsi, grâce à Thorez et grâce à De Gaulle, le ramassis de politiciens qui a dirigé les destinées de la Troisième République et qui a survécu à toutes ses catastrophes reste l’arbitre de la situation politique et le maître du destin de la France, sous le nom de Troisième Force. Vieille et grimée, elle ne doit, en réalité, son existence qu’à un équilibre instable entre les forces de De Gaulle et celles de Thorez et leurs ambitions gouvernementales.
Tous ces gens, réunis, prétendaient cependant, il y a quelque trois ans, faire ensemble du neuf et du raisonnable. Mais il n’y a rien de raisonnable dans le fait que le peuple français, débarrassé du règne sanglant de Pétain et de Hitler, ait été obligé d’en revenir au vieux système pourri de la Troisième République (qui avait précisément engendré le pétainisme) et de se mettre sous la coupe des banquiers de New-York.
Est-il étonnant que rien de neuf non plus n’ait été fait ?
LA VOIX DES TRAVAILLEURS.
LA CLASSE OUVRIERE SE DEFEND,
MAIS SES ORGANISATIONS BUREAUCRATISEES NE LA DEFENDENT PAS
Le patronat ne connaît pas de trêve dans la lutte de classe qu’il impose constamment à la classe ouvrière. Quand celle-ci arrache une victoire, il essaie de reprendre de la main gauche ce qu’il a été obligé de lâcher de la droite. Quand elle subit un échec, il en profite aussitôt pour pousser plus loin ses "avantages". C’est ce qui se produit depuis le mois de décembre : partout les capitalistes s’attaquent à la dignité et aux libertés des ouvriers, à leurs conditions de travail pour les rendre plus pénibles, à leurs salaires pour les ramener plus bas (dans maints endroits les ouvriers ont été ramenés, par divers procédés, aux salaires d’avant novembre).
Si dans un endroit et dans l’autre les ouvriers répondent par des grèves partielles à l’augmentation de la cadence, aux licenciements massifs ou au renvoi de responsables syndicaux, c’est là la preuve que, s’ils ont été trahis dans leurs luttes par les dirigeants bureaucratisés, ils n’acceptent pas encore de se soumettre au patronat.
"La classe ouvrière se défend", s’écrie triomphalement Frachon dans L’Humanité du 17 avril.
Oui la classe ouvrière se défend ! Mais la classe ouvrière se défend aujourd’hui non pas en attaquant le patronat comme elle l’avait fait, en mai dernier, en posant ses propres revendications pour un niveau de vie plus digne. La trahison, par les Frachon et Cie, de la lutte gréviste commencée au mois de mai de l’année dernière, a réduit la classe ouvrière à se défendre péniblement pour parer les coups que veut encore lui porter le patronat. Elle se défend, mais la confiance dans sa force, son union, ses mots d’ordre et ses dirigeants lui manque, pour pouvoir aller courageusement de l’avant. Est-ce cela la victoire des Frachon ?
Quand la classe ouvrière a réellement voulu se défendre, ses dirigeants bureaucratiques l’en ont empêchée. Si, aujourd’hui que la situation de la classe ouvrière a empiré, les Frachon crient victoire, c’est parce qu’ils sont restés les mêmes qu’il y a un an, étrangers aux intérêts des travailleurs, sabotant leurs luttes et criant victoire quand, après avoir réussi à les briser, ils peuvent plus facilement s’emparer des leviers de commande. Les ouvriers sont pour eux ce que sont, sur le champs de bataille, les soldats pour les généraux, un prétexte pour crier victoire.
Oui, la classe ouvrière se défend, mais les organisations bureaucratisées ne la défendent pas !
En mai dernier, pour s’unir et attaquer le patronat, les ouvriers avaient rejeté les dirigeants traîtres ; Quand ils seront à nouveau capables de le faire, ils pourront vraiment défendre leurs libertés et leurs conditions d’existence.
A la R.N.U.R. OU VEULENT EN VENIR LES DIRIGEANTS CEGETISTES ?
Les raisons de faire grève, chez Renault comme partout, ne manquent pas. En premier lieu, le problème du salaire lui-même : la direction a si bien jonglé avec les textes gouvernementaux, que pour la première fois depuis la mise en Régie, les ouvriers se trouvent payés à un taux de base inférieur au minimum légal de leur catégorie.
Mais, s’il n’est nul besoin de "fomenter" des grèves pour que les ouvriers y recourent, comme en ce moment, pour riposter aux attaques de la direction visant l’augmentation des cadences et la diminution des salaires, la façon dont elles sont conduites amène la question : où veulent en venir les dirigeants cégétistes avec leurs grèves, tantôt pour un motif, tantôt pour un autre, sans aucune liaison, ni aucune coordination ?
Tout d’abord, pour savoir que tel département de chez Renault est en grève, il faut lire les quotidiens, et, spécialement L’Humanité qui n’enregistre tous les jours que "victoires". Car dans l’usine, ni tracts ni réunions, même les ouvriers en grève ignorent les revendications qui sont présentées à la direction.
A la 4cv, ainsi qu’aux presses de la tôlerie, les ouvriers ont obtenu satisfaction. Leur salaire était tellement anormal et inférieur au reste de l’usine (62 et même 59 frs. pour un OS à la tôlerie), que la direction a dû céder, bien que même maintenant les ouvriers soient payés à un tarif inférieur aux autres secteurs.
Au Dép.95, par contre, les ouvriers ont fait grève pour revendiquer que la perte de salaire résultant de la suppression de 4 heures supplémentaires soit compensée par une augmentation du salaire horaire. Accorder cette revendication, c’était pour la direction admettre le principe d’une limitation de la journée de travail pour un même salaire. Elle a refusé. Et les délégués se sont inclinés, en déclarant que la direction voulait pousser à une grève générale pour pouvoir se débarrasser des délégués, et qu’il fallait cesser la grève pour ne pas faire son jeu.
Dans leur presse, les dirigeants cégétistes affirment que les ouvriers luttent, en même temps que pour des revendications particulières, pour l’augmentation générale des salaires, qu’ils chiffrent à 36% (équivalant à l’augmentation de décembre non accordée par la direction).
Pourquoi, dans aucun des mouvements qui ont lieu, ne posent-ils la revendication des 36 %, qu’ils "défendent" dans leurs journaux ?
Pourquoi ne posent-ils pas la revendication du paiement des heures de grève et répondent-ils aux ouvriers qui la réclament qu’on peut aussi bien s’arranger avec les collectes faites dans l’usine ?
Pourquoi ne posent-ils aucune revendication qui attaque le système de rémunération au rendement, cause de tous les conflits actuels ?
Pourquoi le Comité d’entreprise ne prend-il ses responsabilités pour publier les chiffres que les ouvriers auraient intérêt à connaître, tels que le détail des frais généraux, les sommes investies dans l’achat de nouvelles machines, alors que les revendications des ouvriers ne sont pas satisfaites, les appointements de la haute maîtrise (Grillot, Lefaucheux, etc...), la part versée aux concessionnaires pour la vente des voitures, et, enfin, la part des obligataires dont le seul travail est d’encaisser les bénéfices ?...
C’est que les responsables cégétistes ne recherchent pas la satisfaction des revendications ouvrières, mais uniquement un bilan de "victoires". Et il est d’autant plus facile d’obtenir la victoire, qu’on n’a rien demandé.
Mais l’attitude qu’ils prennent, aujourd’hui, d’entretenir une agitation dans l’unique but de prouver leur "emprise sur les masses" et obtenir leur retour au gouvernement, n’est pas faite pour redonner aux travailleurs la confiance en eux-mêmes, diminuée par l’attitude anti-ouvrière des dirigeants cégétistes dans les grèves de l’année dernière.
C’est pourquoi, comme le dit le dernier tract du S.D.R., aux attaques patronales, les ouvriers doivent répondre en élaborant eux-mêmes leurs revendications, en définissant eux-mêmes les moyens de les faire aboutir.
Ils ne laisseront pas la responsabilité de leurs luttes à des chefs sans scrupules qui veulent spéculer sur leur action pour se hisser à nouveau dans le repaire de brigands qu’est le gouvernement, au lieu de faire aboutir les revendications.
P. BOIS
https://www.marxists.org/francais/barta/1948/04/VDT43_042148.htm
QUI L’EMPORTERA ?
Le dernier vote (du vendredi 9 mai), par lequel la direction cégétiste stalinienne a réussi à arrêter la grève générale Renault, consacre-t-il la victoire de cette direction ?
Ce n’est pas par un vote que la grève générale avait éclaté, douze jours auparavant ; c’est un secteur de l’usine comprenant environ 1.500 ouvriers qui, débarrassé des saboteurs "syndicaux" officiels par une lutte intérieure qui durait depuis de longs mois, a entraîné dans l’action toute l’usine.
C’est par une lutte ouverte avec la direction syndicale dans le reste de l’usine que les grévistes du secteur Collas ont conquis l’adhésion des travailleurs de chez Renault. Quelle est l’histoire de cette lutte ? La voici brièvement.
Les 1.500 ouvriers du secteur Collas, en grève le vendredi 25 avril pour une revendication intéressant toute la classe ouvrière, convoquent un meeting général le lundi 28 avril, à la suite duquel, en parcourant les différents ateliers des usines, ils réussissent à faire débrayer un peu partout. Mais c’est seulement environ 12.000 ouvriers des différents départements qui restent en grève. Dans le reste de l’usine (qui compte environ 30.000 personnes), les responsables cégétistes font reprendre le travail aux ouvriers qui, malgré leur mécontentement, sont intimidés par la pression de ces jaunes.
Mais le lendemain mardi, la direction syndicale se sent débordée : pour essayer de reprendre tout le mouvement en mains et de le contrôler, elle utilise une première "manœuvre" en appelant elle-même à la grève générale... d’une heure, pour soi-disant appuyer ses propres négociations avec la direction. Mais une fois en grève, les travailleurs de toute l’usine y restent, refusent de limiter le mouvement à une heure et suivent le secteur Collas et dans la grève et dans ses revendications.
Mais c’était là tout ce que les travailleurs pouvaient faire. Privés, dans presque tous les départements, d’éléments éduqués capables de tenir tête localement à la pression des bureaucrates petits et grands aux ordres des bonzes syndicaux, ils ne peuvent aller de l’avant. Ils sont en grève contre la volonté des dirigeants cégétistes, et c’est à ces derniers que revient, dans beaucoup de secteurs, la direction d’un mouvement dont ils ne veulent pas. C’est là que commencent les "victoires" de la C.G.T.
Sa première victoire ? Mercredi, dans l’après-midi, ils lancent des groupes d’assaut dans l’usine pour intimider les ouvriers, balayer les piquets de grève, disperser l’organisation propre des grévistes qui s’apprêtaient pour le lendemain, 1er mai. Il leur fallait à tout prix empêcher que les autres travailleurs sachent que la grève Renault et ses buts avaient surgi en dehors des ;dirigeants syndicaux ; et malgré leur opposition.
Vis-à-vis du reste de la classe ouvrière, les chefs cégétistes s’efforcent, en effet, de faire croire que ce sont eux qui conduisent le mouvement, que ce sont eux qui revendiquent les 10 francs, etc. Ils réussissent à empêcher les grévistes de manifester le 1er Mai ; mais cette première "victoire" est la première grande défaite de la direction cégétiste dans le secteur le plus important de la classe ouvrière, les usines Renault. Il ne s’agit plus cette fois-ci d’actes de violence contre des vendeurs de journaux qu’on accuse de n’importe quoi ; les travailleurs les ont vus à l’œuvre contre eux-mêmes.
Ils essayent ensuite, le vendredi 2 mai, de consulter "démocratiquement" les ouvriers pour savoir s’ils veulent reprendre le travail avec 3 francs de prime (même pas encore acquise), alors que toute l’usine s’était mise en grève pour les 10 francs sur le taux de base.
Or, le vote du vendredi 2 mai consacre le rapport de forces tel qu’il était apparu dans l’action gréviste du lundi, quand environ 12.000 ouvriers étaient en grève avant l’ordre officiel de la C.G.T. (le vote donne plus de 11.000 pour la grève, 8.000 contre).
La grève entre ainsi dans sa deuxième semaine. Son sort se joue maintenant en dehors de l’usine. Les revendications des grévistes ne peuvent aboutir que par une lutte de l’ensemble de la classe ouvrière, comme en juin 1936, et il faut à tout prix obtenir l’adhésion des autres usines de la région parisienne.
Là encore les staliniens recourent aux mêmes procédés, empêchent les délégués des grévistes de diffuser leur tract devant Citroën, etc. La grève Renault, malgré les mouvements de grève qui éclatent en province et dans certaines usines de Paris, ne réussit pas à entraîner le reste des travailleurs. C’est là la deuxième "victoire" des dirigeants cégétistes, mais avec les mêmes conséquences pour leur avenir. Dans de nombreuses usines (touchées ou non par les grévistes) où les ouvriers voulaient se mettre en grève, ils ont dû recourir à leur égard à la tromperie et à l’intimidation.
Ainsi, le vote du vendredi 9 mai chez Renault, qui donne une majorité pour la reprise du travail sur la base de 3 francs de prime, ne signifie nullement une reprise de confiance dans les Staliniens. Mais il est dû au fait que les ouvriers de chez Renault se sont vus isolés, dans la lutte, du reste de la classe ouvrière.
Malgré son échec, quant aux revendications ouvrières anticapitalistes qu’elle voulait faire prévaloir, la grève Renault est le commencement de la fin pour la direction officielle. C’est dans le bastion le plus important de la classe ouvrière que les dirigeants staliniens sont apparus aux travailleurs pour ce qu’ils sont : des éléments profondément antiprolétariens, obligés de se maintenir par la corruption, par l’intimidation, et par la brutalité ouverte, quand les travailleurs n’ont pas cédé aux deux premières. Un enseignement qui ne pouvait être acquis que dans la pratique, dans l’action, est maintenant assimilé par les travailleurs de chez Renault. Ils ont appris que, pour briser la politique du patronat, de famine pour les masses, il faut d’abord surmonter, par le regroupement et l’organisation, le sabotage stalinien au sein du mouvement ouvrier.
Anticapitalisme et réformisme
HAUSSE DES SALAIRES ET PRIME A LA PRODUCTION
Les dirigeants de la C.G.T. ont été mis devant le fait de la grève générale des usines Renault pour une augmentation de salaire de 10 francs sur le taux de base, comme acompte sur le minimum vital.
Après avoir essayé d’arrêter la grève par des méthodes d’intimidation et de brutalité, les dirigeants de la Fédération des Métaux ont finalement dû reprendre à leur compte, pour tous les métallurgistes, la revendication de 10 francs d’augmentation des grévistes, mais en la présentant sous forme de prime à la production. Ils ont ainsi soutenu le mouvement "comme la corde soutient le pendu". Car, sous le couvert de "leur" revendication, ils ont fait pression sur les ouvriers des autres usines pour qu’ils ne se mettent pas en grève et attendent le résultat de "leurs" négociations. Pendant ce temps-là, chez Renault même, ils ont manœuvré pour la reprise du travail sur la base d’un compromis de 3 francs de prime à la production.
Pourquoi les dirigeants cégétistes ont-ils opposé à la revendication d’augmentation sur le taux de base, telle que l’avaient formulée les ouvriers de Renault, la revendication de la prime au rendement ?
On sait que, pour que la prime à la production atteigne son but au point de vue patronal, il faut qu’elle corresponde à une petite rémunération au-dessus du salaire de base, pour un effort dépassant de beaucoup la production normale ; plus l’ouvrier travaille, moins il est payé proportionnellement à son effort. Il n’est plus possible de faire croire aux ouvriers que leur salaire est lié à la productivité. Chez Renault, la production a augmenté de 150%. Dans la sidérurgie, avec 60% de hauts-fourneaux en marche, la production est au même niveau qu’en 1938. La surexploitation a atteint son maximum, il n’est plus possible d’augmenter les salaires par l’augmentation du rendement, car il y a à cela les limites mêmes de la capacité des machines et de l’effort physique des hommes. Que les ouvriers n’arrivent même pas à tenir la cadence qui leur est actuellement imposée, cela n’est-il pas prouvé par la revendication cégétiste du paiement des temps coulés au taux de base ?
Mais s’il n’est plus possible d’augmenter le salaire par l’augmentation du rendement, la revendication cégétiste de la prime n’est donc pas autre chose qu’une revendication camouflée d’augmentation du salaire, qui ne peut être obtenue autrement que par la pression ouvrière sur le patronat et ses profits. C’est la pression ouvrière de la grève, même trahie, qui a obligé Lefaucheux à accorder les 3 francs chez Renault, alors que, pendant des mois, les démarches de la C.G.T. s’étaient heurtées au refus le plus absolu. Et c’est l’agitation et les grèves ouvrières, suite à la grève Renault, qui ont abouti, dans différentes usines, aux augmentations dont se vantent les dirigeants cégétistes (Panhard : 6 à 10%, Bréguet : 10% + 4 francs, Nevé : 10 frs. + prime progressive, Bahier : 3 frs. + prime, Latil : 4 frs., etc.).
En réalité donc, en camouflant les demandes d’augmentation de salaire sous le nom de "prime à la production", les dirigeants cégétistes voulaient, non seulement réaliser un compromis en faveur du pa-tronat (en offrant aux ouvriers une petite satisfaction à l’aide de laquelle ils regagneraient leur confiance) mais enlever aussi aux revendications ouvrières tout caractère de lutte anticapitaliste ouverte. Leur "revendication" n’est qu’un piège parmi ceux qu’ils ont utilisés pour saboter la lutte ouvrière jusqu’à présent (produire d’abord, blocage des salaires pour faire baisser les prix, etc.).
En se contenant de quelque dérisoire "prime à la production", les ouvriers se retrouveront à bref délai dans la même situation qu’aujourd’hui, du fait même qu’il n’y a, dans ce genre de rémunération, aucune garantie pour l’ouvrier, qu’elle est liée à la notion de rendement et à l’appréciation patronale (révision des temps, etc.).
Pourquoi le patronat s’oppose-t-il à la revendication d’un relèvement des salaires sur le taux de base, selon le minimum vital calculé sur l’indice des prix ? Parce qu’il ne veut pas se lier les mains vis-à-vis des ouvriers, parce qu’il veut garder l’initiative dans la question des salaires, spéculer sur les prix et garder ainsi la possibilité de toujours diminuer le niveau de vie des ouvriers au bénéfice des profits capitalistes, comme il l’a fait jusqu’à maintenant.
Les capitalistes, qui ne peuvent pas admettre que les revendications des ouvriers s’attaquent à leurs profits, prétendent que la hausse des salaires entraîne l’inflation. Mais les grévistes de chez Renault ont répondu à cet argument. Ils ont trouvé dans le bulletin même de la direction patronale l’aveu d’une augmentation de 30% versée aux millionnaires de la sidérurgie, sans qu’il y ait eu augmentation des salaires. Et alors que la part des concessionnaires pour une "Juva" est passée de 17.022 francs en janvier à 20.005 fr. en mars, le coût de la main-d’œuvre directe diminuait de 13.950 à 12.985 francs.
L’inflation gouvernementale suit son cours : le bilan publié par les journaux, avant quelque augmentation de salaire que ce soit, montre 17 milliards de billets nouveaux lancés par l’Etat ; dans ces conditions, qu’est-ce que la "revendication" cégétiste d’une "prime" de 10 fr. dans l’avenir, sinon une duperie ?
"Nous voulons la hausse des salaires par rapport aux profits des capitalistes", disait un tract du Comité de Grève. Et par ailleurs : "...jusqu’à présent, la politique patronale a toujours été de nous faire courir après les prix à l’aide de petites satisfactions partielles, pour calmer notre mécontentement. Notre revendication actuelle, qui est celle du minimum vital, c’est-à-dire pour nous limiter au chiffre de la C.G.T. de 7.000 frs. par mois, 10 frs. d’augmentation sur le taux de base pour 40 heures de travail, doit mettre fin, une fois pour toutes, à cet état de choses. Car l’augmentation que nous réclamons doit être garantie par son adaptation constante aux indices des prix, en fonction de ce qu’il nous faut acheter pour vivre sans mettre en danger notre santé. Nous voulons L’ECHELLE MOBILE DES SALAIRES".
Les ouvriers de chez Renault, qui avaient demandé l’augmentation sur le taux de base comme acompte sur le minimum vital, n’exprimaient donc pas une simple demande d’augmentation de salaire ; leur revendication tendait à mettre un frein aux spéculations des capitalistes et de leur gouvernement sur le dos des travailleurs ; elle engageait la lutte ouvrière dans le sens d’un contrôle des ouvriers sur leurs exploiteurs. Elle montrait une issue aux efforts des travailleurs pour la revalorisation de leur pouvoir d’achat.
LA GREVE GENERALE ET LA COLLABORATION DE CLASSES
Jusqu’à la grève Renault, les ministres et chefs staliniens justifiaient leur collaboration gouvernementale par la lutte contre la réaction : il valait mieux collaborer avec les clérico-réactionnaires M.R.P. pour éviter De Gaulle.
Mais leur but était, en réalité, de maintenir l’ordre, eux-mêmes, en tant que serviteurs de la bourgeoisie pour bénéficier des avantages ministériels. C’est pourquoi, ils faisaient au Gouvernement la politique du P.R.L.
Il a suffi que la grève Renault menace de se transformer en grève générale pour que les chefs staliniens découvrent qu’on ne lutte pas contre la réaction en faisant une politique réactionnaire : "Rien ne serait plus dangereux que de glisser, sous le couvert de lutte contre les factieux, à la politique réactionnaire qu’ils préconisent" (Thorez). Ils ont abandonné le Gouvernement pour se "désolidariser" de sa politique réactionnaire.
Mais à peine les chefs staliniens ont-ils quelque peu réussi à maîtriser le mouvement naissant dans le pays que déjà leur collaboration avec le Gouvernement, contre les grévistes, est aussi étroite que quand ils y étaient. C’est ainsi que Daniel Mayer faisait publier le lundi 12 mai le texte suivant : "Si 1.200 ouvriers ne travaillent pas, 1.000 d’entre eux sont dans l’impossibilité de le faire étant donné que 200 ouvriers, déterminés à voir la grève se poursuivre, s’opposent à la fourniture de la force motrice". Le lendemain, mardi, le tract local de la C.G.T., s’adressant aux ouvriers des usines Renault, reprenait mot pour mot ces mensonges. Donc, si "Socialistes" et "Communistes" se querellent dans des articles de journaux pour se rejeter mutuellement les responsabilités, ils collaborent étroitement contre les grévistes. Ils sont tous contre la grève qui, seule, a ouvert de nouvelles perspectives pour la classe ouvrière. Si les "Communistes" sont passés dans "l’opposition", ce n’est que pour mieux briser la lutte autonome des travailleurs. Mais cette manœuvre, loin d’être une surprise pour les marxistes révolutionnaires, a été expliquée longtemps à l’avance par La Lutte de Classes.
https://www.marxists.org/francais/barta/1947/05/ldc90_051647.htm
TRAVAILLEURS DE LA METALLURGIE DE LA REGION PARISIENNE
Les Ouvriers des Usines Renault en Grève s’adressent à vous,
DEPUIS LE MARDI 29 AVRIL NOTRE GREVE A PRIS UN CARACTERE GENERAL
Déjà, depuis plusieurs semaines, des grèves partielles réclamant un rajustement des salaires avaient éclaté dans l’usine. Car avec un salaire de 42 francs pour un O.S. face à la montée incessante du coût de la vie, aucun d’entre nous ne peut joindre les deux bouts. C’est pourquoi le vendredi 25 avril, les départements 6 et 18 se mettant en grève, un comité de grève, élu en assemblée générale à la presque unanimité, a été mandaté de mener la lutte pour 10 frs. d’augmentation de l’heure sur le taux de base.
Paiement des heures de grève.
Le Comité de grève, pour mener cette lutte qui intéresse tous les travailleurs, a fait immédiatement appel à toutes les usines Renault. Et malgré l’opposition de la Direction syndicale officielle, les travailleurs, organisés ou non, et quelle que soit leur appartenance aux différentes organisations syndicales ou politiques, ont été UNANIMES pour adopter nos revendications.
Mandatés pour exposer nos revendications à la direction patronale, celle-ci, en la personne de M. Lefaucheux, a refusé de nous recevoir et a traité la délégation ouvrière avec le plus grand mépris. M. Lefaucheux bafoue le droit le plus élémentaire des ouvriers d’élire librement leurs représentants. Il veut nous imposer ceux qui dans le passé l’ont aidé dans son action anti-ouvrière et avec lesquels il espère, mais en vain, s’arranger, pour nous berner une fois de plus.
QUE REPRÉSENTENT LES 10 FRANCS ?
Devant notre action décidée, le patronat et la direction syndicale opposent à notre revendication des 10 francs une augmentation de la prime à la production. Mais le système des primes au rendement, tout ouvrier le sait, c’est la surexploitation de la force de travail de l’ouvrier et ne présente aucune garantie du point de vue salaire.
Jusqu’à présent, la politique patronale a toujours été de nous faire courir après les prix à l’aide de petites satisfactions partielles pour calmer notre mécontentement. Notre revendication actuelle, qui est celle du minimum vital, c’est-à-dire, pour nous limiter au chiffre de la C.G.T., de 7.000 francs par mois, 10 francs d’augmentation sur le taux de base pour 40 heures de travail, doit mettre fin une fois pour toutes à cet état de choses. Car l’augmentation que nous réclamons doit être garantie par son adaptation constante aux indices des prix en fonction de ce qu’il nous fait acheter pour vivre sans mettre en danger notre santé, Nous voulons L’ECHELLE MOBILE DES SALAIRES.
Cette revendication, la C.G.T. elle-même l’avait mise en avant au mois de décembre (salaire minimum vital calculé selon l’indice des prix). Mais la direction de la C.G.T. l’a abandonnée, cependant que, malgré les heures supplémentaires et la cadence toujours plus vive, malgré les promesses sur l’augmentation du pouvoir d’achat au fur et à mesure de l’augmentation de la production, et celles sur la baisse des prix, plus nous travaillons, moins nous gagnons et moins nous pouvons manger. (Dans notre usine la production a augmenté de 150% tandis que le salaire réel a continuellement baissé).
Toute la classe ouvrière se trouve dans la même situation. C’est pourquoi notre direction patronale n’a pu que recourir à un subterfuge, en prétextant qu’elle était en déficit et que c’est la politique gouvernementale qui s’oppose à l’augmentation des salaires.
A cela nous répondons que ni le prétendu déficit, ni la politique gouvernementale n’ont empêché M. Lefaucheux de trouver l’argent pour payer une augmentation de 30% sur les produits sidérurgiques.
Mais si le patronat trouve le moyen d’obtenir l’autorisation du gouvernement pour verser une augmentation de 30% aux potentats milliardaires de la sidérurgie, comme il trouve en général toujours l’autorisation du gouvernement pour toutes ses manœuvres contre les ouvriers et les consommateurs devant notre pression unanime sur le patronat nous verrons le gouvernement s’incliner devant la classe ouvrière unanime dans ses revendications, comme il a dû le faire en juin 1936.
NOUS VAINCRONS
On nous présente souvent la puissance des trusts comme un épouvantail qui doit toujours nous écraser. Mais la classe ouvrière, unie dans la défense de ses revendications, n’est-elle pas plus puissante qu’un trust ? Nous avons le monopole de la force travail, sans laquelle ces messieurs ne peuvent plus récolter des bénéfices.
La revendication que nous formulons est une revendication générale qui intéresse tous les ouvriers.
Camarades, nous faisons appel à vous parce que vous êtes dans la même situation que nous et que personne ne peut se résigner à la situation actuelle. Par conséquent, puisque la lutte est inévitable et nécessaire, il faut que nous nous mettions tous ensemble en mouvement, car seule l’union de tous les travailleurs assurera la victoire pour tous. Les sacrifices terribles que nous avons supportés pendant des années, la lutte que nous avons menée depuis 1934 contre le patronat sont un gage que les travailleurs ne se résigneront pas.
Déjà la Section syndicale de l’usine Alsthom nous a envoyé un message de solidarité morale et pratique des ouvriers de leur usine avec nous.
Camarades, nous sommes tous d’accord pour lutter pour ne pas supporter les frais d’un capitalisme qui nous écrase dans la misère, tandis que d’un autre côté une poignée de milliardaires qui ont réalisé des énormes profits continuent comme auparavant à s’enrichir.
Jusqu’à maintenant notre action a été empêchée par ceux qui, tout en se disant nos dirigeants, non seulement ne nous défendent pas, mais encore s’opposent à notre lutte, soit parce qu’ils ont été les complices des patrons, soit parce que n’ayant pas confiance en eux-mêmes, ils ont adopté l’attitude néfaste de l’attentisme.
C’est à nous qu’il appartient de défendre nous-mêmes nos revendications. Nous avons dû vaincre 1es mêmes difficultés que vous connaissez. Mais notre exemple vous prouve que ces difficultés peuvent être surmontées : les ouvriers de notre usine ont élu dans la lutte, directement de leur sein, des délégués avec mandat de faire aboutir leurs revendications. La classe ouvrière est riche d’hommes qui se révèleront dans l’action et qui, même s’ils manquent d’expérience au début, peuvent vite, avec l’appui de tous, se corriger dans l’action.
Voilà, camarades, ce que nous avons à vous dire, voilà quelle est la vérité, et vous saurez faire justice de toute la campagne de calomnies qui est l’arme de la division.
Notre usine a commencé le mouvement. Nous appelons tous nos camarades de la métallurgie, tous les ouvriers de la Région parisienne, à se joindre à nous. Faisons pour nous-mêmes, ne fût-ce qu’une partie des sacrifices que nous obligent à faire tous les jours les patrons pour leur profit et nous vaincrons.
VIVENT LES 10 FRANCS !
VIVE LE MINIMUM VITAL GARANTI PAR L’ECHELLE MOBILE !
VIVE LA SOLIDARITE DE LA CLASSE OUVRIERE UNIE DANS SES REVENDICATIONS !
Le Comité de grève général des Usines Renault
30 avril 1947.
Les ouvriers de l’Entreprise de Presse Réaumur, de tout cœur avec les grévistes des métaux (Régie Renault), leur adressent leur salut fraternel et sont heureux de leur signaler que les TYPOGRAPHES, ROTATIVISTES, IMPRIMEURS, ROGNEURS et MANOEUVRES ont spontanément abandonné leur salaire pour l’exécution de ce travail.
https://www.marxists.org/francais/barta/1947/04/spec_043047.htm
CONCLUSIONS SUR NOTRE GREVE
par PIERRE BOIS du Comité de grève Collas
Nous étions entrés en lutte pour arracher les 10 francs sur le taux de base, comme acompte sur le minimum vital calculé sur l’indice des prix. Mais nous avons repris le travail avec l’aumône de 3 francs de "prime".
Les responsables officiels du syndical vantent cette "victoire", cependant déjà annihilée pour les mois à venir par l’inflation (rien que dans les deux dernières semaines, l’Etat vient de mettre en circulation vingt nouveaux milliards de francs-papier). Il n’a pas été question, dans les négociations officielles du syndicat, de garantir notre salaire par L’ECHELLE MOBILE, c’est-à-dire son calcul sur l’indice des prix.
Mais notre lutte, même sabotée, a-t-elle été inutile ? Tout au contraire ! Si nous avons subi un échec PARTIEL quant aux gains immédiats, nous avons, par contre, réussi à renverser complètement la vapeur.
Nous avons tout d’abord prouvé à tous ceux qui nous croyaient mûrs pour la capitulation, résignés aux bas salaires, à l’esclavage économique, que la classe ouvrière n’a rien perdu de sa capacité de lutter, unie pour la défense de ses intérêts vitaux.
Nous avons secoué le joug de nos soi-disant représentants qui, au lieu d’être les défenseurs de nos revendications, étaient devenus nos gardes-chiourme.
Nous avons obligé la direction patronale à reconnaître le principe du PAIEMENT DES HEURES DE GREVE.
Nos revendications, les 10 francs et l’échelle mobile, sont approuvées par la majorité des ouvriers de la France entière (voir les journaux), et la direction syndicale officielle devra lutter réellement pour ces revendications, sinon une deuxième vague ouvrière la jettera elle-même par-dessus bord.
En lançant son appel à la grève générale, le Comité de grève avait affirmé sa conviction que la victoire totale des revendications pouvait être obtenue.
En regard des résultats obtenus, ne pourrait-on pas dire qu’il a été trop optimiste ? Qu’on en juge : il a suffi que deux départements, 6 et 18, continuent la grève, appuyés sur la sympathie active de toute l’usine, pour que la revendication sur laquelle les bonzes syndicaux avaient capitulé – le paiement des heures de grève – soit accordée à toute l’usine. C’est ainsi que nous avons obtenu les 1.600 francs.
Il a suffi, d’autre part, de la grève Renault pour qu’une vague d’augmentations, allant jusqu’à 10 fr., soit accordée dans presque toutes les usines. C’est ainsi que les usines Citroën ont obtenu les 3 francs sans un seul jour de grève.
Il n’y a pas de doute qu’une grève générale aurait arraché la victoire totale.
Mais la grève générale était-elle possible ?
La grève générale manifeste sa réalité tous les jours en province et à Paris. La grève générale ce n’est pas une chose qu’on décrète, c’est un mouvement profond surgi de la volonté unanime de toute la classe ouvrière, quand elle a compris qu’il n’y a pas d’autres moyens de lutte. En présence de cette volonté de la classe ouvrière, on peut seulement agir de deux façons : soit, comme l’a fait le Comité de grève, donner le maximum de forces à l’action ouvrière en unifiant en un seul combat livré par la classe ouvrière pour des objectifs communs : LA GREVE GENERALE ; soit, comme la fraction dirigeante de la C.G.T. et de la C.F.T.C., fractionner les luttes ouvrières, les séparer artificiellement les unes des autres. Les mener dans l’impasse des primes.
Or, de même que la grève Collas, le vendredi 25 avril, avait entraîné dans la lutte toute l’usine Renault, la continuation de la grève dans toute l’usine aurait entraîné dans la lutte ouverte toute la classe ouvrière.
De la lutte que nous venons de mener, il reste prouvé que la grève est l’arme revendicative essentielle des travailleurs. Il reste prouvé également que, quelles que soient les manoeuvres intéressées, pour ou contre la grève, de tous les pêcheurs en eau trouble, la volonté unanime des travailleurs est capable de triompher de tous les obstacles.
Dans nos prochaines luttes, nous entrerons mieux préparés et nous obtiendrons ce que nous n’avons pu obtenir cette fois-ci.
Liberté et discipline ouvrières
Les "responsables" syndicaux s’agitent. Mais ce n’est pas pour déjouer les manoeuvres de la direction qui essaie de se rattraper. Ils déploient une grande activité... en faisant circuler des tracts contre les "provocateurs" avec toutes sor-tes d’insinuations et de calomnies. Mêlant le vrai et le faux, ils visent avant tout les ouvriers qui, à l’encontre du sabotage de la section syndicale, ont tenu bon dans la grève, et particulièrement les départements 6 et 18 (secteur Colas). Tous les ouvriers ont pu voir le comportement anti-démocratique des dirigeants de la section syndicale pendant la grève.
Aussi, ces derniers essaient-ils, maintenant, par tous les moyens, de discréditer le Comité de grève, dont ils n’osent et ne peuvent cependant pas mettre en cause aucun de ses membres. Leur grossière calomnie ne prend pas. Mais en l’utilisant quand même, ils veulent démoraliser les ouvriers et faire le jeu de patrons. La preuve de leur mauvaise foi et de leurs intentions malhonnêtes, c’est qu’ils s’adressent aux "pouvoirs publics" (qui sont toujours du côté des patrons) pour "ouvrir une enquête sur les perturbateurs".
Mais il y a un moyen très simple de démasquer les provocateurs, s’il y en a. C’est de former dans l’usine même des commissions d’ouvriers pris dans la rang et chargés d’enquêter. Aux départements 6 et 18, les ouvriers ne connaissent pas de provocateurs. Si les dirigeants politiciens du syndicat ont des documents, qu’ils les apportent aux 6 et 18 ; qu’ils les montrent et qu’ils s’adressent directement aux ouvriers qui sont assez grands pour juger eux-mêmes.
Nous demandons, d’autre part, que les dirigeants syndicaux rendent compte de l’utilisation des sommes encaissées pour le soutien de la grève.
Voilà le moyen. Mais ils se garderont bien de l’utiliser. Et s’ils ne veulent pas utiliser ce procédé démocratique, c’est qu’ils sont de vulgaires calomniateurs qui veulent cacher, par la calomnie, leur travail antiouvrier.
Dans l’usine : ni Gestapo, ni Guépéou, ni police ; liberté et discipline ouvrières.
Conclusions sur notre grève
Heures supplémentaires
La direction profite des difficultés pécuniaires des ouvriers pour leur imposer un nouvel horaire.
Alors que l’heure de sortie est fixée à 18 heures pour l’ensemble de l’usine, à Collas, elle est portée à 18 h 30.
Lundi 19 mai, de nombreux ouvriers de ce secteur ont protesté en quittant à 17 h 30.
https://www.marxists.org/francais/barta/1947/05/vdt06_052047.htm
C’est la véritable lutte pour le minimum vital qu’entament les travailleurs de chez Renault
qui décident la grève pour arracher LES 10 FRANCS DE L’HEURE
Les représentants de la C.G.T. ont abandonné toute défense des travailleurs devant l’offensive patronale dirigée contre leur pouvoir d’achat et leur niveau de vie.
Même les travailleurs dont le salaire a été officiellement reconnu comme "anormalement bas" sont obligés de recourir à l’action directe pour obtenir l’augmentation de quelques francs qui leur a été, en principe, accordée ; c’est ce qui se passe pour les ouvriers blanchisseurs qui ont été obligés de faire grève pour une augmentation de 15% (leur salaire variant de 29,70 frs. à 33 francs).
Mais l’ensemble des travailleurs ayant constaté que la "baisse des prix" n’était qu’une autre duperie pour les détourner de leurs justes revendications, restent prêts à entrer en lutte directe par l’action gréviste qui seule leur permettrait d’arracher la garantie d’un salaire minimum vital sans lequel ils sont réduits à la misère.
Alors que le salaire des ouvriers ne leur permet même pas d’entretenir décemment leur force de travail et que le faible pouvoir d’achat des masses provoque la raréfaction des denrées de consommation (comme la crise du blé), le patronat, fort de la capitulation de la C.G.T. en ce qui concerne le relèvement général des salaires (minimum vital), poursuit, par l’intensification du rendement, son offensive pour l’abaissement des salaires au-dessous de leur niveau actuel. Comme nous l’avons montré dans l’article "IL N’Y A PAS DE TREVE" (dernier numéro de La Lutte), en prenant l’exemple de l’usine Renault.
Mais l’offensive patronale n’est pas restée sans riposte ouvrière. Depuis plusieurs semaines, des grèves partielles éclataient dans l’usine (entretien, modelage-fonderie – une semaine de grève), artillerie (revendications équivalant à la suppression du travail au rendement). Le 23 avril, au département 6, les mille ouvriers environ du secteur Collas ont décidé à l’unanimité moins 36 voix, de se mettre en grève pour LES DIX FRANCS DE L’HEURE, qui correspondent à la revendication mise en avant par la C.G.T. pour le "minimum vital" et abandonnée par elle (le relèvement général des salaires au niveau du minimum vital revendiqué par la C.G.T. se serait traduit par une augmentation de 10 francs de l’heure pour les ouvriers de la métallurgie sur la base du salaire actuel).
L’importance toute particulière de ce mouvement est dans le fait que les travailleurs de ce département, tirant la leçon de l’expérience faite par les autres secteurs, ont donné comme but à leur action une revendication générale et commune à tous les ouvriers, qu’ils sont passés outre à toute revendication particulière à leur propre département, qu’ils ont délibérément désigné leur lutte comme faisant partie de la lutte de l’ensemble de la classe ouvrière pour sa revendication légitime et indispensable du minimum vital.
La deuxième leçon que les travailleurs de ce département ont tirée de l’expérience de l’ensemble de leurs camarades de chez Renault, c’est la nécessité, pour les ouvriers, d’imposer leur volonté. Et cela face à ceux qui se disent leurs dirigeants, même quand ils trahissent la lutte et les intérêts ouvriers, comme le font les dirigeants actuels de la C.G.T. Les travailleurs du secteur Collas, réunis en Assemblée générale de tous les ouvriers pour décider de l’action à entreprendre, ont élu, à cet effet, dans leur sein, un Comité de Grève, c’est-à-dire qu’en fait, ils sont passés par-dessus la tête de la direction syndicale ! Ils ont ainsi prouvé que l’action de classe organisée peut être menée même quand certains dirigeants l’abandonnent. Car, des rangs mêmes de la classe ouvrière, surgissent de nouveaux éléments dévoués, énergiques et intelligents ; de son propre sein, des travailleurs, qui, autrefois, ont mené l’action gréviste et la lutte ouvrière, et que la succession des trahisons des organisations officielles avaient même rejetés hors de la C.G.T., reviennent à la lutte sous l’impulsion de la volonté ouvrière. Il est certain, et les ouvriers du secteur Collas le savent comme nous, qu’une semblable lutte ne peut aboutir dans le cadre d’un mouvement d’un seul secteur même d’une grande usine. Il faut que l’action gréviste décidée par les camarades de chez Renault s’étende aux autres secteurs de l’usine qui ont déjà soutenu récemment des mouvements isolés, et à l’ensemble de l’usine, qui, en raison de son importance, doit donner le départ de l’action ouvrière généralisée. La classe ouvrière sera victorieuse en renouant avec la tradition de juin 1936. Mais que cette généralisation de la lutte se fasse actuellement ou que les efforts de dirigeants pourris réussissent encore à la contrecarrer, les travailleurs du secteur Collas, en entrant en lutte à l’avant-garde pour la défense d’une revendication commune à tous les travailleurs et décidés à la faire aboutir, ont relevé le véritable drapeau de la lutte ouvrière, de l’initiative, du courage et de la solidarité prolétariennes.
Nous publions ci-dessous le récit d’un participant à l’Assemblée du 23-4, chez Renault (secteur Collas), où fut décidée la grève pour les 10 francs :
A 12 h.30, lorsque j’arrive, le trottoir (large d’au moins 8 mètres) est encombré d’ouvriers qui sont là, par dizaines et discutent ; tandis que, par paquets, les ouvriers sortant de la cantine continuent d’affluer. Toutes les conversations roulent sur le même sujet : ce qui va se passer tout à l’heure. Et le mot de grève circule. Un tract diffusé dans la matinée, de la main à la main, nous a fait savoir que le Comité de grève, élu à l’Assemblée générale précédente par 350 ouvriers contre 8, a tenu à nous réunir afin de nous mettre au courant des démarches qu’il a effectuées auprès de la direction.
Une heure donnée doit être respectée, et, à 12 h.30 précises, un camarade, qui est déjà sur la fenêtre, commence à parler. Au premier rang de cet auditoire, bien plus nombreux que la fois précédente, où se retrouvent presque tous les ouvriers des deux départements faisant la "normale", soit quelque 700 ouvriers, des coups d’oeil significatifs s’échangent ; les visages sont plutôt gais, quoique les esprits soient tendus. Le camarade explique brièvement, en termes clairs, l’échec de la délégation, auquel d’ailleurs on s’attendait. Et, devant l’auditoire ouvrier attentif, il démontre que l’arme gréviste reste le seul moyen permettant d’obtenir satisfaction. Au milieu des cris d’approbation qui fusent de toutes parts, il explique que la grève à venir sera une lutte des plus sérieuses qu’il faudra mener avec résolution jusqu’au bout. "Il ne sera plus question de jouer de l’accordéon ou de rester les bras croisés à attendre que ça tombe, mais il faudra s’organiser pour faire connaître le mouvement dans toutes les usines, faire des piquets de grève et défendre les issues de l’usine au besoin."
Répondant d’avance aux objections que pouvaient faire certains sur la perte d’argent que cela occasionnerait, et l’intervention toujours possible de la police, il indique que le paiement des journées de grève sera exigé ; quant aux "lacrymogènes" de la police, pendant plus de six ans nous avons reçu des bombes sur la gueule et on n’a rien dit. On s’est continuellement serré la ceinture avec les sacrifices que la bourgeoisie nous a imposés pour défendre ses coffres-forts. Et aujourd’hui, nous n’aurions pas la force et le courage d’en faire au moins une infime partie pour nous ?" Appuyant ces paroles de cris bruyants, les ouvriers marquaient leur approbation.
Passant au vote, le camarade demande aux ouvriers de se prononcer sur la grève en tant que moyen à envisager dans les délais les plus courts. Tandis que quelques voix seulement votent "contre", les ouvriers votent "pour". C’est alors que le délégué cégétiste, littéralement poussé par ses "copains" qui lui ont frayé un chemin, s’avance pour exposer son point de vue, ainsi que le camarade venait de le demander, invitant les opposants à émettre leur point de vue. Malgré le calme relatif, les ouvriers étant curieux de connaître ses objections, il ne put éviter de s’attirer la réplique d’un ouvrier : "Tu vois, ici au moins, il y a de la démocratie". Grimpé sur la fenêtre, parlant à voix basse et ne sachant pas trop quoi dire, le délégué entreprit d’expliquer aux ouvriers la "situation réelle en ce qui concerne les salaires" ; pour son malheur, il se mit à parler d’une délégation qui était allée voir Lefaucheux (avec la demande d’établir une égalité de salaires entre les ouvriers d’ici et ceux de chez Citroën, avec effet rétroactif), que d’ailleurs, ajouta-t-il, elle ne trouva pas. Manifestement, les ouvriers vomissent les délégations et, à peine le délégué achevait-il ses dernières paroles que sa voix était couverte d’exclamations plus ou moins significatives. "Les délégations, on en a assez". "Jusqu’où comptez-vous nous mener en bateau ?". "On n’en veut plus de tes délégations, maintenant, ce qu’il faut, ce sont des actes". J’ajoute moi-même : "Egalité avec Citroën, mais là-bas ils crèvent de faim aussi". Abrégeant son exposé, le dé-légué lança un "appel au calme" et une mise en garde "contre les démagogues" fut non moins huée que les "délégations".
Après quoi, il dut descendre pour céder la place à un ouvrier d’une trentaine d’années qui, grimpé sur la fenêtre, expliqua, en quelques mots, ce qu’il pensait et des délégués et des délégations : "Camarades, depuis des mois, on nous fait attendre des augmentations qui doivent toujours arriver demain. On nous a déjà fait l’histoire en février et on nous a dit que l’absence de Lefaucheux, à l’époque, avait empêché les revendications d’aboutir. Cela a recommencé hier et, une fois encore, il n’était pas là. Et les délégués sont repartis, comme avant. Cela ne peut plus durer. Jusqu’à quand allons-nous nous laisser mener ? Maintenant, ce n’est plus des parlottes qu’il faut, ce sont des actes".
Complétant dans le même sens ce que l’ouvrier venait de dire, le premier camarade parla du Minimum vital qui fut mis à l’ordre du jour de la C.G.T., en novembre et qui devait être appliqué avec effet rétroactif également. "Mais la C.G.T., dit-il, capitula sur le minimum vital et l’on ne parla plus ni du minimum vital ni de son effet rétroactif. Comment pouvons-nous croire à présent des personnes qui ont capitulé de la sorte ? Qu’est-ce qui nous prouve qu’ils ne capituleront pas de la sorte demain, avec leurs délégations ?" Cet incident clos de la bonne manière, le camarade demande alors, pour clore la réunion, que les ouvriers manifestent par un second vote leur confiance au Comité de Grève afin de l’habiliter à déclencher la grève au moment opportun. Si la grande majorité qui accorda sa confiance au Comité de grève fut la même que précédemment, il n’en fut pas de même des "contre" qui voyaient leur nombre ramené à 8. Lorsque la majorité vota, un ouvrier qui se trouvait près du délégué lui cria à l’oreille : "Tu les vois, tous ceux qui sont pour l’action, rince-toi l’oeil !".
POUR QUI TRAVAILLENT LES OUVRIERS ?
Pour justifier ses refus successifs d’augmenter les salaires, M. Lefaucheux, directeur de la Régie Renault, a prétexté le bilan déficitaire de la Régie Renault : "Nous ne pouvons pas vous payer, parce qu’il n’y a plus d’argent..."
La production aurait-elle diminué pour expliquer ce déficit ? En 1945, 12.000 véhicules ont été fabriqués ; en 1946, 30.000, et en 1947, le programme s’accentue de semaine en semaine.
Oui, mais le personnel a augmenté, nous rétorque-t-on. Fort bien... Mais alors, n’est-ce pas une preuve que les affaires (celles des patrons) marchent à merveille ?
Au moment de la "bataille des 25%", la section syndicale Renault déclarait que, pour une Juva 4, 10.000 fr. de salaires étaient déboursés, alors que cette voiture était cataloguée à 107.000 fr. Admettons qu’avec l’inflation ces chiffres soient périmés. Il n’y a cependant aucun doute que leur écart ne se soit agrandi depuis.
Les Juva 4 sont revendues à l’étranger avec 20.000 francs de perte. Seulement, l’effort des ouvriers qui les ont réalisées a été payé en francs Schuman, alors que c’est en devises que les acquéreurs étrangers les ont réglées. Quelle est la destination de ces devises ? En premier lieu, le compte en banque des actionnaires, le financement de l’armée, tout ce qui concerne "les intérêts bien compris" de nos capitalistes, et, en second lieu, l’achat de l’outillage.
Or, la direction, qui est étrangement silencieuse sur la première destination des fonds de la Régie, l’est beaucoup moins sur la seconde. Elle est même très loquace : les usines du Mans, de Saint-Etienne, d’Orléans, d’Annecy, de Vernon, de Saint-Michel, etc..., ont été reconstruites et tournent à pleins bras ; 1.500 machines neuves ont été achetées, et surtout, surtout, la 4 CV !... Tout est mis en oeuvre pour sa réussite. La substance des ouvriers n’est pas ménagée. Pensez donc, il est même question que les ouvriers pourront en acheter ! Encore faudrait-il qu’ils puissent acheter le pain quotidien et payer le loyer !...
En attendant, il faut produire sans revendiquer. Et quand la 4 CV sortira, les bénéfices subiront le même sort : actionnaires, achat de machines avec un nombre plus grand d’ouvriers pour les faire marcher. Ceci, si les affaires "tournent rond". Mais si les voitures ne se vendent plus, il ne nous restera plus qu’à aller chercher du travail ailleurs... Voilà la perspective pour demain si nous continuons à nous soumettre aux "arguments" du patronat.
A la Régie Renault, des ouvriers font des semaines de 60 heures. Transformés en véritables robots, ils travaillent sur deux ou trois machines à la fois. Mais chez Caudron, Hispano et ailleurs, on débauche. Les ouvriers vont enfin récolter les fruits du mot d’ordre "produire". Pour 500 d’entre eux qui sueront sang et eau en usine à des salaires de famine, 1.000 autres crèveront de faim aux portes des bureaux d’embauche.
https://www.marxists.org/francais/barta/1947/04/ldc89_042647.htm
Quand CGT et PCF, au gouvernement qui contraignait les ouvriers à la misère, proclamaient que « la grève, c’est l’arme des trusts » !!!
https://www.marxists.org/francais/barta/1947/06/vdt09_061147.htm
https://www.marxists.org/francais/barta/1947/05/ldc90_051647.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A8ves_de_1947_en_France#cite_ref-Hist_41-0
https://books.openedition.org/psorbonne/60292?lang=fr
https://paris-luttes.info/en-avril-1947-demarrait-a-l-usine-8529
Vraie et fausse histoire de la grève Renault de 1947
C’est autour de la grève Renault de 1947 que le groupe Lutte Ouvrière a bâti son image de marque, gagné et formé ses militants ouvriers comme ceux militant de l’extérieur, se fondant sur le fait que Pierre Bois, l’un des dirigeants de cette grande grève ouvrière de l’après-guerre, avait appartenu beaucoup plus tard, à la direction de Lutte Ouvrière. Cela ne signifie nullement que LO soit dans la droite ligne et descende des dirigeants de la grève de 1947. C’est pourtant exactement cela que la brochure sur la grève éditée par LO au nom de Pierre Bois (juste en son nom car elle n’est nullement écrite par lui, comme nous le verrons plus loin) voudrait faire croire.
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3452
L’histoire du Syndicat Démocratique de Renault (SDR) animé par Pierre Bois (militant du groupe de Barta) après la grève de 1947