Accueil > 12- Livre Douze : OU EN SONT LES GROUPES REVOLUTIONNAIRES ? > Un slogan pseudo-marxiste de Lutte ouvrière : défendons le camp et les (...)

Un slogan pseudo-marxiste de Lutte ouvrière : défendons le camp et les intérêts (économiques) des travailleurs (1)

mardi 10 septembre 2019, par Alex

Un slogan pseudo-marxiste de Lutte ouvrière : défendons le camp et les intérêts (économiques) des travailleurs (1)

On sait que c’est dans la petite enfance que se forment définitivement les principaux traits d’une personnalité. Or en France la forme républicaine de l’état bourgeois, après les tentatives avortées de 1792 et 1848, est née définitivement suite à l’écrasement de la Commune de Paris et la mise en place des institutions de la III ème République.

Concernant le "problème ouvrier" au cours de cette période, une description très intéressante est donnée dans l’ouvrage Histoire du travail en France (1953) par E. Dolléans et G. Dehove. Car les ouvriers, et surtout leurs organisations, étaient vus réellement comme un problème, peut être le principal problème pour les bourgeois Républicains. Comment l’ont-ils résolu ?

C’est à cette époque que les gouvernements bourgeois encouragèrent les ouvriers à "défendre leurs intérêts économiques". Or c’est ce slogan (même si l’adjectif "économique" est souvent omis par LO) qui est mis en avant comme le summum de la propagande révolutionnaire par Lutte Ouvrière. Cela mérite une étude plus détaillée.

Le spectre de la Commune hante la République bourgeoise

Encore couverte du sang ouvrier, la bourgeoisie fait des cauchemars :

Le souvenir tout proche de la Commune agissait si fortement sur l’opinion que le 14 mars 1872, l’Assemblée Nationale adopte encore une loi contre la Première Internationale. Pourtant, il ne reste alors plus rien des anciennes sections parisiennes et françaises de celle-ci. (...) Les membres de l’Assemblée Nationale ont été cependant hantés par le souvenir de la Commune et de l’Internationale. Dans leur intention, les mesures ne s’appliquaient pas seulement aux sections de l’Internationale, mais aux sociétés ouvrières qu’ils craignaient de voir renaître et se développer.

(p. 355)

La répression de la Commune a pourtant divisé par quatre en 10 ans le nombre des ouvriers organisés :

En 1870 il y avait 245 000 affiliés aux sociétés ouvrières ; dix ans après en 1881 il n’y en avait plus que 60 000.

(p.361)

Interdiction des sociétés ouvrières les plus modérées

La peur politique de la bourgeoisie est telle qu’elle souhaite écraser dans l’oeuf toute renaissance des sociétés ouvrières, même une des plus modérée comme celle du mutualiste Barberet :

Le gouvernement de M. Thiers ne voulait pas voir se reconstituer les sociétés ouvrières et c’est pourquoi, en la même année 1872, alors que le gouvernement avait admis l’existence d’une Fédération des Chambres syndicales patronales qui avaient subsisté par delà la guerre et la Commune, il interdit la création d’un Cercle de l’Union syndicale ouvrière, fondé le 28 août 1872 (...) Le programme de l’Union ouvrière était pourtant un programme mesuré et modeste, reflétant l’état d’esprit de ces ouvriers qui essayaient de se regrouper en 1872 (...)

L’article premier caractérisait le but de cette union syndicale ouvrière :

« L’Union syndicale ouvrière a pour but de chercher à réaliser par l’étude, la concorde et la justice, et en vue du progrès moral et matériel des travailleurs, toutes les améliorations qu’ils sont susceptibles d’obtenir. »

L’article 4 était rédigé ainsi : « Toutes les discussions politiques et religieuses sont formellement interdites »

Cet article 4 correspondait aux convictions de ceux qui avaient organisé ce cercle, à laquelle et parmi lesquels on trouvait un mutualiste, M. Barberet ; on appelait du reste les membres de ce groupe, les barberetistes. Pourtant, le Préfet de la Seine, sur ordre du ministre de l’intérieur, interdit ce cercle dès le lendemain de sa fondation.

(p.356)

Autre tentative des ouvriers, renouer avec les rencontres internationales lors des Expositions Universelles :

Pourtant, peu à peu, à partir de 1873, à l’occasion des Expositions Universelles, réapparaît une idée qui datait du Second Empire, l’idée des délégations ouvrières.

En 1873, l’ancien ouvrier ciseleur Tomain, qui avait été l’organisateur des délégations ouvrières à l’Exposition de Londres et, en 1865, de la section parisienne de la Première Internationale, demande à l’Assemblée Nationale, dont il est membre, le vote d’un crédit de 100 000 francs, afin d’envoyer une délégation ouvrière à l’exposition de Vienne.

Mais cette demande est rejetée le 24 mai. Cependant des souscriptions sont ouvertes, qui produisent 70.000 francs. Des conseils municipaux votent aussi des subventions, mais elles sont annulées par les préfets des départements : seul le préfet du Rhône approuve la subvention de 25.000 francs votée par le conseil municipal de Lyon.

(p.358)

Là encore les ouvriers réunis à Vienne restent très modérés :

105 délégués peuvent être envoyés à Vienne, et leurs rapports sont publiés en 1874 et 1875. le rapport d’ensemble paraît en 1876. Les grèves y sont critiquées. L’enseignement professionnel, le crédit mutuel, la coopération y apparaissent au premier plan des ambitions ouvrières.

(p. 358)

La déclaration Cazot (1880)

On voit que même en interdisant les sociétés ouvrières de statut légal, les républicains bourgeois ne peuvent empêcher les réunions ouvrières. Or la bourgeoisie républicaine n’est pas fasciste, elle ne va pas jusqu’à détruire toute forme de démocratie ouvrière en permanence. Lorsqu’elle souhaite le faire, elle transmet le pouvoir aux fascistes. Les députés bourgeois sont donc bien obligés de réfléchir : que faire des sociétés ouvrières ? :

Le mois où elle adopte la loi contre l’Internationale, l’Assemblée Nationale veut manifester son intérêt pour la condition des classes laborieuses.

(p.357)

Or c’est le syndicat qui est devenu depuis cette époque la forme d’organisation la plus universelle, incontournable. Les compagnonnages, les sociétés secrètes de résistance, les sociétés de secours mutuel, les coopératives de production ou de consommation ont eu leur heure de gloire, existent encore à notre époque, mais c’est le syndicat qui s’impose comme la forme la plus répandue d’organisation à laquelle adhèrent les ouvriers pour "défendre leurs intérêts" selon la formule ressassée par Nathalie Arthaud.

Mais au fait à quoi sert un syndicat ? Doit-il se limiter aux revendications salariales, ou être la cellule de base de la future insurrection révolutionnaire ?

La sommet de la philosophie bourgeoise sur cette question est celle des années 1880. Son essence fût exprimée en novembre 1880 par le ministre Jules Cazot (injustement tombé dans l’oubli), du gouvernement Jules Ferry :

L’expérience [a] démontré que sans danger les membres d’une profession peuvent se constituer en société libre et permanente pour l’étude et la défense d’intérêts professionnels communs.

(p.361)

Bref, si les travailleurs défendent uniquement leurs intérêts économiques, il n’y a aucun risque.
La limite de l’action purement économique avait déjà été démontrée par Marx plus de 30 ans avant. Mais pour un bourgeois anti-ouvrier, quelle découverte !

Le voile est levé : que les travailleurs défendent "leurs intérêts (économiques)" c’est l’objectif donné au mouvement ouvrier en 1880 par un ministre de Jules Ferry, par les républicains bourgeois qui viennent d’écraser la Commune. Si les ouvriers s’en tiennent à "défendre leurs intérêts (économiques)", le règne du Capital est assuré.

La circuclaire de Waldeck-Rousseau aux préfets (1884)

Tous ces débats à l’Assemblée furent tenus dans le cadre du vote de la loi de 1884 qui légalise les syndicats. Non seulement les républicains bourgeois sont prêts à reconnaître des syndicats, mais ils demandent aux préfets d’encourager de telles sociétés ouvrières qui se cantonnent à "défendre les intérêts (économiques)" des travailleurs :

C’est le ministre de l’intérieur Waldeck-Rousseau qui emporta les résistances au Sénat et à la Chambre. C’est encore Waldeck-Rousseau qui, par la circulaire du 25 août 1884, recommanda aux préfets de prêter leur concours à l’organisation des associations professionnelles.

(p.362)

Est-il donc possible que LO, par la voix de N. Arthaud, propose aux travailleurs ce même slogan bourgeois comme ce qu’il y a de plus révolutionnaire ? Cela mérite des explications, qui viendront dans la deuxième partie de cet article.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.