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La Physique de Dirac et sa contribution à la Philosophie

lundi 11 juillet 2022, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

La Physique de Dirac et sa contribution à la Philosophie

Dirac est le physicien qui a prédit l’existence du positon et de l’antimatière comme Einstein a prédit l’existence du photon, Yukawa l’existence du méson, Higgs l’existence du boson qui porte son nom, Gell-Mann l’existence du quark et des hypérons, Pauli l’existence du neutrino, Fermi et Weisskopf du muon, Lederman du neutrino muonique, Chadwick l’existence du neutron, etc. Et, à chaque fois, il s’agit véritable prédiction, avec proposition de propriétés caractéristiques de la particule imaginée par les théoriciens pour expliquer les phénomènes, puis vérification par des expériences qu’on la trouve bel et bien aux niveaux d’énergie prévus.

Dirac est un physicien qui a fait faire un bond en avant à la compréhension du fait que la matière est issue du vide quantique (qui contient autant de matière éphémère que d’antimatière éphémère). Cependant, nous ne partageons pas certains des points de vue philosophiques de Dirac, notamment son soutien à l’école de Copenhague de la Physique et à conception purement mathématique de la Physique. Défendant à fond la philosophie de Bohr et Heisenberg, Dirac plaide allègrement pour le renoncement à la compréhension du monde qui est celle d’école de Copenhague :

« Le seul objet de la physique théorique est de calculer des résultats qui peuvent être comparés avec l’expérience, et il est tout à fait inutile de donner une description globale de l’ensemble du phénomène. »

« Quand vous demandez ce que sont les électrons et les protons, je dois répondre que cette question n’est pas rentable à poser et n’a pas vraiment de sens. L’important à propos des électrons et des protons n’est pas ce qu’ils sont mais comment ils se comportent, comment ils se déplacent. Je peux décrire la situation en la comparant au jeu d’échecs. Aux échecs, nous avons différents échecs, rois, chevaliers, pions, etc. Si vous demandez ce qu’est un jeu d’échecs, la réponse serait que c’est un morceau de bois, ou un morceau d’ivoire, ou peut-être juste un signe écrit sur du papier, ou quoi que ce soit. Ce n’est pas important. Chaque échiquier a une façon caractéristique de se déplacer et c’est tout ce qui compte. Tout le jeu d’échecs découle de cette manière de déplacer les différents échecs. »

« Le mathématicien joue à un jeu dans lequel il invente lui-même les règles tandis que le physicien joue à un jeu dans lequel les règles sont fournies par la nature, mais à mesure que le temps passe, il devient de plus en plus évident que les règles que le mathématicien trouve intéressantes sont les mêmes que celles qui la nature a choisi. »

« Il semble que ce soit l’une des caractéristiques fondamentales de la nature que les lois physiques fondamentales soient décrites en termes d’une théorie mathématique d’une grande beauté et d’une grande puissance, nécessitant un niveau assez élevé de mathématiques pour la comprendre. Vous vous demandez peut-être : pourquoi la nature est-elle construite selon ces lignes ? On ne peut que répondre que nos connaissances actuelles semblent montrer que la nature est ainsi construite. Nous devons simplement l’accepter. On pourrait peut-être décrire la situation en disant que Dieu est un mathématicien d’un ordre très élevé, et Il a utilisé des mathématiques très avancées pour construire l’univers. Nos faibles tentatives en mathématiques nous permettent de comprendre un peu l’univers, et à mesure que nous développons des mathématiques de plus en plus élevées, nous pouvons espérer mieux comprendre l’univers. »

Dirac a eu de nombreux apports en Physique quantique dont il peut être considéré comme l’un des grands fondateurs : matrices unifiant les physiques quantiques de Schrödinger et Heisenberg, théorie des transformations de Jordan-Dirac, particules de Dirac, équation de Dirac, notation bra-ket de Dirac, distribution en énergie de Fermi-Dirac ou impulsion de Dirac, masse de Dirac ou fonction delta de Dirac, électrodynamique quantique de Dirac, statistique de Fermi-Dirac, force d’Abraham-Lorentz-Dirac, solution de Dirac pour l’équation de Schrödinger de l’atome d’hydrogène, positon et anti-matière de Dirac, théorie de Dirac du spin, physique quantique relativiste de Dirac, peigne de Dirac, hypothèse des grands nombres de Dirac, mer de Dirac, vide de Dirac, théorie de Dirac de l’électron magnétique, quantification canonique des systèmes contraints, spineur de Dirac et son opérateur adjoint, monopôle de Dirac, jauge de Dirac, trou de Dirac, membrane de Dirac, fermion de Dirac, etc… Il faudrait plusieurs livres pour les expliquer toutes, en fait un ouvrage complet de physique quantique relativiste !

La seule réticence que l’on peut avoir à traiter Dirac comme le plus grand physicien, et elle est de taille, c’est qu’il ne considérait pas la réalité comme autre chose que mathématique contrairement à Einstein. Il disait détester l’expérimentation, y compris les expériences de pensée !!

Richard Feynman allait développer plus tard l’électrodynamique quantique relativiste, à savoir l’étude des interactions électromagnétiques entre particules (chargées) relativistes. Paul Dirac en avait jeté les premières bases, en donnant une description exacte des particules de spin 1/2 (fermions) et en proposant une équation qui prédisait leur comportement, ainsi que celui de leurs antiparticules. On doit à Feynman une formulation lagrangienne de l’électrodynamique quantique, ainsi qu’une technique perturbative, permettant de calculer les sections efficaces d’interaction entre particules. Pour calculer sans se tromper chaque terme du développement perturbatif, Feynman proposa une technique diagrammatique (les diagrammes de Feynman) utilisée de nos jours dans de nombreux domaines.

Mais, dans tout cela, on retiendra en particulier une grande révolution : les états d’énergie négative du vide quantique ou antimatière !

« Maintenant, quant à l’électron positif, qui est le dernier découvert, il est peut-être le plus encombrant, le plus gênant de tous. Sa découverte a ramené l’attention vers une conception que Dirac avait formulée il y a environ deux ans. Les électrons négatifs, selon la théorie de Dirac, peuvent avoir des états d’énergie positive et aussi d’énergie négative. Notre espace, à l’état normal, serait entièrement occupé par des électrons négatifs d’énergie négative, dont l’électrisation ne se manifesterait pas en raison même de l’homogénéité de l’espace ainsi occupé. Mais il peut se faire qu’un photon d’énergie suffisamment grand vienne, par effet photoélectrique ou par effet Compton, arracher un de ces électrons négatifs d’énergie négative et lui communiquer une énergie positive. Cet électron laisse derrière lui une lacune, un état d’énergie négative non occupé, et Dirac montre qu’une semblable lacune doit se comporter comme un électron chargé positivement et d’énergie positive. Cette théorie qui fait des électrons positifs des lacunes dans un ensemble normalement occupé d’états d’énergie négative pour des électrons négatifs, quoique assez surprenante à première vue, conduit à des prévisions intéressantes, en particulier quant à la durée de vie probable d’un positron. En effet, si on considère l’électron positif comme une lacune, il y a, dans la matière et en quantité croissante avec la densité de celle-ci, des électrons négatifs ordinaires qui peuvent venir combler la lacune. Ils passeraient ainsi d’un état d’énergie positive — qui est l’état sous lequel ils nous apparaissent — à l’état d’énergie négative vacant par suite de la lacune. L’énergie qu’ils abandonneraient en passant de leur état initial d’énergie positive à cet état d’énergie négative se retrouverait sous forme d’un ou de plusieurs photons.
Il est possible, à ce point de vue, en appliquant les méthodes de la nouvelle dynamique des quanta, de prévoir la durée moyenne de vie d’un électron positif, par exemple dans l’air, à la pression atmosphérique. Dirac prévoit ainsi une durée de vie d’un dix-millionième de seconde pour le positron. Cette idée ne doit pas nous étonner. D’autres corpuscules ont aussi ce caractère éphémère. La radioactivité par exemple nous met en présence de variétés d’atomes dont la vie moyenne est d’un millionième de seconde. Les chimistes ont des raisons sérieuses d’admettre que le radical CH3 peut exister à l’état libre avec une durée de vie moyenne de l’ordre d’un millième de seconde. Le positron, lui, aurait une vie moyenne d’un dix-millionième de seconde dans l’air à la pression atmosphérique normale, et plus longue dans un milieu plus raréfié. S’il n’y avait pas du tout d’électron négatif pour venir combler la lacune, celle-ci pourrait subsister indéfiniment. Dans la matière solide où les électrons négatifs sont nombreux, la lacune ne durerait presque pas. Cela n’a rien d’incompatible avec le fait qu’on puisse l’observer dans une chambre de Wilson, puisque sa vitesse est considérable ; elle peut être mesurée par la courbure de la trajectoire. Dans les cas observés, cette vitesse était de l’ordre des neuf dixièmes de la vitesse de la lumière, ce qui en un dix millionième de seconde représente un trajet de l’ordre de trente mètres ; comme la chambre de Wilson est loin d’avoir un pareil diamètre, l’électron positif a le temps d’y tracer sa trajectoire et d’y produire de l’ionisation.

Si l’expérience semble ainsi justifier et même imposer la notion de corpuscule pour la lumière comme pour la matière, voyons quelle est la situation au point de vue théorique. Comme il était raisonnable et légitime, nous nous sommes représenté, ainsi que je vous le disais tout à l’heure, les constituants nouvellement découverts dans le domaine atomique et intra-atomique, à la façon de particules matérielles. Nous avons fait ainsi que l’on fait toujours en Physique lorsqu’on aborde un domaine nouveau : nous avons essayé d’expliquer l’inconnu pal le connu, d’utiliser les notions qui avaient réussi dans les domaines déjà explorés et représentés. Il n’est guère possible de faire autrement ; c’est seulement dans le cas où cette tentative ne réussit pas qu’on est obligé de remettre tout en question et de chercher à créer des notions nouvelles. Il se trouve que, en un temps relativement court, depuis trente ans pour ce qui concerne l’atome, et depuis vingt ans à peine pour ce qui concerne le noyau, nous avons dû passer, sans préparation, de ce que j’appellerai l’étage normal et familier de notre expérience ancestrale, de l’étage du macroscopique où se sont constituées les notions fondamentales qui nous ont servi jusqu’ici à représenter le monde, à des régions beaucoup plus profondes de la réalité, que le perfectionnement incessant de nos méthodes expérimentales nous permet aujourd’hui d’atteindre et d’explorer. Parmi ces notions, à côté de celles d’espace et de temps, il convient de signaler tout particulièrement celle d’objet, fixe ou mobile, détaché par la pensée du reste de l’Univers et subsistant à travers des changements variés, individualisable et permanent. On peut dire que c’est la notion subjective d’individu acquise par la conscience humaine et confirmée par les relations entre les êtres humains qui est, en quelque sorte, extrapolée, projetée anthropomorphiquement dans l’objet, et aussi dans le corpuscule. Du niveau macroscopique, superficiel et ancestral de notre expérience où se sont constituées ces notions, nous sommes récemment descendus dans un premier sous-sol, celui du monde de l’atome autour du noyau, où nous avons rencontré les électrons qui donnent lieu aux phénomènes d’émission et d’absorption du rayonnement lumineux y compris les rayons de Röntgen, et qui permettent, par leur échange entre atomes, d’interpréter toutes les réactions chimiques où n’interviennent pas d’effets de transmutation. Et puis, à peine avions-nous commencé à prendre contact avec ce nouveau domaine et à nous y éclairer, qu’un second sous-sol beaucoup plus profond a été découvert grâce à la pénétration dans le domaine du noyau où les choses se passent à une échelle spatiale dix mille fois plus petite encore que celle de l’atome. Tout naturellement, en passant d’un étage au suivant, nous essayons, tout d’abord, pour construire la représentation du nouveau domaine, d’utiliser l’outillage mental dont nous disposons et qui a réussi tant bien que mal à l’étage supérieur.

Cela s’est bien passé ainsi quand, après avoir découvert, il y a vingt ans, la structure nucléaire de l’atome, nous avons essayé de la représenter et de la préciser sur le modèle planétaire, c’est-à-dire en concevant l’atome comme un système composé d’un soleil central électrisé positivement, avec une charge égale à Z fois la charge élémentaire, et entouré de Z satellites, sous forme d’électrons négatifs gravitant chacun autour de lui sous l’action attractive de sa charge positive, et répulsive des autres électrons. cette dernière action étant analogue à la perturbation du mouvement d’une planète par les autres planètes. Cette image constitue ce que nous appelons l’atome de Rutherford et de Bohr. Bohr a réussi le premier à développer théoriquement les conséquences de cette conception nucléaire de l’atome. Il s’est heurté tout de suite à de grosses difficultés que je vais rappeler sur le cas le plus simple auquel il s’est attaqué tout d’abord : celui de l’atome d’hydrogène, avec un proton au centre et un seul électron gravitant autour de celui-ci. Il n’y a pas de perturbation : il n’y a que l’attraction du proton central. La théorie électromagnétique sous sa forme classique de Maxwell et de Lorentz affirme que quand une particule électrisée a un mouvement comportant une accélération, elle doit émettre un rayonnement et par conséquent perdre son énergie ; l’électron qui gravite autour du noyau et parcourt son orbite avec un mouvement qui comporte nécessairement des accélérations, doit rayonner et perdre progressivement son énergie du fait même de ce rayonnement. Au bout d’un temps facile à calculer et qu’on trouve égal à une petite fraction de seconde, il devrait tomber sur le noyau et neutraliser celui-ci en donnant ce qui peut-être serait un neutron. Nous savons bien cependant que l’atome d’hydrogène est stable et qu’il dure, vraisemblablement pendant des milliards et des milliards d’années. D’autre part, la théorie électromagnétique prévoit que le rayonnement émis par l’électron pendant son mouvement de circulation autour du noyau doit avoir une fréquence égale au nombre de révolutions par seconde. Ce rayonnement devrait donc changer de fréquence de façon continue à mesure que l’électron se rapprocherait du noyau en perdant son énergie et par suite devrait avoir un spectre continu. Ainsi, la conception planétaire conduit à deux conséquences en contradiction grossière avec l’expérience : tout d’abord, que l’atome nucléaire ne serait pas stable, perdrait son énergie par rayonnement, et que, d’autre part, ce rayonnement aurait mi spectre continu, alors que l’on sait très bien que tous les atomes, y compris celui d’hydrogène, émettent des spectres de raies, des spectres discontinus. Pour ne pas abandonner le fil directeur que représentait cependant l’image planétaire soumise aux lois de la mécanique, Bohr a cherché un compromis. Il l’a trouvé en s’appuyant sur l’existence des quanta de rayonnement, sur le fait affirmé par Planck, que l’atome ne peut rayonner, que la matière ne peut émettre de lumière que par quanta finis de grandeur h*nu. Il a admis qu’il fallait introduire du discontinu là où la théorie électromagnétique ne connaissait que du continu et que, sans abandonner la mécanique classique, il fallait faire un choix parmi la série infinie et continue des mouvements possibles qu’elle prévoit pour l’électron, quantifier ces mouvements, comme nous disons aujourd’hui, et n’en retenir qu’une série discontinue dont chacun des termes correspondrait à un état stable de l’atome. Bohr eut l’idée géniale de faire correspondre chacun de ces états stables à l’un des termes que les spectroscopistes avaient dû introduire, en vertu du principe de combinaison, pour représenter, par leurs différences, les fréquences des diverses raies d’un même spectre atomique. En admettant que l’atome ne peut émettre ou absorber de rayonnement qu’en passant brusquement d’un état stable à un autre, le quantum du rayonnement émis ou absorbé étant égal à la différence des énergies de l’atome dans les deux états initial et final, il rendait immédiatement compte du fait que la fréquence de la raie correspondante au rayonnement est spectroscopiquement égale à la différence des termes associés aux deux états de l’atome. Le choix, parmi la série continue des solutions possibles au sens de la mécanique, de celles qui fournissent les mouvements d’électrons et les états de l’atome considérés comme stables a été fait par Bohr au moyen d’une première règle très simple dite de quantification, règle qui a pu être généralisée ensuite de manière à s’étendre au cas le plus général d’un système comprenant un membre quelconque d’électrons. Bohr a dû ainsi faire une entorse à la théorie électromagnétique en admettant que ces mouvements ainsi isolés et quantifiés pouvaient se poursuivre sans rayonnement — ce qui, au point de vue électromagnétique, n’est pas admissible — et que, sous des conditions d’ailleurs obscures, les électrons pouvaient passer d’un mouvement quantifié de ce genre à un autre, soit en émettant un quantum de rayonnement si le passage a lieu d’un état d’énergie plus élevé à un état d’énergie moins élevé, ou, au contraire, en absorbant un quantum de rayonnement extérieur, si le passage a lieu d’un état d’énergie moins élevé à un état d’énergie plus élevé. C’est là l’idée fondamentale, difficile à accepter au point de vue théorique, mais singulièrement féconde au point de vue pratique, puisque, sans le succès que les idées de Bohr ont rencontré dans le cas de l’atome d’hydrogène, le développement ultérieur de la théorie quantique et de la mécanique ondulatoire n’aurait certainement pas été possible. Par conséquent, il y a eu là une transition utile, malgré ses contradictions et son illogisme, entre les notions anciennes de la mécanique et de l’électromagnétisme, notoirement insuffisantes dans le domaine intra-atomique, et les notions nouvelles, plus cohérentes et plus adéquates, que la dynamique des quanta s’efforce d’élaborer. Vous savez comment la quantification par Bohr de l’atome d’hydrogène en utilisant la mécanique classique, et, mieux encore, la quantification par Sommerfeld de ce même atome d’hydrogène en utilisant la mécanique de la relativité, a conduit à l’interprétation complète du spectre atomique de l’hydrogène, résultat tout-à-fait remarquable qui a eu, sur le développement de la spectroscopie en général, une énorme répercussion. C’est, en quelque sorte, un hasard heureux, une chance pour les physiciens qu’il en ait été ainsi. En effet, lorsqu’on a voulu passer du cas d’un seul électron circulant autour d’un noyau, au cas de deux électrons, cela n’a plus marché du tout, par exemple pour l’atome d’hélium, dont le noyau — qui est justement la particule — a deux charges positives, et qui comporte par conséquent deux électrons périphériques lorsqu’il n’est pas ionisé. Il a fallu reconnaître, que la quantification, au sens de Bohr et de Sommerfeld, ne permettait pas de rendre compte de la dynamique intra-atomique. C’est alors que se sont développées, d’une part ce qu’on a appelé la « dynamique des quanta » ou la dynamique des matrices, entre les mains de Heisenberg, Max Born, Jordan, etc..., et puis, de manière concordante, la mécanique ondulatoire grâce aux efforts de Louis de Broglie, Schrödinger, Dirac, etc... Vous savez en quoi consiste l’idée initiale de Louis de Broglie qui a, en quelque sorte, suivi la marche inverse, dans le cas de la matière, de ce qui s’était passé dans le cas de la lumière pour interpréter l’effet photo-électrique, l’effet Compton, etc... A côté des ondes lumineuses, qui représentaient admirablement un autre aspect de l’Optique, l’aspect classique — interférences, diffraction, etc... — il a fallu admettre une structure corpusculaire de la lumière. La question fondamentale actuelle pour la théorie du rayonnement est celle de la synthèse non encore constituée entre les deux conceptions ondulatoire et corpusculaire, entre les ondes et les photons qui rendent compte séparément d’aspects complémentaires, et en quelque sorte opposés, de la réalité. Louis de Broglie a pensé qu’on sortirait peut-être des difficultés de la dynamique intra-atomique en associant des ondes aux corpuscules, électrons, protons, etc.., comme, en optique, on avait été conduit à associer des corpuscules aux ondes. Il a admis que la liaison entre l’énergie du corpuscule, qui est connue dans le cas de la matière, et la fréquence de l’onde nouvelle était la même que celle de Planck, mais utilisée cette fois pour déduire la fréquence de l’onde de l’énergie du corpuscule, au lieu de déduire, comme dans le cas de la lumière, l’énergie du corpuscule de la fréquence de l’onde. Cette idée, que la théorie de la relativité restreinte a permis de développer, a conduit tout de suite, comme vous savez, à des confirmations expérimentales impressionnantes par les expériences de Davisson et Germer et de G. P. Thomson, qui rendent visible, tangible, l’aspect ondulatoire de la matière si éloigné, au moins en apparence, de l’aspect corpusculaire auquel les expériences de Wilson ont donné un caractère de réalité si concrète. Le cliché de la fig. 12 a été obtenu par M. Trillat et donne les anneaux de diffraction de rayons de Röntgen à travers une pellicule matérielle. La distribution de ces anneaux est caractéristique de la structure moléculaire ou cristalline de la substance qui constitue la pellicule, et leurs rayons, pour une même substance, augmentent avec la longueur d’onde des rayons de Röntgen utilisés. La fig. 13 reproduit un cliché obtenu par M. Ponte avec des rayons cathodiques au lieu de rayons de Röntgen. Un faisceau d’électrons ou d’ondes électroniques traversait une pellicule renfermant des cristaux microscopiques d’oxyde de zinc. L’apparence est tout à fait analogue à celle donnée par les rayons de Röntgen. Les formules de Louis de Broglie permettent de calculer les longueurs d’onde associées aux électrons à partir de la vitesse de ceux-ci et de constater que la figure de diffraction est bien conforme à ce que permet de prévoir la longueur d’onde calculée. Quand on augmente la vitesse des électrons, la longueur d’onde diminue et les anneaux de diffraction se resserrent. »

Langevin – « La notion de corpuscule et d’atomes »

« Un électron dans un état d’énergie négative est un objet tout à fait étranger à notre expérience, mais que nous pouvons cependant étudier au point de vue théorique ; ... Admettons que dans l’univers tel que nous le connaissons, les états d’énergie négative soient presque tous occupés par des électrons, et que la distribution ainsi obtenue ne soit pas accessible à notre observation à cause de son uniformité dans toute l’étendue de l’espace. Dans ces conditions, tout état d’énergie négative non occupé représentant une rupture de cette uniformité, doit se révéler à l’observation comme une sorte de lacune. Il est possible d’admettre que ces lacunes constituent les positrons ».

P.A.M. Dirac (1902-1984) (rapport au 7ème conseil Solvay de Physique, 1934)

« Les particules n’accèdent à l’existence dans le monde ordinaire que grâce à un processus de création-annihilation dans ce plein qu’est le vide. (...) En 1927, Dirac, en cherchant l’équation qui serait capable de rendre compte du comportement de l’électron et satisferait tout à la fois à la théorie quantique et à la théorie de la relativité einsteinienne, (…) s’aperçut qu’il y avait une autre solution (que l’électron) de charge positive. (…) Chaque fois qu’on construit une théorie quantique relativiste pour décrire une particule, la théorie fait apparaître la nécessité de postuler une « antiparticule » symétrique, de charge opposée. Ces antiparticules forment ce qu’on appelle l’antimatière, dénuée de tout le mystère dont on entoure parfois son nom : ce n’est en fait rien qu’une autre forme de la matière, composée d’antiparticules ayant des charges opposées à celles des particules ordinaires. (…) Dirac, tirant les conclusions de la découverte du positron (antiparticule de l’électron), put proposer une description toute nouvelle du vide. Jusqu’alors, on s’était représenté le vide comme réellement vide, on aurait extrait toute forme de matière et de rayonnement, ne contenait strictement rien, et, en particulier, aucune énergie. C’est à Dirac que l’on doit d’avoir, en deux étapes, repeuplé le vide et fait en sorte que le vide ne soit plus vide. (...) Nous avons fait ressortir (..) ce caractère du vide en tant que conjonction des opposés. (..) Conjonction des opposés qui ne trouve son vrai sens que dans la mesure, néanmoins, où elle correspond au plus près à une dialectique des modes d’être. (..). C’est la négation du principe d’identité. (..) Proclus : ’’Je définis au sujet du mode des négations qu’elles ne sont pas privatives de ce sur quoi elles portent, mais productives de ce qui est’’(..) et tout au terme de la course , c’est la négation de la négation elle-même. (..) Si l’on accepte de suivre cette pensée dialectique dans sa rigueur tout interne, on s’aperçoit en même temps comment tombent les objections qu’on oppose à ce modèle. (..) Ce que nous voulions montrer, c’est qu’il existe une logique de la pensée du vide »

Victor Weisskopf dans « La révolution des quanta »

"Si nous acceptons la vision d’une symétrie complète entre les charges positives et négatives vis-à-vis des lois fondamentales de la Nature, déclarait Dirac lors de la cérémonie au cours de laquelle il reçut le prix Nobel, il nous faut considérer comme un accident que la Terre (et sans doute l’ensemble du système solaire) contienne majoritairement des électrons négatifs et des protons positifs. Il est parfaitement possible que la situation soit renversée pour certaines des étoiles, composées principalement de positrons (électrons positifs) et de protons négatifs. Il se peut en fait qu’il existe autant d’étoiles de chaque sorte. Les deux sortes d’étoiles auraient exactement le même spectre lumineux, et il n’existerait aucun moyen de les distinguer en utilisant les méthodes astronomiques actuelles."

"L’antimatière" de Gabriel Chardin :

« Nous sommes forcés de conclure que les phénomènes constatés n’ont rien à voir avec l’effet de plusieurs photons, mais que c’est au contraire le photon unique qui explique aussi bien la capacité d’interférence des deux rayons que l’absorption en un endroit précis de l’un des deux rayons” écrivait Einstein. Comme l’indiquait Paul Dirac dès 1930 dans ses Principes de la mécanique quantique, et comme Max Born le rappelait dans un ouvrage de 1949 sur le hasard et la causalité, et dans son livre sur les Principes de l’Optique, ainsi que dans une lettre à Einstein, dans un phénomène d’interférence, le photon interfère avec lui-même - et il en va de même en ce qui concerne la particule quantique à laquelle ces propriétés du photon avaient été étendues par de Broglie, par Einstein lui-même, par Schrödinger, Max Born et d’autres… »

Michel Paty, dans « Einstein et la pensée de la matière »

« Dans le vide de Paul Dirac, la densité des particules et antiparticules est considérable. On ne peut les distinguer les unes des autres car leurs effets observables, tenant notamment à leurs annihilations, s’additionnent. Par contre, dans un fort champ électromagnétique, leurs interactions peuvent être la source d’émission de nouvelles particules observables, des photons gamma de très haute énergie, pouvant produire des électrons et positrons supplémentaires. »

« Générer de la matière et de l’antimatière à partir du vide », de Jean-Paul Baquiast

« Parmi les solutions de l’équation de Dirac, certaines décrivaient des particules d’énergie négative. Ces solutions sont inévitablement présentes à cause de la symétrie entre espace et temps inhérente à la relativité restreinte. (…) Les niveaux d’énergie négative s’étendent vers le bas sans limite. Cela signifie que le niveau fondamental de l’atome d’hydrogène n’est pas réellement fondamental, mais en équilibre précaire au dessus d’un puits sans fond d’états d’énergie négative. Il semble n’y avoir aucune raison empêchant l’électron d’un atome d’hydrogène de descendre de plus en plus bas en émettant de plus en plus de photons. Comme il n’y a pas de borne inférieure aux niveaux d’énergie quantiques, il semble que toute la matière de l’univers doive être intrinsèquement instable, et descendre ce puits d’énergie négative au milieu d’une gerbe croissante de rayonnement. Dirac proposa en 1930 une idée plutôt radicale pour éviter ce malheureux destin. Il fit remarquer que le principe d’exclusion de Pauli interdirait ces transitions au-dessous de l’état fondamental si tous les états d’énergie négative, si gênants, étaient déjà occupés par d’autres électrons. (…) Selon cette idée, l’espace vide n’est pas vide du tout, mais occupé par une mer infinie de particules invisibles d’énergie négative. Comme le principe de Pauli s’applique indépendamment aux différentes espèces de particules, chaque espèce requiert sa propre mer infinie. (…) L’idée extraordinairement simple de Dirac implique que des particules matérielles peuvent être créées à partir d’un réservoir infini et invisible, mais seulement si elles son accompagnées de particules « miroir », de même masse mais de charge électrique opposée (et aussi d’ailleurs d’un champ magnétique et d’un spin opposé). (…) Le nom de positron a été donné à l’électron-miroir, mais en général on ajoute le préfixe « anti ». On parle ainsi d’antiproton, d’antineutron, d’antineutrino et d’antimatière. »

Paul Davies, dans "Les forces de la nature"

Heisenberg se rappelle une conversation entre des jeunes participants au Congrès Solvay de 1927 à propos des points de vue d’Einstein et de Planck sur la religion entre Wolfgang Pauli, Heisenberg et Dirac. La contribution de Dirac était une critique des fins politiques de la religion, qui fut bien appréciée par Bohr pour sa lucidité quand Heisenberg la lui rapporta plus tard. Entre autres choses, Dirac a dit :
« Je ne comprends pas pourquoi nous perdons du temps à parler de la religion. Si nous étions honnêtes — et les scientifiques se doivent de l’être — nous devrions alors admettre que la religion est un fatras d’assertions inexactes, qui ne reposent sur aucune base dans la réalité. L’idée même de Dieu est un produit de l’imagination humaine. Il est tout à fait compréhensible pourquoi des personnes primitives, qui étaient bien plus exposées aux forces écrasantes de la nature que nous le sommes aujourd’hui, avaient dû personnifier ces forces en peur et tremblement. Mais de nos jours, puisque nous comprenons tant de processus naturels, nous n’avons pas besoin de ces solutions. Je ne vois absolument pas en quoi le postulat d’un Dieu tout-puissant nous aide en quoi que ce soit. Ce que je vois c’est que cette hypothèse mène à de tels questionnements stériles comme pourquoi Dieu permet autant de misère et d’injustice, l’exploitation des pauvres par les riches et toutes les autres horreurs qu’Il aurait pu empêcher. Si la religion est toujours enseignée, ce n’est pas du tout parce que ses idées nous convainquent encore, mais simplement parce que certains parmi nous veulent garder la classe populaire en silence. Des gens silencieux sont bien plus faciles à gouverner que les vociférants et insatisfaits. Ils sont aussi plus facilement exploitables. La religion est une sorte d’opium qui permet à une nation de se bercer elle-même de doux rêves et à oublier les injustices qui sont perpétrées contre les gens. D’où l’alliance rapprochée de ces deux grandes forces politiques, l’État et l’Église. Les deux ont besoin de l’illusion qu’un gentil Dieu récompense, au paradis si ce n’est sur Terre, tous ceux qui ne se sont pas levés contre les injustices, qui ont accompli leur devoir silencieusement et sans plaintes. C’est précisément pourquoi l’honnête assertion qui veut que Dieu est un simple produit de l’imagination humaine est marqué comme le pire des péchés mortels. 7 »

On doit à Paul Dirac la reformulation du formalisme de Schrödinger qui est encore beaucoup utilisée aujourd’hui et que l’on qualifie souvent de point de vue orthodoxe. S’il y est usuellement fait référence à des particules, c’est davantage de système dont on parle car un système peut être composé de plusieurs particules. On ne se prononce d’ailleurs guère sur le statut de ces particules et sur leur nature fondamentale, elles ne bénéficient guère mieux que d’une définition essentiellement opératoire. Le concept de fonction d’onde est remplacé par celui de vecteur d’état, bien plus abstrait et neutre concernant la nature de l’objet considéré, et ces vecteurs d’état évoluent dans des espaces de Hilbert tout autant abstrait et dotés de n dimensions, où n est le nombre d’observables du système (ce qui revient au même que les 3n dimensions de la formulation précédente et permet de conserver sans problème le principe de superposition). On peut dans un premier temps noter que cette reformulation n’est que la première, et dans un certain sens le modèle archétypal, des restructurations dont la physique quantique est perpétuellement l’objet. Les outils mathématiques sont globalement conservés mais les termes sont changés, plus souvent pour des raisons de cohérence logique et théorique qu’à cause de nouvelles données expérimentales. Dans le cas présent le formalisme évolue vers plus d’abstraction et vers les aspects consensuels de la microphysique, à savoir les succès opératoires qu’elle connaît, mais d’autres reformulations plus discutées et plus nombreuses seront proposées pour orienter la théorie quantique vers davantage de prétentions ontologiques. Ainsi certaines idées de de Broglie et Schrödinger, bien qu’ayant été mises en échec par les difficultés que nous avons évoquées, seront remises au goût du jour par des théories tentant de surmonter ces difficultés. Enfin, malgré le langage parfois corpusculaire de la formulation orthodoxe de Dirac (avec les références faites à des particules), on peut remarquer que toutes les précautions sont prises pour qu’aucun avis ne soit donné sur la caractère ondulatoire et/ou corpusculaire des entités quantiques. De même aucune signification ni aucun explication n’est donnée à la présence dans un tel formalisme d’espaces dotés de plus de trois dimensions. Ce parti pris permit de construire un formalisme inattaquable et très efficace mais incapable de fournir un réel discours sur la nature des choses. Probabilité et prévisibilité Voyons comment la théorie quantique, dans sa formulation orthodoxe, peut être qualifiée de statistique ou d’ensembliste. Ces expressions peuvent s’avérer trompeuses dans certaines circonstances mais elles possèdent une part de vérité que nous allons dégager. Dans un espace de Hilbert, un vecteur d’état (ou une fonction d’onde) ne correspond pas rigoureusement à un système précis mais à un ensemble de systèmes physiques que l’on peut considérer comme identiques. En d’autres termes, il décrit un dispositif expérimental reproductible et par conséquent se définit de manière très opératoire. Cela est encore plus clair si l’on remarque que la notion de grandeur physique est remplacée par celle d’observable pour des raisons que nous éclaircirons ultérieurement. Un vecteur d’état permet donc de prédire quelle valeur de tel observable sera mesurée, non pas sur tel système physique, mais sur un ensemble de systèmes. Il permet donc de calculer une fréquence statistique, c’est-à-dire le nombre de fois n que la valeur en question sera observée sur N dispositifs expérimentaux identiques. Dans le cas d’un système individuel, c’est-à-dire pour un dispositif expérimental particulier, la prédiction que pouvait fournir le vecteur d’état en terme de fréquences statistiques devient la probabilité d’obtenir telle ou telle valeur sur l`observable mesurée. Une réelle prédiction, c’est-à-dire la possibilité de prédire que telle valeur sera obtenue ou pas, sur un système individuel, n’est possible que dans les cas très particuliers où la probabilité en question est de 1 ou 0. L’apparition d’une théorie des probabilités en physique n’a rien d’original, elle est très courante dans toute entreprise prévisionnelle où les données en possession de l’expérimentateur sont insuffisantes. En physique classique, les probabilités sont un palliatif lié à l’absence ou à l’imprécision de certaines données. Par exemple, si l’on ne peut mesurer la masse de chacun des éléments d’un ensemble observé, on prendra une moyenne et on sera alors en mesure de calculer la probabilité que tel élément de l’ensemble soit dans tel état. Mais la physique quantique ne dispose de rien d’autre que cette probabilité, la question se pose alors de savoir à quoi elle constitue un palliatif car nous ne disposons d’aucun autre moyen plus précis de quantifier un système microscopique que le formalisme que nous avons évoqué. De plus, par sa structure mathématique très particulière en espaces vectoriels avec un nombre de dimensions variable, la théorie des probabilités utilisée par la physique quantique est très différente de celle traditionnellement utilisée dans toutes les autres sciences, dans un certain sens elle utilise même la théorie classique comme sous-système. C’est pourquoi le point de vue orthodoxe, afin d’éviter toute forme de spéculation que les physiciens pourraient qualifier de manière quelque peu péjorative de métaphysique, se limite à cette seule formulation abstraite en termes de probabilités et d’ensembles statistiques, sans pour autant admettre qu’il s’agit de la seule réalité ou que la réalité est structurée ainsi. Schrödinger a introduit son équation d’onde, sans y introduire le moindre concept de probabilité car il avait expulsé la notion de particule et avec elle celles de trajectoire et de position. Dirac, dans la reformulation qu’il en a fait, en réintroduisant des éléments corpusculaires à la théorie, a transformé un outil de calcul de l’évolution d’une onde en outil de calcul des probabilités d’observer une position ou une trajectoire (ou d’autres observables tout autant corpusculaires). C’est encore cet usage qui est fait traditionnellement de l’équation de Schrödinger et qui reste en désaccord avec l’esprit dans lequel elle a été découverte.

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