Les premières expressions humaines n’étaient pas nécessairement une symbolique mystique mais plutôt une description de sentiments humains face à la nature, une description scientifique (de chasseurs) et artistique de celle-ci.
samedi 23 novembre 2013, par
L’opposition entre les matérialismes et les idéalismes n’est pas une opposition diamétrale mais dialectique : ils ont besoin l’un de l’autre pour progresser en se combattant.
Le matérialisme et l’idéalisme sont deux courants philosophiques au sein desquels existent de multiples variations très diverses. Les différents matérialismes sont parfois plus éloignés entre eux, sur d’autres plans, qu’ils ne le sont de certains idéalismes. Car la question posée par idéalisme et matérialisme, qu’est-ce qui prime entre la matière et l’esprit, est loin d’être la seule question philosophique que nous pose l’observation du monde. Et il est très différent de la poser de manière métaphysique ou dialectique, de manière figée ou dynamique. Une conception métaphysique matérialiste peut avoir des points communs plus grands avec un idéalisme métaphysique qu’avec un matérialisme dialectique.
Le point commun entre matérialisme et idéalisme consiste à considérer qu’il y a un seul monde qui englobe à la fois la matière et les idées et que ce monde obéit à une même logique globale. Ils s’opposent ainsi aux philosophies dites dualistes, du type de Descartes, pour lesquelles il y a un monde matériel et un monde spirituel.
L’interpénétration de la matière et des idées est une expérience simple de tous les jours. Nous savons que nous ne pouvons appréhender la matière que grâce à nos idées et nous savons aussi que nous ne pouvons avoir des idées qu’à partir d’une expérience matérielle. Cela ne nous dit pas vraiment quel est le premier et quel est le plus fondamental.
L’expérience humaine nous apprend que nous sommes dominés par des lois de la matière et pourtant elle nous apprend aussi que nos idées peuvent transformer notre relation à la matière, notre perception de celle-ci et nos possibilités d’agir sur la matière ou grâce à elle. Là encore, la primauté n’a rien d’évident.
En fait, il faut reconnaître que la preuve par l’expérience d’une primauté de la matière ou de l’esprit n’est pas simpliste ni évidente.
Il y a des preuves de type historique : par exemple, la matière existait avant que l’homme et ses idées existent. La matière nous envoie des informations depuis des zones de l’espace qui existaient bien avant que l’homme soit apparu.
Il y a des preuves de type biologique ou physiologique : par exemple, l’étude du cerveau nous donne des notions sur la base matérielle de nos capacités cérébrales et nerveuses à penser. Mais nos connaissances, sur ce plan, sont encore limitées. Nous ne savons par exemple pas décrypter le langage neuronal du cerveau ni reconstituer le mécanisme de formation physique de la pensée même la plus élémentaire. Même s’il est évident qu’il est impossible de concevoir une pensée sans cerveau, nous ne pouvons prétendre que nos connaissances en neurophysiologie résolvent complètement la question philosophique posée car la nécessité d’une base matérielle à la pensée ne prouve pas irrémédiablement que la pensée elle-même soit matérielle.
Un autre point mérite d’être souligné : la difficulté de définir précisément ce que l’on entend par pensée et ce que l’on entend par matière. Il faut d’ailleurs noter qu’aucune définition ancienne ne pourrait être retenue tant nos connaissances scientifiques, aussi bien sur un thème que sur l’autre, ont profondément changé.
Par exemple, aujourd’hui, lorsque l’on parle de matière pour discuter du matérialisme, on entend parler de tout l’univers physique et l’on englobe sous ce terme toutes les formes de l’énergie physique, à savoir la matière possédant une masse inerte appelés fermions et la « matière » n’en possédant pas (les particules dites virtuelles du vide et les corpuscules de lumière et d’interaction appelés bosons).
Quand on parle du domaine des idées, il y a aussi des manières diverses de les aborder car la théorie des concepts est déjà une manière de fonder une philosophie. Platon l’a bien montré qui a basé là-dessus une des principales philosophies idéalistes du monde. Hegel en a fondé une autre, tout aussi connue et appréciée.
Dans quelles circonstances se trouve-t-on en face de gens qui supposent que ce sont les idées qui mènent le monde et pas le contraire ?
Eh bien, on trouve par exemple ce genre de conception devant tous les phénomènes difficiles à expliquer par des causes matérielles et particulièrement devant les catastrophes. Les esprits sont alors souvent convoqués comme explication par les hommes.
On les trouve aussi face aux rêves. On aura ainsi une interprétation matérialiste des rêves et de l’inconscient et une interprétation spiritualiste comme la religion ou l’ethnopsychiatrie.
Face à l’apparition d’espèces nouvelles ou aux disparitions d’espèces, on aura une interprétation matérialiste du type de celle de Darwin et une interprétation religieuse fondée sur l’idée de création divine.
On croit souvent que les progrès de la science et de la technique ont produit un monde où les idées matérialistes seraient aisément prépondérantes. Encore faudrait-il que la science ait permis de diffuser des thèses philosophiques fondées sur les découvertes des sciences ce qui nécessiterait que les classes dirigeantes aient continué à favoriser le matérialisme pour faire pièce à l’idéalisme, notamment aux religions et conceptions magiques. Mais ce n’est nullement le cas.
Bien au contraire, les classes dirigeantes souhaitent conserver un poids social et politique important aux religions pour que les peuples continuent à y chercher leurs bases idéologiques. Ils ont diffusé de manière prépondérante une thèse selon laquelle la science n’avait pas à se mêler de philosophie et ne devait pas disputer avec les religions et autres mysticismes. Tout au plus un astrophysicien contestera-t-il l’astrologie mais il n’en fera pas de même des religions. Il faut constater que cela n’a pas toujours été le cas et que les Lumières, que Darwin, Pasteur, Freud et Einstein diffusaient des thèses matérialistes et ne se contentaient pas d’observer la nature.
Mieux même, contrairement à ce que croient bien des gens, ces trois auteurs avaient des buts philosophiques matérialistes et ils savaient que leur recherche menait à combattre les thèses spiritualistes et idéalistes et c’est d’abord cela qui motivait leur combat.
Tant pis pour la pensée dominante actuelle selon laquelle la science n’a pas à intervenir sur le terrain philosophique et doit en rester à une conception dite ouverte à toutes les philosophies et qui est en fait fermée à toute discussion philosophique.
Rien d’étonnant du coup que les manières de raisonner spiritualistes et idéalistes aient pu se maintenir malgré les progrès de la science et de la technique. Les scientifiques sont les derniers aujourd’hui à vouloir se mouiller sur ce terrain philosophique et les classes dirigeantes ne veulent pas de ce combat que la bourgeoisie avait pourtant favorisé quand elle avait besoin de changer le monde, idéologiquement autant que socialement et politiquement.
Fondamentalement, il y a une autre raison pour qu’il ne suffise pas d’étudier la matière pour trouver dans cette étude la preuve du caractère premier de la matière sur la pensée : l’étude elle-même reste une pensée humaine et, même si elle se fonde sur l’observation de la réalité physique, elle ne peut jamais s’en contenter et doit développer des concepts, des modèles, des raisonnement et toutes sortes d’abstractions que nous ne trouvons pas dans la nature mais dans notre esprit. Il y a donc en permanence interaction dialectique de la matière et de la pensée au sein de la science sans qu’il soit évident de dire qui commence quoi…
Les scientifiques mécanistes croyaient certes trouver dans des relations de cause à effet une continuité définitivement mortelle pour l’idéologie non fondée sur la matière physique mais ils ont trop simplifié la relation physique elle-même. Ils ont espéré tuer la création en supprimant toute discontinuité de leur discours sur la matière (inerte comme vivante) mais, là encore, leur description est trop sommaire et philosophique erronée. La science a dû retrouver les idées d’émergence de structures nouvelles qui sont des créations sans qu’il y ait besoin d’esprit créateur. Elle a aussi retrouvé la nécessité de la discontinuité au sein de la dynamique.
La science a d’autant moins supprimé la notion de création spirituelle qu’elle-même est une création spirituelle. Einstein n’a pas vu le photon, ni un quanta. Il n’a pas vu la relativité. Pas plus que Newton n’a vu la gravitation. Ces notions sont sorties de leur esprit même si elles sont chargées de correspondre à des lois d’observation.
Il n’y a donc aucune chance que le seul progrès des sciences se charge du combat entre matérialistes et idéalistes, et encore moins le tranchent. Cependant bien des gens ignorent à quel point certains scientifiques ont conçu leur travail d’abord comme une œuvre philosophique matérialiste. C’est le cas de Darwin, de Pasteur ou d’Einstein. Et pourtant très peu de gens les rattachent clairement au matérialisme philosophique qu’ils n’ont cessé de défendre de manière quasiment militante. Ce matérialisme a même été pour ces scientifiques le fondement philosophique conscient de leur recherche. Darwin a développé sa thèse sur l’évolution pour confondre la thèse de l’idéalisme sur le monde vivant. Pasteur n’a cessé de combattre les thèses créationnistes sur la vie. Freud a combattu l’idée que la folie était une action du monde spirituel sur l’homme et développé l’idée qu’il s’agissait d’une action du monde réel : l’hystérie était le produit d’événements traumatiques réels et anciens. Einstein orientait sa recherche en cherchant toujours à rester proche d’un matérialisme réaliste et reprochait notamment à la conception de Copenhague de la physique quantique de s’en éloigner. Chacun d’eux a du mener un véritable combat contre les thèses idéalistes dominantes de leur époque qui étaient issues d’un passé où le féodalisme avait partie liée avec la métaphysique religieuse qui dominait également la philosophie et les sciences. C’est en voulant renverser cet ordre social que la bourgeoisie a favorisé par sa lutte la lutte contre l’idéologie idéaliste des anciennes classes dirigeantes.
Le combat philosophique fait donc partie du combat social de chaque époque. Et, en ce sens, cette lutte a déjà un fondement matérialiste qui est basé sur les questions économiques et sociales, sur les classes sociales en lutte et les intérêts qu’elles défendent.
Non seulement nous souhaitons donc discuter de la validité de l’idéalisme et du matérialisme mais aussi en donner un fondement matérialiste.
Par exemple, quand on étudie l’histoire des idéalismes et qu’on en donne un fondement idéaliste, cela signifie que l’on considère qu’un Chrétien d’aujourd’hui est identique à un Chrétien des origines antiques, à Jérusalem, en Egypte ou à Rome. L’idéaliste considère en effet que l’idée biblique est inchangée alors que le matérialiste considère que le succès de la religion et son développement proviennent des nécessités sociales et politiques de la société de l’époque.
Très souvent, les gens raisonnent en termes idéalistes sur les grands phénomènes politiques et sociaux. Nombre d’entre eux croient qu’à la base de phénomènes comme le capitalisme, la démocratie ou le fascisme, il y aurait l’idée du capitalisme, l’idée de la démocratie et l’idée du fascisme et pensent que ces phénomènes ont localement triomphé du fait que l’idée a gagné la population….
Certains pensent de même en ce qui concerne certains phénomènes matériels difficiles à expliquer et surtout à prédire, comme les phénomènes météorologiques, les tremblements de terre, la pluie, la sécheresse, la foudre, les éruptions volcaniques, etc… Ils y voient parfois l’action des esprits ou des punitions divines.
Bien entendu, la naissance, la vie et la mort, phénomènes qui ne sont pas davantage totalement maitrisables par les sciences, restent des domaines où les hommes prient, croient à des mysticismes autant qu’aux sciences et mêlent souvent les deux.
La prédiction de l’avenir n’étant quasiment jamais une pensée scientifique, ils peuvent encore, dans ce monde dit scientifique, attendre des prédictions de la part de l’astrologie, des diseurs de bonne aventure, des magiciens et autres spiritualistes.
Cependant, plus l’homme dispose de moyens pour agir sur le monde, moins il s’appuie sur des raisonnements fatalistes pour décrire ce qui peut lui arriver au cours des événements. Du moment qu’existe le paratonnerre, refuser de s’en servir en prétendant que c’est un engin diabolique qui déjoue la volonté divine, c’est s’abandonner au fatalisme des éléments naturels.
Mais le fait d’avoir conscience qu’on dispose des moyens d’agir sur notre univers n’est pas seulement disposer des connaissances scientifiques sur la matière et des connaissances techniques pour transformer en notre faveur celle-ci : c’est d’abord et avant tout être capable de comprendre et de transformer les conditions sociales et politiques de notre monde. Et ce n’est pas la seule science qui en donne les moyens.
Quand les hommes sont en pleine lutte pour transformer le monde, se fondent sur leur propre action, ils vont permettre dans le même mouvement de construire des philosophies sur la capacité d’étudier et de transformer la matière et lorsqu’ils vivent la difficulté de transformer le monde et pensent même en être incapables, ils vont se tourner davantage vers les philosophies idéalistes.
Cela fonde la nécessité de concevoir le combat philosophique lui-même de manière matérialiste et donc d’y voir non seulement un combat d’idées mais aussi un combat qui fait partie du combat économique, du combat social, du combat politique….
La plupart des histoires du matérialisme ont justement une particularité : celle d’être idéalistes, c’est-à-dire de considérer que les idées matérialistes sont venues du monde des idées et pas de la réalité historique, matérielle et sociale !
L’autre reproche que l’on peut leur faire est d’être métaphysiques et non dialectiques et, par exemple, d’imaginer que le matérialisme est issu du matérialisme et non de son combat avec l’idéalisme…
Nous essaierons de développer ici un point de vue matérialiste et dialectique sur le matérialisme et son histoire.
Que signifie le terme dialectique pour étudier le combat des thèses idéalistes et matérialistes ?
L’inverse d’une conception dialectique de l’histoire des idées consisterait à opposer matérialisme et idéalisme de manière diamétrale (incapable de s’interpénétrer) et de les considérer de manière métaphysique comme le bien et le mal.
Il n’y a pas séparément une histoire des matérialismes d’un côté et une histoire des idéalismes de l’autre, mais une dialectique contradictoire du combat d’idées. Le matérialisme d’une époque est certes lié aux connaissances matérielles de cette époque mais aussi aux matérialismes et idéalismes des époques précédentes dont il tire argument et contre-argument.
C’est en sens que les idées ont une histoire et que l’on peut y voir une transformation des conceptions.
Ainsi, il serait tout à fait erroné de croire que les philosophes matérialistes des Lumières, comme Diderot, D’Alembert, La Mettrie, Helvétius ou D’Holbach auraient inventé le matérialisme, en France, en Europe ou dans le monde.
Le matérialisme est aussi vieux que l’idéalisme et il s’est développé dans toutes les régions du monde.
Bien des gens s’imaginent que dans le passé, il n’y avait que des idéologies religieuses et que c’est la révolution française, et les Lumières comme avant-coureur, qui aurait changé tout cela mais ils se trompent.
L’Europe peut citer, bien avant les Lumières, de très nombreux penseurs matérialistes : Pomponazzi, Francesco de Vicomercato, Bernardino Telesio, Giordano Bruno, Cesare Cremonini, Giulio Cesare Vanini, Laurent Valla, Jean Louis Vivès, Pierre de La Ramée, Francis Bacon, Pierre Gassendi, Robert Boyle, Bernard de Fontenelle, Thomas Hobbes, Gabriel Naudé, Pierre Bayle, John Locke, Cyrano de Bergerac, Rabelais, Léonard de Vinci, etc…
Cela remonte bien avant la renaissance européenne. Cela remonte aux civilisations antiques et même bien avant. A chaque fois que l’on trouve des restes d’inscriptions ou de dessins des peuples des cavernes, ils prétendent qu’il s’agissait nécessairement de conceptions mystiques ou spirituelles mais ce n’est nullement prouvé. Il peut très bien s’agir de diffusion de connaissances matérielles, les sciences de cette époque : le dénombrement, la géographie, les sciences naturelles, la chasse et cela pouvait être des moyens de noter les connaissances acquises. Et, dans cette philosophie sur la réalité, il importait de raisonner de manière matérialiste dialectique…
Par la suite, les diverses civilisations ont certes connu des grandes religions qui ont été favorisées par les rois et les classes dirigeantes mais il nous est resté suffisamment de grands noms de penseurs matérialistes pour penser que ceux-ci n’étaient pas moins nombreux et leurs systèmes de pensée pas moins développés.
L’antiquité grecque a eu ses penseurs matérialistes :Thalès, Héraclite, Pythagore, Leucippe, Démocrite, Épicure.
L’antiquité de l’Inde a connu de très nombreux penseurs matérialistes comme Chārvāka, Kaṇāda, Kapila, Mahāvīra, Pakhuda Kātyāyana, …
Et on peut de même citer des penseurs matérialistes venus de bien d’autres régions du monde : de Rome, de Chine, d’Irak ou d’Iran, etc…
Dans tous ces cas, les grandes époques de développement philosophiques sont reliées aux grandes époques de transformation économique, politique et sociale de la société. Les idées n’évoluent pas dans un monde éthéré, déconnecté des réalités de leur époque. Ainsi ceux qui prétendent que les Lumières ont produit sur le plan idéologique les idées de la révolution française oublient que la révolution bourgeoise avait commencé avant les Lumières elles-mêmes, notamment avec les révolutions anglaise, suisse ou de Corse. Encore une fois la réalité a été première. Le besoin de fonder une nouvelle idéologie provient de la nécessité de trouver de nouvelles solutions aux problèmes réels, sociaux et politiques d’une époque. « L’humanité ne se pose que des problèmes qu’elle est capable de résoudre. », disait Karl Marx…
Si le matérialisme de Karl Marx est connu, il convient de souvenir qu’il est le produit de plusieurs renversements dialectiques :
du matérialisme de Spinoza à l’idéalisme de Kant
de l’idéalisme métaphysique de Kant à l’idéalisme dialectique de Hegel
de l’idéalisme de Hegel au matérialisme de Feuerbach
des deux précédents au matérialisme de Marx
Et, bien entendu, ceci n’est qu’une simplification du mouvement réel des idées…
Aujourd’hui, on entend souvent des auteurs dire que ces débats philosophiques sont intéressants pour comprendre le passé mais sont de l’histoire ancienne. Ils se trompent : le débat continue. Et il s’agit d’un combat et pas d’une discussion de salon…
Tout d’abord, il existe toujours des scientifiques et des penseurs matérialistes comme Lewontin, Changeux, Prigogine, etc… Ensuite, tant qu’existent les religions, tant qu’existent les classes sociales, tant que l’homme ne domine pas son univers social, tant que la question de la capacité de l’homme de combattre la fatalité n’est pas réglée, ce combat reste d’une brulante actualité. Sommes-nous dominés par des esprits ou sommes-nous en face d’une réalité matérielle qu’il faut transformer par des moyens matériels ?
Certains militants révolutionnaires considèrent que le débat a déjà eu lieu et qu’il est tranché en faveur du matérialisme. Comme s’il suffisait, pour être matérialiste, de dire : « le matérialisme a eu raison » et de déclarer ensuite le débat philosophique comme dépassé ! Le matérialisme contemporain ne consiste certainement pas à pratiquer un activisme pragmatique remplaçant la pratique du débat philosophique. Ceux qui utilisent pour cela la fameuse phrase de Marx, selon laquelle il considérait que son système de pensée représentait la fin de la philosophie, en font une lecture erronée. Marx annonçait la fin de la philosophie idéologique coupée de la réalité et pas la fin de la philosophie matérialiste inéluctablement reliée aux événements réels. « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer. » disait Marx mais il n’en concluait pas qu’il fallait se passer de philosopher. Il affirmait seulement qu’au lieu de se contenter de philosopher sur la philosophie, il fallait philosopher sur l’économie, sur la société, sur la politique…
Karl Marx dans « l’Idéologie allemande » :
« La production des idées, des représentations et de la conscience, est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes : elle est le langage de la vie réelle. »
« Les idées ne sont rien d’autre que les choses matérielles transposées et traduites dans la tête des hommes. »
Marx dans « Thèses sur Feuerbach » :
« Le principal défaut, jusqu’ici, du matérialisme de tous les philosophes – y compris celui de Feuerbach est que l’objet, la réalité, le monde sensible n’y sont saisis que sous la forme d’objet ou d’intuition, mais non en tant qu’activité humaine concrète, en tant que pratique, de façon non subjective. C’est ce qui explique pourquoi l’aspect actif fut développé par l’idéalisme, en opposition au matérialisme, — mais seulement abstraitement, car l’idéalisme ne connaît naturellement pas l’activité réelle, concrète, comme telle. »
Marx dans « La sainte famille » :
« La philosophie française des Lumières, au XVIIIe siècle, et surtout le matérialisme français n’ont pas mené seulement la lutte contre les institutions politiques existantes, contre la religion et la théologie existantes, mais elles ont tout autant mené une lutte ouverte, une lutte déclarée contre la métaphysique du XVIIe siècle, et contre toute métaphysique, singulièrement celle de Descartes, de Malebranche, de Spinoza et de Leibniz. On opposa la philosophie à la métaphysique, tout comme Feuerbach opposa la lucidité froide de la philosophie à l’ivresse de la spéculation le jour où, pour la première fois, il prit résolument position contre Hegel . La métaphysique du XVIIe siècle qui avait dû céder la place à la philosophie française des Lumières et surtout au matérialisme français du XVIIIe siècle, a connu une restauration victorieuse et substantielle dans la philosophie allemande, et surtout dans la philosophie spéculative allemande du XIXe siècle. D’abord Hegel, de géniale façon, l’unit à toute métaphysique connue et à l’idéalisme allemand, et fonda un empire métaphysique universel ; puis, de nouveau, à l’attaque contre la théologie correspondit, comme au XVIIIe siècle, l’attaque contre la métaphysique spéculative et contre toute métaphysique. Celle-ci succombera à jamais devant le matérialisme, désormais achevé par le travail de la spéculation elle-même et coïncidant avec l’humanisme. Or, si Feuerbach représentait, dans le domaine de la théorie, le matérialisme coïncidant avec l’humanisme, le socialisme et le communisme français et anglais l’ont représenté dans le domaine de la pratique. »
Engels dans « Ludwig Feuerbach » :
« La grande question fondamentale de toute philosophie, et spécialement de la philosophie moderne, est celle ... du rapport de la pensée à l’être, de l’esprit à la nature... la question de savoir quel est l’élément primordial, l’esprit ou la nature... Selon qu’ils répondaient de telle ou telle façon à cette question, les philosophes se divisaient en deux grands camps. Ceux qui affirmaient le caractère primordial de l’esprit par rapport à la nature, et qui admettaient, par conséquent, en dernière instance, une création du monde de quelque espèce que ce fût... formaient le camp de l’idéalisme. »
Engels dans « Ludwig Feuerbach » :
« Ce sont surtout trois grandes découvertes qui ont fait progresser à pas de géant notre connaissance de l’enchaînement des processus naturels : premièrement, la découverte de la cellule en tant qu’unité à partir de laquelle se développe, par multiplication et différenciation, tout l’organisme végétal et animal ; en conséquence non seulement il a été reconnu que le développement et la croissance de tous les organismes supérieurs s’opèrent selon une loi universelle unique, mais encore que la capacité de transformation de la cellule indique la voie par laquelle les organismes peuvent modifier leur espèce, et, par-là, connaître un développement plus qu’individuel. Deuxièmement, la découverte de la transformation de l’énergie, qui nous a montré que toutes les prétendues forces qui agissent tout d’abord dans la nature inorganique, la force mécanique et son complément, l’énergie dite potentielle, la chaleur, le rayonnement, (lumière ou chaleur rayonnante), l’électricité, le magnétisme, l’énergie chimique constituent autant de manifestations différentes du mouvement universel, qui passent de l’une à l’autre selon certains rapports quantitatifs, de sorte que, pour une certaine quantité de l’une qui disparaît, réapparaît une certaine quantité d’une autre, et qu’ainsi tout le mouvement de la nature se réduit à ce processus ininterrompu de transformations d’une forme dans l’autre. - Enfin, la démonstration d’ensemble faite pour la première fois par Darwin, selon laquelle tous les produits de la nature qui nous environnent actuellement, y compris les hommes, sont le produit d’un long processus de développement à partir d’un petit nombre de germes unicellulaires à l’origine, et que ces derniers sont, à leur tour, issus d’un protoplasme ou d’un corps albuminoïdal constitué par voie chimique. Grâce à ces trois grandes découvertes et aux autres progrès formidables de la science de la nature, nous sommes aujourd’hui en mesure de montrer dans leurs grandes lignes non seulement l’enchaînement entre les phénomènes de la nature dans les différents domaines pris à part, mais encore la connexion des différents domaines entre eux, et de présenter ainsi un tableau d’ensemble de l’enchaînement de la nature sous une forme à peu près systématique, au moyen des faits fournis par la science empirique de la nature elle-même. C’était autrefois la tâche de ce que l’on appelait la philosophie de la nature de fournir ce tableau d’ensemble. Elle ne pouvait le faire qu’en remplaçant les rapports réels encore inconnus par des rapports imaginaires, fantastiques, en complétant les faits manquants par des idées, et en ne comblant que dans l’imagination les lacunes existant dans la réalité. En procédant ainsi, elle a eu maintes idées géniales, pressenti maintes découvertes ultérieures, mais elle a également, comme il ne pouvait en être autrement, donné le jour à pas mal de bêtises. Aujourd’hui, où il suffit d’interpréter les résultats de l’étude de la nature dialectiquement, c’est-à-dire dans le sens de l’enchaînement qui lui est propre, pour arriver à un « système de la nature » satisfaisant pour notre époque, où le caractère dialectique de cet enchaînement s’impose, qu’ils le veuillent ou non, même aux cerveaux de savants formés à l’école métaphysique, aujourd’hui, la philosophie de la nature est définitivement mise à l’écart. Toute tentative pour la ressusciter ne serait pas seulement superflue, elle serait une régression. Mais ce qui est vrai de la nature, reconnue également de ce fait comme un processus de développement historique, l’est aussi de l’histoire de la société dans toutes ses branches et de l’ensemble de toutes les sciences qui traitent des choses humaines (et divines). Ici également, la philosophie de l’histoire, du droit, de la religion, etc., consistait à substituer à l’enchaînement réel, et qu’il fallait prouver, entre tes événements, celui qu’inventait le cerveau du philosophe, à concevoir l’histoire, dans son ensemble comme dans ses différentes parties, comme la réalisation progressive d’idées, et naturellement toujours des seules idées favorites du philosophe lui-même. De la sorte, l’histoire s’efforçait inconsciemment, mais nécessairement à atteindre un certain but idéal fixé a priori qui était, par exemple chez Hegel, la réalisation de son Idée absolue, et la marche irrévocable vers cette Idée absolue constituait l’enchaînement interne des événements historiques. A l’enchaînement réel, encore inconnu, on substituait ainsi une nouvelle Providence mystérieuse, - inconsciente ou prenant peu à peu conscience d’elle-même. Il s’agissait par conséquent ici, tout comme dans le domaine de la nature, d’éliminer ces enchaînements fabriqués, artificiels, en dégageant les enchaînements réels ; ce qui revient, en fin de compte à découvrir les lois générales du mouvement qui, dans l’histoire de la société humaine, s’imposent comme lois dominantes. »
Karl Marx dans la préface à la « Critique de l’économie politique » :
« Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré de développement donné de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle, sur quoi s’élève superstructure juridique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le procès de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des homme qui détermine la réalité c’est au contraire la réalité sociale qui détermine leur conscience. A un certain stade de leur développement les forces productives de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété à l’intérieur desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes évolutives des forces productives qu’ils étaient, ces rapports deviennent des entraves de ces forces. Alors s’ouvre une ère de révolution sociale. Le changement qui s’est produit dans la base économique bouleverse plus ou moins lentement ou rapidement toute la colossale superstructure. Lorsqu’on considère de tels bouleversements, il importe de distinguer toujours entre le bouleversement matériel des conditions de production économique - qu’on doit constater fidèlement à l’aide des sciences physiques et naturelles - et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes deviennent conscients de ce conflit et le mènent à bout. De même qu’on ne juge pas un individu sur l’idée qu’il se fait de lui, de même on ne peut juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi ; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production. Une société ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, et jamais de nouveaux et supérieurs rapports de production ne se substituent à elle avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports aient été couvées dans le sein même de la vieille société. C’est pourquoi l’humanité ne se pose jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre, car, à regarder de plus près, il se trouvera toujours que le problème lui-même ne se présente que lorsque les conditions matérielles pour le résoudre existent ou du moins sont en voie de devenir . »
Engels dans « Ludwig Feuerbach » :
« Notre conscience, si transcendante qu’elle nous paraisse n’est que le produit d’un organe matériel, corporel, le cerveau. »
Julien Offray de La Mettrie :
« Nous ne connaissons dans les corps que la matière, et nous n’observons la faculté de sentir que dans ces corps : sur quel fondement donc établir un être idéal désavoué par toutes nos connaissances ? »
Diderot dans "Entretien avec D’Alembert" :
« Qu’est-ce que cet œuf ? Une masse insensible avant que le germe y soit introduit ; et après que le germe y est introduit, qu’est-ce encore ? Une masse insensible, car ce germe n’est lui-même qu’un fluide inerte et grossier. Comment cette masse passera-t-elle à une autre organisation, à la sensibilité, à la vie ? Par la chaleur. Qui produira la chaleur ? le mouvement. Quels seront les effets successifs du mouvement ? Au lieu de me répondre, asseyez-vous, et suivons-les de l’œil de moment en moment. D’abord c’est un point qui oscille, un filet qui s’étend et qui se colore ; de la chair qui se forme ; un bec, des bouts d’ailes, des yeux, des pattes qui paraissent ; une matière jaunâtre qui se dévide et produit des intestins ; c’est un animal. Cet animal se meut, s’agite, crie ; j’entends ses cris à travers la coque ; il se couvre de duvet ; il voit. La pesanteur de sa tête, qui oscille, porte sans cesse son bec contre la paroi intérieure de sa prison ; la voilà brisée ; il en sort, il marche, il vole, il s’irrite, il fuit, il approche, il se plaint, il souffre, il aime, il désire, il jouit ; il a toutes vos affections ; toutes vos actions, il les fait. Prétendrez-vous, avec Descartes, que c’est une pure machine imitative ? Mais les petits enfants se moqueront de vous, et les philosophes vous répliqueront que si c’est là une machine, vous en êtes une autre. Si vous avouez qu’entre l’animal et vous il n’y a de différence que dans l’organisation, vous montrerez du sens et de la raison, vous serez de bonne foi ; mais on en conclura contre vous qu’avec une matière inerte, disposée d’une certaine manière, imprégnée d’une autre matière inerte, de la chaleur et du mouvement on obtient de la sensibilité, de la vie, de la mémoire, de la conscience, des passions, de la pensée. »
Plekhanov dans « Le matérialisme militant » :
« On sait qu’il fut un temps où il n’y avait pas encore d’hommes sur notre planète. Et s’il n’y avait pas d’hommes, il est clair qu’il n’y avait pas non plus leur expérience. […] Et cela signifie que la Terre existait en dehors de l’expérience humaine. Mais pourquoi existait-elle en dehors de l’expérience ? Est-ce parce qu’elle ne pouvait pas être l’objet de l’expérience ? Non, elle existait en dehors de l’expérience, tout simplement parce que les organismes capables d’avoir, par leur structure, une expérience n’étaient pas encore apparus. […] La thèse bien connue : "sans sujet, pas d’objet", est radicalement fausse. L’objet ne cesse pas d’exister, même s’il n’y a pas encore de sujet ou s’il n’en existe plus. »
Darwin dans son autobiographie posthume :
« J’ai peine à croire comment quelqu’un pourrait souhaiter que le Christianisme fût vrai ; car en pareil cas la langue simple de ce texte semble montrer que les hommes qui ne croient pas – et parmi eux mon père, mon frère et presque tous mes meilleurs amis – seront punis éternellement. Et c’est une doctrine abominable. »
Darwin dans « De l’origine des espèces » :
« Le vieil argument du dessein dans la nature, tel que le donnait Paley, me paraissait autrefois des plus concluants, il tombe aujourd’hui après qu’a été découverte la loi de sélection naturelle. Nous ne pouvons plus soutenir que, par exemple, l’admirable charnière d’une coquille bivalve a dû être faite par un être intelligent, comme la charnière d’une porte par l’homme. Il semble qu’il n’y a pas plus de dessein dans la variabilité des êtres organiques et dans l’action de la sélection naturelle, que dans la façon dont le vent souffle. Tout dans la nature est le résultat de lois fixées à l’avance. »
Darwin :
« Le vrai matérialisme fait de Dieu une impossibilité, de la révélation une vue de l’esprit, et de la vie future une absurdité. »
« L’incrédulité gagna sur moi très lentement, mais elle fut à la fin, complète, écrit-il dans son Autobiographie. [...] Je n’ai jamais douté depuis, même une seule seconde, que ma conclusion ne fut correcte. »
Darwin dans l’introduction de « La filiation de l’homme » :
« On a souvent affirmé avec assurance que l’origine de l’homme ne pourra jamais être connue : mais l’ignorance engendre plus fréquemment l’assurance que ne le fait la connaissance : et ce sont ceux qui connaissent peu, et non ceux qui connaissent beaucoup, qui affirment aussi catégoriquement que tel ou tel problème ne sera jamais résolu par la science. »
Claude Lévi-Strauss, dans "Tristes Tropiques" :
« Il faut beaucoup de naïveté ou de mauvaise foi pour penser que les hommes choisissent leurs croyances indépendamment de leur condition. »
Freud dans une conférence :
« L’esprit et l’âme sont des objets de la recherche scientifique exactement de la même manière que n’importe quelle chose étrangère à l’homme. »
Stephen Jay Gould dans « Le renard et le hérisson » :
« Les propriétés qui apparaissent dans un système complexe sous l’effet des interactions non linéaires de ses composants sont dites émergentes – puisqu’elles n’apparaissent pas à un autre niveau et ne sont révélées qu’à ce niveau de complexité. (...) L’émergence n’est donc pas un principe mystique ou anti-scientifique, ni une notion susceptible d’avoir des échos dans le champ religieux (...) C’est une affirmation scientifique sur la nature des systèmes complexes. »
André Comte-Sponville :
« Le matérialisme est un monisme physique. A ce titre, il se définit surtout par ce qu’il exclut : être matérialiste, c’est penser qu’il n’existe ni monde intelligible, ni dieu transcendant, ni âme immatérielle. Ce n’est pas pour autant renoncer aux valeurs ou aux biens spirituels. (…) Etre matérialiste, pour les modernes, c’est d’abord reconnaître que c’est le cerveau qui pense, et en tirer toutes les conséquences. »
Albert Jacquard :
« L’esprit n’est que l’aboutissement de l’aventure de la matière. Il n’a pas d’autre origine que l’ensemble du cosmos. »
Un article en anglais sur les philosophies matérialistes en Inde