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La nuit des longs couteaux » ou pourquoi les dirigeants nazis ont décapité eux-mêmes leur mouvement de masse fasciste des S.A., les sections d’assaut, cette immense armée brune
dimanche 23 novembre 2014, par
L’armée "brune" d’Hitler
Röhm et Hitler
« La nuit des longs couteaux » ou pourquoi les dirigeants nazis ont décapité eux-mêmes leur mouvement de masse fasciste des S.A., les sections d’assaut, cette immense armée brune, et intégré entièrement les S.S. à l’Etat bourgeois ?
Dans la nuit du 29 au 30 juin 1934, appelée la « nuit des longs couteaux », (l’expression est de Hitler lui-même, rapportant les événements le 13 juillet 1934 au parlement, le Reichstag), Hitler lance les S.S. d’Heinrich Himmler, avec le soutien de l’armée, dans une opération d’envergure ; de Berlin à Munich, les cadres des S.A. et ainsi que des opposants devront être arrêtés ou assassinés.
Hitler élimine donc (en participant même en personne aux premières arrestations et assassinats !) mille cadres de ses propres Sections d’Assaut, de son immense « Armée Brune » forte d’environ deux millions et demi de membres organisés de manière paramilitaire. Il élimine les chefs des S.A., comme Röhm, Ernst et Heines, proches collaborateurs et amis personnels d’Hitler, essentiellement de l’aile petite bourgeoise « anticapitaliste » du national-socialisme qui avait cru à la démagogie « socialiste » de Hitler et pensait que les nazis prendraient aussi des mesures contre le grand capital, pour aider le commerce et l’artisanat en s’attaquant à la finance, aux banquiers et aux spéculateurs. Désormais, il est clair qu’Hitler n’est qu’une arme aux mains du grand capital, des chefs bourgeois de l’industrie, de la finance et de l’armée. L’importance du mouvement de masse petit bourgeois, considérable tant qu’il s’agissait d’écraser le prolétariat allemand, a considérablement diminué et les risques de cette masse petite bourgeoise paupérisée, alors que la crise économique en Allemagne est loin d’être finie, a considérablement cru…
La « nuit des longs couteaux » n’est nullement un simple épisode de rivalités entre chefs nazis, un simple complot de Röhm contre Hitler (thèse tout à fait fictive diffusée ensuite par Hitler) ni un moyen pour Hitler d’épurer son propre appareil militant et paramilitaire. Ce n’est même pas un moyen pour le chancelier Hitler d’assurer à la hiérarchie de l’armée son soutien face aux débordements des troupes S.A. et d’obtenir ainsi du président Hindenburg l’assurance d’être choisi comme héritier de la présidence, Hindenburg renonçant ainsi à ses visées monarchistes. Non, c’est le caractère de classe du nazisme qui s’affirme ainsi : la prétendue « révolution national-socialiste » n’a rien de révolutionnaire. Elle ne s’attaque pas du tout à l’Etat bourgeois ni à la classe capitaliste et se met au contraire à son service, instrumentalisant la révolte petite bourgeoise pour terroriser et écraser le prolétariat avant de renvoyer ces petits bourgeois, qui se sont momentanément crus révolutionnaires, à leur obéissance à l’Etat et à son chef… La petite bourgeoisie a été complètement trompée. Elle a cru que les premières mesures contre les Juifs seraient suivies d’autres contre l’ensemble de la finance, des spéculateurs, des banquiers, de tous les profiteurs et corrompus alors que ces dernier ont été plus que jamais soutenus. Les profits capitalistes, grâce à la marche à la guerre, ont profité comme jamais. Et ils ont été éternellement reconnaissants à Hitler à la fois de les avoir débarrassés des risques communistes prolétariens et des embarrassants petits bourgeois qui se promettaient une « seconde révolution national-socialiste ».
Il faut comprendre que la bourgeoisie n’appelle pas à la légère un groupe de petits-bourgeois enragés qui se sont dressés contre le prolétariat, mais qui sont aussi pleins de haine contre le grand capital. La bourgeoisie allemande n’a permis à Hitler de prendre le pouvoir en 1933 qu’à la condition expresse qu’il mette au pas l’aile populaire de son mouvement. Cela a provoqué "la nuit des longs couteaux" : le massacre des S.A.. L’arrivée au pouvoir du N.S.A.P.D, le parti d’Hitler, a permis à la bourgeoisie d’écraser dans le S.A.ng toutes les organisations ouvrières et d’atomiser le prolétariat. De 1932 à 1938, la part des salaires dans le Produit national brut (PNB) est passée de 82,3% à 73,8% en Allemagne, y compris les 5 millions de chômeurs remis au travail. Voilà un élément qui permet de mesurer la baisse des salaires réels au cours de ces années noires pour le prolétariat.
Le gouvernement Hitler bloque les salaires au niveau très bas de 1932, où ils étaient arrivés en raison de la crise. Les travailleurs sont privés de tous leurs droits et menacés d’emprisonnement dans un camp de concentration en cas de grève.
La loi nazie du 15 mai 1934 limite la liberté de changer d’employeur. Un livret de travail est introduit en février 1935. Sans ce document, aucun travailleur ne peut être engagé. Tout comme en Belgique au 19e siècle, un ouvrier qui désire travailler ailleurs peut en être empêché par son patron si celui-ci détient son livret de travail.
Le problème du chômage est résolu en envoyant une partie des chômeurs dans l’armée, une autre dans les usines d’armement. Les deux parties sont ainsi obligées de préparer leur propre mort et celle de dizaines de millions d’autres.
Tout cela a été rendu possible par l’écrasement par les Sections d’Assaut des organisations ouvrières, une véritable équipe d’assassins professionnels encadrant un mouvement de masse chargé d’impressionner et de tétaniser le prolétariat.
La crise mondiale qui avait frappé le capitalisme en 1929 menaçait particulièrement de prendre un caractère de révolution sociale en Allemagne, où le prolétariat était de loin la force la plus organisée et préparée du monde. L’enjeu de la lutte était qui, de la grande bourgeoisie et du prolétariat, prendrait la tête de la petite bourgeoisie. L’issue était plus qu’incertaine. On peut même penser que la situation objective donnait une nette faveur au prolétariat. C’est le mouvement national-socialiste qui a renversé cette situation, avec une aide remarquable des politiques criminelles des directions du mouvement ouvrier, syndical, social-démocrate et stalinien. Mais la petite bourgeoisie, mobilisée massivement dans les S.A., n’allait servir que momentanément d’instrument et c’est bel et bien la grande bourgeoisie qui tirait les marrons du feu comme le montre la nuit des longs couteaux.
La S.A., organisation paramilitaire des masses petites bourgeoises et populaires fanatisées, était forte en 1934 de deux millions et demi de membres, soit vingt fois plus que les effectifs de l’armée. Son chef, Ernst Röhm, visait à une démocratie sociale, aplanissant les classes sociales et s’attaquant à la finance, à réorganiser l’armée allemande en dépendance de la S.A., ce que la grande bourgeoisie ne pouvait pas admettre.
La nuit des Longs Couteaux scelle pour quelques années l’alliance d’Hitler avec les milieux de la grande bourgeoisie et la haute hiérarchie de l’armée. L’initiative brutale d’Hitler les apaise, l’élimination des nazis révolutionnaires (c’est-à-dire de la tendance populiste du parti national-socialiste) rassure toute la bourgeoisie sur les intentions du nouveau régime.
Il suffit d’examiner les réactions des chefs de la grande bourgeoisie pour comprendre ce que le 30 juin 1934, connu comme « nuit des longs couteaux », signifie en termes de classes et pour comprendre aussi ce que signifie vraiment le fascisme en termes de classes :
Le porte-parole de l’industrie lourde allemande, la Deusche Algemeine Zeitung écrit le 1er juillet 1934 :
« La date du 30 juin est gravée profondément dans l’histoire de la révolution… L’épuration a commencé. Nous avons maintenant un Etat fort, consolidé et unifié… La reconnaissance du peuple est due à Adolf Hitler et ses fidèles… Un gouvernement énergique a frappé au bon moment avec une précision ahurissante ; il a fait le nécessaire pour qu’aucun patriote n’ait plus à craindre quoi que ce soit… La révolte a été étouffée dans l’œuf et la voie est libre vers un avenir de pureté. »
La gazette allemande de l’industrie minière, la Deutsche Bergwerkzeitung, du 8 juillet 1934 déclare :
« L’économie nationale a salué l’avènement du national-socialisme avant tout, parce que, pour construire, elle a besoin de calme, d’ordre et de sécurité, autant que de pain quotidien… L’économie a été sauvée de ce danger par les rapides et énergiques mesures du Gouvernement. Elle saura lui exprimer sa reconnaissance. »
La Gazette de la Croix, ou Kreuz Zeitung, organe bourgeois ultra conservateur des monarchistes, des conservateurs chrétiens et de l’armée prussienne, écrit le 3 juillet 1934 :
« Il ne sera jamais possible de nous acquitter entièrement de notre dette envers le Führer. Au cours de ces journées et de ces nuits qu’il a dû lutter pour nous, il s’est encore un peu davantage élevé au dessus de nous. »
Le président von Hindenburg télégraphie à Hitler :
« Dans les rapports qui m’ont été présentés, il apparaît que grâce à la fermeté de votre décision et grâce au courage dont vous avez fait preuve, payant de votre propre personne, les tentatives de haute trahison ont été étouffées. Vous avez sauvé le peuple allemand d’un grave danger. Je veux vous exprimer mes profonds remerciements et toute ma reconnaissance. »
Le général von Blomberg, un proche de Hindenburg, proclamait le 1er juillet 1934 :
« Avec le coup d’œil d’un soldat et avec un courage qui sera cité en exemple, le Führer a lui-même attaqué et a anéanti les traîtres et les rebelles. L’Armée, qui porte les armes pour toute la nation et qui demeure éloignée des luttes politiques, remerciera le Führer en lui étant dévouée et fidèle. »
Désormais, sur décision de l’Etat-Major militaire allemand, le soldat allemand prêtera serment à la personne d’Adolf Hitler !!! C’est dire la reconnaissance de cette haute caste prussienne et de la grande bourgeoisie…
Le premier commentaire public d’Hitler lui-même, en plein massacre, vaut d’être cité :
« Par mon ordre, les Obergruppenführer Schneidhuber, Heines, von Heydebreck, Hayn, von Krauss.er, le Gruppenführer Schmidt, le Standartführer comte Spretti, ont été abattus ! »
Loin de s’en tenir à cette liste, Hitler élimine le chef des S.A. Röhm, mais aussi d’autres opposants politiques comme von Schleicher, von Kahr, Bredow, Gregor Strasser, van Bose, Edgar Jung, Klausener, sans compter plus de mille responsables des Sections d’Assaut.…
Il n’a pas encore rajouté le nom du principal dirigeant Rëhm qui n’a pas 24 heures à vivre avant d’être abattu comme traître.
Le 13 juillet 1934, justifiant son action devant le Reichstag, Hitler dénonce la trahison de certains chefs des S.A., parle le premier de « nuit des long couteaux » et affirmer que ces traitres voulaient fomenter une « seconde révolution national-socialiste ». Il déclare avoir été dans cette affaire tout à la fois enquêteur, juge et bourreau : « La Cour Suprême du peuple allemand, ce fut moi tout seul. »
Si Adolf Hitler, devenu chancelier un an avant, décide de se séparer de la direction S.A. et de la liquider afin d’unifier politiquement le parti nazi, c’est afin d’obtenir le quitus définitif de la bourgeoisie et de l’Etat allemands, de devenir le chef incontesté de l’Etat allemand, en obtenant de succéder à Hindenburg comme président du Reich allemand et d’être reconnu comme tel par le Haut Etat Major militaire comme par la grande bourgeoisie industrielle, financière et commerciale. Tout cela va être réalisé en une seule opération policière de grande envergure qui élimine en même temps nombre d’ennemis politiques, y compris bourgeois de droite.
Ce sont les Thyssen, Krupp, Siemens et autres qui ont déterminé la politique économique de Hitler. Il suffit de voir la composition du Haut comité économique sous le gouvernement nazi. Nous y trouvons Gustav Krupp von Bohlen, roi de l’industrie d’armement, Fritz Thyssen, baron de l’acier, C. von Siemens, roi de l’électricité, Karl Bosch, de l’industrie des colorants. Ce sont encore eux qui ont demandé à Hitler d’en finir avec la mobilisation de la petite bourgeoisie, organisée militairement sur des bases démagogiquement anti-capitaliste. Désormais, il n’y a plus place qu’à la mobilisation en faveur du grand capital allemand, mobilisation sociale et politique, notamment dans une organisation du travail industriel et productif devenue quasi militaire, mobilisation militaire aussi de tout le peuple allemand en vue de la guerre mondiale et à l’écrasement militaire aussi de quiconque s’y oppose.
Dans son testament du 11 mai 1934, le président von Hindenburg tire la leçon des événements pour la bourgeoisie : Hitler, sauveur des classes dirigeantes, doit être nommé président à son décès en cumulant le poste de chancelier et de président. Il renonce ainsi à son vœu de rétablir la monarchie :
« Mon Chancelier, Adolf Hitler, a contribué puissamment au travail d’unification du peuple allemand au travail d’unification du peuple allemand et à l’action destinée à réaliser, sans distinction de classes, une entité homogène. Je sais qu’il reste encore beaucoup à faire et je souhaite ardemment que, derrière le grand mouvement populaire qu’est le national-socialisme, s’accomplisse le suprême acte de la réconciliation de tout le peuple allemand. Je quitte mon peuple dans le ferme espoir que ce que j’avais désiré en 1919 et qui aboutit peu à peu au 30 janvier 1933, mûrira jusqu’à ce que la mission historique de notre peuple soit pleinement accomplie. »
Dire que le parti social-démocrate assurait les travailleurs et le peuple allemand que von Hindenburg allait être le dernier rempart contre le fascisme….
Cette purge permit à Hitler de briser définitivement toute velléité d’indépendance de la S.A., débarrassant ainsi le mouvement nazi de son « aile gauche » qui souhaitait que la pseudo révolution politique bourgeoise, remplaçant la démocratie par la dictature, ne soit pas suivie par une révolution sociale, la fameuse deuxième révolution dont les S.A. se répétaient la perspective. De ce fait, elle rassura les hauts cadres militaires de la Reichswehr, les milieux bourgeois traditionnels, les grands financiers et industriels, hostiles à des réformes sociales de grande ampleur tout en approuvant le climat de terreur illégale du moment qu’il s’agissait seulement d’actions violentes contre la classe ouvrière, le communisme et même la démocratie.
Révolutionnaire/contre-révolutionnaire, bourgeois/anti-bourgeois, hostile aux financiers ou en leur faveur, socialiste/anti-socialiste, le double jeu permanent du parti national-socialiste qui ne s’arrête que le 30 juin 1934
Jusqu’à la nuit des longs couteaux, le parti national-socialiste allemand NSDAP n’a cessé de naviguer entre des déclarations révolutionnaires et socialistes, radicales, et des prises de position en faveur de la grande bourgeoisie. Ces zigzags ont produit de nombreux affrontements au sein du parti nazi et des sections d’assaut. La lutte entre Hitler et Strasser, notamment, puis entre Goering et Röhm, en est pleine.
Le programme du parti nazi en 25 points du 24 février 1920 jouait au « socialisme national » et notamment pour tous les points de 7 à 18 :
« Premier devoir assurer le travail et les moyens d’existence. Abolition du revenu qui n’est pas le produit du travail. Briser l’esclavage du prêt à intérêt. Tout enrichissement sur profits de guerre considéré comme un crime. Nationalisation de tous les trusts. Participation des salariés aux bénéfices dans toutes les grandes entreprises. Développement de l’assistance vieillesse. Aide à la classe moyenne. Communalisation des grands magasins. Aide d’Etat aux petites entreprises. Réforme foncière et notamment expropriation sans indemnités du sol dans un but d’intérêt général. Interdiction de toute spéculation sur les terrains. Lutte sans merci contre les usuriers, les profiteurs, etc. qui seront punis de mort, sans distinction de confession ni de race. »
Le double langage des nazis, s’il est pris à la lettre par ses troupes et certains cadres, est un pur calcul démagogique de la part d’Hitler. Et il se traduit sur le terrain organisationnel. Les sections d’assaut s’adressent à la petite bourgeoisie et à la jeunesse paupérisés. Le parti national-socialiste est organisé théoriquement de manière séparée : d’un côté le parti, de l’autre le mouvement de masse des S.A. Le parti nazi a ses propres forces paramilitaires qui ne sont pas les S.A. mais les SS. (Schutz-Staffeln ou troupes de protection), beaucoup moins nombreuses mais plus sélectionnées et issues de milieux moins populaires et plus bourgeois alors que les S.A. attirent volontairement la lie de la terre, le lumpenprolétariat, les éléments les plus pourris, violents, orduriers de la société, tous ceux qui ne rechigneront pas aux basses besognes, aux crimes les plus sordides pour écraser le mouvement ouvrier.
Les deux discours étant contradictoires, les affrontements n’ont pas manqué entre porte-paroles de chacun d’eux. Pendant toute une période, c’est Gregor Strasser qui s’est fait le porte-parole du « socialisme » du mouvement de masse nazi en se confrontant avec Hitler, tenant un discours plus bourgeois, plus partisan de l’ordre et de l’Etat.
La première confrontation publique entre les deux a eu lieu en 1926 à propos de l’indemnisation des princes allemands « dépossédés » par la révolution de 1918. Strasser combat l’indemnisation, appliquant le programme du parti nazi mais c’est Hitler qui l’emporte en soutenant les revendications des princes.
Autre sujet de dispute : en 1927, Strasser exige une hausse importante des salaires qui se sont effondrés. Hitler combat violemment cette proposition. Il intervient également en faveur de la propriété privée, contredisant là encore son propre programme, affirmant qu’un tel « socialisme » serait du marxisme et que le parti nazi est seulement contre la propriété privée des Juifs. Les troupes SA attribuent généralement le langage d’Hitler à des calculs astucieux pour attirer la bourgeoisie et l’appareil d’Etat et penseront, en dehors de petites révoltes contre Hitler, que celui-ci manœuvre astucieusement. Le passé de contre-révolutionnaire violent d’Hitler en 1923 joue en sa faveur. Mais, en fait, Hitler a tiré la leçon de l’échec cuisant de 1923 : plus question de jouer à l’insurrection, pas de renversement violent de l’Etat bourgeois, un simple simulacre de mobilisation de masse mais une prise du pouvoir parfaitement légale par rapport à la bourgeoisie et à l’Etat.
En 1927-1928, Hitler n’a cependant que peu de soutiens dans la grande bourgeoisie (seulement Emil Kirdorf et Fritz Thyssen, qui le racontera abondamment dans son autobiographie intitulée « J’ai payé Hitler »). Cela n’empêche pas Hitler de viser le soutien de la grande bourgeoisie et de vouloir la servir tout en s’octroyant pour cela de plus en plus les pleins pouvoirs.
Les méthodes violentes et illégales, Hitler les réserve aux actions des S.A. contre le mouvement ouvrier. Pour cela, il n’est nullement gêné d’employer des groupes de tueurs qui attaquent systématiquement les réunions et les locaux ouvriers, laissant de très nombreux morts sur le carreau, sans susciter beaucoup de réactions de la police et de la justice. Hitler les défend systématiquement et publiquement dans tous les procès. Mais il cherche à minimiser tous les affrontements entre dirigeants de ces milices paramilitaires et cadres de l’armée et refuse le discours des dirigeants S.A., quand ceux-ci prétendent être en train de construire la nouvelle armée allemande ou d’en devenir le noyau. De son côté, la haute hiérarchie de l’armée regarde d’un mauvais œil ce mouvement de masse paramilitaire montant, qui semble devoir la contester un jour. Du côté de la grande bourgeoisie, sa satisfaction de voir les troupes nazies s’attaquer à l’adversaire prolétarien jusque là si menaçant que les forces de répression classiques étaient insuffisantes contre lui, ne les amènes pas à accepter l’idée de ces masses petites bourgeoises agitées accédant d’une manière ou d’une autre au pouvoir, au travers du parti nazi.
C’est la crise économique mondiale de 1929 qui va offrir une chance à la politique de Hitler, lui donnant à la fois des troupes en masse pour ses sections d’assaut parmi les petits-bourgeois affolés par la crise et un soutien financier et politique de la part de la grande bourgeoisie. Sa méthode consistant à garder deux fers au feu : à la fois du côté de la grande bourgeoisie et de la petite va parfaitement fonctionner. La crise politique permanente que va connaître l’Allemagne en crise économique lui offre un terrain d’action pour S.A. propagande contre les partis ouvriers, social-démocrate et stalinien et contre les syndicats ouvriers, en même temps que sa démagogie anti-Juifs et anti-financiers. Le 27 mars 1930, le social-démocrate Herman Müller est contraint à la démission et l’Allemagne ne connaît plus dès lors de stabilité politique ou sociale. La démagogie de Gregor Strasser fait des merveilles, ramène des milliers de petits-bourgeois aux milices paramilitaires dans toute l’Allemagne et parvient même à s’adresser aux chômeurs et aux travailleurs déboussolés par la politique des partis réformistes. En 1930, Strasser soutient une grève ouvrière organisée par les syndicats en Saxe. Hitler joue le rôle opposé et soutient la Fédération Saxonne des industriels ! Toujours le double jeu et ça marche très bien…
Les S.S., qui ne comptaient que quelques centaines de membres en 1929, passent à 2000 en 1930, pendant que les S.A. atteignent les 60.000 membres et deviennent une organisation paramilitaire de masse. L’opposition entre les deux politiques, celle des S.A. de Strasser et celle du parti nazi d’Hitler menace d’exploser aux élections législatives car le parti nazi ne présente aucun candidat issu du milieu petit-bourgeois et populaire des S.A. mais uniquement des candidats liés aux hobereaux, aux industriels et à la haute hiérarchie de l’armée. Une révolte de centaines de sections d’assaut contre la politique bourgeoise du parti nazi a même lieu en 1930, à la fois à Berlin et à Munich.
Ce qui évite la rupture, c’est la victoire électorale du parti nazi dans ces élections : il devient le deuxième parti d’Allemagne avec 107 élus sur 577 et plus de six millions de voix. Le discrédit de la démocratie bourgeoise (à la fois des partis bourgeois du centre et de la droite et du parti social-démocrate) profite aux partis extrêmes (nazi et stalinien).
Du coup, Hitler réalise son objectif, peut se placer en alternative pour la grande bourgeoisie, tout en devenant le principal parti de la petite bourgeoisie allemande. Personnellement, il peut s’appuyer sur cette victoire et sur la perspective de triomphes électoraux à venir pour appuyer sa stratégie électorale (et non insurrectionnelle) et pour se placer lui-même à la tête à la fois du parti nazi et des troupes S.A. (jusque-là théoriquement indépendantes).
En 1932, les S.A. passent un nouveau cap et atteignent 170.000 hommes, en recrutant dans toute l’Allemagne, jusque dans les villages…
C’est là qu’Hitler confie à nouveau à Röhm la direction des S.A. en lui laissant croire qu’il pourra, sur la base des S.A., constituer le noyau d’une nouvelle armée allemande qui ne soit plus celle des officiers prussiens, des hobereaux, des princes ni une armée au service de la grande bourgeoisie allemande, et on sait que déjà il ne le pense nullement ce qu’il lui dit. Hitler est en effet plus que jamais non seulement en relation avec les milieux industriels, financiers et banquiers mais également des chefs militaires.
En effet, pour Hitler, il n’est plus question de révolution contre la force armée régulière comme aux origines du parti nazi et il continue à chercher le soutien de la haute hiérarchie de l’armée, pour l’essentiel encore très réticente à son égard. Il ne veut plus renverser l’Etat bourgeois mais être appelé au pouvoir par lui. Les milieux militaires méprisent encore le petit-bourgeois Hitler, s’opposent aux agitations des Sections d’Assaut, à leur prétention de noyauter l’armée, refusent que le soldat fasse de la politique, préfèrent les monarchistes aux nazis, ont leur propre formation paramilitaire nationaliste : le « Casque d’Acier ».
Hitler conclue de plus en plus souvent des pactes et alliances politiques avec cette droite dure, conservatrice et monarchiste, celle du Casque d’Acier, celle du gouverneur de la Reichsbank, le Docteur Schacht, avec le Docteur Funck de la Gazette de la Bourse de Berlin, avec le secrétaire général de la Fédération des Employeurs d’Allemagne du Nord-Ouest, Ludwig Grauert, avec le Club des Industriels de Düsseldorf, etc. Largement abondés par la grande bourgeoisie, les comptes du parti nazi sont au vert et cela lui permet d’embaucher de plus en plus de Sections d’Assaut mobilisables à tout moment pour ses campagnes, ses manifestations et ses actions violentes, parmi les chômeurs, les officiers et sous-officiers démobilisés de l’armée, les anciens corps francs revenus de leurs opérations de massacre contre la révolution russe…
Et cet argent, qui coule à flots maintenant dans ses caisses, lui permet d’entretenir une campagne électorale permanente dans tout le pays et d’apparaître ainsi à toute la popualtion comme une force montante irrésistible. En juillet 1932, le parti nazi obtient 13 millions de voix et 230 élus sur 600. Il devient le premier parti d’Allemagne. Mais cela ne signifie nullement que la grande bourgeoisie soit prête sur la base de ce succès électoral à le laisser accéder au pouvoir. Celle-ci ne veut certainement pas qu’un raz de marée populaire petit-bourgeois lui donne les rênes du pays, sans que ce soit elle, la grande bourgeoisie avec ses membres de l’appareil d’Etat, qui commande à la manœuvre. Hitler est plus que jamais écarté de la direction politique. Ses troupes S.A. sont maintenant inquiétées et arrêtées.
Le président Hindenburg, élu par les voix des sociaux-démocrates qui prétendent qu’il sera un rempart contre l’avènement d’Hitler, s’appuie sur les conservateurs von Papen ou von Schleicher pour tenir Hitler à l’écart. Ils veulent contraindre Hitler et le parti nazi à donner des garanties à la grande bourgeoisie et à l’Etat bourgeois. Et d’abord la garantie que ces masses de petits-bourgeois haineux à l’égard des capitalistes et des financiers n’auront que le rôle d’écraser le mouvement ouvrier et ne seront jamais autorisés de s’en prendre au grand capital, aux hobereaux et aux financiers allemands. La garantie qu’Hitler s’engagera à les dissoudre ou à les décapiter dès que la tâche d’écrasement du mouvement ouvrier aura été assurée.
La bourgeoisie semblant se détourner d’Hitler, el courant révolutionnaire petit-bourgeois des S.A. devient plus turbulent et revendicatif, avec comme chefs de file les dirigeants S.A. Rëhm et Heines, Gregor Strasser s’étant retiré de la politique.
Dès 1932, Röhm s’oppose à Hitler lorsque celui-ci amorce son rapprochement avec les milieux d’affaires et les forces conservatrices pour parvenir à la présidence.
Ce n’est pas un hasard si le pire ennemi de Röhm est Herman Goering, car ce dernier est lié aux milieux de l’industrie et de la finance, ceux-là même que Röhm ne se cache pas de mépriser et conspue publiquement dans tous ses discours, notamment aux sections d’assaut.
En 1932, une bonne partie des financiers et des industriels se détournent d’Hitler et du coup une bonne partie de ses soutiens dans la petite bourgeoisie. Le parti nazi perd les élections au Reichstag de novembre 1932. Deux millions de voix en moins et 34 postes de députés perdus ! Cette fois, la grande bourgeoisie a les moyens de mettre Hitler dans leur poche. S’il ne vient pas à composition, il est perdu. Paradoxalement, c’est grâce à cet échec électoral que Hitler se retrouve à négocier au lendemain de la défaite des nazis. La réunion au sommet, qui a lieu discrètement dans la maison d’un grand banquier de Cologne, regroupe le président von Hindenburg, le chancelier von Papen et Hitler. L’accord est conclu. Hitler s’engage à défendre la grande bourgeoisie et à démobiliser ses troupes S.A. dès que la victoire contre le communisme et le mouvement ouvrier sera acquise. Le 28 janvier 1933, le président Hindenburg nomme Hitler chancelier d’Allemagne et celui forme un gouvernement dirigé par von Papen, vice-chancelier, comme cela était convenu entre eux. Il n’y a que deux ministres nazis (Frick et Goering). L’armée n’a pas de ministre nazi mais le ministère de l’Intérieur revient aux nazis car ils sont chargés d’en finir avec le mouvement ouvrier.
Et effectivement, Goering va se servir immédiatement et brutalement de son ministère pour commencer à détruire physiquement les organisations prolétariennes pourtant les plus massives, organisées et potentiellement puissantes du monde. Les salles de torture, les camps d’internement se multiplient pour les militants ouvriers et les assassinats dans les rues sont légion.
Goering cumule pour cela les postes de ministre de l’intérieur, de président du Conseil de Prusse et de chef de la nouvelle police, la Gestapo. Il choisit des collaborateurs directement liés à la grande bourgeoisie comme Ludwig Grauert, Rudolf Diels, etc.
Les S.A. ne sont pas abandonnés dans cette tâche, eux qui sont indispensables pour terroriser les militants ouvriers et la classe ouvrière. 15.000 SS. et 25.000 S.A. sont même transformés pour cela en « police auxiliaire », ce qui rend légaux tous leurs crimes et arrestations massives sans aucune formalité judiciaire.
D’un seul coup, la petite bourgeoisie, assurée que les nazis deviennent une force légale, rejoint massivement les Sections d’Assaut qui passent de 300.000 début 1933 à 2,5 millions huit mois plus tard. C’est un véritable raz de marée. Les crimes des S.A. et les manifestations de masse de la petite bourgeoisie sont tolérées par la classe dirigeante qui sait qu’elles sont indispensables pour tétaniser et terroriser le mouvement ouvrier.
Mais cela ne signifie pas que le problème politique soit réglé : le grand écart entre les orientations petites bourgeoises de la direction des S.A. (Röhm et Heines) d’un côté et la politique bourgeoise d’Hitler et Goering de l’autre, est plus aigu que jamais.
Après l’arrivée d’Hitler au poste de chancelier en janvier 1933, Ernst Röhm considère que l’alliance avec la bourgeoisie allemande n’est qu’un premier pas et appelle à « une poursuite de la révolution allemande ». Le chef S.A. Edmund Heines exige que Hitler et les autres responsables nazis lancent des réformes sociales radicales. Il n’est pas le seul à partager cette opinion : Brückner, président de Haute-Silésie attaque vivement les gros industriels « dont la vie est une perpétuelle provocation » A Berlin, Holer, de la Fédération ouvrière nazie déclare que « le capitalisme s’arroge le droit exclusif de pouvoir donner du travail à des conditions qu’il fixe lui-même. Cette domination est immorale et il faut la briser » ; en juillet 1933, Kube, chef de groupe nazi au parlement de Prusse affirme que « le gouvernement national-socialiste doit obliger les grands propriétaires fonciers à morceler leurs terres et à en mettre la plus grande partie à la disposition des paysans ». La mise à l’écart de Gregor Strasser en 1932 n’a donc pas mis fin à la tendance « de la seconde révolution » qui se dit anti-capitaliste au sein du mouvement de masse nazi.
Malgré sa nomination, en décembre 1933, comme ministre sans portefeuille, Röhm maintient ses exigences : il ne se contente plus de diriger la S.A. et insiste auprès d’Hitler pour qu’il le nomme ministre de la Guerre, position détenue par le général Werner von Blomberg, chef de tendance bourgeoise conservatrice et surtout l’homme de confiance des chefs militaires prussiens et particulièrement de von Hindenburg. Surnommé « le lion en caoutchouc » par certains de ses détracteurs dans l’armée pour S.A. dévotion à Hitler, von Blomberg n’est pas nazi, et il représente un pont entre l’armée et le parti nazi. Provenant essentiellement de la noblesse prussienne, Blomberg et de nombreux officiers considèrent la S.A. comme une foule plébéienne qui met en danger la position de l’armée comme dépositaire unique de la puissance militaire allemande. Si l’armée régulière montre du mépris pour les membres de la S.A., beaucoup de chemises brunes considèrent que l’armée est insuffisamment engagée dans la révolution nationale-socialiste. Max Heydebreck, un chef S.A. de Rummelsburg, insulte l’armée devant ses camarades : « Certains des dirigeants de l’armée sont des porcs. La plupart des officiers sont trop vieux et doivent être remplacés par de plus jeunes. Nous voulons attendre jusqu’à ce que le papa Hindenburg soit mort, et alors la S.A. marchera contre l’armée ».
Malgré ces conflits, von Blomberg et d’autres responsables militaires voient en la Sturmabteilung un vivier de recrues pour une armée agrandie et revitalisée. Pour Röhm, par contre, c’est la S.A. qui doit devenir le noyau de la nouvelle armée du Reich. Les effectifs de la Reichswehr étant limités à hommes par le traité de Versailles, les chefs de l’armée observent avec inquiétude la progression du nombre de membres de la S.A., qui atteint environ trois à quatre millions d’hommes en juin 1934, à la veille d’être décapitée par Hitler lui-même.
En janvier 1934, Röhm adresse à Blomberg un mémoire selon lequel la défense nationale doit être assurée par la S.A., le rôle de la Reichswehr se limitant à l’instruction militaire. Face à cette exigence, Hitler rencontre von Blomberg, les responsables de la Sturmabteilung (S.A.) et ceux de la Schutzstaffel (S.S.). Sous la pression de Hitler, Röhm, à contre-cœur, signe un pacte confirmant que la Reichswehr est bien la seule organisation armée officielle du Troisième Reich et n’accordant à la S.A. que le monopole de la formation pré et postmilitaire. Après que Hitler et les dirigeants de l’armée soient partis, Röhm donne libre cours à sa colère, déclarant notamment que « Ce que dit le prétendu Führer ne compte pas pour nous ».
Le 22 février 1934, Röhm déclare devant des chefs S.A. de Thuringe :
« La nation est préservée du danger de la stagnation et de l’esprit du boutiquier par l’élan révolutionnaire des S.A. qui sont les garants de la révolution. Nous ne sommes pas un club bourgeois, mais une association de combattants politiques résolus. Cette ligne révolutionnaire sera maintenue au sein des S.A. dans l’esprit du passé. Je ne veux pas conduire des hommes qui plaisent aux boutiquiers, mais des révolutionnaires qui entrainent le pays avec eux.
Cela ne signifie pas que Röhm ait parfaitement conscience de s’opposer à Hitler. Persuadé qu’Hitler n’a fait qu’un recul tactique momentané, ou qu’il subit momentanément la pression des milieux bourgeois, Röhm s’accroche toujours à sa vision de la deuxième révolution nationale-socialiste comme à celle d’une nouvelle armée allemande avec la Sturmabteilung comme noyau. Au printemps 1934, cette vision s’oppose directement aux projets de Hitler, qui entend consolider et augmenter la puissance de la Reichswehr. Leurs plans respectifs étant incompatibles, le succès de Röhm ne peut se faire qu’au prix d’un échec de Hitler. En conséquence, une lutte politique se développe au sein du mouvement nazi. Les principaux dirigeants nazis, dont le ministre-président de Prusse Hermann Göring, le ministre de la propagande Joseph Goebbels, le Reichsführer-SS. Heinrich Himmler et le député Rudolf Hess, se rangent aux côtés du Führer. Parmi les vétérans du mouvement nazi, les Altkämpfer, seul Röhm fait preuve d’indépendance et ose s’opposer à Adolf Hitler. Son mépris pour la bureaucratie du parti irrite Hess et la violence des membres de la S.A. en Prusse préoccupe gravement Göring qui dirige la région.
De plus, les prises de position publiques de Röhm deviennent de plus en plus menaçantes. Le 18 avril 1934, il déclare devant le corps diplomatique à Berlin : « Les succès obtenus jusqu’à présent en Allemagne, la prise du pouvoir et l’élimination des supports idéologiques du marxisme, du libéralisme et du capitalisme, responsables de l’évolution funeste desannées d’après-guerre qui ont été dépouillés de leur influence prépondérante sur l’Etat – tout ce qui a été obtenu jusqu’à maintenant, je le souligne, n’est qu’un préalable, un tremplin pour atteindre les véritables buts du national-socialisme. Nous n’avons pas fait une révolution nationale, mais une révolution nationale-socialiste et nous insistons particulièrement sur le mot socialiste ! » Il rajoute : « Lors de la prise du pouvoir, le nouveau régime allemand, faisant preuve d’une indulgence incompréhensible, n’a pas brutalement fait table rase des supports et des hommes de main du système ancien et plus ancien encore. Aujourd’hui, on retrouve aux postes officiels des hommes qui n’ont encore rien saisi de l’esprit de la révolution nationale-socialiste… La notion même de la révolution fait nécessairement horreur à ces réactionnaires, ces petits-bourgeois et cagots, en raison de leur mentalité, de même que nous éprouvons des nausées rien qu’en pensant à eux. » Röhm répète quasiment le même discours devant des représentants de la presse étrangère que « la révolution que nous avons faite n’est pas une révolution nationaliste, mais une révolution nationale-socialiste. Nous tenons même à souligner ce dernier mot : socialiste ». Il poursuit « Le combat de ces longues années jusqu’à la Révolution allemande, l’étape du parcours que nous franchissons en ce moment nous a enseigné la vigilance. Une longue expérience et souvent une expérience fort amère, nous a appris à reconnaître les ennemis déclarés et les ennemis secrets de la nouvelle Allemagne sous tous les masques » puis s’écrie « Réactionnaires, conformistes, bourgeois...nous avons envie de vomir lorsque nous pensons à eux ». Fin mai, son adjoint direct, Edmund Heines, poursuit dans le même sens : « Nous avons assumé le devoir de rester révolutionnaires. Nous ne sommes qu’au commencement. Nous ne nous reposerons que lorsque la révolution allemande sera achevée ». Comme en écho, lors d’un discours à la radio le 25 juin, Rudolf Hess adopte un ton menaçant : « Malheur à qui rompt son serment en croyant servir la révolution par la rébellion ». Malgré les discours inverses et les rumeurs, Röhm reste confiant dans la lutte que mène Hitler et il est persuadé qu’il y aura toujours un partage des rôles entre lui et Hitler et qu’il soit persister envers et contre tous.
Röhm fait diffuser en juin une proclamation à ses troupes des S.A. :
« Une victoire a été remportée sur la route qui mène à la révolution allemande… Une victoire a été remportée mais ce n’est pas la victoire ! (…) Déjà certains bourgeois, certains rouspéteurs osent sortir de leurs cachettes, se demandant étonnés ce que veulent encore les S.A. et les SS., maintenant que Hitler est au pouvoir. Puisque nous sommes redevenus un peuple national. Les drapeaux à croix gammée flottent dans toutes les rues. Partout règnent l’ordre et la paix. Et si jamais celle-ci était troublée, la police veillerait à la rétablir au plus vite. Pourquoi alors encore des S.A. et des SS. ? (…) Si les âmes bourgeoises croient suffisant que l’appareil de l’Etat ait changé de signe, si elles pensent que la révolution « nationale » dure trop longtemps déjà, nous sommes exceptionnellement de leur avis : il est en effet grand temps que la révolution nationale cesse et qu’elle se transforme en une révolution nationale-socialiste ! Que cela leur convienne ou non – nous continuerons notre lutte. S’ils comprennent enfin quel est l’enjeu : nous lutterons avec eux ! S’ils n’en veulent pas : sans eux ! S’il le faut : contre eux ! Fidèles, disciplinés et obéissants nous avons suivi Adolf Hitler, notre chef suprême S.A. bien-aimé sur sa route difficile : nous connaissons son but qui est aussi le nôtre, sans aucun compromis : l’Allemagne nationale-socialiste… Nous, les S.A. et SS. d’Adolf Hitler sommes les garants incorruptibles de l’accomplissement de la révolution allemande, jusqu’à la fusion totale en une unité indivise de la volonté nationale et socialiste : un PEUPLE NATIONAL-SOCIALISTE DANS UN ETAT NATIONAL-SOCIALISTE ! »
Mais le discours d’Hitler et de ses hauts responsables est de plus en plus clair : il n’est nullement question de préparer une nouvelle révolution s’attaquant à l’Etat bourgeois allemand. Plus d’un an après la nomination d’Hilter comme chancelier du Reich, il n’est toujours pas question d’appliquer le programme social du parti nazi : s’attaquer aux sociétés anonymes, à la spéculation et à l’usure, à la grande banque, aux grandes propriétés foncières et il n’est toujours pas question d’aide financière massive à la petite bourgeoisie ni de participation des travailleurs aux bénéfices des grandes entreprises, ni de municipalisation des grands magasins. Par contre, plus que jamais, les fonds publics sont mis au service du grand capital industriel et financier.
Les confrontations entre officiers de la Reichswehr et cadres des S.A. se multiplient. Hitler est sans cesse sous pression de remarques critiques des milieux proches de la hiérarchie militaires qui critiquent les cadres S.A. pour leurs désordres, leur manque de respect pour l’uniforme et la hiérarchie militaire. Le 17 juin 1934, von Papen critique publiquement à Marbourg les désordres causés par les troupes S.A. et leur discours « révolutionnaire » anti-capitaliste. Hitler rencontre même le magnat industriel Krupp qui relaie les mêmes critiques amères.
Il n’est donc plus question d’accepter l’existence d’un mouvement de masse petit-bourgeois politique et militaire aux côtés de l’Etat de la grande bourgeoisie. Les S.A. doivent être décapités. Ils vont l’être par Hitler en personne.
La nuit des longs couteaux ne va pas seulement être une remise à l’ordre du mouvement de masse ou l’écrasement d’une mutinerie (laquelle n’a d’ailleurs jamais existé vraiment). C’est un tournant de la politique du parti nazi de la démagogie petite bourgeoise et populaire vers une politique clairement et fermement pro-capitaliste.
Il n’y a quasiment eu aucune résistance des S.A. aux opérations massives d’éliminations des dirigeants. Un seul groupe S.A. protestera publiquement : celui de Silésie qui diffusera un tract au nom des « S.A. révolutionnaires ». Les dirigeants S.A., quand ils voient qu’Hitler est présent, se laissent désarmer. Les premiers chefs assassinés le sont sous ses yeux, comme pour Schneidhuber et Schmidt, ou encore pour la totalité de l’Etat-Major de l’armée brune de Munich. Hitler circule entre Munich et Berlin, donnant en personne ses ordres pour être sûr qu’ils ne soient pas pris comme une action contre lui par ses cadres. En trois jours, une armée de trois ou quatre millions d’hommes encadrés militairement est décapitée. Désormais le chef des S.A. ne sera plus ministre. Les sections d’Assaut ne prétendront plus être au-dessus des officiers de l’armée et l’idée de seconde révolution sera abandonnée.
Toutes les mesures prises dès juillet 1934 le montrent clairement. Le 11 juillet 1934, Frick déclare : « Dans ses derniers discours adressés aux chefs S.A. et aux gouverneurs du Reich, M. le Chancelier du Reich a déclaré sans ambages que la révolution allemande est terminée. » Le 22 juillet 1934, Goering signe les instructions suivantes : « Les formations actives NSDAP, qui ont créé de haute lutte l’Etat national-socialiste, sont d’accord avec moi dans le désir de garantir à tout prix la sécurité absolue du droit et de la paix légale dans l’Etat. C’est dans l’esprit des S.A. et des SS., qui sont les supports de l’Etat, que dorénavant toute action qui n’est pas en harmonie avec la législation de l’Etat sera réprimée. » Le 28 juillet 1934, Hitler réunit les chefs de l’armée, des S.A. et des SS. et s’engage devant eux : l’armée restera indépendante des nazis, ne sera pas noyautée par les forces paramilitaires des S.A. Le 8 août 1934, les SA cesseront d’être une police auxiliaire autonome. Ils avaient montré trop d’indépendance vis-à-vis de la politique en faveur de la grande bourgeoisie pour être intégrés à l’appareil d’Etat en temps que corps. Il seront intégrés à l’armée allemande dans la guerre mondiale mais, contrairement aux S.S., ils n’y restent pas indépendants en tant que S.A.
La nuit des longs couteaux n’aura pas pour autant détruit ni épuré les sections d’assaut dans leur rôle fasciste contre le mouvement ouvrier et démocratique. On les retrouve ainsi les 9 et 10 décembre dans la « nuit de cristal » en train de jouer le rôle de tortionnaires des Juifs.
Autre fait marquant le tournant de juin-juillet 1934, l’homme de la hiérarchie militaire au sein de la finance, le docteur Schacht est nommé ministre de l’économie en plus de son poste de président de la banque centrale, la Reichsbank. C’est dire que les affaires économiques ne sont plus séparées de la préparation à la guerre mondiale qui requiert désormais tous les fonds d’état.
Daniel Guérin écrit dans « Fascisme et grand capital » :
« Hitler se crée une petite troupe à laquelle il donne le nom de « service d’ordre » et qu’il dresse à porter la perturbation dans les réunions publiques de ses adversaires (été 1920). Le 4 janvier 1921, il déclare devant la foule assemblée dans la brasserie Kindl « que le mouvement national-socialiste empêchera à l’avenir, au besoin par la force, toutes réunions ou conférences propres à exercer une influence déprimante. » Sa tactique, comme celle des « chemises noires » (de Mussolini), est essentiellement offensive : une poignée d’hommes audacieux et prêts à tout font irruption au sein de la foule ouvrière et grâce à leur cohésion, à leur action foudroyante et brutale, restent maîtres du terrain. (…) A la réunion de la Hofbraühaus, le 4 novembre 1921, le « service d’ordre »se surpasse. (…) Sept à huit cent socialistes ont été roués de coups et jetés dehors de la salle par une cinquante de nazis. (…) Depuis la bataille de la Hofbraühaus, le « service d’ordre » a reçu le titre, plus significatif, de « section d’assaut » (Sturm-Abtelung) que l’on désigne bientôt par les seules initiales S.A. Plus tard, en août 1923, Hitler se constitue une garde personnelle : les « troupes de choc de Hitler » ; c’est le noyau d’où sortiront les « colonnes de protection » (Schultz-Staffel) ou, en abrégé : S.S. (…) A partir de 1930, la lutte se transporte dans la rue : les miliciens bruns provoquent et assassinent sur la voie publique leurs adversaires ouvriers. Il ne se passe pas de dimanche sans bagarre sanglante. Les forces répressives de l’Etat appuient et arment les bandes fascistes. A la fin de 1930, le général von Schleicher a une entrevue très amicale avec le capitaine Roehm, chef des S.A. : il se déclare tout à fait favorable aux sections d’assaut, à la seule condition qu’elles n’empiètent pas sur les attributions de la Reichswehr. L’Etat-Major autorise les jeunes miliciens à s’entraîner sur les terrains militaires, charge des instructeurs militaires de les instruire. (…) Comment le mouvement ouvrier se défend-il, au cours de cette première phase, contre les bandes fascistes ? Dans les débuts, la tactique audacieuse, militaire des « chemises brunes » le surprend et sa riposte est faible. Mais, très vite, il se serait adapté, spontanément, à la tactique de l’adversaire, si ses chefs – par crainte de l’action directe – ne s’étaient employés à freiner systématiquement sa volonté de lutte. Gardons-nous de répondre aux violences fascistes ! larmoient les chefs réformistes, nous dresserions l’ « opinion publique » contre nous. Evitons surtout de constituer des groupes de combat, des formations paramilitaires, car nous risquerions de nous aliéner les pouvoirs publics, ces pouvoirs publics auxquels nous faisons confiance pour dissoudre les formations paramilitaires du fascisme ! N’empruntons pas au fascisme ses propres armes, car sur ce terrain nous sommes battus d’avance ! Cette tactique légaliste et défaitiste a pour résultat de démoraliser la classe ouvrière, en même temps qu’elle accroît chez l’adversaire l’audace, la confiance en soi, le sentiment de son invincibilité. Si, dès leurs premiers exploits, les bandes fascistes s’étaient heurtées à une résistance prolétarienne organisée, avaient subi de dures représailles, elles y auraient regardé à deux fois avant d’entreprendre des « expéditions punitives » ou des descentes dans les meetings prolétariens. Elles auraient moins facilement recruté. Et, par contre, les succès remportés par le prolétariat dans la lutte antifasciste lui auraient rendu ce dynamisme qui, précisément, lui a manqué. (…) Hitler avouera, rétrospectivement : « Un seul danger pouvait briser notre développement : si l’adversaire en avait compris le principe et si, dès le premier jour, avec la plus extrême brutalité, il avait brisé le noyau de notre nouveau mouvement. » (discours au congrès de Nuremberg, le 3 septembre 1933) et Goebbels : « Si l’adversaire avait su combien nous étions faibles, il nous aurait probablement réduits en bouillie. (…) Il aurait écrasé dans le sang les premiers débuts de notre travail. » (dans « Combat pour Berlin ») Mais le national-socialisme n’a pas été écrasé dans l’œuf. Il est devenu une force. Et pour résister à cette force, les socialistes allemands ne conçoivent qu’une seule tactique : faire confiance à l’Etat bourgeois, demander aide et protection à l’Etat bourgeois. Leur leitmotiv est : Etat, interviens ! Ils comptent non sur eux-mêmes, sur la combativité des masses, mais sur la police prussienne – qu’ils croient contrôler puisque en Prusse un cabinet socialiste est au pouvoir -, sur la Reichswehr (l’armée), sur le président Hindenburg ; ils attendent des pouvoirs publics la dissolution des sections d’assaut. En avril 1932, le général Groener, ministre de Brüning, leur donne une satisfaction éphémère : il interdit les S.A. (…) Le 30 mai, le nouveau chancelier, von Papen, s’empresse d’autoriser à nouveau les sections d’assaut, de destituer le gouvernement socialiste de Prusse, c’est-à-dire d’enlever à celui-ci le contrôle de la police. Sans doute, les socialistes possèdent-ils, depuis 1924, une milice antifasciste, le Reichsbanner, aux effectifs très importants. Cette milice, ils la font défiler au cours de parades impressionnantes, mais ils se refusent systématiquement à l’engagement dans l’action. A chaque occasion où elle pourrait se mesurer avec les bandes fascistes, ils la retirent du théâtre des opérations : c’est ainsi que le 22 janvier 1933, lorsque les nazis défilent devant la Maison Karl-Liebnecht, siège du parti communiste, les sections du Reichsbanner sont appelées, comme par hasard, à faire une longue marche d’entraînement hors de Berlin. Non seulement les chefs du Reichsbanner fuient la bataille, mais ils se laissent désarmer comme des moutons par la police de von Papen. (…) Les communistes, également, possèdent une milice antifasciste : la « Ligue des combattants du Front Rouge ». De 1929 à 1931, leur mot d’ordre a été : « Frappez les fascistes partout où vous les trouvez. » Et, avec courage, les « combattants du Front Rouge » ont riposté aux milicians bruns ; ils ont même, à maintes reprises, attaqué leurs locaux, leurs casernements. Mais, à partir de 1931, le parti renonce brusquement à la lutte physique contre les bandes fascistes. Le formule « Frappez les fascistes » fut condamnée. La lutte physique fut abandonnée pour la « lutte idéologique ». (…) Lorsque les sections d’assaut annoncent leur intention de défiler, le 22 janvier 1933, devant la Maison Karl-Liebnecht, les chefs du parti supplient le ministère de l’intérieur d’interdire la démonstration nazie. (…) Par contre, les groupes de combat, qui étaient prêts à la riposte, reçoivent l’ordre formel de ne pas intervenir et doivent obéir, la rage au cœur. Non seulement cette tactique laisse les ouvriers désarmés devant les bandes armées du fascisme, mais elle les démoralise. N’ayant pas la permission de se battre, les « combattants du Front Rouge, qui ne sont pas tous des militants conscients, passent en grand nombre, par besoin d’action, dans les sections d’assaut. D’autres communistes croient habile de revêtir la chemise brune avec le propos de « noyauter » les S.A. A un moment donné, les magnats capitalistes ne se servent plus seulement des « chemises noires » ou des « chemises brunes » comme des milices antiouvrières ; ils lancent le fascisme à la tête de l’Etat. (…) Le fascisme, à partir du moment où il se lance à la conquête du pouvoir, a déjà l’assentiment de la fraction la plus puissante de la bourgeoisie capitaliste. Il est assuré, en outre, de la complicité des chefs de l’armée et de la police, dont les liens avec ses bailleurs de fonds sont étroits. (…) Le fascisme sait donc qu’en réalité la conquête du pouvoir n’est pas pour lui une question de force. (…) Il lui faut s’armer de patience (…) donner l’impression qu’il est porté au pouvoir par un vaste mouvement populaire et non pas simplement parce que ses bailleurs de fonds, parce que les chefs de l’armée et de la police sont prêts à lui livrer l’Etat. (…) Mais, d’un autre côté, le fascisme doit donner l’illusion à ses troupes de choc, à ses miliciens, qu’il est un mouvement « révolutionnaire », que, tout comme le socialisme, il se lance à l’assaut de l’Etat ; que seuls la vaillance, l’esprit de sacrifice de ses « chemises noires » ou de ses « chemises brunes », lui assureront la victoire. (…) Mais le jour où sa tactique légaliste lui a permis de rassembler autour de lui les larges masses indispensables, où toutes les conditions psychologiques sont remplies, alors, sans coup férir, le plus légalement du monde, il s’installe dans l’Etat : le tour est joué. (…) Les socialistes et les communistes allemands se refusent à croire au triomphe du national-socialisme. Mieux : ils en annoncent périodiquement la déconfiture. Les socialistes poussent à tout propos des cris de triomphe : en août 1932, parce que le président Hindenburg a repoussé les exigences de Hitler ; au lendemain des élections du 6 novembre, parce que les suffrages remportés par les nazis marquent un recul ; à cette date, le Vorwärts écrit : « Voilà dix ans que nous avons prévu la faillite du national-socialisme ; noir sur blanc, nous l’avons écrit dans notre journal ! » Et, à la veille de l’accession de Hitler au pouvoir, un de ses leaders, Schiffrin, écrit : « Nous ne percevons plus que l’odeur de cadavre pourri : le fascisme est définitivement abattu ; il ne se relèvera plus. » Les communistes ne sont guère plus perspicaces. Au lendemain de l’élection du 14 septembre, le Rote Fahne écrit : « Le 14 septembre fut le point culminant du mouvement national-socialiste en Allemagne. Ce qui viendra après ne peut être qu’affaiblissement et déclin. » En 1932, Thälmann s’élève contre « une surestimation opportuniste du fascisme hitlérien » (…) Au lendemain des élections du 6 novembre, on lit dans le Rote Fahne : « Partout, il y a des S.A. qui désertent les rangs de l’hitlérisme et se mettent sous le drapeau communiste. » (…) Mais quelle tactique le prolétariat organisé pouvait-il opposer au fascisme en marche vers le pouvoir ? N’oublions pas que le fascisme conquiert le pouvoir légalement. Des milices ouvrières, indispensables pour battre les bandes fascistes lorsque celles-ci ne jouaient que le rôle de « milices antiouvrières » ne suffisent plus à empêcher le fascisme de gagner des sièges au Parlement, de conquérir l’opinion, de s’introduire dans l’Etat par voie légale. Une simple « grève générale de protestation », même déclenchée sur toute l’étendue du territoire, ne peut davantage barrer la route du pouvoir au fascisme – à moins qu’elle ne soit le point de départ d’une offensive révolutionnaire. (…) Alors, que pouvait le prolétariat organisé ? A partir du moment où le fascisme marche vers le pouvoir, le mouvement ouvrier ne dispose plus que d’une seule ressource : gagner le fascisme de vitesse, s’emparer avant lui du pouvoir. (…) Les partis prolétariens ne se montrent nullement révolutionnaires. (…) Quant à l’ADGB allemande (centrale syndicale), elle a empêché ses adhérents de combattre les décrets-lois de Brüning, sous le prétexte qu’en défendant leur pain quotidien ils mettraient en danger le gouvernement Brüning et que Brüning valait mieux que Hitler. Cette tactique du « moindre mal » a démoralisé profondément les travailleurs. Aussi quand le fascisme entreprend la conquête du pouvoir, le mouvement ouvrier se montre-t-il comme paralysé, incapable de le gagner de vitesse. (…) En Allemagne, les chefs réformistes adjurent Hindenburg et la Reichswehr de « faire leur devoir », de ne pas livrer le pouvoir à Hitler. (…) Dix jours avant l’accession de Hitler au pouvoir, le bureau de l’ADGB rend visite au président Hindenburg. Les chefs syndicaux « se cramponnent aux instances de l’Etat. Ils espèrent toujours l’aide du président du Reich. » (…) Quant aux communistes, malgré leur verbiage révolutionnaire, ils s’abritent derrière l’excuse que les réformistes ne veulent rien faire et ne font rien non plus. (…) Hitler, lorsqu’il est nommé par le président Hindenburg chancelier du Reich, comprend également qu’il serait malavisé de brûler les étapes. Les forces des partis ouvriers, de l’ADGB, sont intactes. L’avènement brusqué d’une dictature pourrait pousser le prolétariat à la grève générale, à l’insurrection armée. Mieux vaut endormir l’adversaire en faisant semblant de respecter la constitution. (…) Mais tandis que Hitler joue le rôle du loup déguisé en agneau, son ami Goering prépare fébrilement le coup de force. (…) Maître de la police prussienne, il commence à l’épurer. Tous les éléments « républicains » depuis le préfet de police de Berlin jusqu’au plus petit inspecteur de police criminelle sont congédiés, remplacés par des nazis éprouvés. Un décret-loi du 4 février donne pratiquement à la police le moyen d’interdire tout journal ou toute réunion publique adverse. Goering promet de couvrir personnellement tous les agents de police qui feraient usage de leurs armes contre les « rouges ». Par un autre arrêté, il adjoint à la « Schupo » une « police auxiliaire » de 50.000 hommes recrutés parmi les S.A. et les S.S. Et, en même temps, il encourage, en sous-main, ses bandes à continuer la lutte sanglante contre le prolétariat : partout les nazis s’attaquent à leurs adversaires, envahissent leurs locaux, sabotent leurs réunions publiques. A Berlin, ils guettent la nuit les ouvriers qui reviennent dans leurs quartiers, les assomment ou les assassinent. (…) Impossible d’ajourner le coup de force jusqu’au lendemain des élections. Sans coup de force, pas de majorité absolue. Avant le 5 mars, date du scrutin, il faut à tout prix frapper l’imagination des indécis, terroriser les récalcitrants au moyen de quelque évènement extraordinaire. (…) La méthode : se servir d’un prétendu putsch communiste pour violer la légalité et déclencher contre le prolétariat une offensive foudroyante. (…) Le 24 février, la police se livre à une perquisition monstre au siège du parti communiste. (…) Enfin, dans la nuit du 27 au 28 février, les hommes de Goering incitent un naïf terroriste à mettre le feu au Reichstag. Aussitôt le gouvernement présente l’incendie comme le signal d’une insurrection communiste et, sans perdre un instant, fait signer par le président du Reich un décret-loi abolissant toutes les libertés constitutionnelles, proclamant l’ « état d’exception ». Dans les quarante-huit heures, tous les pouvoirs passent à la police. Les miliciens devenus « policiers auxiliaires » assomment, torturent, assassinent les militants ouvriers. Les réunions électorales des partis antifascistes sont interdites, les députés communistes arrêtés. Grâce à cette mise en scène et à cette terreur, les nazis remportent aux élections du 5 mars une éclatante victoire : ils obtiennent de 288 mandats. Et, pour disposer de la majorité absolue, il leur suffit de mettre hors la loi le parti communiste, d’envoyer un certain nombre de députés socialistes dans les camps de concentration. (…) Deux mois après, les partis ouvriers, les syndicats sont dissous ou « mis au pas ». Au cours de cette dernière phase, que fait le prolétariat organisé ? Comment tente-t-il de résister ? les chefs ouvriers se laissent endormir par le tactique en apparence légaliste d fascisme. Ils ne lancent pas l’ordre de prendre les armes. Ils ne déclenchent pas la grève générale insurrectionnelle. Ils espèrent avoir raison du fascisme, déjà installé au pouvoir, en remportant une victoire électorale. (…) Les socialistes allemands multiplient les appels au calme. Le 7 février 1933, Künstler, le chef de la fédération berlinoise du parti, donne cette consigne : « Surtout ne vous laissez pas provoquer. La vie et la santé des ouvriers berlinois nous son trop chères pour les mettre en jeu à la légère. Il faut les garder pour le jour de la lutte. » (…) « Du calme et surtout pas de sang versé ! » Les communistes n’organisent pas davantage la résistance. (…) Le 23 février, un des chefs du parti, Pieck, écrit : « Que les ouvriers restent prudents afin de ne pas fournir au gouvernement un prétexte pour prendre de nouvelles mesures contre le parti communiste ! » (…) Et Dimitrov : (…) « A l’époque de l’incendie du Reichstag, des préparatifs réels en vue d’une révolution pouvaient-ils être observés ? (…) Non ! » Quant aux chefs syndicaux, leur attitude est plus singulière encore : ils s’imaginent que le mouvement syndical pourra composer avec le gouvernement fasciste comme avec les gouvernements précédents (…) Insensiblement, d’abdication en abdication, ils se rallient au fascisme. (…) L’ADGB lâche le parti socialiste et, le 20 mars, elle publie un manifeste : « Les organisations syndicales sont l’expression d’une nécessité sociale irréfutable, une partie indispensable de l’ordre social lui-même. (…) La tâche sociale des syndicats doit être remplie, quelle que soit la nature du régime de l’Etat. (…) Leur tâche dans ce sens ne peut être que de mettre à la disposition du gouvernement et du parlement des connaissances et expériences acquises dans ce domaine. » (…) Le 20 avril, le Comité confédéral invite les syndiqués à assister à la fête du Premier Mai, présentée comme le symbole de l’incorporation de la classe ouvrière dans l’Etat national-socialiste. (…) Les magnats ont atteint leurs objectifs : ils disposent enfin de l’ « Etat fort » souhaité. Par une série de mesures d’ordre social et économiques, l’Etat fasciste va s’appliquer à enrayer la chute de leurs profits, à rendre « rentables » leurs entreprises. Cette action s’exerce, d’abord et essentiellement, contre la classe ouvrière : l’Etat fasciste commence par créer les conditions permettant le massacre des salaires : destruction des syndicats ouvriers, suppression de leurs prolongement au sein de l’usine, abolition du droit de grève, annulation des contrats collectifs, rétablissement de l’absolutisme patronal au sein de l’entreprise. Mais ce n’est que la première partie du programme. Il faut, en outre, pour l’avenir, empêcher toute cristallisation indépendante au sein des masses ouvrières. Alors l’Etat fasciste met toute son autorité au service des employeurs : il embrigade les travailleurs dans des organisations de surveillance policière dont les chefs sont nommés par en haut, échappant au contrôle des cotisants (…) Lutter contre le patron, c’est désormais se dresser contre l’Etat. (…) L’Etat sanctionne de son autorité les salaires qu’il plait aux magnats capitalistes de payer à leurs exploités. (…) Les employeurs sont autorisés à licencier tout travailleur soupçonné d’être « hostile à l’Etat » sans que l’intéressé puisse recourir à la procédure de défense prévue par la législation sociale du Reich. (…) Au lendemain du Premier Mai, décrété « fête nationale » et célébré à grand spectacle dans toute l’Allemagne, tous les syndicats ouvriers sont mis au pas, leurs immeubles occupés par les section d’assaut, leurs chefs emprisonnés. (…) le 10 mai est constitué le « Front du Travail allemand ». Il englobe les adhérents de toutes les associations syndicales mises au pas. (…) L’Etat national-socialiste ne se contente pas d’embrigader les travailleurs dans des organisations « jaunes » ; il punit de sévères peines disciplinaires toute velléité d’indépendance des ouvriers. Les travailleurs qui compromettent la paix sociale dans l’entreprise (…) sont passibles non seulement du renvoi, mais de lourdes amendes et de peines de prison (loi du 20 janvier 1934). (…) la loi du 26 février 1935 institue un « livret de travail » où l’employeur inscrit, en se séparant de l’employé, son appréciation et qui doit être présenté lors d’une nouvelle embauche. (…) Les salariés n’ont pas le droit de changer d’employeur, mais les autorités s’arrogent le droit de les déplacer (…) On évalue que, depuis l’avènement du national-socialisme (30 janvier 1933), jusqu’à l’été 1935, les salaires ont été réduits de 25 à 40%. Pour de nombreuses catégories d’ouvriers, le salaire est inférieur au montant de l’indemnité de chômage payée au temps de la république de Weimar. Plus de la moitié des ouvriers allemands touchent moins de trente marks par semaine. (…) Encore faut-il déduire de ces misérables payes toutes sortes de retenues (…) qui diminuent le salaire brut de 20 à 30%.(…) Goering déclare dans un discours : « Nous devons aujourd’hui travailler double pour tirer le Reich de la décadence, de l’impuissance, de la honte et de la misère. Huit heures par jour ne suffisent pas. » (…) Il s’agit d’une prolongation de la journée de travail allant jusqu’à dix heures et plus. (…) A peine installé au pouvoir, le fascisme s’empresse de donner des preuves de sa bonne volonté au capitalisme privé. (…) Hitler tient à manifester sa reconnaissance aux magnats de l’industrie lourde, aux Kirdorf, aux Thyssen. (…) L’Etat leur restitue les Acieries Réunies (qui avaient été mises sous contrôle de l’Etat lors de leur relèvement sur fonds publics pour cause de faillite). (…) Après le krach de 1931, la plupart des grandes banques étaient tombées sous le contrôle de l’Etat. (…) La Deutsche Diskonto Bank, dès 1933, s’est vue restituer par l’Etat près de vingt millions de marks d’action (…) L’Etat fasciste aide les magnats capitalistes à « produire du bénéfice » en leur accordant toutes sortes d’exonérations fiscales (…) en les aidant à relever artificiellement leurs prix de vente (…) en renflouant les entreprises défaillantes sans contrepartie. (…) Dès le lendemain de la prise du pouvoir, les nationaux-socialistes se lancent dans un vaste programme de travaux publics (…) et jette des milliards dans le réarmement. »
Daniel Guérin rajoute, concernant l’armée brune, dans « Fascisme et grand capital » :
« Le fascisme a conquis le pouvoir. Ses bailleurs de fonds atteignent leurs objectifs : anéantir la démocratie parlementaire, exterminer le prolétariat organisé, instaurer un Etat autoritaire capable d’imposer leurs volontés et de relever leurs profits. Mais il y a le revers de la médaille : les magnats capitalistes se trouvent maintenant aux prises avec les exigences des plébéiens fascistes. Les seconds ont conquis le pouvoir, objectivement pour le compte des premiers, subjectivement pour leur compte personnel. Ils forment, suivant l’expression de Mussolini, « une nouvelle classe politique ». Ils sont bien décidés à chasser sans ménagements, avec une brutalité de parvenus, l’ancien personnel politique de la bourgeoisie. Ils exigent pour eux tous les postes, toutes les fonctions. Les magnats sont quelque peu inquiets de ces exigences. Non pas qu’elles soient tout à fait imprévues pour eux : ils ont saisi depuis quelques temps qu’il serait dangereux d’abandonner entièrement la direction de l’Etat à la plèbe fasciste. C’est pourquoi ils auraient préféré, au moins pour commencer, une simple « participation » du fascisme à un gouvernement bourgeois traditionnel. Mais l’impatience des plébéiens a déjoué ces plans. Néanmoins les magnats obtiennent quelques garanties : les ministres fascistes sont encadrés par des personnages sûrs appartenant à l’ « ancienne classe politique ». Mais les plébéiens ne l’entendent pas de cette oreille, ils exigent tout le pouvoir, ils prétendent chasser jusqu’au dernier des anciens serviteurs politiques de la bourgeoisie. Céder ou ne pas céder ? Les magnats n’ont pas l’embarras du choix. Ils continuent à avoir besoin des plébéiens dont le concours leur est indispensable pour transformer l’Etat démocratique en Etat dictatorial, pour porter le coup de grâce au prolétariat organisé. Personne ne rossera, personne ne torturera mieux les militants ouvriers que ces hommes sortis du peuple. Le patronat se résigne donc – à sacrifier son ancien personnel politique ; il abandonne tout le pouvoir aux plébéiens fascistes. Le phénomène, à vrai dire, n’est pas tout à fait nouveau. Il a un précédent historique : le 2 décembre 1851, la bourgeoisie française laissait, de la même façon, les partisans plébéiens de Louis Bonaparte « supprimer, anéantir » son ancien personnel politique : « les orateurs et les écrivains, les hommes politiques et les hommes de lettres, la tribune et la presse de la bourgeoisie ». « La Cour, raconte Marx, les ministères, les hauts postes de l’administration et de l’armée sont envahis par un tas de drôles, du meilleur desquels on peut dire qu’on ne sait d’où il sort : une bohème bruyante, mal famée, avide de pillage. » La bourgeoisie se résignait à cette invasion, parce que, grâce au concours des plébéiens, elle s’assurait le « gouvernement fort et absolu » dont elle avait besoin pour sauver ses profits…Les plébéiens nationaux-socialistes entendent, eux aussi, se substituer à l’ancien personnel politique de la bourgeoisie. « On n’a jamais vu dans l’histoire, écrit le Völkischer Beobachter, qu’un Etat soit restauré par d’autres que ceux qui ont été les créateurs et les promoteurs de l’idée nouvelle. Personne en dehors de nous ne possède la volonté et la compétence nécessaires pour instituer l’ordre nouveau. » Et Goebbels : « Lorsque nous aurons conquis l’Etat, alors cet Etat sera notre Etat (…) Si aujourd’hui, dans notre lutte contre un système corrompu, nous sommes obligés d’être un « parti » (…), à l’instant où le système s’écroulera, nous deviendrons nous-mêmes l’Etat. » Aussi le gouvernement constitué par Hitler le 30 janvier 1933 est-il loin de répondre au vœu des plébéiens. Des messieurs, membres de l’ancien personnel politique, encadrent les ministres nationaux-socialistes : c’est ainsi que von Papen est vice-chancelier et comissaire en Prusse ; Hugenberg, ministre de l’Economie nationale et de l’Agriculture ; von Neurath, ministre des Affaires étrangères, le comte Schwerin von Krosigk, ministre des Finances, le baron Eltz von Rübenach, ministre des Voies et Communications, Seldte (Chef du « Casque d’Acier »), ministre du Travail, Gerecke, commissaire au chômage, etc. Ivres de leur victoire, les plébéiens nazis exigent que l’ancien personnel politique soit évincé. Goering s’empresse de doubler la police prussienne d’une « police auxiliaire » recrutée parmi les sections d’assaut. Et, au lendemain de l’incendie du Reichstag, tous les partis autre que le parti national-socialiste sont condamnés à disparaître ; le national-socialisme ne s’acharne pas seulement contre les organisations ouvrières et les partis prolétariens, mais aussi contre les partis bourgeois, contre l’ancien personnel politique de la bourgeoisie. Le jour même où Hitler obtient du Reichstag les pleins pouvoirs (23 mars 1933), le commissaire au chômage Gerecke, ancien agent électoral du président Hindenburg, est arrêté sous le prétexte de malversations. Le 11 avril 1933, Hitler enlève à von Papen son titre de commissaire du Reich en Prusse. Le 28 avril 1933, un des chefs du « Casque d’Acier », Duesterberg, est destitué… Hugenberg, sentant l’inutilité de la résistance, abandonne ses deux portefeuilles ministériels, tandis que son parti se dissout (28 juin 1933). De même, le 5 juillet 1933, le parti du centre (catholique) vote sa propre dissolution. Les brutes fascistes ne ménagent pas les anciens serviteurs politiques de la bourgeoisie. C’est ainsi, entre autres exemples, que le docteur Oberfohren, adjoint de Hugenberg à la tête du parti national-allemand, est trouvé « suicidé » à son domicile (6 mai 1933). La loi du 15 juillet prévoit pour quiconque essaierait de reconstituer un des partis supprimés ou d’en fonder un nouveau, des peines allant de trois ans de réclusion à « des sanctions plus élevées »…. Le gouvernement du Reich n’est plus composé que de nazis. Les membres de l’ancien personnel politique qui continuent à en faire partie tels que von Neurath, Schwerin von Krosigk et Seldte, ne trouvent grâce devant le national-socialisme qu’en embrassant la foi nationale-socialiste. Et, dans les conseils du gouvernement, les plébéiens acquièrent la prépondérance numérique : deviennent successivement ministres du Reich : Goering, Goebbels, Darré, Hess, Röhm, Rust, Frank, Kerrl… Les bailleurs de fonds n’avaient pas tort d’éprouver quelque appréhension au moment d’abandonner tout le pouvoir au fascisme. Les plébéiens, sans doute, n’ont aucune envie de s’attaquer sérieusement aux privilèges de ceux dont ils vivent et qui n’ont cessé de les combler de leurs générosités. Les magnats capitalistes continuent, en effet, après la prise du pouvoir, à remplir les caisses du parti et de ses organisations annexes. C’est ainsi qu’en Allemagne, ces subventions sont baptisées « fonds Adolf Hitler de l’Industrie allemande ». En outre, les magnats gratifient directement les chefs plébéiens de « pots de vins », de postes rétribués dans les conseils de leurs affaires, etc. Mais, d’un autre côté, les plébéiens doivent tenir compte des aspirations des masses populaires qu’ils ont dressées sur leurs jambes. A ces masses, pour les conquérir, ils ont parlé un langage « anticapitaliste ». Les masses ont pris ce langage au sérieux. Et maintenant qu’ils sont au pouvoir, elles exigent qu’ils tiennent parole. Le fascisme a beau proclamer qu’il a aboli la lutte des classes, les petits-bourgeois et les prolétaires qui ont revêtu la chemise brune continuent à obéir à un relatif instinct de classe ; leurs intérêts demeurent en opposition avec ceux des magnats capitalistes ; et comme le fascisme vainqueur tarde à toucher aux privilèges capitalistes, les plébéiens du rang s’impatientent, ils exigent que la révolution soit continuée ou même qu’elle soit suivie d’une « seconde révolution ». Les chefs plébéiens, petits ou grands, ne peuvent faire fi de ces exigences : en régime fasciste comme en régime « démocratique », et malgré la suppression du droit de vote, les hommes politiques n’acquièrent et ne conservent leur influence, n’entretiennent leur prestige que dans la mesure où ils peuvent s’appuyer sur une « base sociale » la plus large possible… Aussi doivent-ils, dans une certaine mesure, se faire l’interprète des exigences et des aspirations de leurs troupes, proclamer à leur tour – avec plus ou moins de conviction – que la révolution ne fait que commencer, qu’une seconde révolution est nécessaire… Comme l’avait aperçu Trotsky dès 1932, « Le fascisme bureaucratique se rapproche énormément des autres formes de dictature militaire-policière. »… Hitler, dès le lendemain de la prise du pouvoir, cherche à maîtriser les forces plébéiennes qu’il a lui-même déchaînées… La bourgeoisie n’a sacrifié son ancien personnel politique, n’a abandonné tout le pouvoir aux plébéiens nazis qu’à condition de voir ses intérêts docilement défendus. Elle ne leur a pas confié le soin d’écraser le bolchevisme pour que, de leur propre sein, surgisse un nouveau bolchevisme, fût-il « national ». Et le 30 juin 1934, Hitler fait abattre comme des chiens ses plus anciens collaborateurs : Röhm, Gregor Strasser, Ernst, etc… A travers toute l’Allemagne, les partisans de la « seconde révolution » sont exécutés par centaines… Désormais, le principal soutien de la dictature n’est plus la milice plébéienne mais l’armée régulière. Les signes de cette évolution se multiplient : Hitler ne paraît plus en public que flanqué de généraux, il promet à l’armée « qu’elle pourra toujours avoir confiance en lui »… L’exigence essentielle de la Reichswehr reçoit satisfaction : désormais « l’armée seule porte les armes dans l’Etat ». La liquidation des sections d’assaut commence : la loi conférant à leur chef d’Etat-major le titre de ministre du Reich est abrogée ; les cadres supérieurs sont renouvelés et composés d’hommes sûrs. A la base, on procède à une vaste épuration… Une nouvelle gendarmerie, le corps de chasseurs de campagne, est chargée spécialement de la surveillance des miliciens… »
Léon Trotsky écrit en 1934 dans « Où va la France » :
« Les petites gens désespérées voient avant tout dans le fascisme une force combative contre le grand capital et croient qu’à la différence des partis ouvriers qui travaillent seulement de la langue, le fascisme se servira des poings pour établir plus de « justice ». Le paysan et l’artisan sont, à leur manière, des réalistes : ils comprennent qu’on ne pourra pas se passer des poings. Il est faux, trois fois faux, d’affirmer que la petite bourgeoisie actuelle ne va pas aux partis ouvriers parce qu’elle craint les « mesures extrêmes ». Bien au contraire. La couche inférieure de la petite bourgeoisie, ses grandes masses ne voient dans les partis ouvriers que des machines parlementaires, ne croient pas à la force des partis ouvriers, ne croient pas qu’ils soient capables de lutter, qu’ils soient prêts à mener cette fois la lutte jusqu’au bout. Et s’il en est ainsi, est-ce la peine de remplacer le radicalisme par ses confrères parlementaires de gauche ? Voilà comment raisonne ou sent le propriétaire à demi exproprié, ruiné et révolté. Sans la compréhension de cette psychologie des paysans, des artisans, des employés, des petits fonctionnaires, etc. – psychologie qui découle de la crise sociale – il est impossible d’élaborer une politique juste. La petite bourgeoisie est économiquement dépendante et politiquement morcelée. C’est pourquoi elle ne peut avoir de politique propre. Elle a besoin d’un « chef » qui lui inspire confiance. Ce chef individuel ou collectif, c’est-à-dire un personnage ou un parti, peut lui être donné par l’une ou l’autre des classes fondamentales, soit par la grande bourgeoisie, soit par le prolétariat. Le fascisme unit et arme les masses disséminées ; d’une « poussière humaine » - selon notre expression – il fait des détachements de combat. Il donne ainsi à la petite bourgeoisie l’illusion d’être une force indépendante. Elle commence à s’imaginer qu’elle commandera réellement à l’Etat. Rien d’étonnant à ce que ces espoirs et ces illusions lui montent à la tête. Mais la petite bourgeoisie peut trouver aussi un chef dans la personne du prolétariat. Elle l’a montré en Russie, partiellement en Espagne. Elle y tendit en Italie, en Allemagne et en Autriche. Mais les partis du prolétariat ne s’y montrèrent pas à la hauteur de leur tâche historique. Pour amener à lui la petite bourgeoisie, le prolétariat doit conquérir sa confiance. Et, pour cela, il doit avoir lui-même confiance en sa force. Il lui faut avoir un clair programme d’action et être prêt à lutter pour le pouvoir par tous les moyens possibles. Soudé par son parti révolutionnaire pour une lutte décisive et impitoyable, le prolétariat dit aux paysans et aux petites gens des villes : « Je lutte pour le pouvoir ; voici mon programme ; je suis prêt à m’entendre avec vous pour des changements dans ce programme ; je n’emploierai la force que contre le grand capital et ses laquais ; mais avec vous, travailleurs, je veux conclure une alliance sur la base d’un programme donné ». Un tel langage, le paysan le comprendra. Il faut seulement qu’il ait confiance dans la capacité du prolétariat de s’emparer du pouvoir. Or, pour cela, il faut épurer le front unique de toute équivoque, de toute indécision, des phrases creuses ; il faut comprendre la situation et se mettre sérieusement sur la voie de la lutte révolutionnaire ».
Et Léon Trotsky dans « Qu’est-ce que le nazisme ? » :
« Les nazis baptisent leur coup d’Etat du nom usurpé de révolution. En fait, en Allemagne comme en Italie, le fascisme laisse le système social inchangé. Le coup d’Etat d’Hitler, en tant que tel, n’a même pas droit au titre de contre-révolution. Mais on ne peut pas le considérer isolément : il est l’aboutissement d’un cycle de secousses qui ont commencé en Allemagne en 1918. La révolution de novembre, qui donnait le pouvoir aux conseils d’ouvriers et de soldats, était fondamentalement prolétarienne. Mais le parti qui était à la tête du prolétariat, rendit le pouvoir à la bourgeoisie. En ce sens, la social-démocratie a ouvert une ère de contre-révolution, avant que la révolution n’ait eu le temps d’achever son œuvre. Toutefois, tant que la bourgeoisie dépendait de la social-démocratie, et par conséquent des ouvriers, le régime conservait des éléments de compromis. Mais la situation intérieure et internationale du capitalisme allemand ne laissait plus de place aux concessions. Si la social-démocratie sauva la bourgeoisie de la révolution prolétarienne, le tour est venu pour le fascisme de libérer la bourgeoisie de la social-démocratie. Le coup d’Etat d’Hitler n’est que le maillon final dans la chaîne des poussées contre-révolutionnaires. Le petit bourgeois est hostile à l’idée de développement, car le développement se fait invariablement contre lui : le progrès ne lui a rien apporté, si ce n’est des dettes insolvables. Le national-socialisme rejette le marxisme mais aussi le darwinisme. Les nazis maudissent le matérialisme, car les victoires de la technique sur la nature ont entraîné la victoire du grand capital sur le petit. Les chefs du mouvement liquident " l’intellectualisme " non pas tant parce que eux-mêmes possèdent des intelligences de deuxième ou de troisième ordre, mais surtout parce que leur rôle historique ne saurait admettre qu’une pensée soit menée jusqu’à son terme. Le petit bourgeois a besoin d’une instance supérieure, placée au-dessus de la matière et de l’histoire, et protégée de la concurrence, de l’inflation, de la crise et de la vente aux enchères. Au développement, à la pensée économique, au rationalisme - aux XX°, XIX° et XVIII° siècles - s’opposent l’idéalisme nationaliste, en tant que source du principe héroïque. La nation d’Hitler est l’ombre mythique de la petite bourgeoisie elle-même, son rêve pathétique d’un royaume millénaire sur terre. »
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1. La nuit des longs couteaux » ou pourquoi les dirigeants nazis ont décapité eux-mêmes leur mouvement de masse fasciste des S.A., les sections d’assaut, cette immense armée brune, 24 novembre 2014, 07:47, par alain
Quelle est l’origine des chemises "brunes" ?
2. La nuit des longs couteaux » ou pourquoi les dirigeants nazis ont décapité eux-mêmes leur mouvement de masse fasciste des S.A., les sections d’assaut, cette immense armée brune, 24 novembre 2014, 07:49, par Robert Paris
Les SA sont appelées « chemises brunes » en raison de la couleur de l’uniforme que ses membres portent à partir de 1925. C’est Gerhard Roßbach, qui à la fin de 1924 achète en Autriche, un lot de surplus de chemises militaires tropicales de couleur brune. Elles étaient disponibles en grand nombre pour un prix modique après la guerre. Elles avaient initialement été confectionnées pour habiller les troupes de l’Empire colonial allemand.
Lorsque Adolf Hitler arrive à reconstituer les SA, après l’interdiction qui les frappait en vertu de la condamnation du putsch de 1921, il habille ses hommes avec ces chemises rapidement disponibles et fait fabriquer le reste des vêtements pour compléter l’uniforme (hauts-de-chausses, cravates, képis).
Hitler a créé les SA à Munich en 1921 en réunissant d’anciens combattants, des officiers mécontents et des membres des Corps francs (chargés de la répression des révolutionnaires socialistes pendant la révolution de 1918-1919), sous l’autorité d’Ernst Röhm.
Leur constitution en troupe paramilitaire par les vétérans nationalistes visait d’abord à contourner les limitations du Traité de Versaille dans lesquels les vainqueurs de la Première Guerre mondiale imposaient de réduire l’armée régulière à 100 000 hommes.
Les SA faisaient office de service d’ordre, qui provoquait l’éviction des opposants lors des rassemblements du parti nazi, puis prirent une importance de plus en plus grande dans l’organisation du pouvoir. Les SA furent à l’origine de nombreux actes de violences dans les années 1920, principalement lors de combats de rues contre des groupes communistes comme le Rote Frontkämpferbund (l’Union de défense du Parti communiste d’Allemagne), et furent interdites à l’issue de la tentative de putsch de Hitler le 9 novembre 1923.
L’hymne officiel des SA était le Horst-Wessel-Lied, qui est ensuite devenu l’hymne du Parti nazi. Ce chant faisait référence, comme son nom l’indique, au jeune militant Horst Wessel élevé au rang de martyr après son assassinat en 1930.
La SA est le premier groupe paramilitaire Nazi à développer des titres pseudo-militaires afin de conférer des grades à ses membres. Les grades de la SA furent adoptés par de nombreux autres groupes du parti Nazi dont les SS fondée en avril 1925.
La SA compte à l’origine deux mouvances : celle anticapitaliste et apparentée à la gauche ouvrière en l’Allemagne du Nord, incarnée par Röhm, et une seconde (la base du mouvement, située à Munich) moins idéologique, qui absorbera finalement la première.
L’organisation fut de nouveau autorisée en 1926 et joua un rôle croissant jusqu’à l’assassinat de Röhm.
3. La nuit des longs couteaux » ou pourquoi les dirigeants nazis ont décapité eux-mêmes leur mouvement de masse fasciste des S.A., les sections d’assaut, cette immense armée brune, 23 mars 2015, 08:13
La démagogie des nazis se donnait une couleur socialiste :
Pourquoi nous sommes socialiste ; Par Joseph Goebbels
Nous sommes socialistes parce que nous voyons dans le socialisme, qui est l’union de tous les citoyens, la seule chance de conserver notre héritage racial et de récupérer notre liberté politique et rénover notre État allemand.
Le socialisme est la doctrine de la libération pour la classe ouvrière. Il favorise la montée de la quatrième classe et son incorporation dans l’organisme politique de notre patrie, et il est inextricablement lié à la rupture de l’esclavage présent, recouvrant la liberté allemande. Le socialisme, par conséquent, n’est pas simplement une question relative à la classe opprimée, mais celle de tous, pour libérer le peuple allemand de l’esclavage et est l’objectif de la présente politique. Le socialisme atteint sa véritable forme qu’au travers d’une fraternité de combat total avec les énergies d’avant-garde d’un nationalisme nouvellement réveillé. Sans le nationalisme il n’est rien, seulement un fantôme, rien qu’une théorie, un château dans le ciel, un livre. Avec lui, il est tout, l’avenir, la liberté, la patrie !
Le péché de la pensée libérale a été de négliger les forces de construction de la nation du socialisme, laissant ses énergies partir dans des directions antinationales. Le péché du marxisme a été de dégrader le socialisme en une question de salaires et d’estomac, de le mettre dans une situation de conflit avec l’État et son existence nationale. Une compréhension de ces deux faits nous conduit à un nouveau sens du socialisme, qui voit sa nature nationaliste, de renforcement de l’État, libératrice et constructive.
Le bourgeois est sur le point de quitter la scène historique. À sa place viendra la classe productive des travailleurs, la classe ouvrière, qui a été opprimée jusqu’à aujourd’hui. Elle commence à remplir sa mission politique. Elle est impliqué dans une lutte dure et amère pour arriver au pouvoir politique, tandis qu’elle cherche à faire partie de l’organisme national. La bataille a commencé dans le domaine économique ; elle finira dans le politique. Ce n’est pas seulement une question de salaires, ni seulement une question de nombre d’heures de travail par jour – bien que nous ne pourrons jamais oublier que c’est là une partie essentielle, peut-être même la plus importante de la plate-forme socialiste – mais beaucoup plus une affaire d’intégration d’une classe puissante et responsable dans l’État, peut-être même d’en faire la force dominante des politiques futures de la patrie. La bourgeoisie ne veut pas reconnaître la force de la classe ouvrière. Le marxisme la corsète dans un carcan qui la ruine. Alors que la classe ouvrière, se vidant de son sang, se désintègre peu à peu dans le marxisme, la bourgeoisie et le marxisme se sont entendus sur les lignes générales du capitalisme, et ont pour tâche maintenant de protéger et défendre cet état des choses de diverses manières, souvent dissimulées.
Nous sommes socialistes parce que nous voyons la question sociale comme une question de nécessité et de justice pour l’existence même d’un État pour notre peuple, non pas une question de pitié bon marché ou de sentimentalisme insultant. Le travailleur réclame un niveau de vie qui correspond à ce qu’il produit. Nous n’avons pas l’intention de mendier pour ce droit. L’intégrer dans l’organisme étatique n’est pas seulement une affaire importante pour lui, mais pour la nation toute entière. La question est plus large que la journée de huit heures. Il s’agit de former un nouvel état de conscience qui inclut tous les citoyens productifs. Étant donné que les pouvoirs politiques actuels ne sont pas capables ni désireux de créer une telle situation, le socialisme doit se battre pour l’atteindre. Il est intérieurement et extérieurement un slogan de la lutte. A l’intérieur, il vise en même temps les partis bourgeois et le marxisme, parce que les deux sont des ennemis jurés de l’État ouvrier à venir. A l’extérieur, il est dirigé contre tous les pouvoirs qui menacent notre existence nationale et l’avènement de l’État national-socialiste.