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Quand la CGT, c’était Griffuelhes...
lundi 18 mars 2024, par
Griffuelhes est mort
Griffuelhes est mort hier matin dans le petit village de Saclas (Seine-et-Oise) où il était allé se reposer auprès de son vieux camarade Garnery, l’ancien secrétaire de la Fédération de la bijouterie. Il n’avait guère plus de quarante-sept ans. Sa mort prématurée attristera tous ceux qui, amis ou adversaires, savent quel rôle considérable a joué Griffuelhes pendant les dix années de sa vie militante et quels éminents services il a rendu au prolétariat.
Le nom de Griffuelhes restera indissolublement attaché à la période héroïque du mouvement ouvrier. Venu jeune à Paris, il adhéra d’abord à une organisation blanquiste et fut même, en 1900 je crois, candidat au conseil municipal de Paris. Mais le socialisme électoral ne faisait point son affaire. Ouvrier cordonnier, c’est dans le syndicat de sa profession qu’il trouva le milieu propice où sa personnalité allait pouvoir se développer à l’aise. Dans la lutte contre la corruption millerandiste, il se distingua assez vite, pour qu’à la fin de 1902, au retour du Congrès de Montpellier où s’était réalisé l’unité ouvrière, il fut élu secrétaire de la Confédération générale du Travail.
Et dès lors, sept années durant (1902-1909) la vie de Griffuelhes se confondra avec celle de la C.G.T. Il en fut plus que le chef, il en fut l’âme. Il avait des dons extrêmement remarquables d’intelligence, de volonté et de commandement. Une énergie un peu sèche, mais puissante, était en lui, animant l’acte et la parole. L’ascendant qu’il exerçait fut bien souvent décisif ; ceux qui en ont subi une fois le prestige, ne s’en sont jamais complètement affranchis.
Griffuelhes quitta le secrétariat confédéral en février 1909. Niel qui le remplaça, imbécile et faiseur, ne put tenir que quelques mois et céda la place à Jouhaux – qui alors… qui depuis…
Griffuelhes rentra dans la vie privée, mais avec, dans le cœur, la nostalgie brûlante de l’action. En 1912 il fondait la Bataille syndicaliste qu’il abandonna au bout de quelques mois. Il tenta de créer, l’année suivante, l’Encyclopédie syndicaliste dont quatre fascicules seulement parurent. La guerre surgit, Griffuelhes, hélas ! fut alors du mauvais côté de la barricade. Sa haine de la social-démocratie allemande l’entraînait… Il collabora à la Feuille (celle de Paris hélas ! non celle de Genève). La Révolution russe, sous sa forme bolchevique, le rendit enfin à lui-même. Je ne sais rien du voyage qu’il fit récemment en Russie ; mais je sais qu’à la différence des hommes qui, dans la C.G.T. unitaire, se réclament le plus volontiers de lui – les Verdier, les Besnard, les Quinton – il était un partisan déterminé de l’adhésion sans réserve à l’Internationale syndicale rouge.
Il restera pour nous, ses amis d’il y a quinze ans, le Griffuelhes des congrès de Bourges, d’Amiens et de Marseille, le Griffuelhes de la grande bataille des huit heures, le Griffuelhes du syndicalisme révolutionnaire… Mon cœur se serre en écrivant hâtivement ces lignes. Je me dis que la vie n’a pas été équitable à Griffuelhes, qu’il eût pu donner davantage, qu’il eût désiré davantage et que le destin a contrarié jalousement et sa capacité et son désir. Je me dis qu’il en a, dans l’intimité orgueilleuse de son cœur, amèrement souffert. Et je m’incline avec mélancolie devant la tombe prématurément ouverte du militant révolutionnaire dont j’ose dire ici, anticipant sans hésiter sur le jugement de l’histoire, qu’il a été un moment de la conscience prolétarienne française.
Amédée DUNOIS.
Source : https://bataillesocialiste.wordpress.com/2011/08/26/griffuelhes-est-mort-dunois-1922/
Victor Griffuelhes
Né dans une famille pauvre venue du Cantal, Victor dut quitter l’école à l’âge de quatorze ans pour apprendre le métier de cordonnier qu’exerçait son père. Après de dures années pendant lesquelles il fut apprenti à Bordeaux, puis trimardeur de Nantes à Blois et à Tours, il s’installa finalement à Paris en 1893. Après un an de service militaire, fait à Lodève (Hérault), il s’établit cordonnier et travailla pour les bottiers de luxe du faubourg Saint-Honoré.
Très tôt Victor Griffuelhes prit une part active à la vie du syndicat général de la cordonnerie de la Seine, dirigé par son frère Henri. En 1899, il le représentait à l’Union des syndicats de la Seine dont il devint, la même année, le secrétaire. Ceci l’amena, une année plus tard, au poste de secrétaire de la Fédération nationale des Cuirs et Peaux (FNCP). Il resta secrétaire de la Fédération jusqu’en 1905, époque à laquelle une maladie l’obligea à céder sa place à son camarade Henri Dret. En 1909, le succès qu’il remporta à la tête de la grève des délaineurs de Mazamet le replaça à la direction de la FNCP. Mais ce fut pour une courte durée. Son prestige avait été amoindri, par la controverse entourant sa démission du poste de secrétaire de la CGT et il fut obligé de quitter ses fonctions en 1910 à la suite d’une querelle avec Dret au sujet de la conduite de la grève des moutonniers de Graulhet. Ce fut la fin de sa participation au mouvement des Cuirs et Peaux.
Mais, dans les années 1890, l’activité syndicale s’accompagnait généralement de la participation à l’une des nombreuses fractions socialistes. Aussi, vers 1896, Griffuelhes rallia-t-il le parti blanquiste, qui jouissait d’une certaine popularité parmi les cordonniers parisiens. Par suite de sa notoriété croissante dans le mouvement syndicaliste parisien, V. Griffuelhes semble avoir été fréquemment sollicité par la direction blanquiste (Voir la référence d’Édouard Vaillant à son « ami » Victor Griffuelhes dans Le Petit Sou du 18 février 1901). C’est ainsi qu’il fut choisi pour représenter un « groupe socialiste » de Nérondes (Cher) au congrès socialiste tenu à la salle Japy (3-8 décembre 1899). Comme tel, il se trouva assis au milieu de l’importante délégation blanquiste du Cher dans laquelle se trouvaient des personnalités comme Vaillant, Jules-Louis Breton et Marcel Sembat (Voir compte rendu de ce congrès, p. 428 et annexe : votes du congrès).
Cependant, comme il habitait le Xe arr. (20, rue des Marais), fief de l’Alliance communiste révolutionnaire (ACR), dissidence allemaniste, c’est au sein de cette annexe du mouvement blanquiste qu’il milita. En mai 1900, il se présenta aux élections municipales comme candidat de l’Alliance communiste (et non du P.S.R.) dans le quartier Saint-Vincent-de-Paul (Xe arr.) : il n’obtint que 10 % des suffrages, et la victoire alla à un candidat nationaliste. Néanmoins il n’abandonna pas immédiatement le socialisme politique et, le 21 mai 1901, il prit part au défilé du Père-Lachaise avec les délégués ACR.
À cette époque, Victor Griffuelhes avait déjà acquis la conviction que l’action syndicale était le seul moyen efficace pour libérer intégralement la classe ouvrière. Cette conviction n’était pas le fruit de considérations théoriques, mais celui de son expérience directe d’ouvrier : « Ouvrier j’étais, ayant puisé dans une existence souvent fort difficile, dans des privations multiples le désir d’y mettre fin ; salarié j’étais, ayant à subir l’exploitation du patron et souhaitant ardemment d’y échapper. Mais ces désirs et ces souhaits ne pouvaient se concrétiser en une action continue qu’avec le concours des hommes astreints au même sort que moi. Et j’ai été au syndicat pour y lutter contre le patronat responsable direct de mon asservissement et contre l’État, défenseur naturel, parce que bénéficiaire, du patronat » (cf. L’Action syndicaliste, p. 5).
Vers 1900, Victor Griffuelhes apparaît comme l’un des militants syndicalistes de la nouvelle génération qui allait sortir le mouvement du marasme qui avait suivi la Commune, le mouvement syndical étant alors divisé sur le plan de l’idéologie et de l’organisation. Ainsi, il risquait d’être la proie des menées du gouvernement Waldeck-Rousseau qui faisait alterner « la carotte et le bâton ». Griffuelhes contribua largement à organiser la résistance à ces manœuvres (cf. son article dans L’Aurore, 7 mars 1900). Cependant, il fallait dépasser cette attitude purement défensive. Comme rapporteur de la commission (congrès CGT de Paris, septembre 1900) désignée pour étudier les mérites relatifs des Fédérations nationales de métiers ou d’industries, il sonna le glas du passé artisanal du mouvement ouvrier français, soutenant que la CGT devait développer les fédérations d’industries, étant donné que « ... la méthode d’organisation doit répondre aux conditions de la production » (compte rendu, p. 161). À ce moment-là sa notoriété dans le monde syndical était si grande qu’il fut élu secrétaire de la CGT par 76 mandats contre 6 (septembre 1901).
Victor Griffuelhes apporta à son nouveau poste une conception claire de la stratégie et de la tactique syndicales, ainsi que le désir ardent de préserver l’indépendance de la CGT. Sa notion de la stratégie était basée sur « l’action directe », action directement exercée par les intéressés. « C’est le travailleur qui accomplit lui-même son effort ; il l’exerce personnellement sur les puissances qui le dominent pour obtenir d’elles les avantages réclamés. Par l’action directe, l’ouvrier crée lui-même sa lutte, c’est lui qui la conduit, décidé à ne pas s’en rapporter à d’autres qu’à lui-même du soin de se libérer... » (conférence Griffuelhes du 27 juillet 1904).
Aussi claire est la conception de la tactique confédérale qui en découle. En collaboration avec Émile Pouget, Griffuelhes se montra un remarquable organisateur des luttes revendicatives : campagnes contre les bureaux privés de placement (1903) et pour la journée de 8 heures (1906) dont il faisait une clé des conquêtes ouvrières : 8 heures de travail, 8 heures de repos, 8 heures pour la vie personnelle, sociale et pour l’éducation. À plusieurs reprises, il dirigea en personne l’action gréviste : la grève du textile à Armentières (1903), la grève des délaineurs à Mazamet (1909). Plusieurs années après, Pierre Monatte rappelait comment Griffuelhes arrivait sur le champ de grève et, en quelques heures, démêlait une situation dans laquelle « nous barbotions ». Chef véritable de l’état-major CGT, il fut arrêté à deux reprises durant son mandat : une première fois avant la grève du 1er mai 1906 déclenchée pour obtenir la journée de 8 heures, une seconde fois à la suite de l’affrontement sanglant de Villeneuve-Saint-Georges en 1908.
En 1906, Griffuelhes était devenu l’incarnation véritable du syndicalisme révolutionnaire. Deux journalistes, Leclerc et Girod de Fléaux, dans leur livre Ces Messieurs de la CGT, assurent — cf. pp. 98-99 — qu’il produisait une « impression indéfinissable de supériorité ».
« Grand, maigre, osseux, l’allure un peu décharnée, légèrement voûté, à la tenue sinon soignée, du moins toujours correcte (...). Une figure d’intellectuel (...). Une barbe en pointe assez étoffée du bas, les joues rasées, le teint mat, donnant particulièrement l’impression d’un bilieux (...). Assez autoritaire, convaincu de l’importance que son rôle lui donne... » Pour ses camarades du bureau confédéral, son irascibilité était plus exaspérante que pittoresque et il avait plus d’ennemis que d’amis.
Pendant les huit années de son mandat, Griffuelhes s’efforça de protéger la direction confédérale à la fois contre l’influence des réformistes et contre les tentations de ceux qu’il appelait les « braillards », ceux qui prêchaient la violence au coin de leur feu. Contre les premiers, sur le plan confédéral, il s’opposa à ce que la CGT soit subordonnée à la SFIO et à ce qu’elle accepte bon gré mal gré la législation sociale du gouvernement. Ceci n’était, cependant, que le côté défensif de la lutte menée par Griffuelhes contre les réformistes. Sur le plan offensif, il engagea le combat au cœur même du camp réformiste. Ainsi, il apporta un soutien appréciable aux efforts du « Jeune syndicat » pour faire tomber la direction socialiste réformiste de l’importante fédération des Mineurs. Et il encouragea la rébellion de la minorité anarchiste au sein de la fédération du Textile contre son secrétaire guesdiste, Victor Renard.
Mais, vers 1905, il était clair que la lutte contre la social-démocratie et les syndicats réformistes devait être menée aussi sur le plan international. En effet, la philosophie et l’exemple dont s’inspiraient les réformistes de la CGT leur venaient du puissant mouvement syndical allemand. Les Allemands dominaient le tout récent secrétariat international des organisations syndicales (fondé en 1903) que Griffuelhes et son équipe avaient espéré transformer en un organisme syndical révolutionnaire international. Lorsque les Allemands refusèrent de mettre à l’ordre du jour de la conférence du secrétariat à Amsterdam (1905) la question de l’antimilitarisme et de la grève générale, Griffuelhes et Pouget lancèrent, par-dessus la tête des Allemands, un appel aux fédérations nationales affiliées. Cette tentative ayant échoué, Griffuelhes obtint du congrès d’Amiens de la CGT qu’il votât le retrait de la CGT du Secrétariat et, de 1905 à 1909, Griffuelhes et son équipe firent des efforts pour diminuer le contrôle que les Allemands avaient sur le mouvement syndical international. Ils firent même quelques essais isolés à l’intérieur du camp allemand, en y encourageant la minorité syndicaliste révolutionnaire (les « Lokalisten » ou mouvement fédéraliste). En 1907, Griffuelhes fit une série de discours en Suisse, exhortant les syndicats suisses à renverser leurs chefs sociaux-démocrates. Mais ses efforts ne portèrent que peu de fruits, la campagne n’étant pas menée aussi rigoureusement et agressivement qu’elle aurait pu l’être. La CGT, par exemple, commit l’erreur de ne pas tirer parti des occasions qu’elle avait de se lier avec les syndicats révolutionnaires en Hollande, Belgique et Italie.
La bataille contre les « braillards » est plus complexe et fut plus difficile. Car Griffuelhes, comme les « hervéistes », était un antimilitariste. Néanmoins il sentait bien que leur « romantisme révolutionnaire », leur insurrectionnalisme souvent naïf était un danger pour le mouvement ouvrier français car il fournissait au gouvernement une raison de supprimer la CGT.
En 1908 éclata le conflit latent qui, à l’intérieur du Comité confédéral, opposait depuis longtemps Griffuelhes à Albert Lévy, trésorier de la CGT. Bien que des motifs personnels semblent avoir été à la base de ce différend, c’est la fameuse « Affaire de la Maison des Fédérations » qui mit le feu aux poudres.
Après avoir été expulsée de la Bourse parisienne du Travail par le gouvernement, le 12 octobre 1905, la CGT s’était installée dans des locaux très étroits au 10, cité Riverin, Xe arr. Enfin, grâce à un prêt de 90 000 f de Robert Louzon — voir ce nom — la CGT put acheter un immeuble situé, 33, rue de la Grange-aux-Belles, Xe arr. Mais comme la loi française interdit aux confédérations d’être propriétaires immobiliers, on dut acheter l’immeuble au nom de la « Société Victor Griffuelhes et Compagnie ». Cette pratique heurta les sentiments ouvriéristes de certains militants. De plus, pour mettre en état le nouveau siège et y installer une imprimerie et un dispensaire, Griffuelhes dut faire de larges prélèvements dans des fonds que la CGT destinait à d’autres fins. Aussi, lorsque Lévy sortit de prison en avril 1908 (après y avoir passé dix-huit mois pour incitation à la violence), découvrit-il un trou de 5 000 f dans sa comptabilité. Aussi scrupuleux qu’instable, le trésorier s’emporta violemment. Pendant qu’à son tour Griffuelhes allait en prison à la suite de l’affaire de Villeneuve-Saint-Georges, Lévy entreprit de miner son prestige moral. Autour de Lévy se forma une coalition de réformistes et de révolutionnaires mécontents, apparemment encouragés par le gouvernement Briand qui voulait obtenir l’éviction du secrétaire général. Comme sa querelle avec Lévy commençait à prendre la forme d’une véritable « crise du syndicalisme », Griffuelhes, voyant que son autorité était contestée, décida de démissionner. Ainsi s’en expliqua-t-il au congrès CGT de 1910 :
« Comment ! Je suis en prison, on me ravale à ce moment-là, on veut me traîner dans la boue, et lorsqu’on sait que sur mon travail d’organisation il est difficile de trouver à redire, parce qu’on sait que dans des débats publics et sur des questions d’idées et de conceptions il est difficile aussi de me prendre, on veut procéder par des moyens détournés et on se dit : puisque la lutte en face n’est pas possible, on va jeter la suspicion, soulever les questions toujours délicates comme les questions d’argent, et ainsi créer une atmosphère telle qu’il sera obligatoire pour Griffuelhes de déguerpir ! Je l’ai fait, je ne me suis pas fait prier, je suis parti bien vite pour moi-même et je vais m’expliquer : je suis parti parce que je sentais que si j’avais voulu m’obstiner à rester — et j’aurais pu le faire — il m’eût été difficile de poursuivre ma tâche dans les conditions anciennes » (compte rendu, p. 132).
Après sa démission, Griffuelhes limita essentiellement son action syndicale au journalisme. Il fut un des fondateurs de La Bataille syndicaliste (1911), corédacteur en chef de l’éphémère, mais ambitieuse Encyclopédie du Mouvement syndicaliste (1912), et collaborateur de La Vie ouvrière. Comme Alphonse Merrheim, il sembla alors se replier sur lui-même, se consacrer davantage à la réflexion. Sa pensée et ses écrits s’attachèrent essentiellement aux rapports entre le capitalisme et le syndicalisme français ; il résuma ses conclusions dans ses trois derniers articles paru dans Le Mouvement socialiste (voir œuvre). Mais les travaux de recherche convenaient moins à Griffuelhes qu’à Merrheim ; ses articles laissent percer une certaine nostalgie pour les jours de 1906 où son action atteignit son apogée, ainsi que l’embarras que lui procuraient ses travaux de recherches. Cette insatisfaction, ce doute sur lui-même le gênèrent considérablement quand, avec la CGT, il dut affronter le problème de la guerre.
Lorsque le drame éclata, Griffuelhes adopta une position nuancée en faveur de la défense nationale. Certains écrivains ont expliqué le « défensisme » de Griffuelhes en 1914 comme étant en accord avec son idéologie. À la déclaration de guerre, disent-ils, il revint simplement au nationalisme blanquiste qu’il avait embrassé dans sa jeunesse. Dans le même ordre d’idées, ajoutent-ils, il était, après tout, un germanophobe bien connu. D’autres commentateurs ont donné des explications moins flatteuses sur sa position d’alors. En 1920, Alphonse Merrheim accusa Griffuelhes d’avoir « constitué une société métallurgique pour la fabrication des munitions et du matériel de guerre, dont il devint un des principaux administrateurs » (L’Information ouvrière et sociale, n° 252, 6 septembre 1920). Nous avons essayé, en vain, de trouver des documents susceptibles de confirmer cette accusation.
En septembre 1914, Griffuelhes emmena Jouhaux rejoindre le gouvernement à Bordeaux. Mais, à la même époque, il conseilla aux députés socialistes de refuser de voter les crédits de guerre. Il se tut à la fin de 1914, peut-être par dégoût pour le ralliement étroit de la CGT à l’union sacrée. En 1916, il rompit le silence pour collaborer à la publication hebdomadaire La Feuille dont la position sur la guerre se situait entre celle des Zimmerwaldiens et celle des « jusqu’au — boutistes ». (Voir son article du 24 mai 1917 : « Je l’ai dit : je n’aurais voté ni ne voterai les crédits de guerre, mais je ne serais pas allé à Kienthal, et je n’irai pas à Stockholm ».) Ses articles montrent que son « défensisme » vient partiellement d’une germanophobie de longue date. Ils nous permettent aussi de voir renaître en lui l’optimisme révolutionnaire après la Révolution russe de mars 1917. Griffuelhes soutint en effet les bolchéviks : « On peut dire, écrivit-il, que Lénine est seul resté socialiste... » (La Feuille, 10 janvier 1918). Et il partit pour la Russie...
Mais, après ce voyage, il devint l’éminence grise du noyau anarcho-syndicaliste qui s’était formé à l’intérieur des comités syndicalistes révolutionnaires (CSR) et qui groupait Henri Sirolle, G. Verdier, Michel Relenk (ou Kneller), etc... (voir Syndicalisme révolutionnaire et Communisme : Les Archives de Pierre Monatte, pp. 291, 294-295). C’est lui qui semble avoir été à l’origine du fameux « Pacte » secret de février 1921 par lequel ce noyau espérait s’emparer du contrôle du mouvement CSR.
Mais Griffuelhes ne devait jouer aucun rôle dans le dénouement de ce petit drame. Au début de 1922, sa mauvaise santé l’obligea à se retirer à Saclas chez son vieil ami Garnery, ancien secrétaire de la chambre syndicale des bijoutiers. En juillet de cette même année, alors que le premier congrès de la CGTU se réunissait pour tracer une route nouvelle au syndicalisme français, mourait l’ancien secrétaire général de la CGT.
Liste des 43 délégués qui, à Amiens, en octobre 1906, signèrent l’ordre du jour syndicaliste révolutionnaire présenté par V. Griffuelhes :
Ader, Bastien, Bled, Bornet, Bousquet A., Braun, Bruon, Chazeaud, Cousteau, David Eug., Delesalle, Delzant, Devilar, Dhooghe, Dret, Ferrier, Galantus H., Garnery, Gauthier, Henriot, Hervier P., Latapie, Laurent L., Lévy, Luquet, Marie, Mazau J., Médard J.-B., Ménard L., Merrheim, Merzet E., Monclard, Morel L., Pouget, Richer, Robert, Roullier, Samay J., Sauvage, Tabard E., Thil G., Turpin H., Yvetot.
On peut ajouter à ces noms ceux de : Bécirard, Charpentier, Cheytion F., Laval E., Legouhy, Teyssandier M. qui, avec Chazeaud et Cousteau, avaient proposé l’addition suivante à l’ordre du jour repoussant la proposition du Textile :
« Considérant que l’intervention des élus dans les grèves ou dans les mouvements ouvriers est toujours funeste ;
« Considérant que toujours le prolétariat fut dupé dans ses grèves par l’intrusion, sur le champ de lutte, de politiciens trompeurs ;
« Le Congrès engage les syndicats et organisations ouvrières à repousser tout concours des élus dans les mouvements du prolétariat ».
Les délégués Bahonneau, Guimaudeau, Karcher firent de même (cf. c. rendu du congrès, p. 169).
Source : https://maitron.fr/spip.php?article76566
Lire aussi :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80091r.r=Griffuelhes.langFR
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k82894g.r=griffuelhes?rk=42918;4
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k550962.r=griffuelhes?rk=64378;0
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6256050t.r=griffuelhes?rk=21459;2