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Un lien entre éthanol et augmentation des prix des denrées alimentaires

mercredi 27 novembre 2013

Un lien entre éthanol et augmentation des prix des denrées alimentaires

Nul besoin d’être économiste pour comprendre pourquoi le secteur de l’éthanol pousse les cours des denrées alimentaires vers le haut. Cette année, environ 4,3 milliards de boisseaux de maïs seront transformés en carburant, a calculé Bill Lapp, président de l’Advanced Economic Solutions, cabinet de conseil sur les marchés de matières premières basé à Omaha. Cela signifie que presque 37% de la récolte de maïs de cette année, que Lapp estime à environ 11,6 milliards de boisseaux, seront détournés vers la production d’éthanol.

Comparez ces chiffres avec ceux de 2005, quand le maïs coûtait juste 2 dollars le boisseau. Cette année-là, 1,6 milliard de boisseaux de maïs —soit 13% de la production nationale—ont été distillés pour être transformés en éthanol.

En augmentant de façon spectaculaire le volume d’éthanol qui doit être mélangé à notre essence, en sept ans à peine le Congrès a presque triplé le volume de maïs détourné de la production alimentaire vers la production de carburant. Et aujourd’hui que la pire sécheresse de ces dernières années est en train de racornir nos champs de maïs, ces lois nuisent aux consommateurs déjà accablés par un chômage obstinément élevé et une économie à la peine.

Une récente étude publiée par une coalition de producteurs de matières premières alimentaires, comprenant la National Turkey Federation, le National Pork Producers Council et la National Cattlemen’s Beef Association révèle que depuis 2007, date à laquelle les lois sur l’éthanol ont été mises en application, les prix d’aliments nécessitant une utilisation intensive des céréales comme les produits céréaliers, de boulangerie, la viande, la volaille, les œufs, les matières grasses et les huiles ont augmenté de près du double de l’inflation.

Cette étude fait partie des 16 rapports minimum—publiés par des entités allant de la Purdue University à la Banque mondiale—qui font le lien entre lois sur l’éthanol et augmentation des prix des denrées alimentaires.
Les automobilistes américains consomment autant de maïs que tous les animaux réunis

Et le maïs n’est pas le seul en cause. Les cours du blé et du soja flambent aussi. Le prix du blé est directement lié à celui du maïs : les boulangers et autres utilisateurs de blé doivent faire monter son prix pour qu’il reste à un niveau de parité relative avec celle du maïs, car à défaut, toute la récolte de blé pourrait être rachetée pour nourrir les animaux. En ce qui concerne les récoltes de soja, Lapp explique qu’elles souffrent de la même sécheresse que celle qui frappe le maïs.

Mais pour comprendre vraiment la raison de la flambée des cours de la viande, des œufs, du fromage et autres aliments utilisant beaucoup de céréales, considérez ceci : le secteur de l’éthanol de maïs américain consomme aujourd’hui à peu près autant de céréales que tout le bétail du pays. Lapp estime que cette année, 4,6 milliards de boisseaux de maïs seront utilisés pour nourrir les bêtes. Ce qui est à peu près l’équivalent des 4,3 milliards de boisseaux qui seront utilisés pour la production d’éthanol de maïs. Ainsi, les automobilistes américains consomment à peu près autant de maïs dans leurs voitures que tous les poulets, dindes, vaches, cochons et poissons du pays réunis.

Vous voulez une autre comparaison ? Cette année, la flotte automobile américaine consommera environ deux fois plus de maïs que toute la production de l’Union européenne. En d’autres mots, le secteur de l’éthanol américain consommera presque autant de maïs que ce que produisent le Brésil, le Mexique, l’Argentine et l’Inde réunis.

Quand on regarde le phénomène dans son ensemble, les chiffres sont désolants : cette année, les États-Unis utiliseront environ 13% de la production mondiale de maïs —c’est-à-dire environ 4,6% de toute la production mondiale de céréales— pour pouvoir produire une quantité d’éthanol contenant l’énergie équivalente à environ sept dixièmes de 1% des besoin pétroliers à l’échelle mondiale.
L’Amérique pourrait devenir le premier producteur de pétrole

Mais ce qui rend la comédie de l’éthanol encore plus perverse, c’est que sa raison d’être s’est tout bonnement évaporée. Pendant des décennies, le croquemitaine du pétrole étranger a fourni un bobard bien pratique que l’industrie de l’éthanol pouvait utiliser pour justifier ses subventions et ses lois. Ce n’est plus le cas. Le problème de l’énergie étrangère concerne de moins en moins les États-Unis.

Grâce à la révolution du schiste, la production de gaz naturel des États-Unis dépasse aujourd’hui les niveaux record atteints dans les années 1970. La production de pétrole à partir du schiste et d’autres gisements dans des roches difficiles d’accès a débouché sur un surplus de pétrole dans certaines régions du pays.

Les exportations américaines de pétrole—qui atteignaient 2,8 millions de barils par jour la semaine du 20 juillet —explosent. Les analystes de Citigroup prédisent aujourd’hui que la production pétrolière américaine pourrait augmenter de plus d’un tiers d’ici 2015. Si cela se produit, l’Amérique pourrait dépasser à la fois la Russie et l’Arabie Saoudite et devenir le plus gros producteur de pétrole du monde.

Malgré tout cela, l’EPA se donne le plus grand mal pour faire plaisir à l’industrie de l’éthanol, dont la production est désormais excédentaire. Des années de subventions fédérales (qui ont enfin cessé fin 2011) ont débouché sur un excès des capacités de production de ce carburant, au point que bon nombre d’usines d’éthanol sont restées à l’arrêt. En outre, les États-Unis en exportent des quantités record. L’année dernière, ils ont exporté en moyenne 78.000 barils d’éthanol par jour : quasiment 9% de la production nationale.
L’éthanol est exporté au Brésil... qui vend son maïs aux éleveurs américains

La principale destination de cet éthanol, le Brésil, est justement le pays montré régulièrement en exemple aux États-Unis dans le domaine du biocarburant. En 2006 par exemple, le spécialiste du capital risque Vinod Khosla et Tom Daschle, ancien leader de la minorité du Sénat, ont écrit un éditorial pour le New York Times vantant le « miracle de l’indépendance énergétique » du Brésil. À leurs yeux, le Brésil prouve « qu’une stratégie agressive d’investissement dans les substituts du pétrole comme l’éthanol peut mettre un terme à la dépendance au pétrole importé. »

Et l’ironie de la situation ne s’arrête pas là. Fin juillet, Smithfield Foods, le plus gros producteur de porc du monde, a déclaré qu’étant donné la cherté du maïs national, il allait se mettre à importer du maïs du Brésil ! L’industrie américaine utilise donc du maïs national pour faire de l’éthanol, carburant qu’elle transporte jusqu’au Brésil, tandis que des producteurs de bétail nationaux importent du maïs brésilien pour pouvoir produire du bacon en Amérique.

Le résultat de toute cette folie ? Faire frire son bacon va devenir plus cher. Mais grâce aux nouvelles règles de l’EPA qui permettent aux détaillants de vendre de l’essence contenant 15% d’éthanol, il se pourrait bien que le moteur de votre bateau, de votre voiture et de votre tronçonneuse se mette à frire aussi.
Une campagne de lobbying intensive des producteurs d’éthanol

L’essence contenant 10% d’éthanol, ou E10, est vendu depuis des années. Constatant qu’elle avait des surplus d’éthanol, l’industrie a lancé une campagne de lobbying intensive auprès de l’EPA pour la convaincre d’augmenter le mélange autorisé à hauteur de 15%, ou E15. L’agence a fini par donner son accord pour le E15 le mois dernier alors même que seulement 4% de tous les véhicules motorisés des États-Unis sont conçus pour consommer du carburant contenant autant d’éthanol.

L’EPA a approuvé le passage à l’E15 malgré de véhémentes objections de groupes comme l’Outdoor Power Equipment Institute, qui affirme que le carburant contenant davantage d’éthanol est « dangereux » et pourrait abîmer ou casser les moteurs de générateurs, de tondeuses à gazon et autres machines. De nombreuses autres organisations syndicales, notamment l’Alliance of Automobile Manufacturers et l’American Petroleum Institute, se sont aussi opposées au passage à l’E15. Toyota Motor Corporation a pris l’initiative inédite d’ajouter une étiquette sur les couvercles de réservoir d’essence des voitures neuves qu’il vend en Amérique. On peut y lire « Essence E10 maximum. »

L’année dernière, Peter Brabeck-Letmathe, président du géant alimentaire suisse Nestlé, a déclaré qu’utiliser des récoltes alimentaires pour fabriquer des biocarburants était une « totale folie. » Il a raison. Et tôt ou tard, s’il se soucie un minimum des consommateurs, c’est une folie à laquelle le Congrès va devoir mettre un terme.

Robert Bryce

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