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Et si les banques centrales avaient perdu la main ?

dimanche 10 janvier 2016

Voici un article de « L’Express » du 8 janvier 2016

Et si les banques centrales avaient perdu la main ?

La planche à billets tourne depuis 2008 sans réussir à relancer l’économie réelle, multipliant les bulles spéculatives. Les grands argentiers, perplexes, hésitent à sevrer les marchés financiers.

C’est une banale histoire d’addiction. Une affaire de dépendance à une dope dangereuse, très bon marché et disponible en quantité illimitée. A première vue, le scénario du film ressemble à un de ces polars sombres de Scorsese où les héros fatigués, tels des Janus tiraillés par le doute, finissent par s’enfermer dans le déni et l’aveuglement.

Le casting ? D’un côté, les banques et les marchés financiers, qui, après avoir péché pendant les années fric et chic de la finance folle, sont tétanisés à l’idée de revivre les heures sombres de la grande crise de 2008. De l’autre, les banquiers centraux, présentés comme les sauveurs du système mondial, qui se métamorphosent peu à peu en pompiers pyromanes.

La faillite du géant Lehman Brothers a ouvert une boîte de Pandore. On découvre les errements de la titrisation et de ces montages financiers complexes et opaques qui ont infiltré tous les acteurs de la finance. Le doute s’installe, le risque est partout et la paranoïa se répand. Les banques, coeur du monde économique, menacent de ne plus irriguer le système.

Alors, les patrons des grandes banques centrales de la planète entrent en action. Dans l’urgence et pour éviter des faillites en pagaille, ils ramènent quasiment à zéro leurs taux d’intérêt - du jamais-vu dans l’histoire - pour tenter de relancer la machine. Surtout, face à la menace d’une crise similaire à celle des années 30, ils jouent aux apprentis sorciers.
Dès l’automne 2008, la Réserve fédérale américaine, suivie très vite par la Banque d’Angleterre, puis par la Banque du Japon, par la Banque nationale de Suisse et, enfin, en mars 2015, par la Banque centrale européenne, se lance dans une vaste opération de quantitative easing. Tout simplement une version améliorée de la bonne vieille planche à billets. Les grands argentiers créent de la monnaie pour racheter aux banques commerciales des tombereaux de titres d’obligations publiques.

L’objectif est triple : d’abord, nettoyer les bilans des banques pour leur permettre de relancer la pompe du crédit, faire diminuer les taux d’intérêt à long terme pour doper la croissance et, surtout, éloigner le spectre de la déflation. Au total, quelque 6674 milliards de dollars sont ainsi injectés dans le système en une poignée d’années. L’équivalent du PIB de la France et de l’Allemagne réunies. "Un montant énorme, sans équivalent, proprement hallucinant", s’inquiète Patrick Artus, la vigie de Natixis.

Tout ça pour quoi ? Aux Etats-Unis, la machine a bel et bien redémarré, "mais cette reprise est la plus faible que l’Amérique ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale", insiste l’économiste Jean-Pierre Petit. De ce côté-ci de l’Atlantique, la croissance reste famélique, tandis que le Japon peine à sortir de la récession, malgré un endettement public qui frôle les 200% du PIB.

Surtout, partout, les pressions déflationnistes, amplifiées depuis un an par la chute des prix des matières premières, menacent. En Europe et aux Etats-Unis, l’inflation est quasi nulle, et les prix de détail continuent de chuter au Japon. Du coup, on commence à entendre un air nouveau et entêtant : et si les banques centrales avaient perdu la main ? Et si elles n’avaient pas la solution ? Et si on leur avait donné les clés du camion sans s’assurer qu’elles connaissaient bien la destination du voyage ?

"Les banques centrales se sont suicidées", résume violemment Patrick Artus. "On se fait des illusions sur leur pouvoir réel. Elles ont perdu la capacité à agir sur l’inflation et le crédit. Les vingt ans de déflation au Japon montrent que le monétarisme est mort", ajoute James Galbraith, professeur d’économie à l’université d’Austin, au Texas, et fils du célèbre économiste John Kenneth Galbraith.

Le monétarisme ? Une théorie économique qui se répand à partir de la fin des années 50 aux Etats-Unis et qui stipule que, pour maîtriser l’inflation, il faut piloter la masse monétaire - la quantité de monnaie en circulation - et donc le crédit. Sauf qu’aujourd’hui la théorie s’est cassé le nez sur la réalité. Malgré les milliards d’argent frais injectés dans le système bancaire, le crédit redémarre mollement et l’inflation ne décolle pas. Pourquoi ?

"Les banques centrales peinent à agir sur le montant des crédits distribués à l’économie, parce que les canaux traditionnels de transmission de la politique monétaire ne fonctionnent plus depuis 2008", explique Matthieu Groves, économiste et directeur des gestions de la banque Lazard Frères.

Pis, cet océan de liquidités n’aurait pas servi à distribuer des prêts aux entreprises, mais à alimenter des bulles financières un peu partout ; un jour sur les matières premières, un autre sur les valeurs technologiques ou la Bourse de tel ou tel pays émergent.

"Les banques centrales ont propulsé le prix des actifs financiers à des niveaux qui n’ont rien à voir avec l’activité réelle", reconnaît Christophe Donay, directeur de la recherche économique de la banque Pictet, à Genève. En témoigne l’énorme bulle obligataire qui s’est gonflée en Europe et aux Etats-Unis ces dernières années. "Les taux d’intérêt des obligations du Trésor américain avoisinent les 2,5%, alors que la situation des finances publiques du pays et le niveau de la croissance impliqueraient qu’ils soient au moins à 3,5%", poursuit-il.

Tout fonctionne comme si les marchés financiers s’étaient enivrés pendant des années à l’argent facile fourni presque gratuitement par les banques centrales. Evidemment, les grands argentiers se défendent d’avoir créé une telle dépendance. "Nous faisons ce que nous avons à faire dans le cadre du mandat qui nous a été donné : ramener l’inflation vers les 2% à moyen terme", commente, stoïque, le Français Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne.

Du coup, la BCE s’apprête à aller encore plus loin en augmentant son programme de rachats d’actifs et en étendant sa durée. "Il n’y a pas de limite théorique au gonflement du bilan d’une banque centrale. C’est à nous d’analyser les coûts et avantages d’une telle expansion", poursuit-il.

De l’autre côté de l’Atlantique, la Réserve fédérale tente, elle, de sonner la fin de la partie. Elle a fermé le robinet du quantitative easing depuis un an, et Janet Yellen, sa présidente, ne cesse de répéter qu’une hausse des taux d’intérêt - ce serait une première depuis 2008 - est imminente. Sauf qu’à chaque réunion les sages de la Fed hésitent à appuyer sur le bouton. Difficile, en effet, de sevrer les marchés financiers sans prendre le risque de déstabiliser toute la planète.

Depuis que la Réserve fédérale laisse planer cette menace, la volatilité sur les places boursières s’est considérablement accentuée. Et notamment celle des marchés émergents, où les spéculateurs en quête de rendement s’étaient réfugiés, et qu’ils ont désertée illico pour revenir placer leurs billes à la City. Difficile de connaître la dernière image du film. Rien n’est écrit. Un indice, cependant : le destin de toute bulle est d’éclater un jour.

La croissance ne revient pas, la Chine inquiète, les bulles ne cessent d’enfler... et personne n’a de solution pour sortir la planète de l’ornière. Un dossier de L’Expansion, complété par l’Atlas mondial de l’économie, qui dresse l’état de la croissance, pays par pays, pour 2016.

La planche à billets tourne depuis 2008 sans réussir à relancer l’économie réelle, multipliant les bulles spéculatives. Les grands argentiers, perplexes, hésitent à sevrer les marchés financiers.

Messages

  • Le montant des actifs détenus par la Banque centrale européenne (BCE) a atteint la semaine dernière le seuil symbolique des 1.000 milliards d’euros après 18 mois de rachats de dette souveraine des pays de la zone euro. La BCE a racheté pour 11,14 milliards d’euros d’obligations d’Etat lors de la semaine au 2 septembre, sur un total de 13,75 milliards d’euros de titres acquis.

    Un an et demi après le lancement de ce programme d’assouplissement quantitatif (QE), destiné à relancer l’activité et à redresser l’inflation dans la zone euro, les résultats sont... plus que nuls, négatifs en termes économiques !!!

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