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Un lecteur nous demande : Pourquoi vous, les communistes révolutionnaires de Voix des travailleurs, êtes-vous si peu nombreux ?

samedi 17 février 2018, par Robert Paris

Un lecteur nous a écrit : « Pourquoi ne convainquez-vous pas plus de gens ? Pourquoi y a-t-il des quantités de gens qui suivent les syndicats, les partis social-démocrates ou staliniens, les Insoumis ou les ATTAC, les Mélenchon, les Martinez ou les extrêmes gauches les plus opportunistes comme NPA, LO, POI ou AL et que vous n’avez pas une quantité de gens pour vous soutenir ? »

Je confirme d’abord le diagnostic de notre lecteur : nous ne sommes pas nombreux et ne sommes pas prêts de l’être dans l’immédiat… Et il y a pour cela des raisons de fond, et pas seulement de conjoncture ou d’opinion.

Tout d’abord, soulignons qu’il ne s’agit pas pour nous d’une question d’être plus convaincants que Mélenchon, Martinez, Hollande ou Paul Laurent. Les dirigeants réformistes, politiques, associatifs ou syndicaux, ne sont pas particulièrement convaincants et ceux qui les suivent ne sont pas non plus convaincus de grand-chose. S’ils les soutiennent, c’est parce qu’ils en attendent quelque chose et pas par un accord profond sur les idées ou sur le programme. La plupart des gens n’ont de nos jours vraiment confiance en personne et ne font qu’aller vers celui qui leur semble offrir une solution immédiate face à des attaques et à des ennemis déclarés.

Déjà, de ce point de vue, rien d’étonnant qu’ils ne se tournent pas vers nous : nous n’affirmons pas offrir une solution à la situation, nous ne proposons pas de moyen immédiat pour les tirer d’affaire : un bon gouvernant, une bonne forme d’organisation toute prête pour les défendre, une bonne négociation, une bonne réforme pour résoudre les problèmes du système capitaliste, de la branche, de l’entreprise ou du pays. Nous n’avons l’homme politique qu’il suffit d’élire, nous n’avons pas la bonne réforme qu’il suffit de soutenir, nous n’avons même pas les bonnes revendications qu’il n’y a qu’à réclamer nombreux dans la rue ou dans la grève. En fait, nous ne faisons que leur dire, au contraire, que tout cela n’est que mensonges et tromperies. Autant expliquer, à ceux qui veulent un bon tuyau pour jouer aux courses, que cela ne sert qu’à perdre son argent.

Ce ne sont pas les politiciens ou syndicalistes réformistes qui rendent les gens réformistes. Ce ne sont pas les politiciens qui rendent les gens électoralistes. Ce sont pas les discoureurs qui réussissent à faire croire aux gens dans la démocratie bourgeoise. Non, c’est la vie sociale qui parvient à ce « miracle ». C’est la situation sociale réelle des travailleurs qui les amène à l’idée qu’ils auraient besoin d’être sauvés, d’être protégés, d’être dirigés, d’avoir des bons gouvernants, et de réformer le système. Et ces réformistes leur disent ce qu’ils souhaitent entendre, à savoir qu’on va pouvoir obtenir ce que l’on veut sans tout changer, que l’on va faire reculer un gouvernement, ou un patron, que l’on va sauver les emplois, les salaires, les services publics, les aides sociales, simplement en manifestant notre mécontentement, sans se lancer dans une révolution sociale, sans renverser le système, sans changer le monde.

Parce que les travailleurs ne se croient pas capables de mener une action d’une telle ampleur. Parce qu’ils ne croient nullement être une classe capable de gouverner la société, de bâtir un nouveau monde, même si l’ancien monde est mort. Et il ne suffit certainement pas que quelques militants le leur disent pour qu’ils admettent être la classe la plus révolutionnaire de l’Histoire !!! Ils se voient plus volontiers contre la classe la plus volée, la plus trompée, la plus exploitée et la plus faible !

Parce qu’une telle pensée reflète davantage ce qu’ils vivent quotidiennement. Parce que la première caractéristique de la situation sociale des travailleurs, c’est leur dépendance des patrons et de l’Etat, pour l’emploi, pour le salaire, pour le logement, pour la santé, pour le transport, pour l’enseignement, pour tout… Et, dans tous ces domaines, dans tous les domaines de la vie sociale et politique, les travailleurs n’ont pas leur mot à dire, ne sont pas organisés pour dire quoi que ce soit de manière collective, ne déterminent pas le cours des événements, ne marquent pas les choix de la société ou n’ont pas l’impression de les marquer. Toute la vie sociale démontre sans cesse aux travailleurs qu’ils ne décident de rien, n’ont aucun pouvoir, ne font pas la politique, ne décident même pas pour ce qui concerne leur propre vie sociale, politique ou même syndicale.

Il ne suffit certes pas que quelques militants révolutionnaires clament dans les rues : « ouvrons nos bouches », « organisons-nous », « ne nous taisons plus » pour que cela se réalise. Ce n’est pas sur notre force de conviction que nous comptons pour que cela se réalise un jour. On ne fait pas rouler un train en le poussant. En somme, ce n’est pas le rôle des militants révolutionnaires de rendre révolutionnaires les travailleurs : ce sont les exploiteurs qui se chargeront de cela, dans des situations d’exception, de crise de la domination des classes possédantes, par leurs exactions, par leurs contradictions, par l’aggravation de leurs attaques, par les gestes politiques des gouvernants. En somme, ce n’est pas la propagande des révolutionnaires qui va se charger de rendre révolutionnaires les exploités : c’est la situation révolutionnaire historique qui le fera, comme elle l’a fait pour les exploités en 1789, en 1871, en 1905, en 1917 ou en 1936, pour ne citer que quelques exemples.

Le rôle des militants communistes révolutionnaires n’est pas de créer la situation révolutionnaire, n’est pas de pousser les travailleurs à la révolution, n’est même pas de pousser les travailleurs à l’auto-organisation, n’est toujours pas de pousser les travailleurs à bâtir le socialisme, en les amenant à penser qu’ils vont devoir supprimer la propriété privée des moyens de production. Ce rôle ne consiste pas à pousser les travailleurs. Encore une fois, les trains ne fonctionnent pas parce que quelqu’un les pousse mais parce qu’ils ont leur propre moteur ! Par contre, il ne suffit pas qu’un véhicule démarre, il faut qu’il soit dirigé, sinon il va direct dans le mur ! La classe ouvrière, si elle entre en lutte, qui plus est en lutte révolutionnaire, et qu’elle ne se dote pas d’une direction, va elle aussi direct dans le mur.

Certes, les réformistes et opportunistes de tous poils lui répètent à longueur de journée qu’on est battus parce qu’on n’est pas assez nombreux à lutter, mais c’est un pur mensonge ! On peut être des millions en lutte, en révolution, et être battus, si on ne connaît pas les lois de cette lutte, si on n’est pas armés de la science de la révolution, si on ne dispose pas d’une politique et si on ne s’est pas dotés des moyens organisationnels de la mettre en pratique, soviets comme partis révolutionnaires.

Il est normal qu’aujourd’hui, les gens qui se cherchent un avocat, un sauveur, un médecin, un berger, un faiseur de compromis social ou politique, ne se tournent pas vers nous. Il est normal que, pour le moment et en dehors de situations exceptionnelles, ceux qui veulent sauver « leur pays », sauver « leur entreprise », pour sauver « leur emploi » ne comptent pas sur les communistes révolutionnaires qui leur disent qu’ils n’ont pas de pays à défendre, pas d’entreprise à défendre, pas d’emploi qui leur appartienne, qu’ils n’ont que leurs chaînes à perdre et un monde à gagner.

Cela ne veut pas dire que nos militants soient plus inutiles, plus inefficaces dans les luttes quotidiennes que les bureaucrates syndicaux ou que les politiciens ! Pas du tout ! Nous ne nous détournons pas des luttes quotidiennes sous le prétexte que seule la lutte révolutionnaire changera véritablement la situation. C’est même, au contraire, les réformistes et opportunistes qui sont de très mauvais soutiens dans la vie quotidienne, du fait de tous les fils à la patte qui les lie à nos adversaires de classe, aux patrons et à l’Etat.

Par contre, même si les travailleurs font confiance localement à nos camarades, ils ne deviennent pas révolutionnaires ni communistes pour autant et ne le deviendront pas avant que la situation historique le permette. Cela ne dépendra pas d’abord du niveau des luttes mais d’abord du niveau de la crise de la domination capitaliste, et en premier de la crise économique.

Tant que les classes possédantes ne se seront pas révélées ouvertement être incapables de continuer à faire fonctionner le monde, les exploités ne se poseront pas non plus la question de les remplacer au pouvoir, à la tête de l’entreprise, de la vie sociale et de l’Etat. Tous nos discours ne pourraient parvenir à ce résultat mais la crise de la domination des classes possédantes le peut tout à fait.

A quoi sert, dans ces conditions, de défendre dès aujourd’hui le programme politique de la révolution communiste, puisque cela ne peut pas convaincre dans l’immédiat ? Voilà ce que nous dit notre lecteur ?

Eh bien, cela signifie que nous estimons devoir préparer l’avenir et pas seulement lutter pour des succès immédiats ! Et nous pensons que l’avenir n’appartient pas au capitalisme, ce système ayant atteint ses limites en 2007 et ne faisant, depuis 2008, que se survivre à coups de milliers de milliards de dollars de fonds publics.

Il est indispensable que le programme communiste révolutionnaire soit défendu, que l’auto-organisation des travailleurs par des comités, soient également défendus, car ce sont là les graines qui pourront germer demain quand la terre fertile pour de telles idées existera.

En attendant, notre rôle n’est pas de radicaliser la situation, n’est pas de pousser les réformistes à se radicaliser non plus, n’est pas de nous renforcer organisationnellement en pactisant avec les appareils réformistes, il consiste à développer des analyses, une politique, une vision historique capable d’éclairer le chemin, de donner un drapeau aux luttes à venir. Et même de petites minorités peuvent jouer un tel rôle.

Ce n’est pas le nombre, le succès public actuel, qui compte pour mesurer la validité des politiques proposées : c’est la validité de l’analyse de la situation, c’est la capacité à donner une boussole pour s’orienter dans les événements.

Renforcer la classe ouvrière aujourd’hui, ce n’est pas la pousser à suivre en nombre les dirigeants réformistes, ce n’est pas la pousser à la lutte, ce n’est même pas la pousser à la révolution. C’est développer la conscience de la situation historique extraordinairement nouvelle que nous vivons : celle où le capitalisme lui-même démontre qu’il a fait son temps et où la classe ouvrière doit encore se convaincre, au cours des événements, qu’elle ne fera pas l’économie de la lutte révolutionnaire, de la destruction de l’Etat capitaliste et du système d’exploitation mondial.

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