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On lira aussi l’article "La révolution française contre le christianisme".
Nous citons ici des extraits de son ouvrage « La révolution et nous », dont on ne peut que recommander la lecture intégrale. Si Guérin voit dans la « déchristianisation durant la révolution française dans sa dernière étape un « caractère unique », la seule nuance que je souhaite apporter à son propos est sur ce point. En fait, il semble bien que les peuples en révolution aient souvent renversé en même temps les temples et les palais, les rois et les dieux. En témoignent des révolutions de l’antiquité comme celle d’Egypte ou celles de Grèce, celles d’Amérique centrale, ou encore des Iles de Pâques, pour ne citer que celles-là. Les prêtres étaient déjà une des institutions du pouvoir et le renversement de l’Etat ne pouvait se satisfaire de laisser en place un de ses éléments aussi important. Par contre, Guérin a le mérite d’insister sur l’importance toujours actuelle de la lutte contre cette institution, lutte qui n’est pas seulement une lutte pour la libération idéologique de l’individu mais une partie de la lutte politique contre le pouvoir de la classe dirigeante. Aujourd’hui encore, les révolutions ont besoin de détrôner non seulement les chefs d’état mais les chefs de la justice, de la police, de l’armée et aussi de la police de la pensée : la religion et l’école (y compris l’école laïque et républicaine, c’est-à-dire bourgeoise). On se choquera, j’espère, de ce parallèle entre l’école et la religion. En allant plus loin, je pense qu’il faut détrôner les religieux de la pensée de tous les domaines où ils professent, y compris les sciences, y compris et surtout du royaume religieux … des mathématiques. Notre combat contre les conceptions religieuses prend donc des formes nouvelles, même si les anciennes formes de religion ont subsisté et le combat contre elles est tout aussi actuel. Il n’y a pas de libération possible sans libération de la pensée … Mais, et surtout, l’essentiel n’est pas là. Encore une fois, c’est toutes les institutions qu’il faudra renverser. L’éducation bourgeoise n’est pas nuisible dans le sens de sa diffusion de connaissances mais de celui d’imposition d’un mode de pensée lié à la classe dirigeante. C’est cela la révolution dans la révolution. Il y a la révolution sociale, mais elle est inséparable des révolutions dans les mœurs, dans les relations humaines, dans les relations sexuelles, dans les relations parents/enfants et dans les idéologies. Encore une fois, inutile de cacher une nécessité, inséparable de toutes les autres révolutions : il faut renverser de leur trône les religions, toutes les religions, y compris le marxisme quand il est érigé en religion. Bien sûr, notre ennemi n’est pas le peuple des croyants. Notre but n’est pas de les insulter dans leurs convictions, de les opposer aux autres croyants, aux non-croyants. Au contraire, nous voulons abattre les murailles idéologiques qui séparent les peuples, les opprimés entre eux. Nous voulons abattre les faux liens qui attachent les opprimés à leurs oppresseurs, liens dont les religions ne sont pas les moindres. Tant qu’on nous dira qu’un Musulman ne peut pas penser comme un Chrétien et un Bouddhiste, l’Humanité ne sera pas libre.
Extraits de « La révolution française et nous » : « « La religion est l’opium du peuple » « La Révolution française, dans sa dernière phase, nous présente une leçon dont on aurait tort de sous-estimer l’importance. « 93 » nous offre un spectacle presque unique en son genre et qui, vu avec cent cinquante ans de recul, n’a rien perdu de sa puissante originalité : la tentative de déchristianisation. Devant elle, nous restons, si je puis dire, les bras ballants. Nous avons peine à croire que les hommes du 18ème siècle aient pu enjamber ainsi des siècles et, suivant l’expression de l’un d’eux, oser « escalader le ciel ». Ils eurent eux-mêmes conscience du caractère unique, insolite, de leur entreprise. « Après des milliers de siècles, écrivaient-ils, les fastes de tous les peuples n’offrent encore que celle qui se réalise aujourd’hui. » (Le Comité de salut public aux sociétés populaires, 4-2-1793). Replaçons-nous, par la pensée, dans la France d’avant la Révolution, faisons revivre ces temps où le catholicisme se confondit avec la société elle-même, où toute la vie personnelle et domestique reposait, comme l’observe Jaurès, sur base catholique, où le non-catholique était considéré comme un paria. Lucien Febvre a évoqué de façon saisissante ce passé dans son livre sur Rabelais, « Le problème de l’incroyance au 16ème siècle, la religion de Rabelais ». Entre l’époque où le catholicisme exerçait une telle emprise sur les hommes et celle où l’on fit des feux de joie de ces hochets, il n’y a qu’un espace de temps relativement court. Quittons maintenant Paris, les villes de province, les campagnes d’où partit le mouvement de déchristianisation, où il prit toute son ampleur, et passons dans les régions les plus arriérées telles que la Vendée et la Bretagne, encore plongées dans les ténèbres du moyen-âge. Entre les paysans vendéens et bretons et ceux des contrées déjà gagnées par la lumière, il y a une distance de plusieurs siècles. Nous avons peine à concevoir que ces débris du passé et ces pionniers de l’avenir aient pu respirer ensemble. Et notre étonnement augmente encore si, de France, nous nous transportons dans l’Europe de 1793, si nous franchissons les Pyrénées, les Alpes, le Rhin. En vérité, les déchristianisateurs de Nevers et de Paris durent apparaître aux « esclaves des rois » pour employer le langage des sans-culottes, comme des fous furieux. Cependant, il n’y a rien d’invraisemblable ni d’inexplicable dans cette criante contradiction. Elle illustre, au contraire, de façon saisissante la loi dite du développement combiné (…) Les déchristianisateurs n’étaient pas seulement en avance sur leur temps : ils l’étaient sur le nôtre. Quand nous comparons l’état actuel du problème religieux, la situation de l’Eglise dans la société d’aujourd’hui, la passivité, la timidité, pour ne pas dire davantage, dont font preuve nos contemporains à l’égard du cléricalisme tentaculaire, nous ne pouvons nous faire à l’idée que des hommes d’il y a cent cinquante ans aient pu porter à la religion catholique un coup aussi rude. (…) Tandis que la double cognée du progrès économique et du développement du savoir attaque l’arbre séculaire de la superstition, d’autres forces retiennent provisoirement une partie de la société sous l’emprise des hommes noirs, ces anachronismes vivants. L’une de ces forces prend son origine dans le revirement de la classe dominante vis-à-vis de l’Eglise. A la fin du 18ème siècle, la bourgeoisie était tiraillée entre deux tendances contradictoires : d’une part, son affranchissement définitif en tant que classe exigeait qu’elle combattît sans ménagements l’Eglise, alliée au féodalisme et à l’absolutisme, tandis que, par ailleurs, sa cupidité lui faisait convoiter les riches biens temporels du clergé ; d’autre part, la crainte du mouvement autonome des masses l’incitait à ne pas se priver de l’appui de Dieu. La religion n’était-elle pas le fondement le plus solide de la morale bourgeoise ? N’était-elle pas plus capable que toute autre discipline de maintenir le peuple dans l’obéissance ? (…) Aujourd’hui, au contraire, la bourgeoisie devenue clase dominante (…) n’a plus besoin de combattre l’Eglise. (…) Un autre facteur explique la survivance de la religion : c’est la situation chaotique dans laquelle se débat l’humanité d’aujourd’hui, bouleversée, déchirée par l’agonie du système capitaliste, par les crises périodiques de surproduction et de chômage, par les guerres planétaires s’allumant à intervalles de plus en plus rapprochés. L’individu se sentant écrasé par des forces qui le dépassent, dont il ne comprend pas bien le mécanisme et contre lesquelles il imagine être impuissant, se laisse envahir par la peur, comme ses lointains ancêtres en présence des phénomènes de la nature (…) Beaucoup de militants révolutionnaires ignorent le phénomène religieux. (…) On affecte d’ignorer la religion. On s’abrite derrière le cliché que le la religion est « affaire privée ». On construit une cloison étanche entre elle et les autres problèmes. (…) L’avant-garde révolutionnaire a été amenée à négliger la question religieuse par réaction contre l’anticléricalisme bourgeois. La bourgeoisie libérale (…) a mené cette lutte contre la religion de façon puérile, désuète, inefficace du fait qu’elle s’est gardée, et pour cause, de toucher aux racines matérielles de la religion, c’est-à-dire à l’oppression capitaliste. D’une façon qui a été même dangereuse pour le prolétariat, car, en l’amusant avec cette guérilla contre la « calotte », elle a essayé de le détourner de la lutte de classes. Elle lui a donné à « bouffer du curé » pour l’empêcher de s’en prendre au patron. (…) Les militants (…) n’ont retenu de la pensée socialiste que la polémique contre l’anticléricalisme bourgeois (…) La tentative de déchristianisation de l’an II mérite d’être mieux connue et nous aurions intérêt à nous en inspirer davantage dans notre lutte contre l’Eglise. Les pleutres, les défaitistes qui s’exagèrent l’emprise de l’Eglise (…) qui renvoient aux calendes grecques la libération des âmes, (…) devraient méditer sur l’étonnante facilité, la fulgurante rapidité avec laquelle la majorité de la population française d’alors, non seulement dans les villes mais aussi dans les campagnes, rompit avec ses traditions ancestrales, brisa les hochets de la « superstition », chassa les prêtres. (…) Cependant, l’expérience de l’an II nous enseigne, en même temps, la fragilité d’une entreprise de déchristianisation qui ne s’attaque pas, simultanément, à l’ordre bourgeois, aux racines matérielles de la religion. »