"La lutte des classes existe, et c’est la mienne qui est en train de la remporter"
(Warren Buffet, milliardaire américain)
Tout doit concourir à étayer l’idée que les États-Unis sont une société sans classes. La bourgeoisie a déployé des moyens considérables pour étouffer toute émergence d’une conscience de classe et pour accréditer le mythe d’une société démocratique et égalitaire. Elle a gardé en mémoire ce que pouvait donner la puissance collective des travailleurs au cours des années trente et quarante notamment. Elle n’a jamais pu cacher qu’il y avait des « riches » et des « pauvres ». Les journalistes peuvent même enquêter sur ces deux catégories et exhiber des traits spectaculaires concernant les très riches ou les très pauvres. Sur le front idéologique, cela n’a rien de très gênant et ne peut pas déstabiliser le système. Il est toujours possible de montrer une poignée de pauvres qui sont parvenus à s’enrichir. Quant aux pauvres déclassés qui ne sont pas contents de leur sort, le système dans son ensemble est assez rôdé pour les évacuer dans la catégorie des délinquants réels ou supposés. Les autorités ont ainsi emprisonné 2 % de la population active. Une partie des prisonniers travaille pour un salaire situé entre 25 cents et 1,15 dollar de l’heure ! (un dollar équivaut environ à un euro). À ce prix-là, la concurrence est vive entre les entreprises pour passer des contrats avec les organismes liés aux prisons fédérales ou à celles des États. Les Afro-Américains, en particuliers jeunes, sont sur-représentés dans les prisons et dans les circuits de la justice criminelle. Le pouvoir instaure ainsi dans les faits et dans les esprits des « citoyens respectables » (sous-entendus blancs), une frontière à la fois sociale et raciale avec la population des ghettos, la plus pauvre et la plus méprisée 4. Qui a construit l’Amérique ?
L’histoire des États-Unis est celle de nombreuses luttes sociales qui ont pris souvent un caractère grandiose. Les révoltes des esclaves noirs et la guerre de Sécession au XIXe siècle, le mouvement pour les droits civiques des années 1950-1970, les luttes radicales des Noirs pour leur émancipation, celles des étudiants contre la guerre du Vietnam ont contribué au progrès d’ensemble de la société américaine, même si la bourgeoisie en a été la principale bénéficiaire. Les luttes puissantes de la classe ouvrière américaine depuis ses origines ont contribué fondamentalement à façonner les États-Unis dans un sens progressiste et démocratique ; et cela de façon quasi ininterrompue depuis 140 ans 5.
Ce pays, qui comme le disait l’écrivain Herman Melville est plus un monde qu’une nation, est ainsi devenu un espace et une société attractifs pour des millions de personnes venues de tous les continents. Le dynamisme et la créativité artistique, technologique et scientifique des États-Unis proviennent de ce qu’ils sont un pays d’immigrés, de travailleurs, qui ont déployé leur énergie dans toutes les directions. Pas de gratte-ciel, pas de jazz, pas de cinéma, pas d’hommes marchant sur la lune, sans eux. Pas une seule conquête sociale qui n’ait été arrachée par eux de haute lutte. Ce sont eux qui ont construit l’Amérique 6.
Il est symptomatique de la conscience de classe de la bourgeoisie américaine ou au moins de son instinct de classe, qu’elle ait toujours déployé les grands moyens pour que son prolétariat soit invisible et muet, pour que l’histoire de ses luttes s’efface de la mémoire des travailleurs et des jeunes générations. Il est très significatif que les États-Unis soit le seul pays au monde où le 1er mai n’est pas commémoré par des manifestations. Le 1er mai avait été précisément choisi par le mouvement international en l’honneur des huit travailleurs pendus à la suite de violents affrontements avec la police à Haymarket le 4 mai 1886 à Chicago. Richesse insoupçonnée du mouvement ouvrier
Le prolétariat américain est comme un géant qui malgré les coups très sévères qu’il a toujours reçu s’est souvent redressé de façon inattendue, comme une force menaçante. Le fait que de nombreuses grèves se soient accompagnées, à n’importe quelle époque, du recours aux briseurs de grève et d’une répression sanglante, où bien souvent plusieurs grévistes trouvaient la mort, n’a jamais en soi provoqué des reculs de longue durée. Ce sont bien davantage le poids des bureaucraties syndicales, leurs trahisons, le rôle du stalinisme et les faiblesses internes au mouvement ouvrier qui l’ont amené à marquer le pas à plusieurs reprises.
Vu de ce côté-ci de l’Atlantique, il est difficile de soupçonner ce qu’a été la richesse en expériences et en héroïsme du mouvement américain. Il est a fortiori impossible d’évaluer ce qui s’est transmis jusqu’à aujourd’hui de ces expériences exaltantes mais aussi amères. On dispose en français du magnifique témoignage d’une des pionnières du mouvement ouvrier à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, Mary Jones, plus connu sous le nom de Mother Jones 7. Le mouvement des Industrial Workers of the World (IWW) est nécessairement mal connu, faute de traductions en français des autobiographies et témoignages d’un certain nombres de militants des IWW, les Wobblies 8. Ces militants syndicaux étaient des révolutionnaires internationalistes. Leur mouvement existait également au Mexique et au Chili. Ils furent des organisateurs hors pair de grandes grèves, de syndicats ouverts à tous, hommes et femmes, ouvriers sans qualification, Noirs et Blancs, immigrés de fraîche date. Le mouvement des Wobblies a pratiquement disparu au cours des années trente en se fondant dans le grand mouvement du CIO. Ce que ces militants ont accompli ne peut qu’inspirer encore aujourd’hui tous ceux qui se préoccupent concrètement, aux États-Unis ou ailleurs, d’intervenir au sein de la classe ouvrière avec un projet de transformation de la société, révolutionnaire et internationaliste.
Le mouvement ouvrier américain acquis un caractère très offensif quelques années après la crise de 1929 au travers de trois grandes grèves en 1934, celle d’Auto-Lite à Toledo, des camionneurs à Minneapolis et des marins et dockers de San Francisco. Là encore les témoignages des acteurs même de ces luttes abondent en américain 9. Mais le caractère massif de ce mouvement a surgi avec les grèves avec occupation de 1937 qui selon Art Preis concernèrent 1 million 861 000 travailleurs [Labor’s Giant Step, twenty years of the CIO, Pathfinder, NY, 1982]. Il est moins connu que des grèves éclatèrent aux États-Unis pendant la Seconde guerre mondiale et que 3 millions 470 000 travailleurs firent grève en 1945 et 4 millions 600 000 en 1946 ! Ces deux années d’après-guerre connurent aussi des manifestations de soldats américains à Manille, à Guam et à Paris exigeant leur démobilisation.
Mais autant la classe ouvrière avait gagné en force dans les grèves, autant ses potentialités politiques allaient s’étioler et presque disparaître au cours de la Guerre froide. La perspective de faire émerger un Labor Party, un parti des travailleurs autonome s’est présenté à plusieurs reprises au XXe siècle mais a toujours été gâchée par les manœuvres des staliniens et des bureaucrates syndicaux liés au Parti démocrate. Les années du maccarthysme furent des années de guerre contre tous les militants ouvriers radicaux. Les communistes ou réputés tels furent éliminés de la direction des syndicats, le plus souvent licenciés et mis sur une liste noire.
Une relève politique sur une échelle assez vaste et sur la base des idées d’émancipation des travailleurs n’a pas encore pu voir le jour. Mais c’est à partir de l’étude fouillée de cette histoire, évoquée ici trop rapidement, que le prolétariat en écrira une nouvelle page. Avec une nouvelle génération militante s’inspirant du meilleur des expériences passées.
Sur le terrain strictement revendicatif, un recul important de la classe ouvrière s’est produit depuis les deux dernières décennies. On peut dater ce recul à partir des concessions (salariales en particulier) imposées aux travailleurs de Chrysler en 1979 et 1980 sous la présidence de Carter et surtout à partir de 1981 avec le licenciement par Reagan de 11 500 contrôleurs aériens en grève. Depuis des luttes de grande ampleur ont éclaté, comme la grève chez Caterpillar qui dura 205 jours en 1982-1983, mais elles n’ont pas permis de reconquérir le terrain perdu. Retour sur une « révolte sociale hybride »
En 1991, Georges Bush senior avait déclaré devant un parterre d’étudiants de l’Université du Michigan : « Nous sommes devenus le système le plus égalitaire de l’histoire et l’un des plus harmonieux. » Quelques mois plus tard, le 29 avril 1992, une émeute éclatait à Los Angeles à la suite de l’acquittement de policiers ayant matraqué sauvagement un conducteur noir en infraction... Elle dura une semaine. Des supermarchés furent pillés par des pauvres de toutes origines. Des commerçants coréens furent massacrés par des émeutiers noirs. La répression policière fut particulièrement féroce. Cette émeute qui fut une des plus terribles de l’histoire des États-Unis fit 58 morts et 2 300 blessés. Ce n’est pas le genre d’événement dont les autorités américaines ont eu envie de fêter le dixième anniversaire ! D’autant plus que des confrontations de ce type peuvent à nouveau éclater dans l’avenir dans les grandes mégalopoles du pays, sous la pression explosive de la misère, du racisme et de diverses autres formes d’exclusion sociale.
L’émeute de Los Angeles du printemps 1992 fut, selon l’expression du sociologue critique Mike Davis, une « révolte sociale hybride » exprimant des colères différentes et des processus sociaux différents. Il y distinguait trois éléments majeurs : « D’abord une dimension démocratique-révolutionnaire qui la relie aux insurrections des années soixante. Ensuite, un élément de rivalité interethnique qui l’a fait parfois ressembler à un pogrom. Enfin ce fut la première émeute postmoderne pour le pain, c’est-à-dire un soulèvement multiethnique des pauvres de la ville. » 10.
La lutte de classe peut prendre des formes complexes et être dévoyée par la police et par des éléments déclassés. Mais la trêve survenue entre les deux gangs, les Bloods et les Crips, montrait aussi que l’autodestruction d’une jeunesse à qui on n’a laissé qu’une possibilité de survivre, à savoir le commerce de la drogue, n’avait rien d’inéluctable.
Les expériences déformées ou inachevées de la lutte de classe ne disparaissent pas de la mémoire des protagonistes. L’épisode sanglant de Los Angeles reliait en lui quelques ingrédients qui ne manqueront pas à nouveau de surgir à l’occasion d’une injustice flagrante ou d’une autre. Mais personne ne peut prédire ce qu’il ressortira des futures révoltes urbaines. La seule certitude est que la grande bourgeoisie se prépare minutieusement à un état de guerre civile en renforçant la répression policière et son arsenal judiciaire, en dressant les unes contre les autres les différentes composantes de la population et surtout en atomisant et en affaiblissant au maximum la classe des salariés. L’offensive de la bourgeoisie américaine contre son propre prolétariat
Le prolétariat américain, plus qu’un autre si cela est possible, est une classe inexistante sur la scène médiatique et politique. Il n’empêche que cette classe a été l’objet d’attentions toutes particulières de la part des forces du grand capital.
La réalité première de la lutte de classes aux États-Unis depuis vingt-cinq ans, est la puissance et la cohérence de l’offensive menée par la classe dirigeante contre celle des travailleurs. En 2001, le sociologue américain Rick Fantasia a pu intituler une étude sur cette offensive, de façon significative et sans exagération : « La Dictature sur le prolétariat » 11. Cette étude montre en particulier comment les patrons ont loué à des taux exorbitants toute une armée de sociétés de conseils pour éradiquer un maximum de syndicats et pour les aider à remplacer les travailleurs en grève : « À la fin des années 1970 on assiste, dans l’industrie américaine, à une offensive brutale sur deux fronts simultanément : une bataille féroce pour désyndicaliser les lieux de travail là où les syndicats étaient déjà en place et une lutte acharnée pour contester les droits des salariés à créer des syndicats dans les entreprises et les industries où ils n’existaient pas. » Cette offensive profonde et de longue durée a été victorieuse. Elle explique avant tout autre facteur les prétendus miracles réalisés par « la croissance de l’économie américaine » au cours des années quatre-vingt dix.
La suppression d’un syndicat dans une entreprise a eu trois effets bénéfiques pour l’employeur : 1) les défenses des travailleurs sont considérablement affaiblies et les grèves ont encore plus facilement un caractère illégal, 2) les patrons n’ont plus à supporter le coût et les inconvénients liés à l’existence de contrats et à leur renégociation. L’exploitation de la main d’œuvre devient sans limites, 3) une entreprise dépourvue de syndicats attire plus facilement les investissements qu’une autre où ils ont une forte existence. Partant de là les droits des travailleurs disparaissent pour faire place à ceux des consommateurs.
Nous n’allons pas énumérer ici l’ensemble des attaques qui, depuis la présidence de Jimmy Carter jusqu’à celle de Bush junior en passant par celles de Reagan, Bush senior et Bill Clinton, ont accompagné l’offensive patronale au niveau de l’État fédéral. Le démocrate Carter a inauguré en 1977 la première réforme fiscale régressive au profit des plus riches et le gel des dépenses sociales. Les autres ont suivi. Le républicain Reagan a préparé le démantèlement de l’aide sociale et c’est le démocrate Clinton qui l’a réalisé en 1996. Dans son principe, sa « réforme » a contraint n’importe quel personne à accepter n’importe quel travail. Dans tous les autres domaines concernant les classes populaires, notamment les retraites, les indemnités chômage, le coût des soins médicaux ou des frais de scolarité, tous les acquis et garanties des travailleurs ont été progressivement détruits. Dans un ouvrage qui vient de paraître intitulé « Les dégâts du libéralisme, États-Unis : une société de marché » 12, Isabelle Richet donne un tableau précis, complet et particulièrement édifiant de toutes ces attaques. Elles ont été concoctées par des « boîtes à penser » réactionnaires (les think tanks) payées par les grandes entreprises telles que la Heritage Foundation, le Cato Institute, le Manhattan Institute, le Hoover Institute, l’American Enterprise Institute. Leurs campagnes préparatoires dans les médias se sont terminés par l’adoption de leurs propositions par des « élus » payés eux-mêmes par les grandes entreprises. La synergie entre les rouages de la grande démocratie impérialiste a été parfaite dans toute cette période, y compris les simagrées de désaccords entre républicains et démocrates se concluant par un « compromis » totalement en défaveur des salariés et des chômeurs.
Le « big business » a ramassé la mise. Avec une main d’œuvre de plus en plus flexible, précarisée, dénuée de filet de protection, il était possible pour les capitalistes de redresser sensiblement leurs taux de profit. Les progrès technologiques ont été associés à des formes d’exploitation classiques et même archaïques. Le taylorisme n’a jamais connu une telle extension dans l’ensemble des secteurs industriels et dans les services.
Le succès des « libres » entreprises concurrentes de la high tech dans la Silicon Valley a reposé sur les investissements massifs de l’Etat en matière de financement de la recherche et de l’enseignement, et de l’achat de leurs produits 13. L’autre pilier de cette success story a été l’emploi à grande échelle d’une main d’œuvre très mal payée, peu qualifiée, subissant des rythmes de travail extrêmement rapides et devant respirer des produits très toxiques.
L’essor des chaînes de fast food correspond à l’entrée massive des femmes dans la sphère du salariat au cours des années soixante-dix. Leur travail était indispensable pour compenser la perte de pouvoir d’achat de leur foyer et ne leur laissait plus la possibilité de préparer tous les repas pour la famille. Une entreprise comme Mc Donald’s s’est engouffrée dans la brèche en proposant une nourriture standardisée, servie rapidement et à un prix relativement bas. L’uniformité des produits et la rationalisation du processus de production ont été, en plus, garantie par le système des établissements sous franchises. Pour dégager le maximum de profits, Mc Donald’s eut recours, comme ensuite toutes les autres chaînes de fast food, à une main d’œuvre susceptible d’être formée en un temps record et d’être licenciée encore plus rapidement. Nombre d’entre eux sont des jeunes ayant seulement entre quatorze et dix-sept ans, ce que la loi autorise depuis les années soixante-dix. (Entre dix et treize ans, il faut l’autorisation des parents). La réussite fulgurante de Mc Donald’s aux États-Unis repose en grande partie sur le fait que 80% de la main d’œuvre est à temps partiel et que 100 % est non-syndiquée. On sait avec quelle détermination, cette firme s’efforce d’exporter son « modèle social » dans ses établissements du monde entier. Les faits ci-dessus proviennent d’une enquête passionnante du journaliste américain Eric Schlosser, intitulée « Fast Food Nation » 14. Ce qu’il décrit en amont de la chaîne concernant les conditions de travail et d’hygiène dans les abattoirs et les usines de conditionnement de la viande, est aussi terrifiant que le tableau donné par l’écrivain Upton Sinclair dans son roman « La Jungle » au début du vingtième siècle sur l’industrie de la viande à Chicago. Dans les usines et les abattoirs actuels, la main d’œuvre est en majorité d’origine latino. Les bras et doigts coupés sont très fréquents. Des dizaines de travailleurs sont aussi décapités ou broyés par les machines.
Les formes d’exploitation les plus odieuses prolifèrent également dans le secteur de l’habillement dans les dizaines de milliers de sweatshops (les ateliers de la sueur) installés au cœur des grandes villes américaines. Ces sweatshops n’ont rien de nouveau. De fait, Friedrich Engels les avait déjà décrits en 1845 dans « La situation des classes laborieuses en Angleterre ». En 2002 ils contribuent largement à la croissance des profits de grandes marques telles que Gap, Nike ou Donna Karan. Les luttes des salariés, l’Etat et la bureaucratie syndicale
Toutes ces agressions patronales et étatiques n’ont pas été laissées sans réponse par les salariés. Mais les statistiques indiquent à l’évidence que le rapport des forces n’a cessé de se dégrader en leur défaveur. Il n’y a plus que 13,5 % de syndiqués en moyenne à l’échelle du pays, soit une diminution de 20 % en vingt ans. Dans le secteur privé, les syndiqués ne sont que 9 %. Dans le secteur de l’agriculture, ils ne sont que 2%. Les statistiques officielles des grèves ne prennent en compte que celles impliquant plus de 1000 salariés. Sur cette base là, elles sont dix fois moins nombreuses aujourd’hui qu’il y a trente ans. Il y en eu 424 en 1974, 187 en 1980 et seulement 29 en 2001.
Les travailleurs n’ont pas eu seulement affaire à la collusion entre appareil d’État, les patrons et les officines spécialisées pour briser les grèves. Ils ont eu systématiquement contre eux les bureaucrates syndicaux. Les efforts pour constituer des équipes syndicales de rechange, combatives et indépendantes de la bureaucratie et de la mafia ont été nombreux. Mais ces efforts militants ne sont pas parvenus, sauf dans des combats sectoriels, locaux ou régionaux, à modifier la donne générale.
La plus grande grève qui a marqué la dernière décennie, a éclaté au cours de l’été 1997. Elle a concerné les 185 000 travailleurs de l’UPS (United Parcel Service), le géant de la distribution des paquets à domicile. L’analyse de ce mouvement a été faite à chaud par Charles-André Udry dans son article paru dans Carré rouge n°6, « The Workers are back » « Les travailleurs sont de retour ».
Cette grève fut organisée par le syndicat des Transports, l’International Brotherhood of Teamsters. Elle fut le mouvement le plus puissant visant à remettre en cause chez UPS le travail temporaire et les emplois à temps partiels pour obtenir de « bons emplois ». La grève qui avait bénéficié d’une grande popularité dans le pays fut en partie victorieuse. Mais les travailleurs d’UPS ne purent transformer l’essai en raison des manœuvres de l’État, en complicité avec des bureaucrates des Teamsters. Ils voulaient se débarrasser du leader des Teamsters, Don Carey et contrer l’influence de la tendance de gauche du syndicat, la TDU (Teamster for a Democratic Union). Carey, qui avait été élu en 1996, fut invalidé et interdit de se représenter par le Ministère de la Justice. La décision intervint comme par hasard trois jours après la fin victorieuse de la grève ! James Hoffa junior put ainsi s’emparer de la direction des Teamsters au grand soulagement du patronat des transports.
La bureaucratie syndicale américaine fait équipe avec le Parti démocrate depuis les années trente. L’AFL-CIO est un des gros contributeurs aux campagnes de ce parti. En dépit des attaques de Clinton pendant huit ans contre les classes populaires, l’AFL-CIO a versé 46 millions de dollars à Al Gore pour sa campagne en 2000. Cette cotisation syndicale aux ennemis de la classe ouvrière avait été augmentée de dix millions par rapport à celle de 1996.
L’obstacle de la bureaucratie de l’AFL-CIO est considérable, d’autant plus que cet appareil épouse le plus souvent les vues du patronat en matière de protectionnisme des produits « made in United States » ou contre l’intrusion de la main d’œuvre immigrée. Sur ce terrain l’AFL-CIO a en partie évoluée sous la pression de grèves d’ouvriers agricoles organisés dans l’United Farm Workers ou des mobilisations des janitors, notamment en Californie 15. La bureaucratie syndicale s’est aperçue qu’il lui serait bénéfique d’accompagner le mouvement de syndicalisation des immigrés pour renflouer les effectifs et les caisses, et pour reprendre de l’influence au sein de la classe ouvrière.
Face à l’ensemble des obstacles auxquels sont confrontés les travailleurs, il est d’autant plus frappant de constater leur détermination dans un certain nombre de grèves particulièrement difficile à mener. Un exemple en donnera une idée. Fin novembre et début décembre 2001, des enseignants d’une ville du New Jersey, excédés par leurs mauvaises conditions de travail et leur mauvaise paye, ont décidé de se mettre en grève alors que leur fonction le leur interdit. Les autorités brisèrent leur mouvement en expédiant en prison sans sommation 228 professeurs grévistes pendant plusieurs jours. La « classe moyenne » en déclin
Pour comprendre comment la grande bourgeoisie a pu mener victorieusement son offensive contre la classe ouvrière sans provoquer de grands mouvements sociaux, il faut avoir également à l’esprit la pression sociale exercée par la « classe moyenne » au cours de cette période. Les guillemets, que nous venons de mettre à cet ensemble social important aux États-Unis, visent simplement à souligner son hétérogénéité sur plusieurs plans. La composante anglo-saxonne est de loin la plus importante. Mais il existe aussi une partie minoritaire de la population noire qui s’est intégrée à cette classe au cours des années soixante-dix, et des fractions hispanique, asiatique et même amérindienne depuis les vingt dernières années. Les couches supérieures de cette classe moyenne sont proches du grand capital mais les couches inférieures se distinguent peu des couches les mieux payées de la classe ouvrière.
L’existence d’une classe moyenne nombreuse, ayant eu pendant plus de dix ans des opportunités d’enrichissement et de consommation exceptionnelles a été un puissant facteur de stabilité sociale. Elle a acquis des actions et participé à l’euphorie boursière de la fin du XXe siècle. La griserie de la spéculation a entraîné y compris une partie des travailleurs qui avaient une paye suffisante pour acquérir des actions. Des dizaines de millions d’Américains ont emprunté abondamment sans avoir l’impression de s’endetter puisque leurs revenus en actions étaient constamment à la hausse. 50% des ménages sont devenus actionnaires au cours des années 90 selon Robert Reich, l’ex-ministre du Travail de Clinton. Les plus nombreux n’étaient que de tout petits actionnaires et on peut dire que la classe moyenne s’est considérablement rétractée et endettée au cours de ces dernières années. Le nombre de déclarations de faillite personnelle a augmenté de 400 % entre 1979 et 1997. La tendance n’a fait qu’empirer depuis. En outre de nombreuses familles de la classe moyenne ont été ruinées sans faire de déclaration officielle de faillite 16.Les entreprises payées par les banques pour récupérer sans sommation les voitures, meubles ou ordinateurs, pour défaut de paiement des traites, se portent très bien.
La course aux grosses ou petites miettes de profits financiers tombant de la table de Wall Street, s’est aussi accompagnée d’une croissance inquiétante de toutes les formes d’individualisme. On a assisté à un fléchissement de nombreux réseaux sociaux comme a tenté de l’analyser Robert D. Putnam dans son livre Bowling Alone. The Collapse and Revival of American Community publié au printemps 2000. La peur de la perte de l’emploi et de la faillite personnelle a nourri toutes sortes de formes d’anxiété. La mobilité et la brutalité des mouvements des capitaux affectent toute les classes sociales et nourrissent la peur des autres et la peur du lendemain. Elles se traduisent par diverses pathologies, violences incontrôlées, usages de drogues, obésité, anti-dépresseurs, « médicaments » tels que la ritalin pour calmer la nervosité des enfants et adolescents, etc.
Sur un autre terrain le désespoir dans la petite bourgeoisie ruinée ou dans certaines couches de la classe ouvrière blanche peut fournir des troupes encore plus nombreuses aux milices de type fascistes tel que le Ku Klux Klan et les 500 organisations du même type qui existent actuellement aux États-Unis. C’est une des cartes maîtresses qui reste dans les mains du « big business » au cas où le mouvement ouvrier reprendrait une nouvelle vigueur. Le développement des « homeless » et des « workings poors »
Ce contexte du « chacun pour soi et le dieu dollar pour tous » a aggravé la démoralisation et l’isolement des laissés pour compte de la croissance, les « homeless » (les sans-abri), les chômeurs, les travailleurs précaires ou à temps partiel. La population afro-américaine a contribué dans une proportion particulièrement élevée à renforcer ces catégories sociales les plus exploitées et les plus écrasées par la pauvreté et les humiliations. Le roman « Les saisons de la nuit » de Colum McCann, (éditions 10/18) donne un tableau particulièrement prenant du passage du statut de prolétaire à celui de sans travail et sans abri.
Les « workings poors » (les pauvres ayant un emploi) ont non seulement été à l’écart des opportunités boursières mais leurs conditions de vie se sont terriblement dégradées. Ces travailleurs peuvent enchaîner dans la même journée trois, quatre, voire cinq emplois partiels. Certains travailleurs font jusqu’à quatre-vingts heures par semaine, sans un seul jour de repos dans la semaine. Le 13 septembre dernier Arte a présenté un documentaire tourné en 1998 où certains de ces « workings poors » témoignaient. « En Amérique, quand vous avez fini de travailler, vous êtes bon pour le cimetière ».L’un d’eux avait travaillé dur à plein temps pendant dix ans. Son patron l’a brutalement mis à temps partiel pour ne plus avoir à payer de charges sociales. Ce travailleur a automatiquement tout perdu, ses vacances et sa retraite.
Il faudrait évidemment apporter des nuances en particulier régionales et même locales à ce rapide tableau des classes populaires. Bien des membres de la petite ou moyenne bourgeoisie ont pu être ruinés ou mis en difficulté par la disparition d’activités industrielles locales sans pouvoir reprendre pied, sur place ou ailleurs (voir le roman de Richard Russo qui se situe dans une ville du Maine, « Le déclin de l’empire Whiting », septembre 2002, éditions Quai Voltaire). Dans certains comtés du Middle West où les fermiers ont sombré et où les activités industrielles ont disparu, les usines ont été remplacées par des casinos et autres activités touristiques. L’embauche dans les services a été relancée et de nombreux commerçants sont prospères (voir le reportage du « New York Times du 26 mai 2002).
Mais dans ce même Middle West, des réseaux ferroviaires jugés non rentables ont été démantelés. À une heure de voiture de Chicago, il existe des zones de misère, isolées géographiquement, où il n’y a ni travail, ni moyens de transport, où des familles vivent dans des baraques en bois sans eau courante. Le reportage du « New York Times » du 6 octobre 2002 sur une famille noire de la région de Pembroke est éloquent. Il relate qu’une mère et ses cinq enfants doivent vivre avec seulement 450 dollars de coupons de nourriture ce qui ne permet qu’un repas par jour, mais elle doit par contre payer un loyer de 125 dollars. Elle ne reçoit rien du gouvernement en vertu de la décision de Clinton de 1996 coupant les vivres aux individus « bien portants » pour les obliger à accepter n’importe quel travail.
Cette mère fait partie des 32,9 millions de citoyens américains vivant officiellement dans la pauvreté, 11,7 millions d’entre eux ayant moins de dix-huit ans. Bien qu’elle veuille travailler mais soit dans l’impossibilité de trouver de l’embauche, elle fait partie de ces millions d’Américains qui ne sont pas comptabilisés officiellement comme chômeurs. En dépit des manœuvres les éliminant des statistiques, le nombre de chômeurs recensés officiellement a augmenté de deux millions au cours des deux dernières années et s’établit actuellement à 6 % de la population active. Les conséquences sociales de l’actuelle récession sont d’ores et déjà beaucoup plus graves que lors de celle du début des années quatre-vingts, même si le taux officiel de chômage est le même. Au cours de la décennie quatre-vingt dix, de nombreux travailleurs vivaient des périodes d’alternance entre chômage et petits boulots mal payés. À présent ils sont déjà 5,4 millions à recevoir une pension d’invalidité (en moyenne 800 dollars par mois), soit un nombre qui a doublé depuis 1990. Aujourd’hui 41 millions d’Américains n’ont pas de couverture sociale. L’assurance chômage ne concerne qu’un tiers de ceux qui perdent leur emploi. 40 millions d’Américains n’ont pas d’eau potable. Perte de confiance dans le système et prise de conscience
Dans la conjoncture actuelle la mobilité sociale vers le bas va l’emporter pour de nombreux Américains. La perte de confiance de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie rurale et urbaine dans le système sera en proportion des illusions que Wall Street a suscitées au cours des dix années qui ont précédé l’actuelle récession. Les vagues de licenciements avaient commencées neuf mois avant le 11 septembre. Mais le temps des grandes faillites et par voie de conséquence à nouveau de grandes vagues de licenciements est arrivé l’an dernier avec la chute des compagnies aériennes, d’Enron, de Tyco, d’Anderson, de WorldCom, etc.
Dans la foulée de l’attentat du 11 septembre, les compagnies aériennes ont annoncé des dizaines de milliers de licenciements tout en empochant les substantielles « aides » de l’État fédéral. Delta Air Lines qui avait déjà supprimé 13.000 emplois, vient d’en annoncer 1500 de plus en septembre 2002. United Airlines exige à présent que le personnel qu’elle n’a pas encore licencié accepte des baisses de salaires importantes pour les six ans à venir.
WorldCom, la plus grosse entreprise de toute l’histoire du capitalisme américain, a annoncé 17.000 suppressions d’emplois en même temps que sa faillite. La méthode de licenciement d’Enron mérite une mention particulière. La direction a donné exactement deux heures et pas une minute de plus à 4.500 personnes pour vider les lieux à Houston. Elle leur a fourni obligeamment à chacune une boîte en carton pour embarquer leurs affaires personnelles et elle a laissé dans le brouillard la question très aléatoire des primes ou indemnités. (voir « La Tribune », 9 août 2002, La Saga Enron, 20e épisode).
Les licenciés dont il est ici question avaient pour la plupart un bon salaire et un certain nombre de stock-options dont la valeur s’est envolée en fumée. La frontière entre salariés bien payés et actionnaires s’était sans doute estompée dans les esprits. La chute des valeurs boursières est en train de la rétablir à très grande vitesse. Le cas d’une ex-employée de WorldCom interrogée par un journaliste du New York Times est édifiant à cet égard. Cara Alcantar reconnaît : « Je pensais être dans le même camp que Bernie Ebbers (le P-DG), à la pointe du progrès technologique. Je travaillais dur et, pour moi, les licenciements, ça n’arrivait qu’aux autres. » En juillet dernier, elle a perdu son emploi, ses 1600 stok-options qui ne valent plus rien et pour couronner le tout, elle n’aura aucune indemnité de licenciement et son épargne retraite constituée d’actions WorldCom n’a plus aucune valeur. À ce stade, cette employée regrette amèrement l’absence d’un syndicat chez WorldCom.
L’attitude de nombreux travailleurs américains à l’égard de la syndicalisation est en train de changer radicalement. Ce qui pouvait apparaître comme inutile devient une nécessité impérative pour faire face aux agressions patronales dévastatrices. L’évolution sociale actuelle suggère que les déchirures sociales les plus importantes ne se sont pas encore produites. Les deux Amériques face au déclin de l’impérialisme
On se souvient que les mesures du « New Deal » de Roosevelt visant à sauver les intérêts généraux du grand capital américain, tout en désamorçant le caractère menaçant du mouvement ouvrier des années trente, fut bientôt suivi d’un « War Deal ». La « donne de guerre » préparait l’impérialisme américain à s’engager dans la Seconde guerre mondiale. Sans être passé par la phase d’un nouveau New Deal, George W. Bush est passé depuis un an à un nouveau « War Deal » par une série de mesures économiques en faveur du secteur de l’armement et de mesures sociales et juridiques plaçant la population américaine dans un carcan « patriotique ». Il s’est livré à une inflation de discours guerriers préparant l’opinion publique à un état de guerre permanent et il a pris une série de dispositions législatives très répressives 17.
Il n’est pas sûr que la classe ouvrière qui a déjà subi des coups sévères se laisse embrigader. Il n’est pas sûr que « la ménagère », celle que les médias appellent traditionnellement « le soldat Smith » tienne le coup, c’est-à-dire puisse continuer à consommer et à s’endetter plus qu’elle ne le fait actuellement. Les ménages qui ont essuyé des revers en bourse et disposent encore d’argent, le placent en urgence dans l’immobilier. Cela va créer une bulle spéculative dans ce secteur qui finira par crever comme les autres bulles.
Les États-Unis sont en situation à la fois prédatrice et de dépendance par rapport à l’économie mondiale. Felix G. Rohatyn, ancien ambassadeur des États-Unis en France, conseiller spécial auprès du groupe Lazard et administrateur de sociétés, rappelait dans une tribune dans « Le Monde » du 21 mai dernier : « Ne perdons pas de vue que nous avons besoin d’un afflux de capitaux de 1 milliard de dollars par jour environ pour financer notre déficit commercial. »
La course en avant de l’administration Bush vers l’Irak ou d’autres destinations est stimulée par les contradictions du capitalisme américain dont les entreprises et l’Etat sont à des niveaux d’endettement vertigineux. C’est dire à quel point les assauts de la première puissance impérialiste pour s’emparer des richesses et des marchés mondiaux va connaître une nouvelle escalade.
Deux Amériques seront à nouveau face à face dans l’avenir, à l’instar de celles qu’évoquaient le trotskyste américain James P. Cannon en 1948, dans un tout autre contexte : « Une est l’Amérique des impérialistes de la petite clique de capitalistes, de propriétaires fonciers, et de militaristes qui menacent et inquiètent le monde. C’est l’Amérique que les peuples du monde craignent et détestent. Il y a l’autre Amérique, celle des ouvriers et des fermiers et des ‘petites gens’. Ils constituent la vaste majorité de la population. Ils font le travail nécessaire au pays. Ils maintiennent ses anciennes traditions démocratiques, son histoire d’amitié ancienne avec les peuples d’autres pays, des luttes contre les rois et les tyrans, l’asile généreux que l’Amérique donnait autrefois aux opprimés. »
Les développements de la lutte des classes aux États-Unis montreront si ces propos vont reprendre une actualité. Si tel était le cas, ils permettraient d’offrir une issue positive à la crise du système capitaliste. Il permettrait de se défaire du pouvoir des classes les plus dangereuses pour l’humanité, les bourgeoisies impérialistes européennes, japonaise et américaine.
Le 18 octobre 2002
Samuel Holder
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Notes 1 Pour des informations sur la campagne de « Not in our Name » consulter le site http://www.notinourname.net/ 2 Jimmy Carter avait brandi cette loi contre les mineurs de charbon dont la grève avait duré 110 jours de décembre 1977 à mars 1978. 3 Sur les luttes des janitors, consulter le site http://www.jwj.org/ 4 Voir les travaux de Loïc Wacquant : Les Prisons de la misère (Raisons d’agir, 1999) et Symbiose fatale, Quand ghetto et prison se ressemblent et s’assemblent (Actes de la recherche en sciences sociales n°139, septembre 2001) 5 Voir en deux tomes, Who built America ? , ouvrage collectif de l’American Social History Project, The City University of New York (Pantheon Books NY, 1992) 6 Pour avoir un aperçu éloquent du passé glorieux de la classe ouvrière américaine, lire l’ouvrage de Daniel Guérin, Le mouvement ouvrier aux États-Unis 1867-1967 (FM/Petite collection maspero, mars 1968). Il est en partie la reprise condensée du tome 1 de son livre paru en 1950 chez Julliard :Où va le peuple américain ? Daniel Guérin a écrit d’autres ouvrages importants sur les États-Unis : De l’Oncle Tom aux Panthères, Le drame des Noirs américains (10/18, 1973) et en collaboration avec Ernest Mandel : La concentration économique aux États-Unis (Anthropos, 1971). 7Maman Jones, Autobiographie (François Maspero, 1977) 8 Elisabeth Gurley Flynn : The Rebel Girl, My first Life (1906-1926) (International Publishers, NY, 1976). The Autobiography of Big Bill Haywood (International Publishers, NY, 1974) Solidarity Forever, An oral history of the IWW (Lake ViewPress, Chicago, 1985) Dans le recueil de textes de James P. Cannon, The First Ten Years of American Communism (Pathfinder Press, NY, 1980), le texte The I.W.W.-The Great Anticipation. À signaler, traduit en français, le roman de Jon A. Jackson ; Go By Go (Gallimard Série Noire, mai2001) [voir la note de lecture sur ce roman sur le site http://culture.revolution.free.fr/] 9 Sur le mouvement des camionneurs dirigé par des militants trotkystes : Teamster Rebellion de Farrell Dobbs (Pathfinder, NY, 1981) et du même auteur Teamster Power 10 Préface de Marc Saint-Upéry au livre de Mike Davis : « City of Quartz, Los Angeles, capitale du futur » (éditions La Découverte/Poche, mars 2000) 11 In « Actes de la recherche en sciences sociales » n°138 : Dictature sur le prolétariat, Stratégies de répression et travail aux États-Unis 12 Isabelle Richet : Les dégâts du libéralisme, États-Unis : une société de marché (collection la discorde, éditions textuel, septembre 2002) 13 Voir l’étude de Neil Fligstein : Le mythe du marché (« Actes de la recherche en sciences sociales » n°139, septembre 2001) 14 Eric Schlosser : Fast Food Nation (New York, HarperCollins, 2002). Lire notamment sur les conditions de travail le chapitre 8 « the most dangerous job ». 15 Le film de Ken Loach, « Bread and Roses » décrit une des luttes des janitors de Los Angeles. 16 À lire dans les « Actes de la recherche en science sociale » n°138, juin 2001, l’étude de Teresa A. Sullivan, Elisabeth Warren et Jay Lawrence Westbrook : Une prospérité précaire, Sur les situations financières critiques dans la classe moyenne. 17 À lire sur cette question le recueil de textes d’intellectuels de gauche américains : « L’autre Amérique, les Américains contre l’état de guerre » (collection la discorde, éditions textuel, septembre 2002)
Extraits de Culture et révolution
L’administration Carter
Jimmy Carter devint président alors qu’il y avait un profond manque de confiance dans le gouvernement et le système électoral. Beaucoup de gens pensaient que le gouvernement était responsable des problèmes et n’avait aucun souci des gens ordinaires. La population venait de vivre deux mouvements sociaux majeurs (pour les droits civiques et contre la guerre), une révolte dans l’armée, suivis par des mouvements pour les droits des femmes, des homosexuels, des prisonniers, des Indiens, et pour la protection de l’environnement. Au cours des dix années précédentes, beaucoup de gens avaient eu la preuve que s’ils voulaient des changements, il valait mieux compter sur leur propre action que sur les politiciens. Coexistait avec cette confiance en soi, une méfiance profonde envers le gouvernement dans son ensemble, nourri par les mensonges sur le Vietnam, les assassinats et les emprisonnements des militants politiques, et enfin le scandale du Watergate qui obligea Nixon à démissionner. Seulement 53 % des inscrits participèrent à l’élection de 1976. Carter fut élu avec 50 % des votants, soit 25 % de la population inscrite sur les listes électorales. On ne peut pas dire qu’il était vu comme une solution aux problèmes.
Dans sa campagne, Carter essaya de regagner la confiance d’un public désillusionné en prétendant partager les mêmes vues politiques. Bien que Carter ait soutenu la guerre jusqu’à la fin, il essaya de convaincre les gens qu’il avait été opposé à la guerre. Il promit des réductions du budget militaire, de garantir une assurance santé aux plus démunis et de diminuer les inégalités sociales entre les populations noire et blanche. Il tenta de gagner le respect de la population en apparaissant comme un fermier du Sud, ordinaire et bon travailleur. En fait, Carter était un producteur de cacahuètes millionnaire qui avait hérité la terre de son père. Une fois élu, il fit même quelques nominations symboliques pour continuer la comédie. Il nomma une femme noire, Patricia Harris, secrétaire d’État au logement et au développement urbain, un vétéran du mouvement pour les droits civiques, Andrew Young, ambassadeur aux Nations Unies, et un ancien militant anti-guerre pour diriger une nouvelle agence gouvernementale chargée des « Peace Corps ».
Mais les autres membres de son administration représentaient la continuité avec les administrations passées. Son conseiller pour la sûreté nationale, Zbigniew Brzezinski, et son ministre de la défense, Harold Strong, étaient de chauds partisans de la guerre du Vietnam, tandis que son ministre de l’énergie, James Schlesinger, ministre de la défense sous Nixon, préconisait un accroissement continu du budget militaire. Les autres membres du cabinet étaient fortement liés à l’élite du monde des affaires, comme la commission trilatérale, un groupement international de capitalistes, tels que David Rockefeller et des experts en politique étrangère, tels que Brzezinski. La raison d’être de la commission trilatérale était d’améliorer les stratégies militaires et économiques internationales des multinationales américaines en développement. Ce groupe avait choisi de soutenir Carter car ils pensaient qu’après le scandale du Watergate aucun candidat républicain ne pourrait être élu.
La politique étrangère de Carter
Carter a été décrit par les médias comme un militant humanitaire. Il a même reçu le prix Nobel de la paix en 2002. Mais quand on regarde la politique étrangère réelle de Carter, on voit le contraire de l’humanitaire. On voit un soutien sans faille au monde des affaires, un soutien constant à des dictateurs brutaux et une politique de répression des mouvements populaires.
Dans son discours présidentiel de 1980, Carter donna cet avertissement : « Que notre position soit bien claire : toute tentative de la part d’une force étrangère pour prendre le contrôle de la région du Golfe Persique sera perçue comme menaçant les intérêts vitaux des États-Unis, et en tant que telle sera repoussée par tous les moyens nécessaires, y compris la force militaire. »
La doctrine Carter était bien un avertissement au reste du monde que les États-Unis n’hésiteraient pas à défendre leurs intérêts pétroliers au Moyen-Orient en utilisant la force. Elle résumait tout simplement les interventions de l’impérialisme américain depuis un siècle et présentait le modèle de politique étrangère qui allait perdurer pendant les années de l’administration Carter.
La dictature de Suharto
Juste avant l’entrée en fonction de Carter, l’armée indonésienne dirigée par le général Suharto envahit la petite île du Timor Oriental et en quelques années massacra 200 000 personnes, environ un tiers de la population de l’île. L’administration Carter donna son appui sans réserves à Suharto et augmenta même l’aide militaire à son gouvernement de 80 %, soit plusieurs centaines de millions de dollars. Sans l’aide américaine l’armée de Suharto aurait pu être à court d’armes et être vaincue par la résistance du Timor. Les États-Unis refusaient un tel scénario car le gouvernement de Suharto se montrait extrêmement favorable aux désirs américains. Durant la présidence de Nixon, avec l’encouragement de la fondation Ford, les États-Unis soutinrent la prise de pouvoir du général Suharto, par un coup d’État contre un mouvement nationaliste en Indonésie. Suharto arrivé à la tête du pays, transféra l’économie et les ressources (principalement le pétrole, les minerais et le bois) indonésiennes à des compagnies américaines. L’administration Carter n’hésita pas à aider militairement ce tyran brutal.
Soutien à Mobutu
Au Zaïre, Mobutu Sese Seko prit le pouvoir par un coup d’État en 1965. Son régime fut brutal dès le début. Il amassa une fortune personnelle alors que le pays s’enfonçait dans la dette et que l’économie s’écroulait. Il ordonnait des pendaisons publiques et la torture des personnes suspectes d’être des opposants. Mobutu condamnait parfois à mort des membres de son gouvernement, les faisait torturer, puis leur pardonnait et leur faisait réintégrer le gouvernement, mais cette fois avec l’assurance qu’ils n’oseraient pas le trahir. C’était sa méthode pour s’assurer de la loyauté de ses collaborateurs.
Publiquement, l’administration Carter essaya de prendre des distances vis à vis de Mobutu, mais en fait elle représentait un soutien majeur à son régime. L’essentiel de l’aide américaine à l’Afrique sub-saharienne, sous Carter, alla à Mobutu. En 1977, un soulèvement contre Mobutu éclata dans la province du Sud, le Shaba. L’administration Carter, ainsi que la France et la Belgique, réagirent vite, expédiant une aide de deux millions de dollars en équipement militaire. Les États-Unis permirent aux soldats marocains, équipés de matériel américain, de voler au secours de Mobutu et d’écraser la révolte. Peu de temps après les journaux rapportèrent que, dans les coulisses, la CIA recrutait des mercenaires qu’elle envoyait au Zaïre soutenir la faible armée de Mobutu.
Dictatures à travers le monde
Au Salvador, l’administration Carter apporta son aide aux escadrons de la mort, responsables de l’assassinat de milliers de personnes qui s’opposaient aux réformes agraires gouvernementales qui entraînaient l’expulsion de milliers de paysans de leurs terres, dévolues ensuite à des compagnies américaines.
Carter offrit un soutien constant au régime de Somoza, au Nicaragua, responsable du viol, de la torture et du meurtre de milliers de nicaraguayens.
Pour maintenir les bases militaires et les investissements américains aux Philippines, l’administration Carter poursuivit l’aide militaire des dix précédentes années au dictateur Ferdinand Marcos.
Pendant l’administration Carter, les États-Unis ont toujours mis leur veto sur les résolutions de l’ONU destinées à imposer des sanctions au régime d’Apartheid d’Afrique du Sud.
L’administration Carter maintint également une aide militaire conséquente au Shah d’Iran, qui garantissait l’accès du pétrole iranien aux compagnies américaines. Sous le Shah, la Savak, la police iranienne formée par la CIA, tortura et assassina des milliers d’iraniens. Ses méthodes brutales de torture incluaient les chocs électriques, le fouet, le tabassage, l’insertion de débris de verre ou d’eau bouillante dans le rectum, la fixation de poids aux testicules et l’arrachage de dents. Bref, l’administration Carter représenta indéniablement la continuation de la domination militaire et de la brutalité des administrations précédentes.
Les mensonges de Camp David
Un autre aspect du mensonge sur l’héritage politique de Carter est le programme soi-disant pro-palestinien qu’il essaya d’avancer lors des accords de Camp David en 1978. Ces accords, signés par Israël et l’Égypte, ont été présentés comme une concession majeure d’Israël aux Palestiniens des territoires occupés. Ils ont été interprétés comme une promesse au peuple palestinien d’avoir son propre État. Pour sa signature du traité, l’Egypte reçut des milliards de dollars d’aide militaire américaine. Par contre, le prétendu État palestinien ne représentait rien de plus que quelques îlots de terres reliés par des points de contrôle israéliens. En fait, les accords de Camp David ont soutenu l’expansion des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens, et n’ont rien concédé aux Palestiniens sinon un accroissement de la colonisation israélienne.
La politique économique de Carter : dons aux entreprises et attaques contre les travailleurs et les pauvres
Un aperçu de l’économie montre bien les intérêts défendus par Carter au cours de son administration : 1 % de la population possédait plus de 33 % de la richesse du pays. Les 10 % les plus riches possédaient 30 fois plus que les 10 % les plus pauvres. Et 83 % des actions étaient dans les mains de seulement 5 % de la population. Pendant que les profits d’Exxon Mobil, par exemple, augmentaient de 56 % pour atteindre plus de quatre milliards de dollars, et que son PDG gagnait 830 000 dollars par an, plus de dix millions d’enfants n’avaient pas de couverture médicale. Dix-huit millions d’enfants n’avaient jamais pu voir un dentiste. Les prix de la nourriture et des produits de première nécessité augmentaient plus vite que les salaires avec une inflation atteignant 18 % en 1980. Le taux de chômage officiel était entre 6 et 8 %, mais pour les Noirs il était de 20 à 30 %.
Carter avait été élu en promettant de réduire le budget militaire américain et de diminuer les ventes d’armes à travers le monde. Mais au cours de sa présidence à la Maison Blanche il ne fit ni l’un ni l’autre. Les États-Unis restèrent le premier marchand d’armes mondial, avec un chiffre constant de 9,5 milliards de dollars par an d’exportation d’armes. De plus, lors de sa première proposition de budget au Congrès, Carter accrût le budget militaire de 10 milliards de dollars, réservant mille milliards de dollars à l’armée pour les cinq ans à venir. En même temps, il supprima 25 millions de dollars destinés aux écoliers pauvres. Carter a également encouragé les attaques interdisant l’accès des femmes à l’avortement. En 1976, il signa l’amendement Hyde qui proscrivait l’utilisation de fonds fédéraux pour rembourser (à travers Medicaid, le système de santé pour les plus démunis) l’avortement des femmes démunies. Critiqué à propos de l’injustice criante de cette loi, il répondit « Comme vous le savez, dans la vie il y a beaucoup de choses qui sont injustes, bien des choses que les riches peuvent se payer mais pas les pauvres ». Il changea également la législation fiscale, augmentant les impôts de la moitié la plus pauvre de la population et réduisant de 18 milliards de dollars les impôts des entreprises et des plus riches. Et Carter commença à déréguler les industries clés comme les transports routiers, maritimes et le trafic aérien. La dérégulation signifiait que le gouvernement annulait les règles fixant la limitation des prix et contrôlant la formation de monopoles. Carter supprima ces règles et ouvrit la voie au développement accélérée des monopoles dans ces industries, avec une plus grande part des profits allant à un nombre réduit de compagnies.
Durant toute sa présidence Carter a encouragé les attaques des patrons contre les travailleurs. Entre 1977 et 1978 plus de 165 000 mineurs se mirent en grève dans la région montagneuse des Appalaches. Les compagnies minières de charbon essayaient d’imposer un nouveau contrat, obligeant les travailleurs à payer leur assurance santé et prévoyant des licenciements en masse. Moins de mineurs dans les mines signifiait des conditions de travail encore plus dures et dangereuses. Les compagnies tentaient également de supprimer le droit de grève dans certaines conditions et de permettre les licenciements des travailleurs reconnus comme organisateurs de grèves sauvages, devenues plus fréquentes pour se défendre contre des conditions de travail de plus en plus dangereuses. Vers la fin de la grève, Carter menaça les travailleurs d’utiliser la loi Taft-Hartley, qui autorisait le gouvernement à envoyer des troupes fédérales casser les grèves. Dix jours après la menace de Carter d’envoyer l’armée, le syndicat des mineurs (United Mine Workers) poussa les mineurs à accepter le nouveau contrat. Ce fut un énorme recul, non seulement pour les mineurs, mais pour toute la classe ouvrière américaine.
Carter créa également les conditions qui permirent de démanteler le syndicat des contrôleurs aériens (PATCO, Professional Air Traffic Controllers Organization), qui comptait 17 000 membres. Durant les années 1970, les contrôleurs durent accepter des concessions, telles que travailler en sous-effectif, des heures supplémentaires obligatoires et des réductions de salaire. Mais ils représentaient une force très organisée capable d’empêcher des concessions plus importantes. Le gouvernement voulait briser le syndicat pour imposer de drastiques réductions de salaires. Ce qui fut accompli en 1981 quand le président Reagan licencia 11 000 des 17 000 contrôleurs ce qui entraîna l’élimination du syndicat PATCO. Mais encore une fois, c’est Carter qui ouvrit la voie. Un an avant la fin du contrat des contrôleurs, Carter décida la mise en place de ce qu’on appela une « management strike contingency force » (force de gestion de grève) avec l’objectif de former des contrôleurs remplaçants (des jaunes), et de faire pression sur les travailleurs les plus militants avant le déclenchement de toute grève. Du coup, lorsque Reagan décida de casser le syndicat, les jaunes étaient déjà formés et disponibles, prêts à prendre la place des 17 000 contrôleurs. Alors quand on pense à Reagan et la destruction du PATCO, on devrait aussi penser à Carter.
Jimmy Carter fut un véritable représentant du parti démocrate – un âpre défenseur de la classe dirigeante du pays, un adversaire farouche de la population ouvrière et des pauvres.
La présidence de Bill Clinton
Sur fond d’une guerre interminable, de difficultés économiques, d’une administration Bush arrogante, ouvertement scandaleuse et réactionnaire, au cours des années 2000-2008, celle de son prédécesseur Clinton a mystérieusement légué un héritage positif. Au fil des années certains ont commencé à percevoir les années Clinton comme l’opposé des années Bush. Les gens se rappellent de Clinton, car il a réussi à équilibrer le budget, à développer l’emploi, à définir des priorités dans l’éducation, à aider les afro-américains. Le seul point noir du point de vue des médias et de la population semble avoir été le fait d’avoir menti lors du scandale avec son assistante de la Maison Blanche, Monica Lewinsky.
Les faits indiquent tout de même que, dans le domaine de l’économie, l’administration Clinton a toujours suivi les volontés du patronat et mené une politique extérieure impérialiste extrêmement agressive, où primaient les intérêts des grandes sociétés. Loin d’apporter du nouveau, Clinton a continué de transférer le peu de richesses de la classe ouvrière et des pauvres pour l’amener droit dans les poches des grandes sociétés.
La campagne électorale de Clinton
Bill Clinton a été élu et réélu avec un taux de participation de moins de 60 %, ce qui signifie que plus de 40 % des américains ont décidé de ne pas voter du tout. À l’issue des deux campagnes électorales, il a été élu par moins 50 % des électeurs. Ce n’était pas un président très populaire non plus.
Lors de sa campagne de 1992 il a essayé d’apparaître comme un outsider à Washington, comme celui qui pouvait apporter de nouvelles solutions à de vieux problèmes. Il a critiqué les autres candidats pour leur dépendance aux intérêts patronaux, vu le financement de leur campagne. Afin de perpétrer cette image d’homme nouveau, il s’est engagé pendant les primaires de 1992 à ne pas toucher à l’argent des Comités d’action politique (PAC). Ces PAC sont des organismes informels aux définitions floues, créés pour financer différentes campagnes et peuvent être directement liés à des compagnies privées, des mécènes ou des groupes de pression. La décision de Clinton d’écarter les fonds des PAC n’était qu’un stratagème électoral, visant à se différencier des autres candidats démocrates.
En réalité, plusieurs mois avant les premières primaires, Clinton collecta des sommes plus importantes que ses adversaires démocrates, car au tout début sa campagne avait résolument sollicité Wall Street, Hollywood, les sociétés de haute technologie, de téléphonie, d’informatique, des conglomérats de médias et bien d’autres. Son image d’outsider n’était qu’une stratégie électorale, bâtie sur un mensonge, comme la plupart des artifices électoraux.
Clinton n’a pas été un homme nouveau ni à Washington, ni dans les milieux d’affaires. Plus de la moitié de ses conseillers de campagne connaissaient très bien Washington, faisant partie du personnel permanent travaillant pour des sociétés privés et des gouvernements étrangers, dans l’industrie de tabac, les compagnies d’assurance, les compagnies pétrolières ou gazières, les banques d’investissement et autres cercles d’affaires. En tant que gouverneur d’Arkansas, Clinton établit de solides relations avec tout le milieu d’affaires important et de grands propriétaires terriens gouvernant l’État.
L’un de ses soutiens les plus influents, Tyson Foods, la plus grande compagnie privée d’Arkansas en 1995, était 110e sur la liste de Fortune 500. Lors de sa campagne présidentielle de 1992, le porte-parole de Martin Marietta Corporation (un des principaux producteurs d’armements) a bien décrit les relations de Clinton avec les industriels : « Je pense que les démocrates se rapprochent plus des industriels et les industriels se rapprochent plus des Démocrates. » Clinton n’était pas un homme nouveau ni pour Washington, ni pour le milieu des affaires, en réalité il était leur fidèle serviteur de longue date.
L’équilibre budgétaire
Quand Clinton est venu au pouvoir, il s’est retrouvé face à une dette publique de quatre mille milliards de dollars, accumulée sous les administrations Carter, Reagan et Bush, essentiellement à cause de l’important accroissement des dépenses gouvernementales. Clinton promit de supprimer le déficit. Deux solutions s’imposaient : soit réduire de manière drastique les dépenses militaires, qui étaient à l’origine du déficit, soit d’augmenter l’impôt sur les grandes fortunes, le groupe qui compte un pour cent de la population, dont la richesse ne cessait d’augmenter, alors que le revenu du reste de la population continuait de baisser. Au lieu de faire ce choix, l’administration Clinton a décidé de réduire fortement le budget des services sociaux destiné aux couches les plus pauvres et les plus vulnérables de la population et de ne pas introduire de nouveaux impôts sur les grandes fortunes. Le budget militaire a été réduit lui aussi, mais dans une moindre mesure à ce qu’on attendait.
Avant que Clinton ait pris ces fonctions, l’Union soviétique avait déjà cessé d’exister officiellement, terminant ainsi quelques décades de guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique. La justification pour maintenir un niveau aussi élevé de dépenses militaires n’était plus valable. L’administration précédente, celle de George H.W. Bush, avait déjà commencé à réduire les dépenses militaires avec le programme qui s’appelait « Le dividende de paix », en le justifiant par le fait que la guerre froide allait se terminer. L’administration Bush a réduit les dépenses militaires de près de 17 %, à la fin de son mandat.
Sous Clinton il y avait de bonnes raisons de s’attendre à des réductions significatives des dépenses militaires. À l’époque il y avait des projets d’allouer des fonds importants à l’éducation, à la rénovation des équipements urbains et à des programmes sociaux dont la population avait tellement besoin. Au lieu de cela, à la fin du second mandat de Clinton les dépenses militaires ont été réduites de 7 % seulement. Ces réductions furent obtenues en grande partie par des fermetures des bases militaires obsolètes, des retraits de vaisseaux vétustes des forces navales et la réduction des effectifs d’active. À part ces réductions, les dépenses de l’armée sont restées au niveau de la guerre froide. Ces réductions n’avaient rien à voir avec des coupes budgétaires significatives dans les dépenses militaires. En fait, une plus grande part du budget de l’armée s’est trouvée concentrée dans les mains des grands fabricants d’armements.
En annexe à ce petit « dividende de paix » se trouvait un supplément que l’on peut appeler un « dividende de guerre ». Sous Clinton les États-Unis sont devenus le plus grand marchand d’armes du monde et vendaient plus d’armements que l’ensemble des autres pays. Cette croissance rapide eut lieu, car les USA prirent la place de l’Union soviétique comme fournisseur d’armes à de nombreux pays. Sous Clinton l’interdiction de vendre des armes sophistiquées à l’Amérique du Sud a été levée. Pour la première fois dans l’histoire, les compagnies américaines fabriquaient plus d’armes pour les autres pays que pour le Pentagone. Cela a été un vrai cadeau aux fabricants d’armes et un coup dur pour les pauvres du monde entier, vivant sous les dictatures auxquelles les USA fournissaient ces armes.
Un autre point de la stratégie Clinton visant à réduire la dette de quatre mille milliards de dollars, consistait à priver les pauvres de fonds. En 1997 Clinton réduisit de plus de cinq milliards de dollars le budget de l’éducation. On a refusé les soins à dix millions et demi d’enfants qui n’avaient pas de protection sociale. Le programme d’aide au logement, réduite sous Reagan, a été supprimé tout court sous Clinton.
L’attaque la plus importante contre les pauvres consistait en le fait que Clinton a quasiment supprimé les allocations sociales. Ces mesures ont été introduites en plusieurs étapes. Clinton a supprimé celles versées aux travailleurs immigrés, en règle ou clandestins. Plus d’un million d’immigrés en règle ont reçu une lettre expliquant que dans quelques mois ils n’allaient plus toucher d’aide financière ou de tickets d’alimentation s’ils n’obtenaient pas la nationalité américaine. La condition de devenir citoyen américain était bidon, car la procédure prenait beaucoup plus de temps que ces quelques mois.
La plupart des réductions et suppressions d’allocations de la sécurité sociale ont été introduites par la loi, intitulée hypocritement « loi de réconciliation sur l’emploi » (Work Opportunity Reconciliation Act) adopté en 1996. D’après cette loi les familles pouvaient recevoir l’allocation pendant deux ans seulement, les bénéficiaires des allocations à vie les perdaient au bout de trois ans, et les adultes sans enfants n’avaient le droit aux tickets d’alimentation que pour une durée totale de trois mois en trois ans. Ces mesures à elles seules ont permis la réduction les dépenses sociales de plus de dix milliards de dollars par an.
Cette décision, qui mettait les plus pauvres dans une situation encore plus désespérée, devait, selon la version officielle, leur procurer des emplois et supprimer leur dépendance de l’aide gouvernementale. L’administration arguait que le fait de perdre des allocations pousserait les gens à trouver un emploi. Ce programme est connu sous le nom de « welfare to work » (allocations pour l’emploi), c’est-à-dire, abandonnez les allocations et allez travailler. Mais la logique était inverse : les gens ne restaient pas au chômage ou n’avaient pas des emplois précaires à cause des allocations, au contraire, ils touchaient des allocations à cause du chômage et des emplois précaires. Il n’y avait pas assez d’emplois pour tous les chômeurs, aussi la majorité de ceux qui avaient un emploi, ont vu leur revenu baisser tous les ans depuis les années 1970. Chaque fois qu’on recrutait, il y avait plus de postulants que d’embauches. À New York, plus de 100 000 personnes ont répondu aux 2 000 offres d’emploi du département de santé et d’hygiène. À Chicago, plus de 7 000 se sont présentées au rendez-vous pour postuler aux 550 emplois d’une chaîne de restaurants. Globalement, il ne s’agissait pas de passer des allocations à l’emploi, mais de la pauvreté à une plus grande pauvreté.
En fin de compte Clinton a réussi à équilibrer le budget mais en réduisant des millions de gens à la misère noire.
Envoyer les pauvres en prison
On peut se demander ce qui arrivait à ceux à qui on coupait les allocations et qui ne trouvaient pas d’emploi. Ne pouvant trouver du travail et n’ayant pas d’argent, ils se tournèrent vers la petite délinquance. Vu le fait que les effectifs de la police ont été augmentés et les peines durcies, de nombreux pauvres se sont retrouvés en prison.
Sous Clinton la population carcérale explosa, devint plus importante que pendant les douze années d’avant, sous l’administration républicaine. Clinton a orchestré la plus grande augmentation de la population carcérale de toute l’histoire des États-Unis. Reagan a terminé son mandat avec près de 49 000 nouveaux détenus dans des prisons fédérales. Clinton avait incarcéré, à la fin de son deuxième mandat, plus de 147 000 nouveaux détenus dans des prisons fédérales, plus de 500 000 dans des prisons des États, soit aux alentours de deux millions de personnes derrière les barreaux et plus de 4,5 millions en liberté conditionnelle. Plus de 70 % d’entre eux venaient des quartiers les plus pauvres. Sous Clinton pour la première fois on a dépensé plus d’argent pour construire des prisons que pour l’éducation. En 1996, 2,6 milliards de dollars pour bâtir des prisons, et seulement 2,5 milliards, pour construire des universités. Sous Clinton, la construction de prisons est devenue une véritable industrie, avec des sociétés privées les construisant, mettant à disposition des surveillants, fournissant nourriture et vêtements.
La croissance fulgurante du nombre de prisons et des effectifs de détenus est le résultat direct de la politique de réduction du budget des services sociaux de Clinton.
Prélude à l’USA PATRIOT Act
Avant la loi « USA PATRIOT Act » de 2001, existait une loi sur « l’antiterrorisme et la peine de mort effective » de 1996, promulguée par Clinton après l’attentat à Oklahoma City en 1995. Elle supprimait l’habeas corpus des suspects de terrorisme, ce qui voulait dire que des gens pouvaient être arrêtés et détenus sans la moindre preuve. Les accusés ne pouvaient contester l’accusation de terrorisme, car la loi autorisait l’État à utiliser des preuves secrètes contre les personnes, preuves qu’il n’aurait jamais à produire ou à justifier. En outre, cette loi étendait la définition du terrorisme, ainsi le gouvernement pouvait plus facilement accuser quelqu’un d’être un terroriste. Tous ces changements rendaient la défense envers les accusations de terrorisme presque impossible.
La loi introduisait aussi de nouveaux délais d’appel pour l’ensemble des détenus, sans rapport avec leurs crimes. Elle limitait le délai d’appel en cas de peine de mort à six mois, et celui des autres peines, à un an. Cela signifiait que passé ce délai, aucun condamné ne pouvait plus faire appel. Cela a porté un coup très dur à beaucoup de détenus condamnés à tort à la peine capitale, qui avaient besoin d’un délai largement supérieur à six mois, afin de constituer un dossier. En même temps, le nouveau dispositif empêchait les appels fondés sur de nouvelles preuves.
Même si dans l’affaire de l’attentat d’Oklahoma City, seuls des citoyens américains ont été condamnés, la nouvelle loi a élargi les possibilités de l’État d’expulser des étrangers. Cela a rendu possible l’expulsion de n’importe quel étranger condamné pour un crime, sans tenir compte de la gravité du crime ou du temps passé depuis. Cela s’applique même aux étrangers titulaires d’un permis de séjour permanent et mariés à des citoyens américains.
L’administration Clinton a ouvert la voie au grave recul des libertés civiles depuis 2001.
L’ALENA et le pillage du monde par les capitalistes américains
La montée du chômage s’expliquait, entre autres, par le fait que de nombreuses usines américaines fermaient, car leurs patrons voulaient augmenter la marge de profit en utilisant une main d’œuvre moins coûteuse dans les pays pauvres. Les administrations américaines consécutives ont mené une politique favorisant la pénétration des compagnies américaines dans les pays étrangers, afin de profiter de leurs matières premières et leurs richesses et aussi de développer des marchés d’exportations sans restrictions. L’ALENA (l’Accord de libre-échange nord-américain), instaurée par l’administration Clinton, est l’exemple type d’une telle politique.
Cet accord a levé pratiquement les barrières douanières empêchant la pénétration des compagnies et des produits américains sur le territoire canadien et mexicain. Globalement l’ALENA a accru le chômage aux États-Unis et au Mexique, et poussé des millions de Mexicains au désespoir.
L’ALENA visait, entre autre, la disparition du marché agroalimentaire mexicain. L’exemple du maïs est révélateur. Avant l’ALENA le maïs était une des cultures les plus importantes du Mexique, et l’industrie du maïs l’employeur le plus important du pays. Mais quand l’ALENA a supprimé les barrières commerciales et les tarifs d’importations du Mexique, les compagnies agroalimentaires américaines ont inondé le marché mexicain de maïs vendu à des prix artificiellement bas, car aux États-Unis ces compagnies recevaient des subventions gouvernementales. Ce flot de maïs, coûtant trois fois rien, a ruiné la majorité des petits agriculteurs mexicains, car ils ne pouvaient concurrencer de si bas prix. Très vite le Mexique s’est transformé d’un pays produisant son propre maïs en un pays importateur de maïs. En peu de temps plus d’un million d’agriculteurs et d’ouvriers agricoles ont perdu leur source de revenu.
Suite à l’ALENA, des millions d’agriculteurs pauvres et d’ouvriers quittèrent le pays à la recherche d’un gagne-pain. Des paysans étaient expulsés de leurs terres par l’armée mexicaine. Un grand nombre de ces lopins de terre fut vendus, en fin de compte, aux compagnies américaines pour en faire des exploitations agricoles. Les paysans, qui travaillaient cette terre depuis des siècles, en ont été chassés, pour y revenir, ensuite, en tant qu’ouvriers agricoles, pour le compte de compagnies américaines, pour un salaire de misère.
Le Mexique faisant partie de l’ALENA, les capitalistes américains ont édifié des usines dans tout le pays et même créé de nouvelles zones industrielles tout au long de sa frontière avec les États-Unis, connue sous le nom de maquiladoras. Ces zones sont de vraies enclaves américaines, car elles n’appliquent pas de tarifs spéciaux aux produits importés aux États-Unis. Des millions de paysans étant chassés de leur terre, le nombre de chômeurs cherchant désespérément du travail au Mexique est monté en flèche. Les capitalistes américains ont profité de l’absence de travail pour embaucher les ouvriers à des salaires de misère. La législation du travail, les normes de sécurité, de salaires et d’environnement, sont presqu’inexistants au Mexique. Les capitalistes américains en ont tiré profit, avec le soutien de l’État mexicain, de son armée et de la police, pour imposer des conditions de travail infernales.
L’une des conséquences bien réelle de l’ALENA a été la montée de l’immigration de la population mexicaine. N’ayant plus de terre pour vivre, ni de grain à vendre, et faisant face à une concurrence acharnée pour le travail des nouvelles usines américaines au Mexique, beaucoup de Mexicains ont fui le pays à la recherche d’un autre gagne-pain. Il va de soi qu’une grande partie s’est dirigée vers les États-Unis. L’administration Clinton était au courant de ce qui allait arriver, une fois que l’ALENA serait mis en application. Voilà pourquoi, à peine quelques mois après l’adoption de l’ALENA, Clinton a fait passer une loi appelée « l’Operation gardien » (« Operation Gatekeeper »). Cette loi prévoyait le déploiement des moyens militaires renforcés au long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Elle a doublé le budget du Service de l’immigration et de la naturalisation (Immigration and Naturalization Service, INS) à concurrence de 800 millions de dollars, doublé le nombre de garde-frontières, la longueur des clôtures électrifiées et triplé le nombre de détecteurs enterrés et d’appareils de surveillance.
Un an après l’adoption de l’ALENA Clinton a créé l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’OMC établit de nouvelles règles dans les relations commerciales entre pays. Ces règles favorisent les membres de l’OMC les plus influents. Les États-Unis utilisent l’OMC comme un moyen de contrôler l’application de la politique économique favorisant les compagnies américaines. Par ce biais les capitalistes américains prennent contrôle de l’économie de pays étrangers. La politique de l’administration Clinton quant à l’ALENA n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la politique économique internationale des États-Unis.
Pratiquement tous les États faisant partie de ce que l’on appelle le monde en voie de développement ont été obligés de plier leur économie aux règles qui profitent aux capitalistes américains. Grâce à création de l’OMC il est devenu encore plus facile pour les capitalistes américains de poursuivre cette politique.
Une politique étrangère habituelle : destruction, dévastation, domination
« Tous ensemble nous devons aussi faire face à de nouveaux dangers provenant des armes chimiques et biologiques, des États voyous, des terroristes et du crime organisé cherchant à les acquérir. Saddam Hussein n’a pas passé la meilleure partie de cette décennie et dépensé une grande partie des richesses de son pays au profit du peuple irakien, mais à développer des armes nucléaires, chimiques et biologiques et des missiles pour les acheminer… Je sais que je parle au nom de ceux qui sont présent dans cette chambre de députés, républicains aussi bien que démocrates, quand je dis à Saddam Hussein : « Vous ne pouvez pas défier la volonté du monde entier », et quand je lui dis « Vous avez utilisé des armes de destruction massive dans le passé, et nous sommes résolus à vous priver de la capacité de le faire à l’avenir. »
Ceci n’est pas une citation de George W. Bush, avant le début de la seconde guerre avec l’Irak en mars 2003. Elle est extraite du discours de Bill Clinton sur l’état de l’Union en 1998.
Clinton a été élu président juste après la première guerre du Golfe en 1991. L’invasion a duré six semaines, près de deux mille tonnes de bombes ont été déversées chaque jour sur le pays et plus de 250 000 personnes ont été tuées. L’Irak était en ruine. Tout au long de ses deux mandats l’administration Clinton maintint les sanctions économiques à l’encontre de ce pays dévasté. Il était clair, dès le début, que les sanctions, qui limitaient le commerce avec l’Irak, interdisant l’importation de substances chimiques décisives servant à produire des médicaments de base et à purifier l’eau, aboutissait à l’appauvrissement d’une population menant une existence déjà misérable. Après douze années de sanctions plus de 750 000 enfants sont morts de la faim et des maladies. Le secrétaire d’État de Clinton Madeleine Albright a affirmé en 1996 que même si 500 000 enfants étaient morts à cause des sanctions, « cela aurait valu la peine ». Les sanctions ont aussi renforcé le régime de Saddam, car elles ont unifié la population contre cette menace extérieure.
Mais les sanctions économiques n’étaient pas le seul élément de la politique de Clinton envers l’Irak. Sous Clinton l’Irak a été la cible de bombardements prolongés, les plus intenses depuis le Vietnam. Bien que la majorité des Nations Unies s’y soit opposée, les États-Unis et la Grande Bretagne ont bombardé des cibles suspectes dans des soi-disant « zones d’exclusion aérienne », des zones où les États-Unis ont décidé d’empêcher l’Irak de faire voler ses avions et de mener toute activité militaire. Des milliers de tonnes de bombes ont été lâchées au-dessus de l’Irak durant la présidence de Clinton, tuant de nombreux civils. En 1993, Clinton a donné l’ordre à l’aviation militaire américaine de détruire les centres de renseignement irakiens.
Un autre volet des sanctions obligeait l’Irak à laisser les inspecteurs de la Commission spéciale de l’ONU (UNSCOM) rechercher et démonter toute installation pouvant produire des armes de destruction massive. L’UNSCOM ne devait servir qu’à démanteler les sites de fabrication d’armes en Irak. Mais au lieu de cela, sous Clinton, la CIA a utilisé clandestinement l’UNSCOM pour avoir accès à l’Irak et espionner le régime de Saddam. Elle a mené des opérations secrètes à partir des locaux de l’UNSCOM, organisé des écoutes de leurs communications et a employé des agents de la CIA comme inspecteurs de l’UNSCOM. Les renseignements, obtenus à l’aide de ces moyens, permettaient d’identifier des « zones d’exclusion aérienne », des cibles pour des bombardements incessants par les forces américaines et britanniques.
En 1998, la politique secrète visant à « changer le régime » a été rendue publique. Le 31 octobre, Clinton a signé « l’Acte de libération de l’Irak », de par lequel le changement de régime en Irak devenait la politique officielle des États-Unis. En décembre 1998, Clinton a donné l’ordre de bombarder massivement pendant quatre jours le territoire irakien, avec l’objectif aléatoire de supprimer Saddam Hussein et, en tout cas d’affaiblir son régime. Clinton a prétendu que le motif des bombardements était le renvoi, par Saddam Hussein, des inspecteurs de l’UNSCOM et le refus de l’Irak de se soumettre aux équipes d’inspection, ce qui impliquait que les sites de production existaient toujours. Mais d’après l’inspecteur en chef Scott Ritter, ses équipes ont réussi à identifier et à démonter la plus grande partie des usines d’armements, supprimant ainsi toute menace provenant d’Irak. Ils ont été expulsés uniquement à cause de la CIA qui utilisait l’UNSCOM à des fins d’espionnage. Ritter a donné sa démission en 1998, avant le bombardement, quand il a appris que la CIA utilisait et manipulait l’UNSCOM.
La politique de Clinton envers l’Irak a posé les prémices de l’invasion de l’Irak en 2003 et à son occupation qui continue à ce jour. Et en 2003, quand l’invasion de l’Irak était déjà en cours, Clinton a fait une apparition rapide à l’émission télévisée 60 minutes pour soutenir la décision du président Bush de déclencher la guerre.
Kosovo : la soi-disant guerre humanitaire
Quand l’obstacle de l’Union soviétique a disparu en 1991, les États-Unis ont entendu créer des bases militaires et établir de nouvelles relations économiques avec les pays de l’ancien bloc soviétique. Des tensions ethniques existant sur le territoire de l’ex-Yougoslavie ont justifié une intervention américaine.
Un différend important est apparu en Serbie, une partie de l’ex-Yougoslavie. Dans la province du Kosovo la population était favorable à l’indépendance vis-à-vis de la Serbie, à cause des tensions ethniques entre les Albanais kosovars majoritaires et les Serbes. En 1999 le président de la Serbie Slobodan Milosevic a donné l’ordre d’attaquer le Kosovo. Lors de cette agression près de 2 000 Kosovars ont trouvé la mort. En 1995 Milosevic s’était déjà montré brutal envers les mouvements oppositionnels de Bosnie-Herzégovine, tuant des milliers de gens.
À l’aide de l’OTAN, les États-Unis ont proposé d’établir un contrôle total sur le Kosovo et d’occuper la Yougoslavie. Cette proposition fut rejetée par le gouvernement serbe, comme une tentative explicite d’occuper le pays, et il a émis une contre-proposition qui réprouvait l’occupation de l’OTAN, mais appelait à des négociations. La contre-proposition a été rejetée vu l’influence des États-Unis sur l’OTAN, et les forces de l’OTAN, menées par les États-Unis, ont reçu l’ordre de commencer à bombarder le pays.
Ces bombardements ont été présentés dans les médias américains, comme un moyen d’arrêter la purification ethnique au Kosovo et le déplacement forcé des Albanais de cette province. Mais deux mois après les bombardements, plus de 800 000 Albanais, de toute façon, ont été forcés de quitter Kosovo. En réalité, la campagne de bombardements a accéléré et aggravé les attaques contre les Albanais et leur exode du Kosovo. Des milliers de civils ont étés tués par les bombardements de l’OTAN.
Les motifs de l’attaque de la Yougoslavie sont apparus au grand jour, aussitôt après les bombardements. Les États-Unis ont commencé à stationner des troupes, par milliers, sur le territoire de l’ex-Yougoslavie. Les militaires américains ont occupé 1 000 acres de terre agricole au sud-est du Kosovo et ont de suite commencé à construire le Camp Bondsteel, à l’époque la plus grande base militaire américaine. Il abrite près de 7 000 soldats – les trois quarts des troupes américaines au Kosovo. Il dispose de plus de 24 km de routes et de plus de 300 bâtiments. Il est si grand qu’il inclut trois quartiers commerciaux différents, des boutiques de vente en détail, un bowling, un club de gymnastique ouvert 24h/24, une église, une bibliothèque et des hôpitaux, parmi les plus modernes d’Europe. Peu après l’ouverture de la base, la Compagnie pétrolière albanaise, macédonienne et bulgare (AMBO), appartenant aux États-Unis, a été propulsée pour finaliser les projets de construction d’un grand oléoduc transbalkanique, de la Mer Noire à la Mer Adriatique, à travers l’ex-Yougoslavie et le Kosovo.
Ce qu’on a « vendu » à la population américaine comme une campagne morale de bombardements, n’était qu’un pas des États-Unis, visant à instaurer une présence militaire et économique dans l’ancien bloc soviétique.
Autres catastrophes :
Somalie
En 1993 l’administration Clinton a utilisé l’armée américaine pour mener une intervention désastreuse dans un conflit civil en Somalie au bénéfice des compagnies pétrolières américaines. Vers la fin de 1990 pratiquement deux tiers de la campagne somalienne a été mise à disposition des compagnies américaines (Chevron, Amoco, Conoco, et Phillips) pour prospecter du pétrole, sous la présidence de Mohamed Siad Barre. En janvier 1991, suite à des années de sécheresse et de pauvreté effroyable en Somalie, Barre a été renversé par des groupes rebelles liés à divers clans somaliens. À cette époque le pays a été précipité dans des conflits chaotiques entre factions rebelles. Tant que la Somalie était déchirée par des combats internes, les projets de prospection pétrolière américains devaient être stoppés. Ainsi en 1993 l’administration Clinton a donné à l’armée l’ordre d’intervenir dans le conflit. La raison officielle de la mission américaine était de fournir l’aide humanitaire à la population du pays appauvrie. Mais très rapidement l’objectif réel de la présence américaine en Somalie s’est clarifiée : il s’agissait d’écraser certaines factions rebelles, d’en finir avec le conflit et de reprendre la prospection pétrolière américaine.
Les États-Unis ont attaqué une assemblée d’anciens de tribus alliées et ont fait exploser la maison dans laquelle ils se trouvaient, tuant presque tout le monde à l’intérieur. Cela n’a fait que monter la population contre les États-Unis. Plus tard les États-Unis ont donné l’ordre d’attaquer l’un des groupes rebelles, maître de la capitale, la ville la plus peuplée de Somalie, Mogadiscio. L’attaque s’est soldée par un désastre et a eu pour résultat la mort de 19 soldats américains et de plus de 2 000 Somaliens.
Haïti
En 1991 Jean Bertrand Aristide devint le premier président haïtien démocratiquement élu, après des décennies de dictature militaire dans le pays, soutenues par les États-Unis. Aristide était un pasteur protestant très connu qui venait d’une famille haïtienne pauvre. Les États-Unis n’étaient pas sûrs qu’ils puissent lui faire confiance, car il avait été élu en promettant d’employer une partie des richesses d’Haïti pour financer l’assistance aux pauvres. Immédiatement après les élections, il a été renversé par un coup d’État appuyé par la CIA. Ce putsch a instauré une dictature extrêmement brutale pendant quatre ans. Durant cette période (1991-1994) la situation d’Haïti empira. Le gouvernement putschiste entreprit le pillage de l’économie et accrût la production et le commerce de drogue. Il était évident que sa politique déstabilisait le pays, poussant la population à continuer l’agitation. Quand Clinton, au pouvoir en 1994, rencontra Aristide c’était afin de négocier son rétablissement à la présidence. Aristide devait coopérer avec les États-Unis, les aidant à prendre en main l’économie haïtienne, ce qui signifiait transférer les richesses du pays sur les comptes bancaires des capitalistes américains, loin des masses en complet dénuement, du pays le plus pauvre de l’hémisphère ouest.
Palestine / Israël
Clinton a initié des négociations entre le premier ministre israélien Ehud Barak et le président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat. Selon la légende, Israël a proposé aux Palestiniens un généreux accord de paix concernant plus de 90 % des terres qu’ils possédaient à l’origine. Et, pour avoir favorisé une offre aussi généreuse, Clinton a été montré comme un dirigeant puissant, qui a réussi ce que certains considéraient comme impossible. En réalité, cet accord ne proposait aux Palestiniens que le nom d’un État palestinien. L’accord prévoyait de couper la Palestine en quatre entités séparées par des barrages routiers et des postes de contrôle israéliens. Les colonies israéliennes importantes sur les terres palestiniennes, où vivent plus de 300 000 habitants israéliens, étaient censées rester en place ainsi que les 482 km de routes reliant les colonies. Les Palestiniens, chassés de leurs maisons à cause de la création de ces colonies, n’avaient pas le droit au retour. Le projet, soi-disant généreux, n’était, une fois de plus, qu’un moyen de forcer la Palestine à accepter officiellement d’être réduite au statut de colonie permanente d’Israël.
Rwanda
Après plusieurs décennies d’occupation coloniale de Belgique, la population rwandaise vivait dans un complet dénuement. L’occupation coloniale et impérialiste exacerbait les rivalités ethniques pour diviser la population. Au début des années 1990 un conflit s’est transformé en guerre civile ouverte. En 1994 la guerre civile s’est intensifiée et a atteint un niveau génocidaire. En 100 jours entre 500 000 et plus d’un million de rwandais ont été assassinés par des groupes paramilitaires extrémistes. Ces massacres ont été de loin plus meurtriers que la soi-disant « purification ethnique » en cours à cette date en Yougoslavie ou que la guerre des chefs tribaux somaliens. L’administration Clinton n’a rien fait pour protéger la population contre le génocide, montrant que sa défense des causes humanitaires, en politique étrangère, était motivée par des intérêts économiques américains et non par l’objectif de sauver des vies.
Le changement climatique – ce n’est pas une grande menace
Ce n’est un secret pour personne que les États-Unis, en brûlant des énergies fossiles, sont le plus gros émetteur de gaz carbonique de la planète. Quand le carbone est émis dans l’atmosphère, il se lie à l’oxygène pour former du dioxyde de carbone, le gaz prioritairement responsable du réchauffement climatique.
Une partie du faux héritage de Clinton réside dans le fait que son administration prétendait mettre l’écologie à l’ordre du jour. Ce mythe s’est renforcé depuis que le vice-président de Clinton, Al Gore, a fait un film sous le titre Une vérité embarrassante (An Inconvenient Truth). Dans ce film, il montre certaines raisons économiques du changement climatique, et ce faisant se présente comme un écologiste convaincu.
Le véritable bilan de l’administration Clinton dans le domaine de l’environnement est terrifiant. D’abord, un objectif d’ordre secondaire de divers accords commerciaux appuyés par l’administration Clinton visait le contournement des normes environnementales par les sociétés américaines. Quand les compagnies américaines obtenaient l’accès aux pays en voie de développement dans le monde, elles en profitaient pour échapper aux lois environnementales régissant la production. Après avoir installé leurs entreprises dans les pays en voie de développement, le plus souvent, les dirigeants de ces sociétés pouvaient les faire fonctionner en se moquant des conséquences sur l’environnement de ces pays. Quel est le résultat d’une telle liberté ? Des fleuves pollués, des forêts et des prairies détruites, des villes inondées et la disparition des espèces en danger.
Les gens se souviennent aussi que l’administration Clinton a ratifié le Protocole de Kyoto, un accord international prévoyant des restrictions limitées sur la pollution dans le monde. Il est vrai que sous l’administration Clinton, les États-Unis ont signé cet accord mais elle n’a jamais soumis le protocole à la ratification du Sénat. Aussi cette signature reste lettre morte.
En somme, la politique de Clinton envers l’environnement ne favorisait pas sa préservation, mais sa destruction.
Lors de ses deux mandats présidentiels sur tous les fronts – celui des services sociaux, de la politique étrangère, de l’environnement, et même celui des libertés civiles – Clinton a défendu bec et ongles les intérêts de la classe dominante aux États-Unis.
Brève histoire du Parti démocrate depuis Bill Clinton
Pendant les huit années de l’administration Bush, les Démocrates ont tenté la plupart de temps de prendre leurs distances, en critiquant de temps à autre certains points de sa politique. Mais en dépit de ces critiques, les démocrates ont dans l’ensemble soutenu et voté plusieurs points de la politique qu’ils prétendaient rejeter.
11 Septembre 2001 : le « PATRIOT Act »
Peu après le 11 Septembre le projet de loi « USA PATRIOT Act » a été présenté devant le Congrès et voté presque à l’unanimité (un sénateur seulement a voté contre). Une fois adopté, le « Patriot Act » a servi de fondement pour élargir les pouvoirs de la police et a considérablement limité les libertés civiles. Le Patriot Act est une extension de la « Loi sur l’anti-terrorisme et la peine de mort », adoptée sous Bill Clinton en 1996. Le Patriot Act a pratiquement supprimé l’habeas corpus pour ceux que le gouvernement américain suspecte d’être terroristes. Habeas corpus signifie le droit d’une personne à un procès avec des preuves présentées aux juges pour prouver son innocence. Mais de par le Patriot Act, le gouvernement peut placer des gens en détention en tant que suspects de terrorisme, indéfiniment, sans aucun jugement, et souvent sans accès à un avocat ou sans visite de sa famille. Il permet aussi d’expulser des personnes suspectées de terrorisme, vers un pays choisi par les États-Unis. Le Patriot Act donne tout facilité à la police d’organiser des écoutes téléphoniques, de perquisitionner à domicile, d’accéder au courrier électronique, au courrier personnel, aux relevés bancaires et ainsi de suite. Grâce au Patriot Act la police peut arrêter, placer en détention, interroger, espionner et perquisitionner chez n’importe quelle personne suspectée de terrorisme, ou qui peut lui servir à enquêter sur le terrorisme.
La notion « terroriste » est une notion intentionnellement extensive, incluant n’importe qui, permettant au gouvernement américain d’accuser de terrorisme ceux qu’il souhaite impliquer. La définition inclut des déclarations vagues et floues, telles que tout individu « qui entend intimider ou contraindre la population civile », ou « influencer la politique du gouvernement par intimidation ou coercition », ou « utiliser un dispositif dangereux avec intention de mettre en danger, directement ou indirectement, la sécurité d’un ou de nombreux individus, ou de causer des dommages substantiels à la propriété ». Ces attendus peuvent très bien s’appliquer à une grève de travailleurs bien organisée, en dehors de leur lieu de travail, ou à une manifestation de masse contre la guerre.
Déjà en 2003 des groupes de défense des droits de l’homme estimaient que près de 15 000 personnes avaient été arrêtées et détenues par le gouvernement américain de par le Patriot Act. Et au moins 3 208 d’entre elles ont été expulsées. Depuis ce nombre a presque doublé. Dans la majorité des cas, il n’a pas été présenté de preuve contre ces personnes. Des gens ont souvent été détenus durant des mois, sans que leur famille ait la moindre idée de ce qui leur arrivait. Ceux qui ont été expulsés ne revoyaient parfois leur famille que quelques heures avant d’être embarqués dans l’avion.
Le Patriot Act est entré en vigueur en Octobre 2001 et était supposé expirer en 2006. Mais en Mars 2006 le Congrès a voté un projet de loi rendant le Patriot Act permanent. Il est passé grâce au soutien quasi-unanime des voix démocrates et républicaines. Et en 2007 le Congrès, contrôlé par les Démocrates a, comme un seul homme, adopté HR 1955, « l’Acte de prévention de la radicalisation violente et du terrorisme dans le pays » (Violent Radicalization and Homegrown Terrorism Prevention Act). Cette loi étend la capacité du gouvernement américain à qualifier des groupes de citoyens américains de terroristes et de les mettre derrière les barreaux.
L’invasion d’Afghanistan : l’opération « liberté immuable »
Le 7 octobre 2001, moins d’un mois après les attentats du 11 Septembre, l’armée américaine a envahi et occupé l’Afghanistan. Cette agression a reçu dès le début un soutien unanime des Démocrates, aussi bien que des Républicains. Le jour où les bombardements ont commencé, le Congrès a rendu publique une déclaration bipartite, garantissant « un soutien sans faille à l’opération militaire, ordonnée par le président Bush en cours le jour même ».
L’invasion avait pour prétexte le fait que le chef présumé des attentats du 11 Septembre, Oussama Ben Laden, et son organisation terroriste, Al Qaïda, se trouvaient en Afghanistan. Les États-Unis ont accusé le régime brutal des Talibans, au pouvoir, en Afghanistan, de protéger Al Qaïda. L’armée américaine a lancé un ultimatum vis-à-vis des Talibans, leur enjoignant de livrer Oussama Ben Laden ou d’avoir à affronter l’attaque américaine. Les Talibans ont répondu à l’ultimatum en demandant l’ouverture de négociations et demandant des preuves tangibles qu’Oussama Ben Laden était bien responsable des attentats. Les États-Unis attaquèrent quand même l’Afghanistan.
Les conséquences des bombardements et de l’occupation qui a suivi ont été tragiques. Selon des estimations, plus 3 700 civils afghans ont perdu la vie en une année d’occupation. Les États-Unis bombardaient régulièrement les villages, massacrant des familles entières. Au moins deux fois les États-Unis ont bombardé des centres de distribution d’aide alimentaire de la Croix Rouge.
Peu après l’invasion, les Talibans ont perdu le pouvoir et reculé jusqu’au Pakistan. Le pays est gouverné par l’armée américaine et un gouvernement fantoche dirigé par Hamid Karzaï, un ancien consultant de la compagnie pétrolière Unocal. Karzaï a aidé les États-Unis à négocier avec les Talibans en 1999 en vue de construire un oléoduc en direction de la mer Caspienne.
Les objectifs officiels de cette guerre visaient à capturer Oussama Ben Laden, à déposer le régime des Talibans et à améliorer les conditions d’existence de la population afghane. Aucun de ces objectifs n’a été atteint, et la situation de la majorité des Afghans a empiré. Plus de 50 000 soldats de l’OTAN (en majorité des américains) occupent le pays. Plus de civils ont été tués par les troupes de l’OTAN que par les Talibans. Près de 20 000 civils en ont été victimes. Le gouvernement fantoche d’Hamid Karzaï, soutenu par les États-Unis, s’est pratiquement effondré. Des groupes rivaux de seigneurs de la guerre, incluant les Talibans qui se sont réorganisés, contrôlent près de 75 % du pays. Les femmes afghanes vivent constamment dans la peur d’être kidnappées ou violées. Sur la liste de 177 pays classés selon l’indice de pauvreté, l’Afghanistan occupe l’avant dernière place. Plus de 6,5 millions d’Afghans risquent de mourir de faim. Au moins 40 % de la population est au chômage et n’a aucun revenu. Vivre en Afghanistan est une catastrophe.
En juillet 2008, les Démocrates et les Républicains continuent à voter, sans états d’âme, les augmentations de budget militaire et de contingents de troupes occupant l’Afghanistan, car ils prétendent que c’est un combat crucial de la soi-disant « guerre contre le terrorisme ». Mais les véritables intérêts des États-Unis en Afghanistan n’ont rien à voir avec la guerre contre le terrorisme. L’occupation de l’Afghanistan et les bases militaires américaines implantées dans les pays voisins, au Nord, permettent aux États-Unis de s’incruster dans une région clef d’Asie centrale contrôlée auparavant par l’Union soviétique, qui a des chances de devenir vers 2010 la troisième productrice de pétrole et de gaz dans le monde.
L’invasion de l’Irak
L’administration Bush a tenté d’obtenir un appui à sa guerre contre l’Irak sur trois idées clé :
1) Saddam Hussein était impliqué dans les attentats du 11 Septembre.
2) Saddam Hussein devait être renversé, parce que son régime était en possession d’armes de destruction massive, ce qui constituait une menace sérieuse vis-à-vis des États-Unis
3) Il était vital d’établir une société démocratique en Irak.
Il a été démontré que le lien entre Saddam Hussein et les attentats du 11 Septembre était une absurdité, un mensonge fabriqué de toutes pièces. Pendant des décennies Saddam Hussein et son parti laïc au pouvoir, le Baas, ont brutalement réprimé les militants islamistes en Irak. Les relations entre Saddam Hussein et Oussama Ben Laden n’étaient rien moins qu’antagoniques.
Les allégations de possession d’armes de destruction massive étaient, comme il a été démontré plus tard, non seulement fausses, mais reposant sur des preuves fabriquées de toutes pièces par l’administration Bush. De telles armes n’ont jamais été trouvées en Irak. Le chef des inspecteurs de l’ONU a témoigné que ces armes avaient été détruites dans les années 1990. Plusieurs documents, dont l’administration Bush s’est servie pour justifier le déclenchement de la guerre, ont été identifiés depuis comme des faux. Un certain nombre d’employés du Pentagone et de fonctionnaires de l’administration Bush ont publiquement reconnu que le prétexte à la guerre a été conçu sur des faux et de fieffés mensonges.
Et la prétention de construire une démocratie en Irak, un mensonge dès le début, s’est avérée absolument erronée dès le premier jour de l’occupation.
Malgré une opposition massive à la guerre dans le monde et aux États-Unis, avant même qu’elle ne s’engage, et de sérieux arguments à l’encontre des motifs d’entrée en guerre élaborés par l’administration Bush, le Congrès a tout de même voté le feu vert à Bush pour déclencher la guerre en Irak. 86 Démocrates sur 126 ont voté la résolution. Parmi ceux qui ont voté contre la résolution, certains ne s’opposaient pas à l’intervention militaire, mais préféraient user initialement d’un peu plus de diplomatie. Le fait que les Démocrates soutenaient énergiquement la guerre était surtout visible au travers de leur approbation continue du budget de guerre et de l’accroissement du contingent en Irak.
Aujourd’hui plus de cinq ans se sont écoulés depuis le début de l’invasion, la vie quotidienne reste impossible pour une grande partie du peuple. Le chômage atteint 70 %. Le salaire moyen de ceux qui travaillent est de 150 $ par mois. Le prix des produits de première nécessité a doublé depuis le début de l’occupation. Seulement 37 % des maisons irakiennes sont raccordées aux égoûts. Un quart des enfants irakiens souffrent de malnutrition chronique. 70 % des cas de mortalité infantile résultent d’une simple diarrhée ou de maladies respiratoires. 90 % des hôpitaux manquent de moyens. Selon des estimations, plus d’un million d’Irakien seraient morts. Selon l’ONU, 100 000 personnes par mois quittent le pays, et le nombre d’Irakiens vivant actuellement dans d’autres pays arabes dépasserait les deux millions. Sur le territoire irakien il y a près de 2,5 millions de personnes déplacées en Irak même. Les escadrons de la mort et des milices provoquent des attentats suicides, causant la mort de près de cent Irakiens par jour.
En dépit des discussions concernant le retrait des troupes, les États-Unis n’ont manifestement aucune intention de quitter l’Irak. À présent, les États-Unis disposent de plus de 15 bases militaires importantes. Ils finissent de construire leur ambassade qui coûterait plus de 740 millions de dollars. L’ambassade comprend 21 bâtiments, une alimentation en eau distincte avec une station de purification, une centrale électrique et un système de bus privé. En plus de ces bases, les États-Unis essaient, en vain, de faire passer au parlement irakien une loi qui mettrait le pétrole irakien à disposition des États-Unis pour les décennies à venir.
Les élections partielles au Congrès en 2006
Les électeurs n’ont pas choisi de président démocrate lors des élections présidentielles de 2004. John Kerry était le candidat du Parti démocrate, mais la population avait du mal à percevoir la différence entre lui et Bush. Kerry a voté en faveur du PATRIOT Act et de l’invasion de l’Irak. Il était un farouche partisan de la guerre en Afghanistan. Pendant toute sa campagne il a présenté une politique étrangère tout aussi agressive que celle de George Bush.
Pourtant, pendant les élections au Congrès en 2006 les candidats du Parti démocrate ont essayé de changer de stratégie et se sont présentés comme des opposants purs et durs à Bush et à la guerre. Les électeurs ont voté en masse pour envoyer des Démocrates au Congrès. Les Démocrates ont gagné 29 sièges à la Chambre des représentants, 6 sièges au Sénat, et ont pris 6 postes de gouverneurs aux Républicains. Les élections ont donné aux démocrates la majorité aux deux chambres du Congrès : 51 Démocrates contre 49 Républicains au Sénat et 233 Démocrates contre 202 Républicains à la Chambre des représentants. Beaucoup ont voté pour les Démocrates, car ils pensaient que c’était un moyen d’arrêter la guerre et de congédier l’administration Bush. Avant les élections quelques notables démocrates ont milité activement pour le renvoi (l’impeachment). Une fois les Démocrates élus en majorité au Congrès, leurs appels agressifs contre la guerre se sont tus. Très vite, Nancy Pelosi, récemment élue présidente de la Chambre des représentants, a déclaré que l’impeachment n’était plus à l’ordre du jour. Et chaque fois que les Démocrates ont eu l’occasion de voter, ils ont effectivement voté pour continuer la guerre. Tous les projets de loi pour financer la guerre, proposés par Bush, ont été adoptés par un Congrès à majorité démocrate. Cela signifiait que la majorité des Démocrates avaient voté en leur faveur. Chaque nouvelle nomination de l’administration Bush était approuvée par le Congrès. Quatre mois seulement après avoir été élus au Congrès les Démocrates ont voté un budget supplémentaire de 150 milliards de dollars afin de couvrir les dépenses militaires en Irak et en Afghanistan.
Les primaires du Parti démocrate et les élections présidentielles de 2008
Les primaires du Parti démocrate ont débuté avec plusieurs candidats ayant peu de différence entre eux. Ils ont opté pour la stratégie utilisée lors des élections au Congrès deux ans plus tôt, et ont fait campagne contre la guerre et contre Bush. Après le premier tour des primaires il n’en est resté que deux : Barack Obama et Hilary Clinton.
Beaucoup se sont intéressés à leur campagne, car chacun des candidats offrait en apparence quelque chose de nouveau : Barack Obama pouvait devenir le premier président noir, et Hilary Clinton, la première présidente femme. En réalité ces candidats n’étaient pas si différents l’un de l’autre, ni de l’administration Bush.
À propos de la soi-disant guerre contre le terrorisme, Obama et Hilary Clinton ont tous deux fermement soutenu le Patriot Act, l’occupation de l’Afghanistan et de l’Irak. L’un et l’autre ont voté pour la prorogation du Patriot Act. Obama et Clinton ont fait campagne pour renforcer les troupes et accroître le financement de l’occupation de l’Afghanistan. Malgré le fait qu’Hilary Clinton ait voté pour la résolution et approuvé l’invasion de l’Irak, elle prétendait que si elle avait su ce qu’elle savait actuellement, elle ne l’aurait jamais fait. Obama n’était pas sénateur au moment du vote, et lors de sa campagne, prétendait s’être opposé à la guerre en Irak dès le début. L’histoire de leurs votes au Congrès ne va pas dans le sens de leur discours de campagne. Tous deux ont toujours ratifié les projets de loi soumis au Congrès pour consolider le financement de l’occupation et envoyer plus de troupes en Irak.
Les deux candidats ont promis un soutien ferme au gouvernement israélien qui mène une politique brutale d’occupation de la Palestine depuis plus de 50 ans.
Tous les deux soutenaient les allégations de l’administration Bush affirmant que l’Iran constitue une menace sérieuse à l’encontre des États-Unis. Ils prétendaient qu’elle était suffisamment grave pour justifier des raids contre l’Iran.
Les propositions d’Obama et de Clinton à propos du système de santé ont suscité beaucoup d’espoir. Les deux candidats promettaient d’assurer l’accès aux soins à chaque citoyen du pays. Mais si leurs propositions d’accès aux soins étaient mises en application, elles rendraient l’accès aux soins médicaux analogues à la souscription d’une assurance automobile. De par la loi, l’achat d’une assurance santé deviendrait obligatoire et les gens pourraient même recevoir des amendes s’ils ne le faisaient pas. Leurs propositions ne permettent pas de résoudre le problème de fond du système de santé, à savoir son coût exorbitant qui le rend inaccessible à des millions de personnes. L’exigence d’avoir un système de santé ne veut pas dire que les gens pourront à l’aide d’une baguette magique trouver des moyens pour le payer. Leurs propositions contiennent de vagues recommandations d’allouer des fonds et d’aider les faibles revenus, mais globalement elles manquent de précision. Malgré le fait qu’une petite partie de la population pourrait ainsi obtenir une aide minime quant à l’accès aux soins, leurs propositions ne sont guère qu’un moyen d’enrichir les compagnies d’assurances, déjà richissimes, en remettant en leurs mains l’argent du peuple.
Les campagnes de Barack Obama et d’Hilary Clinton s’apparentent aux campagnes des Démocrates précédents. Obama et Clinton ont essayé de toutes leurs forces d’avoir l’air de représenter une espérance réelle de changement, mais en réalité ils proposent une politique guère différente de celles appliquées par les Démocrates dans le passé. On voit leur « couleur » véritable quand on comprend à quel point la bourgeoisie leur fait confiance. Les plus importants souscripteurs de leurs campagnes sont les fabricants d’armes, les grandes banques et institutions financières, les médias et autres grandes compagnies. Cette liste inclut Goldman Sachs, Citigroup, JP Morgan Chase, Lockhead Martin, Boeing, Time Warner. Mener une campagne traditionnelle requiert le soutien des grands trusts et des banques. Le président de la Commission électorale fédérale Michael Toner a estimé que, pour être pris au sérieux, un candidat doit collecter au moins 100 millions de dollars vers la fin 2007 et prévoir que pour les campagnes de 2008 il lui faudra dépenser au moins un milliard de dollars.
Un autre regard sur la campagne présidentielle de Barack Obama
Il n’est pas surprenant que beaucoup de travailleurs soient enthousiasmés de voter Obama. C’est leur manière d’exprimer leur dégoût de la politique menée par le gouvernement au cours des dernières années. Pour certains c’est un vote contre l’administration Bush et le parti républicain représenté par le sénateur McCain. Alors que le racisme continue à diviser le pays, on comprend qu’un grand nombre de Noirs voteront pour Obama. Un Noir à la présidence serait perçu par beaucoup comme un symbole marquant la fin des barrières raciales qui ont réduit les chances des Noirs pendant si longtemps. Beaucoup sont également attirés par le message de changement d’Obama. Obama parle souvent de changer les choses à Washington et de tenir tête aux gros bonnets des affaires. Pour la plupart des travailleurs, qui arrivent à peine à joindre les deux bouts, il faut bel et bien du changement. Mais si Obama peut changer le visage du président, il ne changera pas les intérêts défendus par Washington.
Les actions politiques d’Obama montrent ses priorités plus clairement que ses discours de campagne. Comme on l’a vu plus haut, Obama a voté en faveur du Patriot Act chaque fois que c’était nécessaire. Il a voté et approuvé des budgets de centaines de milliards de dollars pour les guerres d’Irak et d’Afghanistan. Il prévoit d’augmenter le nombre de soldats américains en Afghanistan.
En tant que sénateur, Obama a voté pour une loi qui rend plus difficile pour les travailleurs de poursuivre des entreprises en justice. En 2005, il a voté pour la loi de « justice dans les recours collectifs » (class action fairness act) qui a supprimé le droit de déposer des recours collectifs dans les tribunaux d’États. Maintenant, ces recours ne peuvent être déposés qu’auprès de tribunaux fédéraux, qui traitent moins ces cas et statuent le plus souvent en faveur des grandes sociétés. Obama a voté contre une loi qui aurait limité les taux d’intérêts que les compagnies de cartes de crédit imposent à leur clients (ces taux peuvent dépasser 20 % et faire plonger de nombreux ménages dans la faillite ou la dette perpétuelle). Il a également voté une loi qui permet aux compagnies d’assurance maladie de s’excuser au lieu d’être condamnées à payer des dommages et intérêts en cas d’erreurs médicales. Il a soutenu des lois permettant aux compagnies minières d’acheter à très bas prix des terrains publics et de ne pas rembourser les villes et États où ils exploitent ces mines. En tant que sénateur de l’Illinois, Obama à passé une loi limitant les émissions polluantes des grandes entreprises, ce qui lui a valu le soutien des écologistes. Obama prétend favoriser les alternatives au pétrole, parlant de l’éthanol comme d’une source d’énergie propre, puisque produit à partir du maïs. Un des leaders de l’industrie de l’éthanol est Archer Daniels Midland, une compagnie agricole basée dans l’Illinois, un contributeur majeur aux campagnes d’Obama. Le processus de conversion du maïs en éthanol, combiné aux quantités plus importantes d’éthanol nécessaires pour faire tourner les moteurs, rend l’éthanol plus pollueur que l’essence. L’industrie agricole a contribué pour plus d’un million de dollars à la campagne d’Obama.
Les plus importantes contributions à la campagne d’Obama proviennent de banques multinationales, de puissants cabinets d’avocats, de pollueurs producteurs d’énergie, et d’énormes compagnies de médias. Au sommet de la liste se trouve Goldman Sachs qui a fourni plus de 500 000 $ pour la campagne d’Obama. Goldman Sachs est une des plus grandes banques d’investissement au monde. Dans son comité directeur sont représentées des firmes telles que General Motors, Pfizer, la plus grande firme pharmaceutique au monde, KB Home, une des plus grandes compagnie de bâtiment aux États-Unis, United Health Group, une des plus grandes compagnies d’assurance santé aux États-Unis, Temple Inland, une gigantesque firme de bois de charpente, leader mondial de la déforestation, BankOne Corp, une institution financière spécialisée dans les opérations de crédit. Ces compagnies sont liées aux trusts, tels McDonald, General Electric et d’autres firmes majeures dans les grands secteurs d’activité industrielle. Obama a choisi Joe Biden comme candidat à la vice-présidence. Biden est un familier de longue date à Washington, avec 35 ans d’expérience dans la défense de la classe dirigeante américaine.
Biden, à la différence d’Obama, était au Sénat quand a eu lieu le vote légitimant la guerre en Irak. Il a voté en sa faveur. Il affirmait à ce moment que la guerre en Irak serait une « marche pour la paix et la sécurité ».
Biden a aussi voté en faveur de tous les projets de loi de financement de la guerre en Irak et en Afghanistan. Biden a même fait mieux que l’administration Bush quand il a fait la proposition d’accroître le budget de guerre, de 13 milliards de dollars, la plus grande partie de cet argent tombant dans les poches des fabricants d’armes. Biden soutient le projet d’envoyer plus de troupes en Afghanistan. Biden est aussi un chaud partisan de l’occupation de la Palestine par Israël. Il a accepté des dizaines de milliers de dollars de contributions de campagne électorale des différents lobbys israéliens. Biden a aussi voté pour faire passer et proroger le Patriot Act.
En 2005, Biden a aussi voté la législation qui a sévèrement réduit la possibilité pour les travailleurs d’avoir accès à des dispositifs d’aide en cas de surendettement. Une véritable offensive contre les travailleurs et un cadeau aux compagnies de cartes de crédit. Les expulsions de locataires privés de moyens sont facilitées pour les propriétaires de logements. Elle permet même aux créditeurs de faire transférer des allocations parentales pour payer les dettes des parents. Elle protège les riches, leur permettant de garder des capitaux investis dans le patrimoine immobilier. Elle permet de même aux créditeurs de donner de fausses informations sur les cartes de crédit. Les compagnies de cartes de crédit avaient essayé de faire passer cette législation depuis des années. Quand elle a été effectivement adoptée en 2005, ces compagnies avaient dépensé 34 millions de dollars pour le lobbying et les contributions de campagne électorale pendant les neuf années précédentes. La compagnie de crédit MBNA a son siège au Delaware, un État représenté par Biden au Congrès. Elle a contribué pour des dizaines de milliers de dollars à sa campagne sénatoriale et même été mêlée à un scandale dans lequel un cadre de MBNA a versé une somme importante pour acheter la maison de Biden. Pour tout le monde il est évident que ce n’était qu’un moyen de plus pour verser de l’argent en plus dans les poches de Biden.
Biden a aussi joué un rôle important en s’en prenant aux pauvres et aux travailleurs dans les années 90. Biden a aidé à faire passer la législation proposée par l’administration Clinton pour priver d’aide sociale des millions de gens. Obama a aussi appuyé cette législation qui a réduit l’attribution de tickets de nourriture, l’assistance médicale et différentes aides à ceux qui en ont le plus besoin.
De nos jours, les bas salaires, la montée des prix, l’enrichissement des capitalistes, entraînent pour les travailleurs, des conditions d’existence de plus en plus dures, justifiant leur aspiration au changement.
Mais il ne faut pas se tromper, nous n’avons pas besoin d’un simple changement symbolique. Ce changement que nous voulons ne peut venir de la présidence d’Obama/Biden ou du Parti démocrate qu’ils représentent.
Conclusion
À un moment où la majorité de la population en a par-dessus la tête des guerres en Irak et en Afghanistan, un moment où la crise économique menace sa vie et son gagne pain, avec les prix de l’essence et de la nourriture qui montent en flèche, l’augmentation du chômage, des saisies, l’absence de soins médicaux et l’augmentation de la criminalité, il y a nécessité et un potentiel pour de nouvelles luttes sociales aux États-Unis.
Quand la côte de popularité de l’administration Bush et de la majorité démocrate au Congrès est en dessous de 20 %, il y a une grande désillusion et un mécontentement évident à l’encontre de la situation politique et des deux grands partis qui dirigent le gouvernement. La population a vraiment toutes les raisons d’attendre un changement qui sorte de l’ordinaire politique des élections présidentielles et du lancement sur le marché de nouveaux candidats.
Ce n’est pas le moment de refaire les erreurs passées et de placer ses espoirs dans les Démocrates et les élections. Qu’on prenne les quinze minutes nécessaires à déposer un bulletin simplement pour exprimer sa condamnation de la politique menée au cours des huit ans de Bush, ça se comprend. Mais il ne doit pas y avoir d’illusions que ce vote puisse mener à un changement significatif.
Plus important que cette élection, est décisif ce que la population est résolue à faire. Notre futur ne repose pas sur des choix électoraux, comme cette brochure tente de le montrer, en dévoilant les trahisons des Démocrates dans le passé. Les Démocrates sont passés maîtres dans l’art de la tromperie. Nos espoirs de changements ne doivent pas être investis dans l’acte passif de voter pour l’un des deux grands partis et leurs candidats présélectionnés et préapprouvés, empaquetés par les médias pour notre consommation, comme si on choisissait un article dans un centre commercial.
L’avenir sera déterminé par ce que le peuple américain décidera de faire aujourd’hui et demain, en le décidant sur les lieux de travail, dans les quartiers et dans la rue. Il dépendra de la mobilisation de la population, de sa force et de ses luttes. Elle devra choisir ses propres leaders, sur la base de leurs actions, afin de savoir en qui elle peut faire confiance et de qui elle doit se méfier.
La bourgeoisie américaine a deux principaux partis à son service. Avoir une véritable alternative, cela signifie avoir des organisations qui servent et représentent vraiment la classe ouvrière et les couches opprimées, c’est-à-dire une vaste majorité de la population.
Construire un parti de la classe ouvrière est l’objectif du Revolutionary Workers Group (RWG). Bien sûr, nous savons que nous ne pouvons pas le faire à nous seuls. Mais nous savons également que c’est dans l’intérêt de cette majeure partie de la population et qu’il y a de nombreux groupes et militants qui partagent cet objectif, et encore plus de monde qui pourrait se retrouver sur cet objectif. C’est pour cela que nous invitons tous ceux qui partagent ce but, à se joindre à nous pour aider à organiser des travailleurs, des jeunes, étudiants ou jeunes travailleurs, tous ceux qui sont prêts à se battre contre la société capitaliste et à tourner le dos aux partis capitalistes et à leurs politiciens, qu’ils se présentent comme progressistes, conservateurs, démocrates ou républicains.
Le Parti démocrate recycle simplement la même stratégie. Nous avons besoin d’une alternative basée sur nos propres intérêts, nos propres forces, notre propre énergie et nos propres efforts.
Ceux qui n’apprennent rien de l’histoire répèteront les erreurs du passé. Ceux qui étudient l’histoire ont au moins la chance de tirer les leçons des luttes du passé et de voir les pièges qui seront tendus. Espérons que cela nous aidera à choisir une voie nouvelle dans l’avenir.
Extraits d’un article de la Fraction
Partout aux Etats-Unis ces derniers mois, il y a eu un certain nombre de grèves importantes. Le refus de la classe ouvrière d’accepter l’austérité s’exprime dans sa volonté croissante de lutte. Bien que ces luttes soient restées largement sous le contrôle des syndicats et aient, pour la plupart, abouti à une défaite, les révolutionnaires doivent saluer ces signes de combativité croissante dans la classe et les suivre de près. Avec la crise de la dette publique et les luttes contre l’austérité en Europe, les luttes majeures en Inde, en Afrique du Sud, en Amérique latine et en Chine, les grèves récentes aux Etats-Unis font partie d’une dynamique internationale, qui a commencé autour de 2003, où la classe ouvrière renoue avec la solidarité et la confiance en soi. Cette dynamique a été interrompue par la crise financière mondiale en 2008 (malgré des luttes impressionnantes en Grèce, en Grande-Bretagne, et dans d’autres pays), mais depuis le début de l’année, la classe ouvrière retrouve le chemin de la lutte de classes, et montre qu’elle n’acceptera plus l’austérité sans combattre.
Depuis le printemps dernier, les ouvriers ont fait grève à Philadelphie, à Minneapolis, dans les Etats de l’Illinois, de Washington et de New York, à l’échelle nationale dans l’industrie aéronautique, et, au moment où nous mettons sous presse, un mouvement de grève sauvage des dockers s’étend dans les villes portuaires de la côte Est. C’est de façon significative que ces luttes ont repris un grand nombre des questions centrales des grèves d’avant 2008 : la couverture santé, les allocations, les retraites, les licenciements, et la perspective générale de l’avenir que le capitalisme a à offrir. En 2003, par exemple, le mouvement de grève des ouvriers de l’épicerie, dans le sud de la Californie, se préoccupait principalement de la création de nouveaux volets de prestations de santé et de retraite pour les nouvelles recrues, et en 2005 la grève dans les transports de la ville de New York sur l’avenir d’un régime de retraite pour les nouveaux employés a exprimé une avancée majeure dans le développement de la solidarité intergénérationnelle dans la classe ouvrière sur ces mêmes questions.
Avec le début de la crise, les ouvriers se sont d’abord trouvés quelque peu paralysés, comme des chevreuils éblouis par des phares, avec la menace très réelle de chômage et de fermeture de l’usine. La décision de faire grève et d’affronter les patrons n’a pas été prise à la légère - personne ne peut se permettre d’être mis à pied dans un pays comptant plus de 10% de chômage officiel et plus de 16% de chômage réel1 - la plupart des ouvriers se sont retirés de la lutte de classe, en exprimant parfois l’espoir que la prochaine génération pourrait regagner le terrain perdu lorsque le moment sera plus favorable à la lutte.
Un autre facteur qui a retardé la réponse de la classe ouvrière aux attaques liées à la récente crise financière a sans aucun doute été la mystification démocratique et le formidable espoir que les gens ont ressenti avec la promesse de « changement » de l’administration Obama nouvellement élue. Le soir des élections, les électeurs ravis étaient dans la rue et célébraient l’événement en frappant sur des casseroles et des poêles. Au lieu de cela, ce que nous avons vu, depuis près de deux ans de présidence Obama, ce n’est nullement une baisse réelle du chômage, mais une économie réelle qui continue à stagner malgré des injections massives de crédits de l’Etat, une « réforme » du système de santé qui commence déjà par augmenter les cotisations des soins de santé des ouvriers et le retour de l’augmentation spectaculaire du coût de la vie, tandis que les employeurs continuent de profiter de la crise pour attaquer les salaires, les retraites, les allocations et poursuivre la réduction générale des effectifs. En général, les syndicats avaient placé leurs espoirs dans le nouveau régime Obama, misant sur le passage du désormais abandonné Employee Free Choice Act (La Loi sur le Libre Choix des Employés, note du traducteur), vendant la réforme du système de santé et promettant toutes sortes d’autres réformes, de la part de la nouvelle administration, qui seraient favorables aux ouvriers. Le mécontentement actuel des ouvriers ne peut plus être totalement canalisé vers les réformes gouvernementales et le cirque électoral : les ouvriers sont de plus en plus prêts à lutter pour défendre leur avenir.
Les premiers signes d’une lutte à une échelle massive se sont fait sentir au printemps, dans le secteur de l’éducation en Californie. Lorsque, avec la faillite de l’Etat, les frais de scolarité ont augmenté de 30% et que le personnel a été confronté à de graves attaques sur les conditions de vie et de travail, les étudiants ont occupé les universités, bloqué les routes et tenté de créer des assemblées et d’obtenir le soutien des enseignants, du personnel et d’autres parties de la classe ouvrière californienne2. Mais ce n’était qu’un début. Peu de temps après, les infirmiers à Philadelphie se sont mis en grève contre les provocations des employeurs qui supprimaient les allocations de scolarité et instauraient une « gag clause » (clause limitative des libertés et des droits, note du traducteur) contre le fait de pouvoir critiquer l’administration de leur hôpital, et se sont attirés une grande sympathie de la part d’autres ouvriers dans toute la région. Début Juin, 12 000 infirmiers de 6 hôpitaux de Minneapolis-Saint Paul se sont engagés dans un arrêt de travail d’une journée et ont voté pour l’autorisation d’une grève illimitée, ce qui aurait été la plus grande grève des infirmiers de l’histoire des Etats-Unis. Là, les infirmiers se sont principalement battus pour la restauration des niveaux de dotation en personnel et pour que les ratios spécifiques infirmier-patients soient inscrits dans leur contrat de travail, alors que les hôpitaux cherchaient à institutionnaliser les bas niveaux de dotation de postes qu’ils avaient obtenu depuis le début de la récession de 2008. Après l’autorisation de grève, comme le contrat de travail arrivait à échéance, le syndicat des infirmiers (Minnesota Nurses Association) a accepté un arbitrage non contraignant du gouvernement fédéral et une période de réflexion de 10 jours, au cours de laquelle ils ont annoncé, plus d’une semaine à l’avance, leur plan pour une grève d’une journée, le 10 juin. Malgré la réelle combativité des infirmiers et leur volonté de défendre leurs conditions de travail, le syndicat a eu les mains libres pour mener la lutte, et immédiatement après cette grève d’une journée, il a annoncé un accord de principe qui abandonnait la revendication centrale sur la question des ratios obligatoires infirmier-patients, acceptait l’offre de salaires des hôpitaux, et n’apportait aucune modification aux plans de santé et d’allocations. Les gauchistes et les syndicalistes n’ont cessé dans tout le pays de saluer ceci comme une victoire majeure de la classe, mais la propre page Facebook des infirmiers a révélé une réelle insatisfaction devant l’abandon de la revendication centrale sans réelle contrepartie.3
Un mois plus tard, plus de 15 000 ouvriers de la construction de deux syndicats différents sont entrés en lutte, dans la région de Chicago, pour une augmentation de salaire nécessaire pour couvrir les coûts des dépenses de santé, compenser le chômage endémique et la diminution des heures de travail dans l’une des industries les plus durement touchées par la récession. Pour le seul mois de juillet, l’industrie de la construction de l’Illinois a perdu 14 900 emplois.4 Pendant la grève, une déclaration du président de la section syndicale 150 de l’International Union of Operating Engineers (IUOE)5, James Sweeney, signale que les membres de cette dernière ont vu leurs heures de travail réduites de 40%, et que sur 8500 membres, 1000 dépendent des banques alimentaires et 1200 ont perdu leur couverture santé.6 Au bout de 19 jours, les ouvriers ont mis fin à la grève, acceptant l’augmentation de salaire la plus basse en 10 ans sans compensation ni de la hausse du coût de la couverture santé, ni du chômage, ni de la diminution des heures de travail. Pourtant, malgré la mainmise des syndicats, de nombreux ouvriers d’autres métiers ont respecté les piquets de grève et ont lancé un projet de grève en solidarité. Fait intéressant, le Département des Transports de l’Illinois a menacé l’association des entrepreneurs de la construction de refuser de prolonger les délais pour les projets d’Etat, et a indiqué qu’il pouvait invoquer une clause d’interdiction de se mettre en grève contre les luttes futures. De même à Chicago, début septembre, les ouvriers de l’hôtel Hyatt ont organisé une grève d’une journée (tout comme l’avait fait le syndicat des infirmiers) pour protester contre les licenciements et ont demandé des concessions dans leur contrat de travail à venir. L’été a également vu 700 ouvriers dans le Delaware entrer en grève pour la première fois contre Delmarva Power et Conectiv Energy contre des coupes dans les pensions de retraite et la suppression de la « couverture santé de retraite » pour les nouvelles recrues, retournant travailler après un vote sans majorité claire sur le contrat de travail et des appels répétés à un recomptage des voix. Les enseignants sont entrés en grève à Danville (Illinois), pour la réintégration des personnes licenciées au cours des dernières compressions budgétaires d’urgence et contre un contrat de travail incluant un gel de salaire et l’institution de primes fondées sur la performance des étudiants, et à Bellevue (Etat de Washington), pour les salaires et contre les programmes scolaires communs. A Bellevue aussi, les ouvriers de Coca-Cola ont organisé une grève d’une semaine concernant un nouveau contrat de travail les obligeant à payer 25% de toutes les cotisations santé, par opposition à leur précédent tarif forfaitaire ; mais ils sont retournés travailler après que la société eut annulé leur assurance maladie et que le syndicat eut déposé un recours collectif, insistant sur le fait qu’il valait mieux retourner au travail. A Bellevue se trouve aussi l’une des usines Boeing en grève cet été (des usines à St. Louis dans le Missouri et à Long Beach en Californie ont également fait grève), où les ouvriers sont retournés au travail après 57 journées sans aucune modification du contrat de travail proposé par la compagnie à l’exception d’une augmentation de 1$ de l’heure pour certains parmi les plus mal payés. La plus longue grève de cet été (et peut-être celle qui a reçu le plus de sympathie du reste de la classe) a eu lieu à l’usine de compote de pommes Mott’s à Williamson (Etat de New York) où la société a décrété, bien qu’elle eût fait des profits records, que le salaire qu’elle versait à ses 300 employés était non conforme aux normes de l’industrie et a exigé des réductions de salaire de 1,50 $ de l’heure dans le nouveau contrat de travail. La grève a attiré l’attention dans le pays en raison de l’attaque particulièrement sauvage et inutile de la part de l’entreprise et après une guerre d’usure de 16 semaines, isolante et démoralisante, le syndicat a « gagné » un contrat de travail qui maintenait les niveaux de salaire et de retraite pour les seuls employés en poste, mais qui supprimait les retraites à pensions déterminées pour toutes les nouvelles embauches, réduisait les paiements correspondants à la « couverture santé de retraite » et obligeait les ouvriers à payer 20% des cotisations santé et la moitié de toute augmentation au-delà des premiers 10%. Malgré le cri de « victoire » du syndicat, même les syndicalistes pur jus se sont demandés si la grève avait vraiment été un succès.7
Plus récemment, dans les derniers jours de septembre, les dockers à Camden (New Jersey) et à Philadelphie se sont engagés dans une grève non officielle de deux jours contre Del Monte qui avait transféré 200 emplois dans un port non syndiqué à Gloucester (New Jersey), grève qui a été rejointe par des dockers, depuis le New Jersey jusqu’à Brooklyn, qui ont refusé de franchir le piquet de grève officieux. Dès le début de la grève, la New York Shipping Association a obtenu une injonction d’un juge fédéral de Newark déclarant la grève illégale et, le deuxième jour de l’action, l’ILA8 a désavoué toute association avec les grévistes, appelant les délégués syndicaux à renvoyer les piquets de grève au travail, et promettant qu’elle avait convaincu les associations de transport maritime et les patrons d’industrie de la rencontrer une semaine plus tard pour « discuter » des postes supprimés.
Bien que tous ces mouvements de grève soient restés, soit essentiellement, soit complètement, dans le carcan syndical et, en tant que tels, aient été défaits (en général accompagnés d’une déclaration de « victoire » de la part du syndicat), le retour de la classe sur le chemin de la lutte contribue au regain de la nécessaire confiance et au réapprentissage des leçons des luttes passées. Cela mettra en relief, de façon saisissante, le rôle des syndicats. Etant donné que les « victoires » qu’ils sont capables de gagner par des grèves d’une journée avec préavis, des guerres d’usure isolées, l’arbitrage du gouvernement fédéral, des recours collectifs, et le reste des règles du jeu syndicales, se révèlent être des défaites, la classe ouvrière à travers ses luttes devra réapprendre les leçons de l’auto-organisation et de l’extension que la classe dirigeante s’est tellement efforcée de lui faire l’oublier. Ces luttes sont une expression du même mouvement international de la classe ouvrière qui a amené des grèves en Grande-Bretagne, en Espagne, en Turquie et en Grèce face aux mesures d’austérité étatiques, une grève à l’échelle nationale en Inde, des grèves sauvages dans les usines d’automobiles en Chine et des mouvements de grève importants en Amérique latine. Le retour à la lutte et le rétablissement de la solidarité, la préoccupation de l’avenir et la volonté de faire grève pour le défendre sont une expression du retour de la classe ouvrière internationale à sa lutte historique et devrait partout être salué comme tel par les révolutionnaires. JJ, 10/10/10.
(Internationalism, organe du CCI aux Etats-Unis, n° 156, octobre 2010/janvier 2011)
1 Voir Internationalism n° 154, “Against Mass Unemployment, The United Struggle Of The Whole Working Class”, http://en.internationalism.org/inte...
2 Voir Internationalism n° 154 et 155, “Students in California Fight Back Austerity Attacks” (http://en.internationalism.org/inte...) and “Lessons of the California Students Movement” (http://en.internationalism.org/inte...).
3 Lerner, Maura. “Deal Was ‘a Win for Both Sides.” Minneapolis Star-Tribune. 2 juillet 2010.
4 Knowles, Francine. “State Loses Jobs but Gains in Manufacturing.” The Chicago Sun-Times. 20 août 2010.
5 La section syndicale 150 de l’IUOE syndique des ouvriers de la construction des Etats de l’Illinois, de l’Indiana et de l’Iowa, NDT.
6 Citation du blog du Chicago Union News.
7 Voir Elk, Mike. “Was the Mott’s ‘Victory’ Really a Victory ?” Huffington Post. 14 septembre 2010.
8 L’International Longshoreman’s Association (ILA) est un syndicat de dockers de voies navigables intérieures et de la côte atlantique des Etats-Unis et du Canada, NDT.
Article de CCI