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Des manifestations antigouvernementales et des grèves de masse provoquées par l’inflation secouent l’Équateur

mardi 5 juillet 2022, par Robert Paris

Des manifestations antigouvernementales et des grèves de masse provoquées par l’inflation secouent l’Équateur

Des inégalités sociales extrêmes exacerbées par une inflation galopante, en particulier les prix des denrées alimentaires et du gaz, ont déclenché une explosion sociale en Équateur. Cette nation sud-américaine de 17,6 millions d’habitants est paralysée par des grèves et des manifestations de masse, plongeant le gouvernement de droite du président Guillermo Lasso dans la crise.

Les manifestations ont débuté le 13 juin, lorsque le groupe de la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (CONAIE) – la plus grande des organisations censées représenter les 1,1 million d’autochtones du pays – a appelé à une grève nationale, en publiant une liste de dix revendications, dont une réduction du prix de l’essence et du diesel, la mise en œuvre d’un contrôle des prix des produits agricoles, une aide sociale pour plus de quatre millions de familles, la renégociation des dettes privées, un moratoire sur l’expansion des opérations minières et pétrolières sur les terres indigènes et une plus grande allocation des ressources à l’éducation et à la santé publique.

Le Guardian cite une femme indigène de Samanga, Sonia Guamangate, qui donne une idée des griefs des manifestants : « Les prix ont augmenté en ville mais ce que nous recevons pour nos produits agricoles reste le même... Parfois, ils ne paient que 5 ou 6 dollars pour un quintal [100 kg] de pommes de terre. C’est le travail d’une année pour certains d’entre nous ». Elle ajoute : « Ils nous traitent d’Indiens ignorants. Nous ne sommes pas ignorants, nous fournissons la nourriture pour la ville. »

Des dizaines de milliers d’agriculteurs autochtones et de travailleurs ruraux sont descendus des versants des Andes et des régions amazoniennes, dressant des barrages routiers dans tout le pays et défilant dans les villes de province avant de converger vers la capitale. Ils ont été rejoints dans les villes par des travailleurs et des étudiants, qui sont également confrontés à la misère économique due à l’inflation. Un travailleur, Miguel Terán, ingénieur en mécanique, a déclaré au Guardian : « Il y a une clameur parmi les gens, surtout ceux qui n’ont pas d’emploi... Il est très difficile de vivre quand tous les prix augmentent tellement. Les prix du carburant augmentent, donc tous les produits de base augmentent. »

Depuis le 21 juin, Quito est effectivement paralysée par les manifestants qui bloquent plusieurs routes principales près du centre-ville où ils ont engagé un bras de fer avec la police, ponctué de violents affrontements.

D’autres régions du pays où des affrontements meurtriers ont éclaté ont été fermées de la même manière. À Puyo, dans la province de Pastaza, des manifestants autochtones munis d’armes à feu et de lances ancestrales ont mené des combats de rue avec des soldats et des policiers, incendiant au passage le poste de police et des voitures de patrouille. Au moins six manifestants ont été tués et des centaines d’autres blessés lors de la répression brutale de l’État, au cours de laquelle des manifestants non armés ont été battus, abattus et gazés par des policiers militarisés lourdement armés.

Les manifestations de masse ont effectivement paralysé l’économie équatorienne, la production de pétrole ayant chuté de plus de la moitié en raison des barrages routiers, du vandalisme et de la prise de contrôle des puits de pétrole, selon le ministère de l’Énergie qui a déclaré : « En 14 jours de manifestations, l’État équatorien a cessé de recevoir environ 120 millions de dollars. Le ministère a averti dimanche que la production de pétrole pourrait s’arrêter complètement, « car il n’a pas été possible de transporter les fournitures et le diesel nécessaires au maintien des opérations ». L’Équateur produisait environ 520.000 barils de pétrole par jour avant les manifestations. Il convient toutefois de noter que les syndicats des transports ont refusé de se mettre en grève, ce qui limite l’impact économique des blocages routiers. Quoi qu’il en soit, les perturbations de l’approvisionnement sont immenses.

Dans un premier temps, Lasso a déclaré l’état d’urgence en raison de « graves troubles intérieurs » dans six provinces et a affirmé, lors d’une intervention télévisée le 24 juin, que le chef de la CONAIE, Leonidas Iza, tentait de renverser le gouvernement : « On sait que ce que la population violente veut vraiment c’est générer un coup d’État et c’est pourquoi nous demandons l’aide de la communauté internationale pour contrer cette tentative de déstabiliser la démocratie en Équateur… M. Iza ne peut plus contrôler la situation. La violence perpétrée par des criminels infiltrés est devenue incontrôlable. »

Un jour plus tard, cependant, Lasso a brusquement cédé aux demandes des groupes autochtones de lever l’état d’urgence, et l’Assemblée nationale a annoncé qu’elle formerait une commission chargée de faciliter les négociations avec les chefs autochtones pour mettre fin aux protestations.

Entre-temps, le parti d’opposition Union pour l’espoir – aligné sur l’ancien président Rafael Correa – avait demandé la destitution de Lasso, mais il lui manquait 12 des 92 voix requises pour que le corps législatif puisse démettre le président de ses fonctions. Le vote de destitution de mardi à l’Assemblée nationale ne représente toutefois guère la fin de la crise du pouvoir bourgeois en Équateur.

Oscillant entre concessions limitées et répression policière, Lasso a profité de la mort d’un militaire lors d’affrontements avec des manifestants, mardi, pour rompre les pourparlers avec les dirigeants des organisations indigènes, dont la CONAIE. Cette décision s’est accompagnée d’attaques sauvages des forces de sécurité contre le quartier pauvre de San Miguel del Comun à Quito et contre une manifestation à l’université de Cuenca, dans le sud du pays.

Dans un effort pour désamorcer la colère populaire, Lasso s’était engagé dimanche à réduire les prix de l’essence et du diesel de 10 cents le gallon, en plus des subventions aux engrais et des mesures d’annulation de la dette annoncées précédemment.

Ce sont les actions d’un régime en crise désespérée, qui reflètent à la fois les divisions au sein de la bourgeoisie équatorienne sur la meilleure façon de maitriser une population de plus en plus agitée. Des sections de l’oligarchie perdent confiance dans la capacité du gouvernement Lasso à gérer la situation. Mais, quel que soit le sort de Lasso, les racines de la crise actuelle sont profondes, et ne peuvent être résolues sur la base de manœuvres parlementaires.

Lasso, un ex-banquier multimillionnaire, a été élu en avril 2021 parce que les gouvernements de Rafael Correa et de son successeur, Lenin Moreno – qui faisaient partie de la pseudo-gauche de la « marée rose » qui a balayé l’Amérique latine – n’ont pas tenu leurs promesses de réforme sociale, mais ont plutôt fait un virage à droite.

Bien qu’il ait été élu sur la base de promesses populistes de droite de créer des emplois et d’augmenter le niveau de vie, les politiques de marché néolibérales de Lasso, dictées par le FMI, ont entraîné de fortes réductions des dépenses sociales, des réductions d’impôts pour les investisseurs capitalistes, la levée des restrictions sur l’exploitation minière et pétrolière, et la cession de sections clés de l’économie équatorienne au capital impérialiste.

Ces politiques se sont traduites par une aubaine pour les investisseurs étrangers et l’élite dirigeante vénale du pays, d’une part. D’autre part, les mesures d’austérité du FMI, combinées à l’impact de la pandémie de COVID-19 et de l’inflation, ont plongé des masses de travailleurs et de pauvres des zones rurales dans un dénuement absolu.

Selon un rapport de l’ONG CARE, l’année 2022 a vu les niveaux de pauvreté exploser dans ce pays déjà profondément inégalitaire, avec 35 % de la population vivant avec moins de deux dollars par jour et 40 % des ménages confrontés à l’insécurité alimentaire. Quelque 8 % des enfants seront probablement contraints d’abandonner leurs études pour travailler, le plus souvent dans le secteur des soins non rémunérés.

L’Équateur a été ravagé par la COVID-19, ayant enregistré près d’un million de cas et près de 36.000 décès, ce qui est presque certainement un sous-dénombrement. Les ramifications économiques de la pandémie ont provoqué une montée en flèche du chômage et, aujourd’hui encore, seuls 33,2 % des Équatoriens ont un emploi formel, 22,1 % étant considérés comme sous-employés, selon les statistiques nationales du travail de l’Équateur.

De tels niveaux d’inégalité et de pauvreté ont inévitablement produit une extrême dislocation sociale. Les taux de criminalité violente, qui étaient en baisse depuis des années, ont explosé en 2021, alimentés par la violence des gangs et la croissance des opérations de trafic de drogue. Les émeutes meurtrières dans les prisons surpeuplées du pays – la dernière a eu lieu en mai et a fait 44 morts – sont devenues plus fréquentes et provoquent l’indignation de la population, les parents désemparés accusant le gouvernement. Depuis février 2021, près de 400 détenus ont été tués dans six massacres distincts.

À tout cela, il faut ajouter l’effet dévastateur de la spirale inflationniste, produite par l’instabilité des marchés financiers mondiaux et la perturbation des chaînes d’approvisionnement internationales provoquée par la guerre par procuration des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en Ukraine.

L’explosion sociale en Équateur doit être considérée dans ce contexte plus large. Des conditions similaires prévalent dans toute l’Amérique latine, qui était déjà la région la plus endettée du monde et déchirée par les inégalités sociales les plus extrêmes. Quelle que soit l’issue immédiate de cette lutte, elle se reproduira, et à plus grande échelle.

La peur qui s’empare de la bourgeoisie a été exprimée en mai de l’année dernière par le président colombien sortant, Ivan Duque. Alors que ses forces de sécurité abattaient des manifestants, il a prévenu que la pandémie serait le déclencheur de « grands troubles sociaux » qui ne tarderaient pas à s’abattre sur d’autres pays de la région.

La spirale de la crise capitaliste ébranle les fondements mêmes de l’ordre ancien et jette dans la lutte les grandes masses opprimées de l’humanité. En Équateur, comme dans toute l’Amérique latine et au niveau international, seule la classe ouvrière peut mener ces luttes à une conclusion heureuse. Cela nécessite la construction de sections du Comité international de la Quatrième Internationale pour mener la lutte pour le socialisme.

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