vendredi 16 novembre 2018, par
La journée d’action des « gilets jaune » du samedi 17 novembre se présente comme une protestation contre les taxes qui rendent chers les carburants. Ces taxes sont des impôts indirects, comme la plus connue d’entre elles, la TVA.
Les débats autour de la préparation de cette journée devraient être l’occasion pour l’extrême gauche de remettre en avant la revendication : abolition de tous les impôts indirects. Or des organisations comme LO et le NPA ne la mettent plus en avant.
Cette revendication est aussi ancienne que le mouvement ouvrier : « L’impôt saigne le malheureux » entend-on dans un des couplets de l’internationale.
Le programme du Parti Ouvrier Français (1882), affirmait dans son article 12 de la partie économique :
Abolition de tous les impôts indirects et transformation de tous les impôts directs en un impôt progressif sur les revenus dépassant 3.000 francs.
Les Considérants de ce programme rappellent même que cette revendication fut celle de la bourgeoisie révolutionnaire :
La bourgeoisie d’avant 1789, concourant pour sa bonne part aux dépenses nécessitées par la protection des biens de la noblesse, réclamait l’abolition des impôts indirects ; devenue classe régnante, elle les maintient parce qu’ils lui permettent de se décharger sur la classe ouvrière, d’une grande partie des dépenses qu’exige la conservation de ses biens. (...) L’abolition des impôts indirects et l’établissement de l’impôt progressif réduiraient sûrement le prix des vivres.
Le programme de Gotha (1875) de la social-démocratie allemande reprend cette revendication économique, comme faisant partie d’un programme minimum, compatible avec le capitalisme :
Le Parti ouvrier socialiste d’Allemagne réclame, sous le régime social actuel : 1.(...) 2. Un impôt unique et progressif sur le revenu pour l’État et les communes, à la place de tous les impôts indirects, spécialement de ceux qui pèsent sur le peuple.
Relisons ce qu’écrivait un parti d’extrême gauche, la LCR, en 1972. A quelques mises à jours près, il pourrait constituer le texte d’un tract pour des militants ouvriers désireux d’intervenir dans la journée de protestation du 17 novembre, mais ce n’est pas le NPA (l’héritier de la LCR) qui le fera, voir plus bas :
Contre la fiscalité des accapareurs
La fiscalité est aussi une des formes d’oppression de l’Etat bourgeois, et la fiscalité actuelle en France porte la marque de l’Etat fort. A la différence de la police, de l’armée, des tribunaux, auxquels on peut toujours espérer échapper, l’impôt — lourd tribut payé à la société qui « protège » le citoyen — frappe tout le monde.
Sauf bien entendu les premiers ministres, les grosses entreprises, et de nombreux députés de la majorité qui, très légalement, n’en paient pas le moindre. Un scandale ? Bien sûr, mais le vrai scandale n’est-il pas dans l’ensemble du système d’impôts mis en place par la Vème République ?
La fiscalité actuelle permet à la bourgeoisie de faire payer par les travailleurs le fonctionnement et l’entretien de son Etat. Sans compter ce qui lui est transféré directement par le biais de l’aide financière aux monopoles et aux grandes sociétés (les 3 milliards de subvention de l’Etat à Wendel-Sidélor par exemple).
En 1959, l’impôt sur les sociétés (payé par le capital) rapportait autant que l’impôt sur le revenu (payé par les travailleurs). Il n’en représente plus aujourd’hui que les trois-cinquièmes (pendant ce temps, le nombre de foyers assujettis à l’impôt sur le revenu a doublé), et ne fournit que 10% des recettes fiscales.
D’où vient l’argent ?
Pour l’essentiel (les deux tiers), les recettes fiscales proviennent des impôts indirects sur la consommation. 67% de ceux-ci sont fournis par la TVA dont le système est le suivant :
Un capitaliste achète une usine de chaussures ou la fait construire. Il achète également les matières premières, cuir, etc. Sur aucun de ces achats, il ne paie de TVA. C’est l’acheteur de chaussures qui la paiera, environ 20%. du prix de la marchandise ! Le même acheteur la paie sur tous les produits de consommation qu’il achète, de son journal à sa nourriture.
Or les travailleurs et les personnes à revenus modestes, au contraire des gros détenteurs de capital, dépensent l’essentiel sinon la totalité de leurs revenus pour la consommation courante. C’est donc sur eux que pèse, écrasant, le prélèvement fiscal.
Suppression immédiate des impôts indirects et de la TVA, gabelle de notre temps
Les capitalistes, à l’exemple de Chaban, ont toutes sortes de moyens parfaitement légaux pour ne pas payer d’impôts sur le revenu du capital. Il y a pour les capitalistes tant de combines pour échapper à l’impôt qu’ils ne peuvent pas les connaître toutes. C’est pour cela qu’ils louent les services de conseillers fiscaux, conseillers en fraude fort bien payés ! Quant à l’impôt sur les successions, là aussi, pourvu qu’on en ait les moyens, la légalité permet de ne pas payer : l’emprunt Pinay ne sert qu’à ça !
L’impôt sur les revenus touche plus fortement les salariés car ils ne peuvent cacher leurs salaires. Les autres s’arrangent beaucoup mieux : ainsi les médecins en 1967 à Paris déclaraient un revenu mensuel de 2000 francs seulement en moyenne !
De plus le système des tranches non indexées sur le coût de la vie permet d’augmenter les impôts par le simple jeu de l’inflation !
Un tel système n’est pas amendable, il doit être balayé !
- Impôt sur le revenu, avec très forte progressivité, exemption pour les bas revenus, abattement forfaitaire par enfant, indexé sur le coût de la vie et sur l’évolution des prix et des salaires !
- Impôt sur le capital et sur les grosses fortunes !
- Soumission de l’emprunt Pinay aux droits de succession !
- Pour cela, il faut le contrôle sur la compatibilité, les revenus de tous
- Pour commencer, exigeons la publication des chiffres d’impôts de tous.
Ce que veut la Ligue Communiste, Manifeste du Comité Central des 29 et 30 janvier 1972.
Plus récemment, Lutte Ouvrière reprend cette argumentation, par exemple dans son Éditorial des bulletins d’entreprise du 28 octobre 2013 :
Le véritable matraquage fiscal concerne les classes laborieuses, les salariés y compris les plus pauvres et, plus généralement, tous ceux dans les classes populaires qui vivent de leur travail. Le véritable matraquage fiscal est la hausse au 1er janvier 2014 de la TVA, l’impôt le plus injuste qui soit parce qu’il frappe indistinctement au même taux les millionnaires et les chômeurs ou les SDF.
Le véritable matraquage fiscal, c’est aussi l’ensemble des mesures décidées en douce, qui font que d’un seul coup près d’un million de ménages (petits salariés et retraités) qui ne payaient pas d’impôt sur le revenu sont devenus imposables. Avec les conséquences qui en découlent, comme la perte de certaines allocations et la suppression de l’exemption de la taxe d’habitation.
Et même l’écotaxe, décidée par le gouvernement Sarkozy et reprise par le gouvernement Ayrault, contre laquelle des manifestations ont eu lieu ce week-end en Bretagne : si elle concerne aussi les grosses entreprises, elle frappe surtout les petites et les artisans. Elle sera aussi en fin de compte payée par les consommateurs, sur lesquels la hausse de prix sera répercutée.
On nous dit que tout cela est nécessaire car il s’agit de financer les services publics utiles à tous. La mauvaise blague : dans les services publics, on inclut aussi le coût de l’armée, de l’armement et de toutes les guerres de brigandage menées au Mali ou ailleurs. Et, par les temps qui courent, on paie surtout les cadeaux au grand patronat et les intérêts faramineux que les banques prélèvent sur un État endetté jusqu’au cou... pour avoir, pourtant, emprunté pour aider ces mêmes banquiers.
Alors, la seule politique fiscale juste du point de vue des exploités serait la suppression des impôts indirects, sauf sur des produits de luxe que seule la bourgeoisie achète ; et que l’impôt sur le revenu ne s’applique justement qu’au revenu, c’est-à-dire ce qui est tiré de l’exploitation par le biais du capital.
Pourtant, LO exclut cette revendication traditionnelle du mouvement ouvrier relativement à la journée du 17 novembre des « gilets jaunes » :
Pour les salariés, les retraités, les chômeurs, la seule façon de s’opposer à la baisse continue de leur niveau de vie est d’exiger l’augmentation des salaires, des retraites et des allocations. Et, pour que cette augmentation ne soit pas annulée ensuite, il faut que les revenus du monde du travail suivent automatiquement les hausses de prix et l’inflation.
Edito du 5 novembre : Il faut augmenter les salaires et les pensions.
De même :
Actuellement, la contestation s’exprime en particulier, et à juste titre, contre la hausse des carburants. Mais, en fait, tout augmente : le fioul, le gaz, l’électricité, les loyers… Il est indispensable que les travailleurs se mobilisent en mettant en avant leurs exigences, à commencer par l’augmentation des salaires, des retraites et des allocations, et leur alignement automatique sur le coût de la vie. Il n’y a qu’ainsi que le monde du travail se protégera contre l’appauvrissement qui résulte des politiques patronales et gouvernementales.
Edito du 12 novembre : Il faut augmenter les salaires.
De même, la revendication d’abolition des impôts indirects reste bien connue du NPA :
Il faut refuser la TVA et l’ensemble des taxes, ces impôts indirects totalement injustes qui amplifient les inégalités. NPA : Contre le gouvernement des riches
Mais comme LO, dans des textes à diffusion plus large, seule l’augmentation des salaires est mise en avant par le NPA :
Oui, tout augmente sauf les salaires, et les hausses du prix des carburants, des prix en général, nous rendent chaque jour la vie plus difficile. Pour augmenter les salaires de 300 euros et avoir un SMIC à 1700 euros, il faut prendre sur les profits des capitalistes et des multinationales. Nous demandons la gratuité des transports en commun. Une nouvelle organisation sociale est nécessaire, où nous n’aurions pas à nous serrer la ceinture pour mettre 10 litres de plus dans le réservoir de notre véhicule pour aller bosser pour des salaires de misère…
Le NPA propose qu’une grande mobilisation pour l’augmentation des salaires soit organisée par les syndicats, les associations, les partis du mouvement ouvrier. Nous le dirons également touTEs ensemble, dans la rue, par la grève, avec les enseignant·e·s le 12 novembre, avec les chômeurs/euses et les précaires le 1er décembre , et chaque jour, au coté des salarié·e·s en lutte pour leur condition de vie et de travail. Tract NPA du 6 novembre
Quelles peuvent être les raisons d’une telle omission, de la réticence à populariser cette vieille revendication du mouvement ouvrier ?
Un élément de réponse est la tendance de ces organisations à s’intégrer dans les appareils syndicaux et dans ce but de reprendre gentiment leurs mots d’ordres . Or le plus grand de ces appareils, la CGT, met en avant les augmentations de salaires, les taxes sur les profits, mais semble avoir abandonné la suppression des impôts indirects.
On lit par exemple : Principales propositions de la CGT (cf Pour un impôt plus juste et efficace :
Que faire concernant la revendication de l’abolition des impôts indirects ? C’est une de celles à propos desquels les rédacteurs du programme du Parti Ouvrier français déclaraient :
Ce qu’il faut, c’est que d’un bout de la France à l’autre les têtes pensantes de la classe ouvrière soient familiarisées avec l’oeuvre d’expropriation capitaliste et d’appropriation nationale qui leur incombera dans un avenir chaque jour plus proche, c’est qu’elles soient en même temps d’accord sur une première série de transformations à opérer immédiatement.
C’est à répandre ce programme que s’est consacré le Parti Ouvrier, qui n’est et ne peut être qu’une espèce de sergent instructeur et recruteur, recrutant et instruisant pas tous les moyens : propagande parlée (réunions et conférences), propagande écrite (livres et journaux), propagande agie (grèves, pétitions, scrutins,etc).
Ce programme de 1882 est d’une actualité brûlante !