vendredi 24 mars 2017, par
D’où viennent les « pays de l’Est »
Biélorussie
Roumanie
Bosnie
Slovénie
Serbie
Kosovo
Depuis le 17 février, des manifestations se succèdent dans plusieurs villes biélorusses, bravant les interdictions et les arrestations musclées. La colère des manifestants s’est rassemblée autour du « décret numéro 3 » portant sur « l’assistanat social ». Celui-ci prévoit une taxe annuelle de 235 € pour tous les individus travaillant moins de six mois par an, soit environ 470 000 personnes. Inspiré des lois soviétiques contre le parasitisme social, ce texte a aussitôt été rebaptisé de « décret sur les parasites » par ses nombreux opposants.
La Biélorussie vit des heures inhabituelles. Depuis plusieurs semaines, le pouvoir d’Alexandre Loukachenko fait face à un mouvement de contestation sociale qui est exceptionnel pour ce pays fermé et autoritaire. Encore plus insolite, M. Loukachenko, qui tient son pays d’une main de fer depuis vingt-trois ans, a reculé devant la rue pour la première fois de sa longue carrière, sans toutefois que cela suffise à calmer la contestation.
Devant la grogne de la population, le régime a reculé en suspendant son décret jusqu’à fin 2017. Ce retrait n’a cependant pas désamorcé la mobilisation. Le 15 mars, ils étaient encore 3 000 dans les rues de la capitale, avant que l’intervention musclée d’hommes sans uniforme ne perturbe le rassemblement. Une quarantaine de personnes ont été arrêtées et plusieurs condamnés à 15 jours de prison. Le mouvement donne rendez-vous à présent au 25 mars, jour de l’indépendance de l’ancienne république soviétique.
Le conflit s’est noué autour de l’introduction par le président du « décret numéro 3 » portant sur « l’assistanat social », qui prévoit que les individus travaillant moins de six mois par an s’acquittent d’une taxe annuelle de 235 euros. Les fortes réminiscences entre ce texte et les lois existant en Union soviétique contre le parasitisme social ont eu tôt fait de le voir rebaptisé « décret sur les parasites ». Les considérations morales avancées par le président pour justifier son décret, en plus de la mauvaise santé financière du pays, sont d’ailleurs proches de celles promues du temps de l’URSS, où l’inactivité de quelques-uns ne devait pas ternir l’image du paradis des travailleurs.
En réalité, le projet concerne aussi bien des entrepreneurs indépendants, des grands-mères vendant des champignons sur les marchés que les sans-emploi non inscrits sur les registres du chômage, démarche qui implique de réaliser des travaux « communautaires » pour une rétribution de moins de 10 euros par mois. En tout, cela concerne environ 470 000 personnes sur une population de 10 millions, et parmi elles l’emblématique écrivaine Svetlana Alexeievitch, lauréate du prix Nobel en 2015, ainsi rebaptisée « parasite sociale ».
Ces dernières semaines, plusieurs manifestations contre le décret ont eu lieu, attirant de quelques centaines à quelques milliers de personnes. Le mouvement n’est pas massif, mais il dépasse largement les cercles de l’opposition traditionnelle, et les manifestations touchent jusqu’aux villes moyennes de province qui n’avaient jamais dans le passé été le témoin de contestations.
Face à cette grogne inattendue, le pouvoir a reculé, fait inédit là encore. Jeudi 9 mars, M. Loukachenko a annoncé la suspension de la mesure, tout en assurant que celle-ci « ne sera pas annulée ». En attendant, les citoyens qui avaient commencé à verser le montant de leur taxe seront remboursés.
Sur fond de crise économique, le mouvement rassemble des milliers de personnes qui exigent pour certains la démission d’Alexandre Loukachenko et dénoncent pour d’autres une taxe controversée visant les citoyens qui travaillent moins de six mois par an. Après avoir laissé faire, le gouvernement a multiplié les peines pour « désobéissance à un ordre légitime d’un fonctionnaire qui exerce ses fonctions officielles » ou « conduite désordonnée ».
Mais les opposants redoutent que les dernières interpellations soient punies plus sévèrement en tombant sous le chef d’accusation de trouble à l’ordre public, dont les peines varient de 3 à 8 ans de prison. Au moins 17 personnes sont accusées d’avoir voulu provoquer des « troubles massifs » lors des prochaines manifestations antigouvernementales prévues samedi 25 mars dans le pays.
Depuis le 1er février, la place de la Victoire, à Bucarest, un des théâtres de la révolution de 1989 qui fit tomber Ceausescu, continue de servir de point de ralliement aux manifestants anticorruption. Présents par centaines de milliers dans plusieurs villes de Roumanie début février, les protestataires ne se comptent plus, physiquement, que par milliers, un mois plus tard. Mais, soutenus par un fort mouvement d’opinion et malgré d’importantes concessions du gouvernement, ils n’ont pas désarmé.
C’est un décret de ce gouvernement qui a mis le feu aux poudres. Fin janvier, celui-ci a tenté de limiter l’offensive contre la corruption de la haute fonction publique et des responsables politiques, menée depuis trois ans par la très déterminée chef de la direction nationale anticorruption, Laura Codruta Kövesi. Aux termes de ce décret ne seraient désormais passibles de peines d’emprisonnement que les responsables mis en cause pour un préjudice supérieur à 44 000 euros. Ce seuil n’était pas choisi au hasard : le chef du Parti social-démocrate au pouvoir (PSD), Liviu Dragnea, soupçonné de corruption dans une affaire dans laquelle la somme en jeu est évaluée à 24 000 euros, aurait pu ainsi passer au travers des mailles du filet.
Sous la pression des manifestants, auxquels le président de la République, Klaus Iohannis, de centre-droit, a apporté son soutien, le gouvernement a retiré le décret, le 5 février, puis, la colère ne passant pas, a accepté la démission du ministre de la justice, le 9 février.
Ces reculs, cependant, ne convainquent plus les contestataires. La crédibilité du gouvernement est atteinte ; les opposants n’ont plus confiance dans ses promesses et craignent que le gouvernement tente de nouveau de freiner la campagne anticorruption lorsque la société civile et ses ONG auront baissé la garde. Ils demandent aujourd’hui le soutien de l’Union européenne, seule vraie protectrice, à leurs yeux, de leurs libertés et de l’Etat de droit.
Quelles leçons tirer de cette nouvelle révolte roumaine ? La première : la corruption est au cœur du combat démocratique des classes moyennes des pays en phase de transition politique ou/et d’émergence économique. Qu’il s’agisse de la Chine, du Brésil, de la Tunisie ou de la Roumanie, la lutte contre la corruption cristallise les aspirations d’une société civile qui accède à un meilleur niveau de vie et d’éducation. La réalité d’un pouvoir confisqué par des élites s’enrichissant aux dépens de la population n’est plus supportable. Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans ce combat, en multipliant l’effet mobilisateur des initiatives civiques.
Pour l’instant, la rue compte deux victoires. Le 5 février, le premier ministre social-démocrate, Sorin Grindeanu, a abrogé un décret qui limitait le pouvoir des procureurs. Le 9, le ministre de la justice, Florin Iordache, a démissionné, le gouvernement espérant ainsi calmer la rue. Mais les manifestants n’ont pas abandonné la lutte pour autant, ils ont seulement changé d’agenda. Dimanche 26 février, ils ont manifesté pour le renforcement de l’Union européenne, qu’ils perçoivent comme une garantie de leurs libertés civiques. Les manifestants ont formé un énorme drapeau étoilé de l’UE qui en dit long sur l’espoir d’une nouvelle génération de conserver les acquis européens. C’est à partir de 2007, lorsque la Roumanie a adhéré à l’UE, que les choses ont commencé à changer dans ce pays gangrené par une corruption institutionnalisée. Sous la pression de Bruxelles, le pays, considéré comme le mouton noir de l’Europe, a réformé radicalement son système judiciaire.
C’est en février 2014 que la révolte sociale a explosé en Bosnie…
A Tuzla, au nord-est de la Bosnie-Herzégovine, une manifestation de chômeurs a dégénéré, faisant une vingtaine de blessés et autant d’arrestations. Dans un pays où la situation sociale est critique, cet événement a marqué le début d’une grande vague de protestations. Déjà, une manifestation était prévue à Sarajevo ce jeudi, en soutien aux concitoyens de Tuzla. Puis la révolte sociale a inondé tout le pays…
La cause de la révolte est clairement et ouvertement la misère et le chômage…
Le pouvoir a réprimé violemment, faisant de nombreux blessés et arrêtés…
A la base, le mouvement part d’une manifestation contre le chômage ayant lieu dans la ville de Tuzla, située dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, le 5 février. Cet évènement va jusqu’à l’occupation du siège gouvernemental dans la ville et son incendie. Les manifestants accusent les autorités locales d’avoir détruit de nombreux emplois par la privatisation de plusieurs entreprises.
Une situation économique préoccupante qui reflète la situation du pays. En 2008, le taux de chômage du pays était de 23%, il est désormais à 44%. Ces dernières années, la Bosnie-Herzégovine possède des indicateurs macro-économiques catastrophiques : décroissance récurrente, 20% de la population vit encore sous le seuil de pauvreté, baisse la consommation, explosion de la dette…
De plus, les autorités de Sarajevo n’ont pas pu réaliser les économies exigées par le Fonds monétaire international. Ce dernier avait notamment demandé à Sarajevo de réformer sa loi sur les pensions pour les anciens combattants. En effet, les transferts sociaux pour les anciens combattants représentent 4% du PIB bosnien.
Aujourd’hui, les Bosniens manifestent pour l’amélioration des conditions sociales et économiques du pays. Mais aussi pour la fin de la corruption et des bénéfices au seul profit de la classe politique.
Les manifestants ont réussi à pousser à la démission les gouvernements des cantons de Tuzla et de Zenica mais demandent un réel changement dans toute la Fédération. Ainsi, suite à la révolte sociale, les citoyens bosniens dénoncent désormais les politiciens du pays, accusés d’immobilisme, de clientélisme et de corruption.
Ce mouvement a réuni les différentes minorités du pays. Depuis de nombreuses années les responsables politiques cultivent un discours nationaliste afin de mieux diviser la population et obtenir les suffrages. En effet, les principaux partis du pays souhaitent avant tout représenter une population avant de tenir un discours idéologique qui réunirait l’ensemble des Bosniens. Cette technique est totalement remise en cause aujourd’hui. Peu importe la minorité, l’ensemble des Bosniens manifeste et ne réclame pas forcément plus de droits en fonction de leur origine mais souhaitent plus de justice sociale, d’emplois et un renouvèlement de la classe politique.
Au Kosovo le mouvement part de nouveau des étudiants. Ce sont eux qui, pendant les années 1980-1990, avaient initié les mouvements de révoltes et viennent maintenant de remporter un nouveau combat. Ils dénoncent la légitimité du recteur de l’Université de Pristina, Ibrahim Gashi, accusé d’avoir violé l’autonomie de l’Université et d’avoir falsifié ses diplômes. Après de violents heurts avec la police, le recteur a remis sa démission le 8 février 2014.
Cependant, les élèves et leaders de ce mouvement souhaitent continuer. Ils espèrent une enquête sur l’ensemble du personnel scientifique et académique de l’Université afin d’observer si leur nomination répond à la procédure normale. De nombreux doutes sur la qualité des enseignants et la légitimité de leur nomination en fonction des affinités politiques qu’ils auraient pu avoir sont avancés.
Ici, la dénonciation du système du Premier ministre kosovar Hashim Thaçi prend de l’ampleur. L’ancien recteur était très proche du chef du gouvernement et celui-ci l’avait poussé à la tête de l’établissement. De nombreuses voix, notamment parlementaires, se sont élevées depuis des mois sur la nomination d’Ibrahim Gashi. Cependant, la coalition gouvernementale a tout fait pour protéger son homme, notamment en s’opposant à la création d’une enquête. Après les élections municipales, c’est un nouvel échec pour Hashim Thaçi qui voit dans la population le souhait grondant d’un changement de pratiques politiques.
En Serbie, des mouvements spontanés apparaissent. Récemment, les syndicats ont obligé le gouvernement à retirer son projet de loi sur le travail, jugé ultralibéral et destructeur d’acquis sociaux. De plus, Belgrade observe avec attention la crise qui secoue la Fédération de Bosnie-Herzégovine de peur que celle-ci s’étende à la Republika Srpska, qui pourrait à son tour contaminer la Serbie. Les autorités serbes ont assuré qu’elles ne laisseraient pas la situation s’envenimer dans le pays. Cette inquiétude est notamment justifiée par les mouvements de protestations envers le Vice-Premier ministre, Aleksandar Vučić, accusé de museler la vie politique serbe.
Les revendications sont nombreuses et le terreau est fertile. L’avenir de cet épisode et sa propagation dépendront de la réponse de la classe politique balkanique même si les différents mouvements de protestations souhaitent justement mettre fin à la pratique politique qui règne dans les Balkans.
Les problèmes ont commencé lorsque la Yougoslavie s’est effondrée et que les industries de la ville ont perdu leurs accès aux marchés des Balkans. De 1992 à 2009, 257 entreprises ont fermé à Maribor et des milliers de personnes ont perdu leurs emplois. Aujourd’hui, 16% de la population locale vit en dessous du seuil de pauvreté. « La plupart des familles ont au moins un membre de leur famille qui travaille hors de Slovénie », explique Simon. « La proximité de la frontière procure un sentiment de sécurité aux familles et aux individus. Mais d’un autre côté cela ne résout pas les problèmes de la région et de la ville. »
Après la chute des grosses industries à Maribor, tous se sont vus forcés de trouver des alternatives pour gagner leur vie, pas seulement les jeunes. Quelques-uns espéraient que le statut de Maribor comme Capitale européenne de la culture en 2012 aiderait à améliorer l’image de la ville et à stimuler le tourisme industriel. Une grosse somme d’argent - 21,9 millions d’euros – fut investie dans des pièces de théâtre, des concerts et des expositions. Au total il y eut plus de 405 projets et 5264 événements culturels dans la ville. Pourtant, malgré les 4,5 millions de visiteurs qui se rendirent cette année-là à Maribor, les retombées économiques furent minces.
Les habitants frustrés de Maribor sont de plus en plus fâchés contre la classe politique corrompue et inefficace qui semble incapable de régler les réels problèmes. Fin 2012, la décision du Maire d’installer un grand nombre de radars déclenche une vague de protestations. La désobéissance civile se propage alors dans toute la Slovénie, où la population se révolte contre la politique inefficace du gouvernement et les sombres perspectives économiques.
Après les manifestations, les gens de Maribor ont commencé à participer plus activement à la vie politique locale, à travers un système de démocratie directe, basé sur les « plénums ». Les plénums sont inspirés par le mouvement international « Occupy » - et par la représentation d’une démocratie horizontale. Leur but est de donner à chaque personne le même pouvoir dans le processus de décision. À partir de 2013, les habitants de Maribor ont commencé à se réunir régulièrement lors de rencontres de voisinage, soutenues par des modérateurs « neutres ». Les gens prenaient ensemble des décisions concernant des problèmes publics et communs.
La chute du gouvernement conservateur, maître d’œuvre des politiques d’austérité, sous la pression populaire est révélatrice d’un mouvement de fond traversant la société slovène : entre luttes massives, mouvement spontané et absence de perspective politique.
La « Suisse des Balkans », le qualificatif correspond moins que jamais à la situation sociale et politique de la Slovénie.
En l’espace d’un an, le pays a connu quelques-unes des plus grandes grèves de leur histoire, un mouvement « citoyen » spontané massif pendant que son gouvernement était renversé sous pression populaire.
La Slovénie a longtemps été présenté comme l’élève modèle à l’Est : un modèle social-libéral co-géré par de puissantes centrales syndicales, une population peu encline à la protestation dans un pays qui fut le premier pays de l’ex-Yougoslavie à adhérer à l’UE (2004) puis à l’Euro (2007).
L’édifice s’est depuis écroulé sous la pression de la crise capitaliste et de l’intégration européenne.
Depuis 2008, le gouvernement conservateur de Janez Jansa imposait des plans d’austérité que l’on connaît ailleurs : baisse des salaires des fonctionnaires de 15%, coupes drastiques dans l’éducation et la santé, allongement du temps de travail et déremboursements massifs dans la Sécurité sociale.
Dans le même temps, le processus de privatisations s’accélère, notamment dans le secteur bancaire où la principale banque du pays NLB devrait être cédée au privé, tandis que le projet de recul de l’âge de départ à la retraite à 65 ans reste la prochaine étape pour le patronat.
En parallèle, des scandales de corruption éclaboussaient le personnel politique, de droite comme le premier ministre Jansa, ou de centre-gauche comme le maire de Ljubljana, Zoran Jankovic.
Entre grèves générales et réformes négociées : les ambivalences du puissant mouvement syndical slovène
La première contestation est venue du puissant mouvement syndical slovène, impliqué dans la co-gestion du pays depuis l’indépendance, dans un pays où – cas rarissime en ex-Europe de l’est – plus d’un salarié sur trois est syndiqué.
Ce mouvement syndical fort, organisé notamment dans l’Association slovène des syndicats libres ZSSS), avait obtenu le maintien d’une partie des acquis sociaux de l’époque socialiste, de certains pans de l’État social en échange de sa participation à la gestion loyale des affaires du capital.
Le mouvement syndical, poussé par la pression populaire, a été à l’origine de deux victoires sur le gouvernement et l’austérité : les référendums de 2011 respectivement sur les contrats précaires pour les jeunes et sur la réforme des retraites prévoyant le recul de l’âge de la retraite à 65 ans.
Ces derniers mois, les journées de grèves lancées dans le secteur public ont été les plus suivies depuis 1991 : plus de 100 000 grévistes en avril 2012 et en janvier 2013 pour protester contre les coupes dans le public, sur les 160 000 fonctionnaires que compte le pays.
Toutefois, la culture du compromis du mouvement ouvrier slovène, du « dialogue social » prôné par la CES (Confédération européenne des syndicats) conduit désormais le mouvement à une impasse.
D’une part, 14 des 21 syndicats de la fonction publique ont accepté de signer un accord d’ « amendement » de la réforme en mai 2012 prévoyant des baisses réduites de salaire (8% au lieu de 15%), et un plan de licenciement revu à la baisse dans l’éducation nationale.
D’autre part, si les syndicats ont longtemps fait planer la menace d’un référendum sur le budget 2013, ils ont retiré cette menace en décembre dernier « montrant leur respect de l’État du droit, et exigeant en retour du gouvernement le même respect de l’État social ».
De fait, en dépit d’un potentiel de lutte inédit, le mouvement syndical, en particulier dans le bastion de la fonction publique, est privé de toute perspective politique hormis celle de la résistance conduisant à l’amendement des réformes.
La vstaja : la naissance d’un mouvement spontané d’indignation face à la corruption
En parallèle à la lutte organisée des syndicats, est né en Slovénie un mouvement spontané, empruntant certains traits aux « Indignados » espagnols ou au partisans du mouvement 5 étoiles en Italie, mais avec des spécificités locales incontestables.
Le mouvement est né d’une révolte contre les scandales de corruption, d’un rejet indifférencié de la caste politique slovène – centre-gauche ou droite – ainsi que d’une vague et puissante aspiration au changement, motivé par le rejet des politiques d’austérité.
Ce mouvement voit le jour à Maribor, deuxième ville du pays, en novembre 2012. Une ville dirigée par un politicien de droite Franc Kangler, chantre des mesures de libéralisation et de privatisation, adepte des mesures autoritaires et trempé dans de multiples scandales de corruption.
Le dernier a mis le feu aux poudres : un partenariat public-privé conclu par la Mairie pour équiper la ville d’une cinquantaine de radars dont 95% des recettes auraient été engrangées par l’opérateur privé.
La révolte (vstaja) de Maribor est un mouvement spontané, né de l’indignation face à la corruption de la caste politique locale, animé par de jeunes étudiants à partir des réseaux sociaux.
De début novembre à la mi-décembre, de 10 à 20 000 « citoyens indignés » occupent la place de la Liberté pour exiger le départ du maire qui, après avoir tenté de s’accrocher, doit démissionner sous la pression populaire fin décembre 2012.
Fort de ce succès historique, la « révolte citoyenne » (vstaja) s’étend aux autres villes du pays, Kranj, Nova Gorica et surtout la capitale Ljubljana où chaque premier samedi du mois, depuis le début de l’année, 10 à 20 000 manifestants exigent le départ de toute la « caste politique » nationale.
En Slovénie, comme ailleurs en Europe de l’Est, dans ce qui fut jadis l’îlot de prospérité paisible de l’ex-Yougoslavie, toutes les illusions sont toutefois déjà tombées sur les bienfaits de la restauration capitaliste et de l’Union européenne.
Mouvements sociaux en Croatie en 2010
Impasse parlementaire, crise économique, corruption endémique… Trois ans après la chute du président Viktor Ianoukovitch, le système oligarchique et ultralibéral domine toujours.
Trois ans après le mouvement de protestation sur la place centrale de Kiev, que reste-t-il de Maïdan ? « Nous sommes encore une fois trahis. En 2004, lors de la “révolution orange”, ou “premier Maïdan”, nous étions convaincus de pouvoir enfin prétendre profiter du modèle européen. En 2014, c’est le système des oligarques, de Viktor Ianoukovitch, de la corruption que nous avions combattu. Encore une fois, seules les têtes ont changé », s’emporte Svetlana, qui a participé aux rassemblements place de l’Indépendance (Maïdan) à Kiev.
L’immense révolte qui a débuté en octobre 2013 a abouti, quatre mois plus tard, à la fuite surprise de l’ancien président Viktor Ianoukovitch, le 22 février 2014. Le lendemain, la prise du pouvoir par Oleksandr Tourtchynov et Arseni Iatseniouk, les alliés de l’ancienne égérie de 2004, Ioulia Timochenko, est actée. « Encore une fois, ce soulèvement n’a rien réglé, notamment d’un point de vue social. À l’époque, nous avions déjà les plus faibles salaires en Europe et 40 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Ces chiffres ont empiré et les promesses de dialogue social ont été rapidement abandonnées », constate Olga, qui a participé avec la Confédération des syndicats indépendants d’Ukraine (KVPU) aux nombreux rassemblements et à l’élaboration de revendications sociales.
Dès leur arrivée au pouvoir, les nouvelles autorités ont pourtant promis une amélioration rapide de l’état de l’économie grâce à l’accord d’association avec l’Union européenne, préféré à celui avec la Russie (Union eurasienne). Les réformes imposées en échange sont connues : privatisations, coupes budgétaires, réformes structurelles… À l’époque, de nombreuses études annonçaient que cette zone de libre-échange ouvrirait des perspectives de croissance inédites et un assainissement des milieux d’affaires. Résultat : l’inflation a atteint quasiment 50 % en 2016. La monnaie ukrainienne (grivna), ne pèse plus qu’un tiers de sa valeur d’avant 2014 et le produit intérieur brut est passé de 183 à 90 milliards de dollars (de 173 à 85 milliards d’euros) entre 2013 et 2015, selon la Banque mondiale.
Pourtant, l’Ukraine a obtenu en 2015 une restructuration partielle de sa dette et un prêt de 16,4 milliards d’euros auprès du Fonds monétaire international (FMI). Pour la politologue Elena Tchaltseva : « Maïdan n’a été qu’une simple redistribution des cartes entre les oligarques. Ce gouvernement prône les mêmes valeurs capitalistes que le précédent et n’a jamais eu l’intention de lutter contre la corruption. Si, afin de poursuivre leur enrichissement personnel, les oligarques doivent défendre désormais les intérêts des Européens et non des Russes, cela ne les dérange guère. » Ils se plient ainsi aux exigences du FMI et de l’UE. Les restructurations dans l’industrie comme dans les services détruisent l’appareil productif ukrainien, qui fait face à la concurrence accrue des produits européens. Aucune aide à l’adaptation n’a été envisagée. « Car avec 46 millions d’habitants, l’ancienne République soviétique représente aux yeux des investisseurs et des analystes de Bruxelles un eldorado économique, agricole et énergétique aux portes de l’Union européenne », rappelle Evgueni Tsarkov, du Parti communiste ukrainien.
Les oligarques continuent de s’appuyer sur les mêmes syndicats, élus, juges et médias pour éviter tout changement malgré deux soulèvements en l’espace de dix ans. Même le FMI a échoué à imposer ses réformes comme la lutte contre la corruption. En contrepartie, l’Ukraine n’a reçu qu’une partie de « l’aide », en raison de son incapacité à lutter contre ce mal endémique qui ronge tous les secteurs du pays. « Même notre président, milliardaire à la tête du groupe Rochen, a été pris dans le scandale des Panama Papers. Il n’a pas vendu ses entreprises comme il s’y était engagé et apparaît dans une société offshore dans le paradis fiscal des îles Vierges britanniques », s’insurge Evgueni depuis Odessa, sur les bords de la mer Noire.
Le président Porochenko et son gouvernement sont dans une impasse politique. Au plus bas dans les sondages, il doit également faire face à une crise dans sa propre coalition puisque le dirigeant du Front populaire, Arseni Iatseniouk, a été écarté de son poste de premier ministre. Le gouvernement s’est maintenu grâce à l’appui au Parlement du parti Renaissance, contrôlé par l’oligarque Igor Kolomoïsky… « Il est clair que, pour rétablir la confiance des citoyens, il faudrait organiser un nouveau scrutin afin de sortir de cette impasse », constate Anatoli Sokoliouk (voir ci-contre). Seulement, les chancelleries occidentales s’y refusent par peur de l’instabilité que cela susciterait.
Elles prônent ouvertement la formation d’un gouvernement technocratique au nom de la lutte contre la corruption. « L’Ukraine a besoin des efforts constants d’une équipe de professionnels qui placent les intérêts du peuple ukrainien au-dessus des leurs pour garantir au pays un avenir stable et prospère », affirmaient neuf ambassadeurs en soutien au ministre de l’Économie démissionnaire Aivaras Abromavicius, en avril 2016. Autre cas qui ne plaide pas en faveur du pouvoir actuel, le président Porochenko, qui s’est récemment rendu en Allemagne où il a rencontré la chancelière Angela Merkel, a dû officiellement interrompre sa visite en raison des événements dans l’est de l’Ukraine. Mais selon certaines sources, ce retour impromptu du chef de l’État ukrainien serait dû en réalité à un accueil très froid des dirigeants allemands du fait du non-respect des accords de Minsk.
Devant l’impasse politique, le gouvernement entend rester populaire en maintenant un discours anti-russe ou qui fait de la Russie l’ennemi principal. La reprise du conflit dans l’est du pays et la plainte déposée en janvier devant la Cour internationale de justice (CIJ), l’instance judiciaire la plus élevée de l’ONU, qui accuse la Russie d’avoir « soutenu le terrorisme » dans le Donbass répond à cette stratégie. « Je doute aujourd’hui que, face aux difficultés sociales, les Ukrainiens se contentent de ces éternels écrans de fumée », conclut Olga.