mercredi 6 janvier 2010
Histoire des grèves et des révoltes en Martinique
Quelles perspectives pour les suites de la lutte aux Antilles ?
En 1870, dans quel climat éclate l’affaire Lubin ?
Depuis le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1852, la bourgeoisie conservatrice revenue au pouvoir prend sa revanche sur les mouvements des ouvriers révolutionnaires de juin 1848. Aux Antilles et particulièrement en Martinique, les anciens esclaves se retrouvent sous les fers des anciens maîtres békés. Ces derniers utilisent les méthodes les plus barbares pour contraindre leurs anciens esclaves à accepter les durs labeurs : mise en place du livret du travail, d’un impôt personnel d’une valeur de 5 jours contrôlé par la présentation d’un passeport intérieur, paiement d’amendes et ouverture des ateliers de disciplines. Le prolétariat, dans l’agriculture mais aussi dans les bourgs, est constitué par les anciens esclaves mais aussi par les nouveaux engagés, principalement des « Coolies », immigrants d’Inde, et des Africains, les « Congos ». Pour tous, les conditions de vie et de travail restent très proches de l’esclavage. Les classes dominantes sont florissantes. Les anciens maîtres ont reçu du pouvoir des indemnités pour les dédommager de la perte des esclaves. Avec cet argent ils créent la Banque de la Martinique et le Crédit Foncier colonial. L’agriculture est équipée de moyens modernes, des infrastructures importantes sont construites (routes, bassin de radoub, extension du port). Bref « l’économie se développe » et surtout la fortune des possédants s’accroît. Parallèlement, leur arrogance et le mépris qu’ils affichent vis à vis des travailleurs grandit aussi pour continuer d’accroître leurs profits. L’affaire Lubin
Un jeune Noir, Lubin, est cravaché violemment par un Blanc parce qu’il ne l’avait pas salué. N’arrivant pas obtenir réparation auprès des tribunaux, Lubin décide de rendre au Blanc sa correction. Après son acte de vengeance, il est arrêté sur le champ puis condamné par la cour d’assises de Fort de France à cinq ans de bagne et au paiement d’une forte somme d’argent. Les amis de Lubin sont révoltés. Ils se nomment Telgard, Louis, Lacaille, et d’autres. Autour d’eux va démarrer l’insurrection du Sud dès le début du mois de septembre à Rivière Pilote
En France, l’accumulation des défaites de Napoléon III va faire tomber le Second empire. Le 4 septembre 1870, un gouvernement républicain « de défense nationale » prend le pouvoir. Les propriétaires n’obtiennent plus les avances d’argent avec lesquelles ils paient les ouvriers (déjà à cette époque !). A cause de la guerre, les marchandises de première nécessité se font rares. La situation est explosive. Un mouvement est déclenché par les amis de Lubin le jour de l’arrivée du décret de proclamation de la république française, pour exiger le désarmement des Blancs. L’habitation de l’un des assesseurs du procès de Lubin est incendiée. Ce sera le début de l’insurrection du Sud. Pendant plusieurs jours, des ouvriers agricoles, des petits cultivateurs, des jeunes, un grand nombre de femmes dont Lumina Sophie se répandirent dans les campagnes de Rivière-Pilote pour soulever les masses, bravant la soldatesque avec détermination. Ils étaient rejoints par des masses des autres communes. Face à la grande peur infligée par les insurgés du Sud, la riposte du gouverneur fut sans merci. Il eut l’aide des bourgeois de Saint Pierre et de Fort de France qui constituèrent des milices à cheval. Il eut aussi le soutien des dirigeants des îles anglophones. Après plusieurs jours de combat, l’insurrection fut étouffée et la répression contre les insurgés fut féroce. Plusieurs des chefs furent exécutés au Fort Desclieux, d’autres furent envoyés au bagne en Nouvelle Calédonie, des dizaines de travailleurs furent massacrés et plus de 500 furent emprisonnés dans les forts de la ville. C’était la première page du mouvement ouvrier de la Martinique. Après cette grande insurrection, la bourgeoisie blanche retrouvera son arrogance et reprendra son exploitation sans borne.. Les ouvriers de leurs côtés apprendront que leurs intérêts se trouvent à l’opposé de ceux des classes riches et dominantes et que dans la lutte, celles-ci ne font pas de quartiers. Au cours des luttes ouvrières du début du 20è siècle, ils retrouveront la lutte par la grève marchante passant d’habitation en habitation pour entraîner les ouvriers dans la grève.
HISTOIRE DE LA MARTINIQUE
Rodolf ÉTIENNE
Cette fin d’année 2009 semble se prêter aux commémorations de luttes sociales. Aux côtés de « Les émeutes de décembre 1959 en Martinique » de Louis-Georges Placide, la revue « Les Cahiers du Patrimoine » consacre son numéro 27 aux « Révoltes et luttes sociales en Martinique » . Le directeur de la revue, André Lucrèce, se dit « très satisfait de ce numéro des Cahiers du Patrimoine » . A noter que l’un des effets positifs reconnus du mouvement de grève générale de février dernier est de redynamiser l’étude de tout un pan de l’histoire de la Martinique ; en l’occurence : l’histoire sociale. « Révoltes et luttes sociales en Martinique » marque ainsi un point d’orgue général sur tout ce que notre histoire compte de luttes sociales. « 1665, guerre contre le nègres marrons de Martinique » , « Sédition au Prêcheur en 1646 » , « Le Gaoulé : une révolte martiniquaise sans exemple » , « L’affaire Bissette » , « Grève de février 1900 » , « La crise de février 1935 à la Martinique » , « Défilé du 1er mai 1937 » , « 1948 au Carbet » , « Les émeutes de décembre 59, un tournant dans l’histoire » , « Février 1974, la rencontre et le réveil » , « Dix ans de grève à la Martinique » : autant de sujets abordés par des spécialistes et qui constituent une véritable somme d’informations nouvelles sur les dynamiques populaires de notre société. Thierry L’Étang, Sylvie Meslien, Véronique Élisabeth, Léo Élisabeth, Lyne-Rose Beuze, Édouard de Lépine, André Lucrèce, Aimé Césaire, Richard Château-Degat, Louis-Georges Placide Marie-Hélène Léotin et quelques autres ont effectué un méticuleux travail de recherche, pour un ouvrage d’une grande qualité réhaussé d’une iconographie particulièrement riche. « De la révolte marrone de Fabulé à la grève de février 2009, en passant par le Gaoulé, l’Affaire Bissette ou les évenements de février 74, près de quatre siècles de notre histoire sociale, souvent écrite en lettres de sang, se trouvent condensés dans ce numéro des Cahiers du Patrimoine » , précise Thierry Létang dans son éditorial. Dans un contexte où chaque lettre de notre histoire nous permet de mieux nous connaître pour mieux appréhender notre avenir commun, « Révoltes et luttes sociales en Martinique » , nous invite à une réflexion communautaire enrichie.
« Les révoltes et luttes sociales en Martinique » . Les Cahiers du Patrimoine. Numéro 27. Novembre 2009. Disponible en librairie.