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Le marxisme et les tâches actuelles de la lutte de classe prolétarienne par Karl Korsch
samedi 4 novembre 2023, par
Avertissement : nous ne sommes pas partisans de l’ensemble des positions de l’auteur mais estimons cependant sa lecture d’un grand intérêt et mériter l’effort d’être critiquée. En particulier, nous sommes en désaccord avec ce qui suit. Selon les conceptions de Korsch, le marxisme ne constitue ni une philosophie matérialiste positiviste, ni une science positive. Toutes ses propositions sont spécifiques, historiques et concrètes, y compris celles qui ont l’apparence de l’universel. Même la philosophie dialectique de Hegel, dont la critique servit de point de départ à l’œuvre de Karl Marx, ne peut être correctement comprise que si on la relie à la révolution sociale et que si on la considère, non comme une philosophie de la révolution en général, mais seulement comme l’expression, dans le domaine des idées, de la révolution bourgeoise. Et comme telle, elle ne traduit pas le processus entier de cette révolution, mais seulement sa phase terminale, comme on peut le voir dans son accord avec les réalités immédiates.
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https://bataillesocialiste.files.wordpress.com/2007/04/korsch-la-guerre-et-la-revolution-1941.pdf
http://divergences.be/spip.php?article416
Le marxisme et les tâches actuelles de la lutte de classe prolétarienne par Karl Korsch
Laissons les morts enterrer leurs morts. Il faut qu’enfin la révolution prolétarienne arrive à son propre contenu, Marx.
On peut dire de Karl Marx ce que Geoffroy Saint-Hilaire a dit de Darwin : que ce fut son destin et sa gloire de n’avoir eu, avant lui, que des précurseurs et, après lui, que des disciples. Certes, Marx put compter sa vie durant sur un ami et collaborateur de même étoffe, Friedrich Engels. A la génération suivante, il y eut les coryphées théoriques des courants « révisionniste » et « réformiste » du parti marxiste allemand, Bernstein et Kautsky, et, outre ces pseudo-savants, des connaisseurs aussi avertis du marxisme qu’Antonio Labriola, l’Italien, que Georges Sorel en France et que le philosophe russe Plekhanov. Vint enfin la restauration en apparence intégrale des éléments révolutionnaires de la pensée marxienne, depuis longtemps tombés dans l’oubli, par Rosa Luxemburg en Allemagne et par Lénine en Russie.
Au cours de cette même période, dans le monde entier, des millions d’ouvriers firent du marxisme leur guide pour l’action pratique. Et les organisations de se succéder, formant une suite imposante : après la clandestine Ligue des communistes de 1848, puis l’Association internationale des travailleurs de 1864, ce fut l’essor à l’échelon national de puissants partis sociaux-démocrates, dont les maigres activités dans l’ordre international se trouvèrent finalement coordonnées par la IIe Internationale d’avant-guerre, appelée à connaître, après son effondrement, une résurrection à l’échelle mondiale sous la forme d’un Parti communiste militant.
Or, pendant tout ce temps-là, la théorie marxienne proprement dite, loin de se voir enrichie proportionnellement de l’intérieur, ne parvint pas à dépasser les fortes idées déjà présentes dans le premier schème de la science révolutionnaire nouvelle que Marx avait conçue.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, rares furent les marxistes qui soupçonnèrent seulement que quelque chose n’allait pas sur ce plan. Même lorsque les premières attaques des « révisionnistes » eurent provoqué ce qu’un sociologue bourgeois de gauche, le futur président de la République tchécoslovaque Th. G. Masaryk, appelait alors une « crise philosophique et scientifique du marxisme », les marxistes persistèrent à considérer que leur camp servait de théâtre à un conflit opposant une foi « orthodoxe » à une déplorable « hérésie », et rien d’autre. Ce que cette assimilation sommaire d’une doctrine établie avec la lutte révolutionnaire ouvrière avait d’idéologique, apparaît mieux encore dans le fait que les principaux représentants de l’orthodoxie marxiste de ce temps, dont Kautsky en Allemagne et Lénine en Russie, niaient obstinément qu’une conscience révolutionnaire authentique pût jamais s’engendrer chez les ouvriers eux-mêmes. Il fallait, selon eux, que les buts politiques révolutionnaires fus¬sent importés « du dehors » dans la lutte de classe économique des travailleurs, grâce aux efforts théoriques de penseurs bourgeois radicaux, « armés de toute la culture de l’époque », tels Lassalle, Marx et Engels. Moyennant quoi, l’identité d’une doc¬trine de souche bourgeoise et de la future lutte distinctement révolutionnaire du prolétariat prenait le caractère d’un véritable miracle. Les marxistes les plus à gauche, ceux-là mêmes qui se rapprochaient le plus de l’idée que la lutte de classe prolétarienne pouvait aller spontanément bien au-delà des buts restreints pour¬suivis par les bureaucraties dirigeantes des partis et des syndicats sociaux-démocrates, ne songèrent jamais à contester la réa¬lité de cette harmonie préétablie de la doctrine marxiste avec le mouvement prolétarien réel. C’est ainsi que Rosa Luxemburg déclarait en 1903, et que le bolchevik Riazanov répétait en 1928 : « Chaque phase nouvelle et supérieure de la lutte prolétarienne peut tirer de l’arsenal inépuisable de la théorie marxiste autant d’armes inédites que ce nouveau stade de la lutte émancipatrice de la classe ouvrière l’exige ».
II ne rentre pas dans le plan de cet article d’examiner à fond les aspects plus généraux de cette théorie des marxistes au sujet de l’origine et du développement de leur doctrine propre, théorie qui revient en dernier ressort à nier la possibilité d’une culture de classe prolétarienne indépendante. Nous n’y faisons allusion, dans le contexte présent, que comme à l’une des multiples contra¬dictions dont ceux qui, en visible contraste avec le principe matérialiste et critique de Marx, font du « marxisme » une doc¬trine parfaitement achevée et désormais immuable, sont contraints de s’accommoder.
Une autre difficulté, inhérente à cette attitude quasi religieuse envers le marxisme, vient du fait que la théorie de Marx ne fut jamais adoptée dans son ensemble par aucun groupe ou parti socialiste. Le marxisme « orthodoxe » ne fut en effet que l’attitude de pure forme au moyen de laquelle les milieux dirigeants du parti social-démocrate allemand d’avant-guerre se dissimulaient à eux-mêmes la détérioration constante de leur pratique révolutionnaire d’autrefois. Seule cette différence de procédé séparait la forme à façade « orthodoxe » de la forme révisionniste avouée, qui visait à adapter la doctrine marxienne traditionnelle aux « besoins » nouveaux du mouvement ouvrier issu des conditions changées, propres à la période nouvelle.
Lorsque, au milieu des tempêtes et des tensions de l’année 1917, en vue d’une « révolution prolétarienne internationale nettement en train de mûrir », Lénine se donna à tâche d’énoncer à nouveau la théorie marxienne de l’Etat et le rôle du prolétariat dans la révolution, il ne se soucia pas de défendre en idéologue une interprétation orthodoxe présumée établie de la vraie théorie marxiste. Loin de là, il devait poser en prémisse que le marxisme révolutionnaire avait été totalement détruit et abandonné tant par la minorité opportuniste que par la majorité carrément sociale-chauvine de tous les partis et syndicats « marxistes » de la défunte IIe Internationale. Annonçant publiquement que le marxisme était mort, il proclama la nécessité d’une restauration intégrale du marxisme révolutionnaire.
Il est indéniable que ce marxisme révolutionnaire, ainsi restauré par Lénine, a valu sa première victoire historique à la classe prolétarienne. C’est là un fait, et sur lequel il faut insister, face aux détracteurs pseudo-marxistes du communisme barbare des bolcheviks, comme face au socialisme « distingué » et « cultivé » d’Occident. Mais il faut aussi en faire autant face aux bénéficiaires actuels de la victoire des ouvriers russes, ces dirigeants passés par étapes du marxisme révolutionnaire du début au credo, non plus communiste mais simplement « socialiste » et démocratique, qui a nom stalinisme. On a vu de la même manière une coalition purement « antifasciste » de fronts uniques, fronts populaires et fronts nationaux venir par étapes remplacer la lutte de classe révolutionnaire menée par le prolétariat contre le régime économique et politique tout entier de la bourgeoisie, et cela à l’échelle internationale, dans les Etats « démocratiques » et dans les Etats fascistes, dans les Etats « prorusses » et dans les Etats antirusses.
Face à ces prolongements de l’œuvre de Lénine, il n’est plus possible d’admettre que les principes restaurés du marxisme, dont Lénine et Trotsky s’instituèrent les défenseurs pendant la guerre et l’immédiat après-guerre, ont entraîné une authentique résurrection du mouvement révolutionnaire prolétarien, auquel, dans le passé, avait été associé le nom de Marx. Certes, tout sembla indiquer pendant quelque temps que le véritable esprit du marxisme révolutionnaire s’était implanté à l’Est. On tenait les contradictions visibles, qui ne tardèrent pas à caractériser les options économiques et politiques du parti dirigeant l’Union soviétique, pour une conséquence, sans plus, du triste fait que la « révolution prolétarienne internationale », si fermement espérée par Lénine et Trotsky, ne mûrissait pas. Pourtant, à la lumière de ce qu’il s’ensuivit, on ne saurait douter que le marxisme soviétique, en tant que théorie et que pratique révolutionnaire du prolétariat, a fini par partager le sort de ce marxisme « orthodoxe » d’Occident dont il était issu, et avec lequel il n’avait fait scission qu’en raison des conditions exceptionnelles de la guerre en Russie et de l’explosion révolutionnaire subséquente. Lorsqu’en définitive le national-socialisme contre-révolutionnaire triompha sans coup férir, en 1933, dans la place forte traditionnelle du socialisme international, il devint manifeste que le jugement « le marxisme a failli à la tâche » concernait le communisme de l’Est tout autant que l’Eglise sociale-démocrate occidentale de rite marxiste, et les frères séparés se virent enfin réunis dans une commune défaite.
A dessein de rendre intelligible la signification réelle et les effets incalculables de cette leçon, d’une importance suprême, de l’histoire récente du marxisme, nous allons nous arrêter sur le caractère duel de la dictature révolutionnaire du prolétariat que les événements viennent de mettre si largement en évidence, au sein de la Russie stalinienne comme à l’échelle internationale. Double caractère qu’on retrouve dans la dualité inhérente, dès l’origine, aux agissements de Marx, en sa qualité tant de théoricien prolétaire que de leader politique du mouvement révolutionnaire de son temps. D’une part, on le vit dès 1843 s’intéresser de près aux manifestations les plus avancées du socialisme et communisme français. En 1847, avec Engels, il fonda l’Association des ouvriers allemands de Bruxelles et entreprit de mettre sur pied un réseau international de comités de correspondance prolétariens. Peu de temps après, les deux hommes s’affilièrent à la Ligue des communistes et, à la demande de ses membres, rédigèrent le célèbre Manifeste proclamant le prolétariat « seule classe révolutionnaire ».
D’autre part, Marx, rédacteur en chef de la Nouvelle Gazette rhénane pendant l’explosion révolutionnaire de 1848, exprima avant tout les revendications les plus radicales de la démocratie bourgeoise. Il s’efforça de maintenir un front unique entre le mouvement révolutionnaire bourgeois d’Allemagne et les formes plus évoluées sous lesquelles, dès cette époque, une lutte pour des objectifs immédiatement socialistes se poursuivait dans les pays industriels les plus développés d’Occident. Son article le plus brillant et vigoureux, il l’écrivit pour exalter le prolétariat pari¬sien, après l’écrasante défaite de juin 1848. Mais Marx n’émit publiquement les revendications spécifiques du prolétariat allemand que quelques semaines avant que la contre-révolution victorieuse de 1849 eût prononcé l’interdiction définitive de son journal. Même à ce moment-là, il posa la question ouvrière d’une manière quelque peu abstraite en reproduisant dans la Nouvelle Gazette rhénane les causeries sur le thème Travail salarié et Capital qu’il avait faites deux ans plus tôt à l’Association des ouvriers de Bruxelles. De la même manière, dans les articles qu’il écrivait pendant les années 1850 et 1860 pour le New York Tribune de Horace Greeley, la New American Cyclopaedia publiée par Charles Dana, des organes chartistes d’Angleterre et divers journaux d’Allemagne et d’Autriche, Marx se fit l’interprète d’une politique de gauche qui, espérait-il, finirait par entraîner une guerre de l’Occident démocratique contre la réactionnaire Russie tsariste.
On trouvera une explication de cet évident dualisme dans le modèle jacobin de la doctrine révolutionnaire adoptée par Marx et Engels avant la révolution de février 1848, et à laquelle ils restèrent fidèles, dans l’ensemble, même après que le dénouement de cette révolution eut ruiné leurs enthousiastes espérances de naguère. Certes, la nécessité d’adapter la tactique à des conditions changées ne leur échappait nullement, mais il n’empêche que leur théorie de la révolution, même sous la forme matérialiste plus achevée qu’ils lui donnèrent ensuite, conserva le caractère particulier de la période transitoire pendant laquelle le prolétariat se voyait encore contraint de poursuivre la lutte pour son émancipation sociale propre en passant par le stade intermédiaire d’une révolution à dominante politique.
Il est vrai que Marx devait par la suite accorder une importance toujours plus grande aux effets politiques révolutionnaires de la guerre économique menée par les syndicats et autres formes de défense des intérêts immédiats et spécifiques des ouvriers : témoin le rôle d’organisateur et de dirigeant qu’il assuma, dans les années 1860, au sein de l’Association internationale des travailleurs, et la part qu’il prit, pendant la décennie suivante, à l’élaboration du programme et de la tactique de divers partis nationaux. Mais il est tout aussi vrai, et la lutte impitoyable que les marxistes livrèrent dans le cadre de l’Internationale contre les disciples de Proudhon et de Bakounine le montre éloquemment, que Marx et Engels n’abandonnèrent jamais réelle¬ment leurs conceptions antérieures sur l’importance décisive de la politique, tenue pour la seule forme consciente et pleinement développée de l’action de classe révolutionnaire. Il n’y a qu’une différence de vocabulaire entre l’enrôlement circonspect de l’ « action politique », subordonnée comme moyen au but final de « l’émancipation économique de la classe ouvrière », que comportent les statuts de l’AIT de 1864, et la proclamation sans équivoque, dans le Manifeste communiste de 1848, que « toute lutte de classes est une lutte politique » et que la « constitution des prolétaires en classe » présuppose leur « constitution en parti politique ». Ainsi donc, Marx, d’un bout à l’autre de sa carrière, définit son concept de classe en termes fondamentalement poli¬tiques et, en fait sinon toujours en paroles, subordonna les multiples activités exercées par les masses dans leur lutte de classe quotidienne aux activités exercées en leur nom par leurs dirigeants politiques.
Cette option devait s’affirmer plus distinctement encore lors des rares et extraordinaires occasions où Marx et Engels, au cours de leurs dernières années, se virent appelés à traiter de nouveau de tentatives réelles de révolution européenne. Témoin la réaction de Marx à la Commune révolutionnaire des ouvriers parisiens de 1871. Témoin aussi l’attitude positive et visiblement contradictoire que Marx et Engels adoptèrent à l’égard du projet parfaitement idéaliste de la Narodndia Volia, visant à déclencher par des menées terroristes « une révolution politique et donc une révolution sociale » dans les conditions arriérées propres à la Russie tsariste des années 1870 et 1880. Ainsi qu’il a été montré en détail dans un article précédent, Marx et Engels ne se bornaient pas à penser que la toute proche explosion révolutionnaire en Russie donnerait le signal d’une révolution générale en Europe, et d’une révolution de type jacobin dans le cadre de laquelle « si l’année 1789 se fait jour, l’année 1793 arrivera sûre¬ment » (comme Engels l’écrivait en 1885 à Vera Zassoulitch). Ils saluaient décidément dans la révolution russe et paneuropéenne une révolution ouvrière, point de départ d’un développement communiste.
Rien ne justifie par conséquent la thèse des mencheviks et des adeptes d’autres écoles se rattachant à l’orthodoxie marxiste occidentale de type traditionnel, selon laquelle le marxisme de Lénine n’était en fait qu’un retour à une forme première du marxisme de Marx, à laquelle ce dernier avait substitué par la suite une forme plus mûre et plus matérialiste. Il est indiscutable que la similitude même que la situation historique qui se mettait en place dans la Russie du début du XXe siècle offre avec les conditions prédominant en Allemagne, Autriche, etc., à la veille de la révolution européenne de 1848, rend compte du fait, incompréhensible autrement, qu’on ait pu se représenter vraiment la phase la plus récente du mouvement révolutionnaire de notre temps sous la forme paradoxale d’un retour idéologique au passé. Néanmoins, comme nous l’avons exposé ci-dessus, le marxisme révolutionnaire « restauré » par Lénine restait bien plus conforme, dans son contenu purement théorique, à l’esprit véritable de toutes les phases historiques de la doctrine marxienne que le marxisme social-démocrate de la période précédente, lequel, malgré l’ « orthodoxie » qu’il se targuait hautement de professer, ne fut jamais rien d’autre qu’une forme mutilée et travestie de la théorie marxienne, vulgarisant le contenu réel de celle-ci et l’édulcorant dans son principe. C’est pour cette raison même que l’expérience de Lénine « restaurant » le marxisme révolutionnaire devait démontrer on ne peut plus clairement l’absolue vanité de tout essai de tirer la théorie de l’action révolutionnaire de la classe ouvrière, non de son contenu propre, mais d’un « mythe ». Par¬dessus tout, elle a démontré, cette expérience, la perversité idéologique de l’idée de suppléer les déficiences présentes de l’action par un retour imaginaire à un passé mythifié. Alors que pareille réactivation d’une idéologie morte a pu, par exemple, masquer un certain temps aux artisans de 1′ « Octobre » révolutionnaire les limitations historiques de leurs héroïques efforts, elle conduit immanquablement en fin de compte non pas à retrouver l’esprit du mouvement précédent, mais seulement à évoquer de nouveau son spectre. De nos jours, elle a abouti à une forme nouvelle et « marxiste révolutionnaire » de répression et d’exploitation de la classe prolétarienne en Russie soviétique, autant qu’à une forme non moins nouvelle et « marxiste révolutionnaire » d’écrasement d’authentiques mouvements révolutionnaires en Espagne et partout dans le monde.
Tout cela prouve à l’évidence qu’on ne peut aujourd’hui « restaurer » le marxisme dans sa forme originaire sans le transformer du même coup en idéologie pure remplissant un but absolument différent, voire toute une gamme de buts politiques variables. Ainsi cette idéologie sert-elle en ce moment même à camoufler l’abaissement du rôle prépondérant réservé jusqu’à présent au parti dirigeant et le renforcement du pouvoir personnel, de type voisin du fascisme, exercé par Staline et par ses sous-ordres à l’échiné souple. Simultanément, sur le plan international, la politique dite antifasciste du Komintern « marxiste » en arrive à jouer, dans les luttes actuelles entre les diverses coalitions de puissances capitalistes, exactement le même rôle que son contraire, la politique étrangère des régimes de Hitler, de Mussolini et des chefs de guerre japonais.
Soulignons avec force que toute la critique émise ci-dessus concerne exclusivement les efforts idéologiques entrepris ces cin¬quante dernières années pour « préserver » ou « restaurer », en vue d’une mise en œuvre immédiate, une « doctrine marxiste révolutionnaire » complètement mythifiée. Rien dans cet article ne vise les résultats scientifiques obtenus par Marx et Engels, et par quelques-uns de leurs disciples, dans divers champs de recherche sociale. Par-dessus tout, rien dans cet article ne vise ce qu’on peut appeler, dans un sens très large, le mouvement marxiste, c’est-à-dire le mouvement révolutionnaire indépendant de la classe ouvrière. Pour déceler ce qui reste vivant ou peut être rappelé à la vie au stade présent de point mort que connaît le mouvement ouvrier révolutionnaire, il serait bon de « revenir » à cette ouverture d’esprit — pratique et pas simplement idéologique — qui amena la première Association internationale des travailleurs marxiste (en même temps que proudhonienne, blanquiste, bakouninienne, syndicaliste, etc.) à faire place dans ses rangs à tous les ouvriers souscrivant au principe de la lutte de classe indépendante du prolétariat. Principe énoncé en ces termes, à la première ligne de ses statuts, élaborés par Marx : « L’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. »