Accueil > 01 - Livre Un : PHILOSOPHIE > L’image du chaos déterministe > Discussion sur l’invariance d’échelle

Discussion sur l’invariance d’échelle

samedi 11 juillet 2009, par Robert Paris

Jean-Paul Baquiast (AI) : Vous êtes le créateur du principe de relativité d’échelle (RE). Celui-ci, bien qu’encore mal connu, nous paraît porteur de perspectives considérables. Mais pour en convaincre ceux de nos lecteurs qui ne le connaîtraient pas, il convient de partir de la base, c’est-à-dire le principe de relativité.

Laurent Nottale (LN) : Le principe de relativité est un principe très général qui transcende les théories particulières que l’on peut construire à partir de lui. Cela permet de l’étendre à d’autres grandeurs que celles auxquelles il était appliqué jusqu’à maintenant. Jusqu’à maintenant, il était appliqué à la position, à l’orientation et au mouvement. Les mesures que l’on peut faire dépendent d’un système de coordonnées de références. Mais les grandeurs que l’on veut définir ne peuvent pas l’être dans l’absolu.

AI : Vous évoquez là la relativité restreinte, dont c’est effectivement le principal enseignement.

LN : Oui, mais passer de la relativité restreinte à la relativité générale consiste simplement à généraliser les variables auxquelles on applique le principe. La RE consiste pour sa part à ajouter une variable caractérisant l’état du système de coordonnées qui est l’échelle de ce système. Jusqu’à aujourd’hui, faire des mesures dans un système de
coordonnées à une échelle de 10 cm et le faire dans un système de coordonnées à l’échelle de 1 angström n’était pas considéré comme un changement de système de coordonnées. Or dans le premier cas, on se trouve dans un système classique et dans le second dans un système quantique.

Dans la physique actuelle, on décrit l’expérience et les équations la régissant avec des outils, des modes de pensée tout à fait différents d’un cas à l’autre, tout en pensant n’avoir rien à changer au système de coordonnées.

AI : Il me semble que cela n’inquiétait personne. On considère généralement que la relativité générale s’applique à des objets massifs, c’est-à-dire au cosmos, et non aux petits objets de la physique quotidienne et moins encore à des entités quantiques.

LN : Oui, mais c’est une erreur. Toute la théorie quantique, qui s’applique aux molécules, atomes et particules sub-atomiques, est parfaitement relativiste. Il existe un quiproquo à ce sujet dans le grand public. Il n’y a pas de contradiction entre la physique quantique et la relativité. La physique quantique des champs est parfaitement relativiste. Plus rien ne marcherait en physique quantique si l’on n’utilisait pas la relativité restreinte. Elle a été validée des milliards de fois.

Là où la difficulté apparaît, c’est entre la physique quantique et la relativité générale. Ce que l’on ne sait pas faire, c’est une théorie quantique de la gravitation.

AI. Je comprends que pour vous, il faut appliquer la relativité à toutes les échelles, mais d’une façon qui tienne compte précisément de l’échelle.

LN : À la base de ma démarche est l’idée que l’échelle caractérise le système de coordonnées tout autant que les autres variables et que des physiques qui paraissent différentes à des échelles différentes pourraient être des manifestations d’une même physique plus profonde. Celle-ci ne serait pas évidemment celle que l’on connaît aujourd’hui puisque les équations actuelles classiques et quantiques ne coïncident pas. Il en résulte que l’on ne sait pas fonder le quantique sur le principe de relativité.

AI : En somme, la RE n’est pas là pour concilier quantique et relativité puisque cela, on sait déjà le faire, au niveau de la relativité restreinte. Elle est là pour fonder les lois quantiques sur la relativité, ce qui n’est pas fait aujourd’hui.

LN : Exactement. D’où l’idée d’étendre la relativité pour inclure des transformations d’échelle. La relativité des échelles devrait pourtant être considérée comme une évidence. On ne peut pas définir les échelles d’une manière absolue.

Compléter la relativité par la physique quantique

AI : Revenons si vous voulez, sur votre histoire personnelle de chercheur. Comment avez-vous eu l’idée qu’il fallait compléter la relativité pour la rendre applicable à des échelles où on ne l’attendait pas ? C’était une idée de génie, si vous me permettez le terme.

LN : Je ne sais si on peut le dire. Je pense que, comme la plupart des physiciens, j’ai été choqué par mon premier contact avec la physique quantique. La mécanique newtonienne donne l’impression de permettre une compréhension profonde des phénomènes. Avec la physique quantique, il faut prendre en considération l’équation de Schrödinger(1), posée en postulat. Or, celle-ci n’est pas expliquée. Toutes les équations auxquelles cet outil satisfait, même si elles sont vérifiées par les expériences, sont des axiomes.

AI : C’est bien ce qui avait révolté Einstein...

LN : Oui. Einstein a passé toute sa vie à essayer de trouver une fondation à la théorie quantique. Aujourd’hui, beaucoup de physiciens quantiques rejoignent d’une certaine façon le souci d’Einstein. Ils conviennent, après Dirac qu’il faut retravailler les fondations de la physique quantique.. J’ai assisté à un colloque où certains grands physiciens comme t’Hooft ou Neeman insistaient sur ce point.

AI : Si je comprends bien, vous ne vous êtes pas arrêté à cette difficulté...

LN : C’est vrai. Dès 17-18 ans j’ai voulu réfléchir à la théorie de la relativité et il m’est apparu qu’avec celle-ci, on comprenait tout. Elle comporte un principe premier et à partir de celui-ci, on peut démontrer les équations et commencer à expliquer le monde. La relativité générale d’Einstein permet de comprendre la nature de la gravitation comme manifestation de la courbure. Or la courbure est quelque chose de plus général que le cadre euclidien. C’est un énoncé que je qualifierai d’« énoncé d’abandon d’hypothèses ». Au lieu de supposer que l’espace est uniformément plat, on se place dans un cadre plus général, duquel découle la gravitation. Les phénomènes de la nature apparaissent ainsi comme provenant de la plus grande généralité possible, régis et contraints par des principes premiers dont le premier est le principe de relativité, principe de logique et d’équilibre du monde.

AI : On peut résumer ce propos en disant : il y a des lois fondamentales de la nature et si ce sont des lois fondamentales, elles doivent être les mêmes partout. Ceci dit, vous avez eu l’audace de redescendre, si l’on peut dire, de la relativité à la physique quantique, ce qui supposait de franchir un pas considérable...

LN : Effectivement, je me suis posé la question de ce qui faisait défaut à la physique quantique et je me suis demandé s’il serait possible un jour de pouvoir déduire le quantique d’un principe de relativité qui serait forcément généralisé. J’ai étudié les auteurs du XXe siècle qui s’étaient attaqués à ce problème. Il y en a eu beaucoup. Mais tous ont échoué.

En 1979-1980, j’ai eu l’intuition qu’il leur manquait une nouvelle géométrie. J’ai essayé de la construire, en raisonnant un peu comme Einstein avec la courbure. En gros, il faut réussir à mettre dans la géométrie ce qui est universel dans la physique quantique. Or ce qui m’a paru universel est la dépendance du résultat de la mesure en fonction de l’appareil de mesure, de la résolution de l’appareil.

AI : C’est la relation entre l’observé, l’observateur et son appareil, qui dès l’origine de la physique quantique a retenu l’attention des philosophes des sciences – sans d’ailleurs être véritablement acceptée au moins dans les premières années...

LN : Exactement. J’ai voulu pour ma part essayer de construire un espace-temps qui
soit explicitement dépendant de l’échelle. C’est à ce moment que je suis tombé sur les travaux de Mandelbrot sur les fractals. J’ai compris qu’un espace-temps dépendant de l’échelle pouvait vouloir dire un espace-temps fractal, au sens de Mandelbrot(2).

AI : Dépendant de l’échelle, c’est-à-dire de l’observateur ?

LN : Plus précisément dépendant de la manière dont il observe et de l’instrument utilisé : microscope optique, microscope électronique, microscope à effet de champ, accélérateur de particules, etc. A chaque fois, avec le changement d’outil, la résolution change. On change profondément, non seulement la nature de l’instrument mais celle de ce qu’il sert à mesurer.

AI : Revenons à ma remarque précédente. Vous généralisez l’approche relativiste de la physique quantique selon laquelle il n’y a pas de réel en soi descriptible par des valeurs absolues, mais qu’il n’y a que des relations entre observateur et observé. Vous êtes d’accord avec ce point de vue – et ce à toutes les échelles ?

LN : Complètement. Dans le cadre d‘une description relativiste, on peut pousser cela jusqu’au bout. Dans la description quantique actuelle, on trouve encore des particules décrites par une fonction d’onde mais qui sont considérées comme possédant de façon intrinsèque une masse, une charge, etc. En RE, on n’a plus besoin de cela. La masse, le spin, la charge apparaissent comme des propriétés émergentes à partir de la géométrie même des chemins dans l’espace-temps identifiés à ses géodésiques.

L’outil fondamental que je veux utiliser, c’est un outil déduit et développé en partant des concepts einsteiniens. Il s’appuie sur l’idée qu’à partir du moment où l’on se place dans
une théorie spatio-temporelle, il n’est pas nécessaire d’ajouter des équations supplémentaires de mouvement. Celles-ci se déduisent du fait que les "particules" vont "suivre" les chemins les plus courts, les géodésiques, dans cet espace-temps.

AI : Ceci quelle que soit la taille, qu’il s’agisse d’un espace temps très réduit, de type corpusculaire, ou très grand, cosmologique...

LN : Exactement. Au niveau cosmologique, on sait ce qu’il en est : effets de courbure, déviation des rayons lumineux, etc. . Mais si on applique le principe à très petite échelle, on se retrouve avec un espace-temps fractal et des géodésiques elles-mêmes fractales. Cette fractalité des géodésiques peut être décrite mathématiquement par ce que l’on appelle une dérivée co-variante qui consiste à mettre dans l’opérateur de dérivation même les différents effets de la fractalité de l’espace-temps sur le mouvement(3). Quand on écrit une équation de géodésique avec cette dérivée covariante, elle se transforme en équation de Schrödinger. On voit apparaître les lois quantiques à partir d’équations de géodésiques dans un espace fractal. Le point essentiel n’est pas que j’ai pu ce faisant démontrer l’équation de Schrödinger, c’est qu’elle se trouve démontrée comme intégrale d’une équation des géodésiques.

AI : Il me semble que là se trouve, trop brièvement résumé malheureusement dans cette interview, le point fondamental et extraordinairement innovant de votre approche. Vous mariez si l’on peut dire ces deux piliers jusqu’ici séparés de la physique, l’équation de Schrödinger aboutissant à la description de l’objet par sa fonction d’onde, et le système de coordonnées d’Einstein situant l’objet dans l’espace temps relativiste.

Des conséquences considérables en cosmologie

AI : La théorie de la RE ne concerne pas seulement la physique quantique. Elle a des conséquences considérables en cosmologie. Dans ce cas, elle ne pourra pas laisser indifférent le grand public. Ne rend-elle pas inutiles les hypothèses de l’inflation, de l’énergie noire et de la matière noire, que l’on évoque aujourd’hui dans toutes les revues ?

LN : Ce n’est pas exclu. La théorie de l’inflation a été inventée pour expliquer la naissance des toutes petites structures, à l’échelle de ce que l’on appelle la recombinaison. 300.000 ans après le Big Bang, les électrons et les protons se recombinent pour former les atomes. C’est le moment où apparaît une dissociation entre le rayonnement et la matière. La théorie actuelle sur la formation des structures, avec laquelle je suis d’accord, considère que ce sont ces toutes petites fluctuations qui ont cru jusqu’à maintenant pour des raisons gravitationnelles.

Mais quelle est l’origine de ces petites fluctuations ? Là personne ne peut répondre. Une des raisons de l’introduction de l’inflation est d’essayer d’amplifier les fluctuations quantiques survenant à une époque beaucoup plus proche du Big Bang pour pouvoir justifier ces fluctuations. Mais le problème n’est pas terminé car quand on prend ces fluctuations telles qu’elles sont observées et quand on veut les faire croître, on n’y arrive pas. Pour y réussir, il faut imaginer une grande quantité de matière noire qui peut être justifiée par d’autres raisons mais qui n’a jamais été observée directement. Ceci étant, il faut se poser la question ? Est-ce vraiment de la matière noire ? A-t-on vraiment besoin de l’inflation pour obtenir ces structures ?

AI : Qu’en est-il de l’énergie noire ?

LN : Ce que l’on nomme aujourd’hui énergie noire correspond à la constante cosmologique de Einstein. Il y a une erreur à ce sujet dans la littérature destinée au grand public. Einstein n’a pas introduit la constante cosmologique pour obtenir un espace statique, comme on l’écrit partout. Il avait construit la relativité générale pour réaliser certains objectifs qu’il s’était donné, dont la mise en œuvre du principe de Mach(4). Celui-ci est tout simplement le principe de la relativité de la masse, une relativité d’échelle. Il n’y a pas de masse absolue, mais seulement des rapports de masse et ceux-ci sont des rapports d’accélérations. A travers cela, Einstein a eu l’espoir de pouvoir calculer les forces d’inertie, à partir en fait du champ gravitationnel à très grande échelle. Finalement l’inertie émergerait des interactions entre une particule et le reste de l’univers.

Or en calculant comment ceci pouvait être mis en oeuvre, il s’est aperçu que ce n’était possible qu’à la condition d’un rapport constant entre la masse de l’univers et le rayon de l’univers (eventuellement une masse et un rayon caractéristiques puisqu’ils peuvent être infinis). Einstein a cherché entre 1915 et 1917 les solutions cosmologiques de ces équations et les a toutes trouvées en expansion ou en contraction. R était variable alors que M était constant. Ce résultat était donc en contradiction avec le principe de Mach. C’est pour le retrouver qu’il a conclu à la nécessité d’un espace statique - et non parce qu’il était attaché à l’idée d’absence de mouvement - et qu’il a rajouté dans ce but le terme de constante cosmologique dans ses équations.

Ensuite l’expansion de l’univers a montré que R variait considérablement, ce qui a mené Einstein à retirer cette constante. Mais Einstein avait bel et bien fait une prédiction cosmologique. En 1922, le mathématicien français Cartan(5) a démontré que la forme générale des équations recherchées par Einstein comportait la constante cosmologique. Il n’y avait donc pas de raison de la supprimer. J’ai pu montrer moi-même qu’une fois admise la constante cosmologique, l’univers est bel et bien « machien ». Einstein avait résolu le problème sans s’en rendre compte.

On a aujourd’hui la preuve qu’il y a une constante cosmologique et qu’elle est très grande, puisqu’elle correspond à 75% du bilan d’énergie de l’univers. C’est une constante géométrique qui est l’inverse du carré d’une longueur.

En RE, on considère qu’il n’y a pas besoin d’énergie noire. C’est la constante cosmologique qui en tient lieu et ce qui a été mesuré représente précisément la valeur de la constante cosmologique que j’ai pu estimer théoriquement au début des années 90.

AI : Et que dites-vous de l’inflation ?

LN : On n’en a pas besoin non plus parce que l’on dispose d’une théorie de l’auto-structuration. A travers l’espace-temps fractal, on peut montrer que les équations de la dynamique prennent une autre forme. Elles ressemblent aux équations de la physique quantique sans qu’il s’agisse pour autant de la physique quantique standard. On obtient une forme d’équation de Schrödinger comme équation de la dynamique intégrée. Or cette équation là est naturellement structurante. Dans un tel cadre de travail, s’il est confirmé, le problème de la formation des structures ne se pose plus. Il est résolu. On voit les structures se former spontanément.

AI : Ceci je suppose à toutes les époques et dans toutes les tailles ?

LN : Oui. Mais les structures vont se former en fonction des conditions aux limites : conditions de densité moyenne, d’environnement. A une époque donnée, les structures qui se formeront seront différentes des précédentes car les conditions auront changé. Il y aura donc un bouclage entre l’évolution et la formation des structures.

AI : Avouez que la RE démolit, ou plutôt rend inutiles beaucoup d’hypothèses à la mode aujourd’hui : l’inflation, la matière noire, l’énergie noire. Vous devez vous faire beaucoup d’ennemis...

LN : Je ne sais pas, mais ce que je sais, c’est que beaucoup de chercheurs semblent réticents à utiliser un outil de type quantique dans des domaines considérés comme ordinairement classiques (alors qu’il ne s’agit pas, dans les applications macroscopiques, de la mécanique quantique standard, mais d’une forme générique du type Schrodinger prise par les équations du mouvement dans des conditions nouvelles). Il y a également un problème de spécialisation disciplinaire qui rend difficile la diffusion de nouveaux concepts de nature transdisciplinaires.

AI : Ceci nous conduit à la morphogenèse des structures physiques et biologiques macroscopiques telles qu’observées sur Terre. Mais je suppose que vous n’avez pas besoin pour décrire ces structures des modèles de Mandelbrot...

LN : En effet. La méthode est différente. Dans la RE, on met la fractalité dans la structure de l’espace-temps lui-même. Cette fractalité implique un changement des équations. Ensuite, on va chercher les solutions de ces équations. Les solutions de ces équations, elles, ne sont pas fractales. Elles peuvent l’être dans certains cas, mais dans d’autres on obtient des solutions régulières, cristallines par exemple.

AI : La RE ne propose donc pas une loi fondamentale selon laquelle l’univers serait fractal..

LN : Non. La fractalité de l’espace-temps, si l’on veut conserver ce terme, sera un peu comme un bain thermique, une espèce d’agitation sous-jacente qui va structurer les contenus.

AI : En déduisez-vous cependant que l’on peut observer dans l’univers l’existence de structures qui seraient identiques à des échelles différentes, selon l’image traditionnelle proposée par les modèles fractals ?

LN : C’est vrai, mais cela tient à un autre facteur, l’invariance d’échelle de la gravitation. Que vous preniez les lois newtoniennes, einsteiniennes ou les nouvelles formes de lois du type équation de Schrödinger macroscopique, cette invariance d’échelle reste vérifiée. Ces nouvelles lois ne reposent pas sur la constante de Planck comme les atomes ou les molécules, mais sur une autre forme de constante qui est elle-même en accord avec le principe d’équivalence. Cela impose une forme différente aux équations et à leurs solutions et préserve cette extraordinaire invariance d’échelle de la gravitation qui avait été notée par Laplace. Si bien qu’à travers des théories comme celles-là on pourra comprendre la formation de structures semblables dans l’espace des vitesses mais qui se traduiront dans l’espace des positions par une hiérarchie de formations, systèmes planétaires, galaxies, amas, superamas, etc. On a toute une hiérarchie d’organisations dont chacune des échelles est régie par les mêmes équations mais appliquées dans des situations différentes. Cela ne donne donc pas de similarités strictes. Un système planétaire n’est pas à l’échelle près semblable à une galaxie. Mais il y a des points communs.

AI : Ce que chacun peut constater en observant le ciel.

La généralisation de l’équation de Schrödinger

AI : La RE donne ainsi un rôle fondamental, je dirais universel, à l’équation de Schrödinger...

LN : Précisons bien. Je ne rajoute pas une équation de Schrödinger aux équations précédentes. C’est bel et bien l’équation fondamentale de la dynamique newtonienne qui, dans un cadre fractal, prend la forme qui est celle de l’équation de Schrödinger, après avoir été intégrée. L’équation de Schrödinger propose alors des solutions stationnaires auxquelles il devient possible de comparer la matière observée. J’ai pu procéder ainsi concernant notre système planétaire, au début des années 90. Et là, étonnement, je pouvais récupérer les positions de toutes les planètes du système solaire et prévoir des positions nouvelles ne correspondant à aucun objet alors identifié. Ceci pour des objets internes à l’orbite de Mercure (voyez le schéma ci-dessous, où l’on a porté les positions des planètes du système solaire interne et des premières exoplanètes découvertes en 1995, comparées aux prédictions de la théorie) ou pour des objets situés au-delà de Pluton.

Schéma montrant les positions des planètes du système solaire interne et des premières exoplanètes découvertes en 1995, comparées aux prédictions de la théorie

Il se trouve que depuis, on a trouvé des exo-planètes autour d’autres étoiles (on en connaît aujourd’hui plus de 200) et des objets situés dans la ceinture de Kuiper au-delà de Pluton. Les pics de probabilités observés pour ces exo-planètes et petites planètes ont validé les prévisions théoriques de la RE.

AI : Il s’agit donc là d’une vérification expérimentale de première grandeur, comme le montre d’ailleurs le graphique que vous présentez. Vous pourriez, je suppose, faire la même chose pour une galaxie comme Andromède ?

LN : Un étudiant qui a travaillé sous ma direction, Daniel da Rocha, a fait sa thèse exactement sur ce sujet. Il a pu étudier avec les méthodes de la RE le groupe local de galaxies, comprenant la nôtre, Andromède et leurs satellites. Il a pu montrer que toutes les observations en position et en vitesse satisfaisaient aux équations de Schrödinger.

AI : Si vous vous posez la question : « Voici une étoile, et il y a une planète autour. Où se trouve cette planète ? » que répond la RE par rapport à la théorie classique ?

LN : La théorie classique ne peut rien répondre. Elle fonctionne sur des conditions initiales. Or là, on ne les connaît pas. La RE, par contre, même si elle ne sait rien sur ces conditions initiales, peut prédire quelque chose. Elle peut déduire les structures les plus probables, non pas en fonction des conditions initiales, mais en fonction des conditions d’environnement. Donc elle peut faire des énoncés là où la théorie ordinaire n’en fait pas. En contrepartie, comme cette théorie est purement probabiliste et statistique, elle ne permettra pas de prédictions déterministes.

AI : En vous écoutant, on croirait entendre un physicien quantique. Vous obtenez ainsi une espèce de fonction d’onde de la planète, qui permettra de la localiser avec la même probabilité de réussite que la fonction d’onde d’un micro-état permet de localiser celui-ci. Il s’agit d’un résultat assez extraordinaire...

Répétons ce qui précède, en insistant, pour nos lecteurs. Grâce à la RE, vous avez pu localiser en théorie un certain nombre d’exo-planètes que l’observation, depuis 1995, a pu identifier. J’avoue que je n’avais jamais entendu parler de cette façon de procéder, en dépit de tout ce qui est dit à propos de la recherche des exo-planètes.

LN : Vous trouverez sur mon site les références des publications qui ont été faites à ce sujet depuis 1996 (en ce qui concerne les validations observationelles), ainsi que des articles sur la prédiction théorique dont certains datent d’avant 1995 (la date de première découverte des exoplanètes). Un article de vulgarisation récent a été publié sur le sujet : Nottale, L., 2003, Pour La Science, 309, 38-45 (Juillet 2003) "La relativité d’échelle à l’épreuve des faits".

AI : En élargissant le regard, à l’horizon des 800 MParsecs, vous admettez si j’ai bien compris que l’univers se présente de façon homogène...

LN : Absolument. En RE, si on veut obtenir une description à très grande échelle, on arrive à la conclusion qu’il doit exister une échelle maximale, non pas en tant que barrière physique mais en tant qu’horizon. Il s’agit aux grandes échelles de l’équivalent de l’échelle de Planck aux petites échelles. Les lois de la relativité d’échelle restreinte montrent que d’une façon générale les lois de la relativité prennent la forme de la transformation de Lorentz.

Cet horizon est indépendant du modèle d’univers adopté, fermé ou ouvert. Dans ce cadre, du fait de son existence, la dimension fractale effective de l’espace, et donc de la distribution des galaxies dans l’espace, croit avec l’échelle On trouve qu’elle atteint la valeur D=3 pour une échelle de l’ordre de 750 Mpc, qui représenterait alors une échelle de transition à l’uniformité.

Pour conclure

AI : Je suis séduit par l’originalité et la fécondité de votre approche. Force est cependant de constater qu’elle est encore peu reçue, aussi bien chez les physiciens quantiques que chez les cosmologistes. A quoi attribuer cela ?

LN : Il est aujourd’hui encore très difficile de diffuser des idées nouvelles. Malgré beaucoup d’efforts (j’ai du donner dans les années 80-90 plus de trois cents conférences et séminaires sur le sujet), j’ai eu peu d’échos. Les idées diffusent sans doute (y compris par exemple en biologie) mais de façon très limitée. C’est un peu le propre des hypothèses sur les fondements. Quand elles apparaissent, par définition, elles n’intéressent qu’un très petit nombre de personnes. On peut espérer pourtant qu’à partir d’un certain seuil, elles pourront diffuser plus rapidement.

AI : J’espère que notre revue pourra vous aider à mieux faire comprendre l’ambition de votre théorie et l’importance qu’elle devrait prendre dans la représentation du monde.

LN : Je n’avais pas, au début, l’ambition que la théorie puisse s’appliquer à tous ces domaines. Je voulais seulement essayer de comprendre ce qu’était la physique quantique et tenter de la fonder sur des principes premiers. Mais peu à peu, en avançant, en fabriquant des fonctions d’onde, en découvrant que l’équation de Schrödinger était plus générale qu’il n’était dit et pouvait s’appliquer au domaine macroscopique, les ambitions se sont précisées. C’est alors, comme je vous le disais, que j’ai pu prévoir, avant la découverte des exo-planètes qu’il y avait des pics de probabilités dans lesquels ultérieurement on a découvert les exo-planètes attendues.

AI : Je ne dis pas cela pour vous faire plaisir, mais je trouve que vous mériteriez le Prix Nobel !

LN : Ce n’est pas à l’ordre du jour en ce moment, je dois dire.

AI : Il faut quand même admettre le saut épistémologique que vous offrez. Votre théorie. permet de comprendre le pourquoi des phénomènes observés au lieu de se limiter à de simples descriptions.

LN : C’est vrai. Mais c’est la propriété spécifique du principe de relativité. Il est seul à proposer une réponse au pourquoi, alors que les autres tentatives de la physique fonctionnent à partir d’hypothèses. D’où la conclusion que le public retient, selon laquelle la science ne peut jamais répondre au pourquoi, mais seulement au comment.

Notes
(1) L’équation de Schrödinger, conçue par le physicien autrichien Erwin Schrödinger en 1925, est une équation fondamentale en physique quantique non-relativiste. Elle décrit l’évolution dans le temps d’une particule massive non-relativiste. Elle permet de calculer la fonction d’onde des particules. La fonction d’onde en mécanique quantique est la représentation de l’état quantique dans un nombre potentiellement infini de positions. Elle donne à l’observateur la probabilité de présence des particules représentées par cet état quantique (source Wikipedia)
(2) Benoît Mandelbrot (20 novembre 1924 - ) est un mathématicien français. Il a travaillé au début de sa carrière sur des applications originales de la théorie de l’information, puis développé ensuite une nouvelle classe d’objets mathématiques : les objets fractals, ou fractales.
(3) Le principe de covariance met en oeuvre le principe de relativité au niveau des équations de la physique. La covariance d’échelle des équations de la physique signifie qu’elles doivent garder leur forme (la plus simple possible) dans les transformations d’échelle du système de coordonnées. La covariance faible correspond au cas où les équations ont gardé, sous une transformation plus générale, la même forme que sous la transformation particulière précédente (exemple des équations du champ de gravitation d’Einstein, qui ont une forme semblable à l’équation de Poisson de la gravitation newtonienne, comprenant toujours un terme de source). La covariance forte correspond au cas où la forme la plus simple possible des équations est obtenue, celle du vide dépourvu de toute force (c’est le cas de l’équation de la dynamique en relativité générale du mouvement d’Einstein, écrite comme équation des géodésiques). Source Laurent Nottale
(4) Le principe de Mach a été forgé par le physicien Ernst Mach par extension du principe de relativité aux questions d’inertie. D’après Mach, ce qui est responsable de l’inertie d’une masse serait « l’ensemble des autres masses présentes dans l’univers ». Ce principe est immédiatement tiré des expériences de Mach sur la physique des sensations, et correspond à sa volonté délibérée d’organiser les notions de la physique d’une manière cohérente avec le donné sensoriel dont il a conduit une très rigoureuse étude expérimentale.
Pour donner un sens à ce principe, imaginons un astronaute, flottant au milieu d’un espace vide de toute matière et de tout point de repère. Aucune étoile, aucune source d’énergie, le néant. Maintenant posons-nous la question : l’astronaute a-t-il un moyen de savoir qu’il est en rotation sur lui-même ou non, étant donné qu’il n’a aucun point de repère ?
Si le principe de Mach est faux, c’est à dire si les forces d’inertie existent même en l’absence de toute matière ou énergie, alors l’astronaute pourrait le savoir, en ressentant des forces d’inertie qui poussent ses bras vers l’extérieur par exemple (force centrifuge).
Mais cela aurait-t-il un sens ? Par rapport à quoi serait-il en rotation puisqu’il n’y a rien ? Cela impliquerait la notion d’un espace et d’un référentiel absolu, incompatible avec le principe de la relativité générale.
Une manière d’interpréter les forces d’inerties en général, et la force centrifuge en particulier, sans introduire la notion de référentiel absolu est d’admettre avec Mach (et Einstein) que les forces d’inertie sont induites par les masses lointaines qui fournissent le référentiel par rapport auquel la rotation prend son sens physique (source Wikipedia).
(5) Élie Cartan, né le 9 avril 1869 à Dolomieu et mort le 6 mai 1951 à Paris, était l’un des mathématiciens français les plus influents de son époque. Son travail porte sur les applications géométriques des groupes de Lie (source Wikipedia).

Messages

  • AI : Il me semble que cela n’inquiétait personne. On considère généralement que la relativité générale s’applique à des objets massifs, c’est-à-dire au cosmos, et non aux petits objets de la physique quotidienne et moins encore à des entités quantiques.

    LN : Oui, mais c’est une erreur. Toute la théorie quantique, qui s’applique aux molécules, atomes et particules sub-atomiques, est parfaitement relativiste. Il existe un quiproquo à ce sujet dans le grand public. Il n’y a pas de contradiction entre la physique quantique et la relativité. La physique quantique des champs est parfaitement relativiste. Plus rien ne marcherait en physique quantique si l’on n’utilisait pas la relativité restreinte. Elle a été validée des milliards de fois.

    Là où la difficulté apparaît, c’est entre la physique quantique et la relativité générale. Ce que l’on ne sait pas faire, c’est une théorie quantique de la gravitation.

    AI. Je comprends que pour vous, il faut appliquer la relativité à toutes les échelles, mais d’une façon qui tienne compte précisément de l’échelle.

    LN : À la base de ma démarche est l’idée que l’échelle caractérise le système de coordonnées tout autant que les autres variables et que des physiques qui paraissent différentes à des échelles différentes pourraient être des manifestations d’une même physique plus profonde. Celle-ci ne serait pas évidemment celle que l’on connaît aujourd’hui puisque les équations actuelles classiques et quantiques ne coïncident pas. Il en résulte que l’on ne sait pas fonder le quantique sur le principe de relativité.

  • LN : Ce que l’on nomme aujourd’hui énergie noire correspond à la constante cosmologique de Einstein. Il y a une erreur à ce sujet dans la littérature destinée au grand public. Einstein n’a pas introduit la constante cosmologique pour obtenir un espace statique, comme on l’écrit partout. Il avait construit la relativité générale pour réaliser certains objectifs qu’il s’était donné, dont la mise en œuvre du principe de Mach(4). Celui-ci est tout simplement le principe de la relativité de la masse, une relativité d’échelle. Il n’y a pas de masse absolue, mais seulement des rapports de masse et ceux-ci sont des rapports d’accélérations. A travers cela, Einstein a eu l’espoir de pouvoir calculer les forces d’inertie, à partir en fait du champ gravitationnel à très grande échelle. Finalement l’inertie émergerait des interactions entre une particule et le reste de l’univers.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.