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Le combat de Lénine contre la bureaucratie

mardi 22 octobre 2013, par Robert Paris

Le combat de Lénine contre la bureaucratie

En avril 1917

« Les soviets des députés ouvriers, soldats, paysans et autres sont incompris non seulement en ce sens que la plupart des gens ne se font pas une idée nette de la portée sociale, du rôle des soviets dans la révolution russe. Ils ne sont pas compris, non plus en tant que forme nouvelle, ou plus exactement en tant que nouveau type d’Etat. Le type le plus parfait, le plus évolué d’Etat bourgeois, c’est la république démocratique parlementaire : le pouvoir y appartient au Parlement ; la machine de l’Etat, l’appareil administratif sont ceux de toujours : armée permanente, police, bureaucratie pratiquement non révocable, privilégiée, placée au dessus du peuple. Mais dès la fin du 19ème siècle, les époques révolutionnaires offrent un type supérieur d’Etat démocratique, un Etat qui, selon l’expression d’Engels, cesse déjà, sous certains rapports, d’être un Etat, « n’est plus un Etat au sens propre du terme ». C’est l’Etat du type de la Commune de Paris : il substitue à la police et à l’armée séparées de la nation, l’armement direct et immédiat du peuple. Là est l’essence de la Commune… C’est précisément un Etat de ce type que la révolution russe a commencé à créer en 1905 et 1917. La République des soviets des députés ouvriers, soldats, paysans et autres, … voilà ce qui naît aujourd’hui, à l’heure actuelle, sur l’initiative des masses innombrables du peuple qui crée spontanément la démocratie, à sa manière, sans attendre que messieurs les professeurs cadets aient rédigé leurs projets de loi pour une république parlementaire bourgeoise, ni que les pendants et les routiniers de la « social-démocratie » petite-bourgeoise, tels Plekhanov ou Kautsky, aient renoncé à falsifier la doctrine marxiste de l’Etat. »

Lénine, Thèses d’avril

En août 1917

« Dans la révolution de 1917, quand le problème de la signification et du rôle de l’Etat se posa dans toute son ampleur, pratiquement, comme un problème d’action immédiate et, qui plus est, d’action de masse, socialistes-révolutionnaires et menchéviks versèrent tous, d’emblée et sans réserve, dans la théorie petite-bourgeoise de la "conciliation" des classes par l’"Etat". D’innombrables résolutions et articles d’hommes politiques de ces deux partis sont tout imprégnés de cette théorie petite-bourgeoise et philistine de la "conciliation". Que l’Etat soit l’organisme de domination d’une classe déterminée, qui ne peut pas être conciliée avec son antipode (avec la classe qui lui est opposée), c’est ce que la démocratie petite-bourgeoise ne peut jamais comprendre. L’attitude que nos socialistes-révolutionnaires et nos menchéviks observent envers l’Etat est une des preuves les plus évidentes qu’ils ne sont pas du tout des socialistes (ce que nous, bolchéviks, avons toujours démontré), mais des démocrates petits-bourgeois à phraséologie pseudo-socialiste.
D’autre part, il y a la déformation "kautskiste" du marxisme, qui est beaucoup plus subtile. "Théoriquement", on ne conteste ni que l’Etat soit un organisme de domination de classe, ni que les contradictions de classes soient inconciliables. Mais on perd de vue ou l’on estompe le fait suivant : si l’Etat est né du fait que les contradictions de classes sont inconciliables, s’il est un pouvoir placé au-dessus de la société et qui "lui devient de plus en plus étranger ", il est clair que l’affranchissement de la classe opprimée est impossible, non seulement sans une révolution violente, mais aussi sans la suppression de l’appareil du pouvoir d’Etat qui a été créé par la classe dominante et dans lequel est matérialisé ce caractère "étranger". Cette conclusion, théoriquement claire par elle-même, Marx l’a tirée avec une parfaite précision, comme nous le verrons plus loin, de l’analyse historique concrète des tâches de la révolution. Et c’est précisément cette conclusion que Kautsky - nous le montrerons en détail dans la suite de notre exposé - a ... "oubliée" et dénaturée…

L’idée de Marx est que la classe ouvrière doit briser, démolir la "machine de l’Etat toute prête", et ne pas se borner à en prendre possession.
Le 12 avril 1871, c’est-à-dire justement pendant la Commune, Marx écrivait à Kugelmann :
"Dans le dernier chapitre de mon 18-Brumaire , je remarque, comme tu le verras si tu le relis, que la prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la briser. (Souligné par Marx ; dans l’original, le mot est zerbrechen ). C’est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent. C’est aussi ce qu’ont tenté nos héroïques camarades de Paris" (Neue Zeit , XX, 1, 1901-1902, p. 709). Les lettres de Marx à Kugelmann comptent au moins deux éditions russes, dont une rédigée et préfacée par moi."
"Briser la machine bureaucratique et militaire" : en ces quelques mots se trouve brièvement exprimée la principale leçon du marxisme sur les tâches du prolétariat à l’égard de l’Etat au cours de la révolution. Et c’est cette leçon qui est non seulement tout à fait oubliée, mais encore franchement dénaturée par l’"interprétation" dominante du marxisme, due à Kautsky !
Marx écrit : "Au lieu de continuer d’être l’instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration. Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour des salaires d’ouvriers. Les bénéfices d’usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l’Etat disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes... Une fois abolies l’armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l’ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le "pouvoir des prêtres"... Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de leur feinte indépendance... ils devaient être électifs, responsables et révocables."
Ainsi, la Commune semblait avoir remplacé la machine d’Etat brisée en instituant une démocratie "simplement" plus complète : suppression de l’armée permanente, électivité et révocabilité de tous les fonctionnaires sans exception. Or, en réalité, ce "simplement" représente une oeuvre gigantesque : le remplacement d’institutions par d’autres foncièrement différentes. C’est là justement un cas de "transformation de la quantité en qualité" : réalisée de cette façon, aussi pleinement et aussi méthodiquement qu’il est possible de le concevoir, la démocratie, de bourgeoise, devient prolétarienne ; d’Etat (=pouvoir spécial destiné à mater une classe déterminée), elle se transforme en quelque chose qui n’est plus, à proprement parler, un Etat.
Mater la bourgeoisie et briser sa résistance n’en reste pas moins une nécessité. Cette nécessité s’imposait particulièrement à la Commune, et l’une des causes de sa défaite est qu’elle ne l’a pas fait avec assez de résolution. Mais ici, l’organisme de répression est la majorité de la population et non plus la minorité, ainsi qu’avait toujours été le cas au temps de l’esclavage comme au temps du servage et de l’esclavage salarié. Or, du moment que c’est la majorité du peuple qui mate elle-même ses oppresseurs, il n’est plus besoin d’un "pouvoir spécial" de répression ! C’est en ce sens que l’Etat commence à s’éteindre. Au lieu d’institutions spéciales d’une minorité privilégiée (fonctionnaires privilégiés, chefs de l’armée permanente), la majorité elle-même peut s’acquitter directement de ces tâches ; et plus les fonctions du pouvoir d’Etat sont exercées par l’ensemble du peuple, moins ce pouvoir devient nécessaire.
A cet égard, une des mesures prises par la Commune, et que Marx fait ressortir, est particulièrement remarquable : suppression de toutes les indemnités de représentation, de tous les privilèges pécuniaires attachés au corps des fonctionnaires, réduction des traitements de tous les fonctionnaires au niveau des "salaires d’ouvriers ". C’est là justement qu’apparaît avec le plus de relief le tournant qui s’opère de la démocratie bourgeoise à la démocratie prolétarienne, de la démocratie des oppresseurs à la démocratie des classes opprimées, de l’Etat en tant que "pouvoir spécial " destiné à mater une classe déterminée à la répression exercée sur les oppresseurs par le pouvoir général de la majorité du peuple, des ouvriers et des paysans. Et c’est précisément sur ce point, particulièrement frappant et le plus important peut-être en ce qui concerne la question de l’Etat, que les enseignements de Marx sont le plus oubliés ! Les commentaires de vulgarisation - ils sont innombrables - n’en parlent pas. Il est "d’usage" de taire cela comme une "naïveté" qui a fait son temps, à la manière des chrétiens qui, une fois leur culte devenu religion d’Etat, ont "oublié" les "naïvetés" du christianisme primitif avec son esprit révolutionnaire démocratique.
La réduction du traitement des hauts fonctionnaires de l’Etat apparaît "simplement" comme la revendication d’un démocratisme naïf, primitif. Un des "fondateurs" de l’opportunisme moderne, l’ex-social-démocrate Ed. Bernstein, s’est maintes fois exercé à répéter les plates railleries bourgeoises contre le démocratisme "primitif". Comme tous les opportunistes, comme les kautskistes de nos jours, il n’a pas du tout compris, premièrement, qu’il est impossible de passer du capitalisme au socialisme sans un certain "retour" au démocratisme "primitif" (car enfin, comment s’y prendre autrement pour faire en sorte que les fonctions de l’Etat soient exercées par la majorité, par la totalité de la population ?) et, deuxièmement, que le "démocratisme primitif" basé sur le capitalisme et la culture capitaliste n’est pas le démocratisme primitif des époques anciennes ou précapitalistes. La culture capitaliste a créé la grande production, les fabriques, les chemins de fer, la poste, le téléphone, etc. Et, sur cette base l’immense majorité des fonctions du vieux "pouvoir d’Etat" se sont tellement simplifiées, et peuvent être réduites à de si simples opérations d’enregistrement, d’inscription, de contrôle, qu’elles seront parfaitement à la portée de toute personne pourvue d’une instruction primaire, qu’elles pourront parfaitement être exercées moyennant un simple "salaire d’ouvrier" ; ainsi l’on peut (et l’on doit) enlever à ces fonctions tout caractère privilégié, "hiérarchique".
Electivité complète, révocabilité à tout moment de tous les fonctionnaires sans exception, réduction de leurs traitements au niveau d’un normal "salaire d’ouvrier", ces mesures démocratiques simples et "allant de soi", qui rendent parfaitement solidaires les intérêts des ouvriers et de la majorité des paysans, servent en même temps de passerelle conduisant du capitalisme au socialisme. Ces mesures concernent la réorganisation de l’Etat, la réorganisation purement politique de la société, mais elles ne prennent naturellement tout leur sens et toute leur valeur que rattachées à la réalisation ou à la préparation de l’"expropriation des expropriateurs", c’est-à-dire avec la transformation de la propriété privée capitaliste des moyens de production en propriété sociale.
"La Commune, écrivait Marx, a réalisé ce mot d’ordre de toutes les révolutions bourgeoises, le gouvernement à bon marché, en abolissant ces deux grandes sources de dépenses : l’armée permanente et le fonctionnarisme d’Etat." (…)
"La Commune n’était plus un Etat, au sens propre", telle est l’affirmation d’Engels, capitale au point de vue théorique. Après l’exposé qui précède, cette affirmation est parfaitement compréhensible. La Commune cessait d’être un Etat dans la mesure où il lui fallait opprimer non plus la majorité de la population, mais une minorité (les exploiteurs) ; elle avait brisé la machine d’Etat bourgeoise ; au lieu d’un pouvoir spécial d’oppression, c’est la population elle-même qui entrait en scène. Autant de dérogations à ce qu’est l’Etat au sens propre du mot. Et si la Commune s’était affermie, les vestiges de l’Etat qui subsistaient en elle se seraient "éteints" d’eux-mêmes ; elle n’aurait pas eu besoin d’"abolir" ses institutions : celles-ci auraient cessé de fonctionner au fur et à mesure qu’elles n’auraient plus rien eu à faire. »

Lénine, l’Etat et la révolution

En octobre 1917

« Nous devons exiger la nationalisation de toutes les terres du pays, c’est à dire leur remise en toute propriété au pouvoir central. Celui ci déterminera l’étendue, etc., du fond de peuplement, promulguera des lois pour la protection des forêts et la bonification des terres, etc. ; il exclura expressément tout intermédiaire entre le propriétaire de la terre, c’est à dire l’Etat, et son locataire, c’est à dire le cultivateur (interdiction de toute sous location de la terre). Ce sont les Soviets régionaux et locaux des députés paysans et non la bureaucratie, les fonctionnaires qui disposeront entièrement et exclusivement, de la terre et fixeront les conditions locales de possession et de jouissance. »

Lénine, le programme de la révolution d’Octobre

« Camarades, la révolution des ouvriers et des paysans, dont les bolchéviks n’ont cessé de montrer la nécessité, est réalisée.
Que signifie cette révolution ouvrière et paysanne ? Avant tout, le sens de cette révolution, c’est que nous aurons un gouvernement des Soviets, notre pouvoir à nous, sans la moindre participation de la bourgeoisie. Les masses opprimées créeront elles-mêmes le pouvoir. Le vieil appareil d’Etat sera radicalement détruit et il sera créé un nouvel appareil de direction dans la personne des organisations des Soviets.
Une nouvelle étape s’ouvre dans l’histoire de la Russie, et cette troisième révolution russe doit en fin de compte mener à la victoire du socialisme…

Le nouveau gouvernement ouvrier et paysan proposera sur-le-champ une paix juste et démocratique à tous les peuples belligérants.
Il abolira sur-le-champ la propriété de la terre dont jouissent les propriétaires fonciers et remettra la terre aux paysans. Il établira le contrôle ouvrier de la production et de la distribution des produits et il instaurera le contrôle national des banques, en les transformant en une seule entreprise d’Etat.
Le Soviet des députés ouvriers et soldats de Pétrograd appelle tous les ouvriers et toute la paysannerie à soutenir sans réserve et de toute leur énergie la révolution ouvrière et paysanne. Il exprime la conviction que les ouvriers des villes, unis aux paysans pauvres, feront preuve d’une discipline fraternelle inflexible et qu’ils créeront l’ordre révolutionnaire le plus rigoureux, indispensable à la victoire du socialisme.
Le Soviet est convaincu que le prolétariat des pays d’Europe occidentale nous aidera à mener la cause du socialisme à une victoire totale et durable.
Le pouvoir des Soviets proposera une paix immédiate et démocratique à tous les peuples et un armistice immédiat sur tous les fronts. Il assurera la remise sans indemnité des terres des propriétaires fonciers, des apanages et des monastères à la disposition des comités paysans ; il défendra les droits du soldat en procédant à la démocratisation totale de l’armée ; il établira le contrôle ouvrier de la production ; il assurera en temps voulu la convocation de l’Assemblée constituante ; il se préoccupera de fournir du pain aux villes et des objets de première nécessité à la campagne ; il assurera à toutes les nations qui peuplent la Russie le droit véritable de disposer d’elles-mêmes.
Le congrès décrète : tout le pouvoir sur le plan local passe aux Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, qui doivent assurer un ordre authentiquement révolutionnaire.
Le congrès appelle les soldats dans les tranchées à la vigilance et à la fermeté. Le Congrès des Soviets est convaincu que l’armée révolutionnaire saura défendre la révolution contre toutes les atteintes de l’impérialisme, tant que le nouveau gouvernement n’aura pas obtenu la conclusion de la paix démocratique qu’il proposera immédiatement à tous les peuples. Le nouveau gouvernement prendra toutes mesures utiles pour assurer à l’armée révolutionnaire tout le nécessaire, grâce à une politique ferme de réquisition et de taxation des classes possédantes ; il améliorera aussi la situation des familles des soldats.

Nous devons exiger la nationalisation de toutes les terres du pays, c’est à dire leur remise en toute propriété au pouvoir central. Celui ci déterminera l’étendue, etc., du fond de peuplement, promulguera des lois pour la protection des forêts et la bonification des terres, etc. ; il exclura expressément tout intermédiaire entre le propriétaire de la terre, c’est à dire l’Etat, et son locataire, c’est à dire le cultivateur (interdiction de toute sous location de la terre). Ce sont les Soviets régionaux et locaux des députés paysans et non la bureaucratie, les fonctionnaires qui disposeront entièrement et exclusivement, de la terre et fixeront les conditions locales de possession et de jouissance. »

Lénine, le programme de la révolution d’Octobre

En novembre 1917

« Jetez un coup d’œil dans les profondeurs du peuple travailleur, au cœur des masses. Vous verrez quel travail d’organisation s’y accomplit, quel élan créateur : vous y verrez jaillir la source d’une vie rénovée et sanctifiée par la révolution. L’essentiel, aujourd’hui, c’est de rompre avec le préjugé des intellectuels bourgeois d’après lequel seuls des fonctionnaires spéciaux peuvent diriger l’Etat… L’essentiel, c’est d’inspirer aux opprimés et aux travailleurs la confiance dans leur propre force. Il faut détruire à tout prix ce vieux préjugé absurde, barbare, infâme et odieux, selon lequel seules prétendues « classes supérieures », seuls les riches ou ceux qui sont passés par l’école des riches, peuvent administrer l’Etat, organiser l’édification de la société socialiste. C’est là un préjugé. Il est entretenu pas une routine pourrie, par l’encroûtement, par l’habitude de l’esclave, et plus encore par la cupidité sordide des capitalistes, qui ont intérêt à administrer en pillant et à piller en administrant… L’organisation de la production incombe entièrement à la classe ouvrière. Rompons une fois pour toutes avec le préjugé qui veut que les affaires de l’Etat, la gestion des banques, des usines, etc., soit une tâche inaccessible aux ouvriers… Il est facile de promulguer un décret sur l’abolition de la propriété privée, mais seuls les ouvriers eux-mêmes doivent et peuvent l’appliquer. Qu’il se produise des erreurs, soit ! ce sont les erreurs d’une nouvelle classe qui crée une vie nouvelle. Les travailleurs n’ont évidemment pas d’expérience en matière d’administration, mais cela ne nous effraie pas. »

Lénine, œuvres complètes, novembre 1917

En avril 1918

« Le caractère socialiste de la démocratie soviétique, c’est-à-dire prolétarienne, dans son application concrète, déterminée, consiste en ceci : premièrement, les électeurs sont les masses laborieuses et exploitées, la bourgeoisie en est exceptée ; deuxièmement, toutes les formalités et restrictions bureaucratiques en matière d’élections sont supprimées, les masses fixent elles-mêmes le mode et la date des élections et ont toute liberté pour révoquer leurs élus ; troisièmement, on voit se former la meilleure organisation de masse de l’avant-garde des travailleurs, du prolétariat de la grande industrie, organisation qui lui permet de diriger la très grande masse des exploités, de les faire participer activement à la vie politique, de les éduquer politiquement par leur propre expérience, et de s’attaquer ainsi pour la première fois à cette tâche : faire en sorte que ce soit véritablement la population tout entière qui apprenne à gouverner et qui commence à gouverner.
Tels sont les principaux signes distinctifs de la démocratie appliquée en Russie, démocratie de type supérieur, qui brise avec sa déformation bourgeoise et marque la transition à la démocratie socialiste et aux conditions dans lesquelles l’Etat pourra commencer à s’éteindre.
Bien entendu, l’élément de la désorganisation petite-bourgeoise (qui se manifestera inévitablement plus ou moins dans toute révolution prolétarienne, et qui, dans notre révolution à nous, se manifeste avec une extrême vigueur en raison du caractère petit-bourgeois du pays, de son état arriéré et des conséquences de la guerre réactionnaire) doit forcément marquer les Soviets, eux aussi, de son empreinte.
Nous devons travailler sans relâche à développer l’organisation des Soviets et du pouvoir des Soviets. Il existe une tendance petite-bourgeoise qui vise à transformer les membres des Soviets en « parlementaires » ou, d’autre part, en bureaucrates. Il faut combattre cette tendance en faisant participer pratiquement tous les membres des Soviets à la direction des affaires. En maints endroits, les sections des Soviets se transforment en organismes qui fusionnent peu à peu avec les commissariats.
Notre but est de faire participer pratiquement tous les pauvres sans exception au gouvernement du pays ; et toutes les mesures prises dans ce sens — plus elles seront variées, mieux cela vaudra — doivent être soigneusement enregistrées, étudiées, systématisées, mises à l’épreuve d’une expérience plus vaste, et recevoir force de loi. Notre but est de faire remplir gratuitement les fonctions d’Etat par tous les travailleurs, une fois qu’ils ont terminé leur huit heures de « tâches » dans la production : il est particulièrement difficile d’y arriver, mais là seulement est la garantie de la consolidation définitive du socialisme. Il est tout naturel que la nouveauté et la difficulté de ce changement donnent lieu à une quantité de tâtonnements, d’erreurs et d’hésitations, sans lesquels aucun progrès rapide ne saurait se faire. La situation actuelle a ceci d’original, du point de vue de beaucoup de gens qui désirent passer pour des socialistes, qu’ils ont pris l’habitude d’opposer le capitalisme au socialisme dans l’abstrait, en plaçant d’un air grave, entre le premier et le second, le mot : « bond » (certains, se souvenant de bribes de textes lus chez Engels, ajoutent d’un air plus grave encore : « Le bond du règne de la nécessité dans le règne de la liberté »).
La plupart de ces pseudo-socialistes, qui ont « lu des livres » à propos du socialisme, mais sans jamais approfondir sérieusement la question, sont incapables de considérer que les maîtres du socialisme entendaient par « bond » un tournant sous l’angle de l’histoire mondiale, et que des bonds de ce genre s’étendent à des périodes de dix ans et parfois plus. Il est tout naturel qu’à de pareils moments la fameuse « intelliguentsia » fournisse une infinité de pleureuses : l’une pleure l’Assemblée constituante, l’autre la discipline bourgeoise, la troisième le régime capitaliste, la quatrième le seigneur terrien cultivé, la cinquième l’impérialisme dominateur, et ainsi de suite.
Ce qu’une époque de grands bonds a de vraiment intéressant, c’est que la profusion des débris du passé, qui s’accumulent parfois plus vite que les germes (pas toujours visibles au début) de l’ordre nouveau, exige que l’on sache discerner l’essentiel dans la ligne ou dans la chaîne du développement. Il est des moments historiques où l’essentiel, pour le succès de la révolution, est d’accumuler le plus possible de débris, c’est-à-dire de faire sauter le plus possible de vieilles institutions ; il est des moments où l’on en a fait sauter assez et où s’inscrit à l’ordre du jour la besogne « prosaïque » (« fastidieuse » pour le révolutionnaire petit-bourgeois) qui consiste à déblayer le terrain des débris qui l’encombrent ; il est d’autres moments où ce qui importe le plus, c’est de cultiver soigneusement les germes du monde nouveau qui poussent de dessous les débris jonchant le sol encore mal déblayé de la pierraille.
Il ne suffit pas d’être un révolutionnaire et un partisan du socialisme, ou un communiste en général. Il faut savoir trouver, à chaque moment donné, le maillon précis dont on doit se saisir de toutes ses forces pour retenir toute la chaîne et préparer solidement le passage au maillon suivant ; l’ordre de succession des maillons, leur forme, leur assemblage et ce qui les distingue les uns des autres, ne sont pas aussi simples, ni aussi rudimentaires dans une chaîne d’événements historiques que dans une chaîne ordinaire, sortie des mains d’un forgeron.
La lutte contre la déformation bureaucratique de l’organisation soviétique est garantie par la solidité des liens unissant les Soviets au « peuple », c’est-à-dire aux travailleurs et aux exploités, par la souplesse et l’élasticité de ces liens. Les parlements bourgeois, même celui de la république capitaliste la meilleure du monde au point de vue démocratique, ne sont jamais considérés par les pauvres comme des institutions « à eux ». Tandis que, pour la masse des ouvriers et des paysans, les Soviets sont « à eux » et bien à eux. Aujourd’hui, les « social-démocrates » de la nuance Scheidemann ou, ce qui est à peu près la même chose, de la nuance Martov, éprouvent de la répugnance pour les Soviets, et se sentent attirés vers le respectable parlement bourgeois, ou l’Assemblée constituante, exactement comme Tourgueniev se sentait attiré il y a soixante ans vers la Constitution monarchique et nobiliaire modérée et éprouvait de la répugnance pour le démocratisme moujik de Dobrolioubov et Tchernychevski.
C’est le contact des Soviets avec le « peuple » des travailleurs qui crée précisément des formes particulières de contrôle par en bas, comme, par exemple, la révocation des députés, formes que l’on doit maintenant développer avec un zèle tout particulier. Ainsi les Soviets de l’instruction publique en tant que conférences périodiques des électeurs soviétiques et de leurs délégués, discutant et contrôlant l’activité des autorités soviétiques dans ce domaine, méritent toute notre sympathie et tout notre appui. Rien ne serait plus stupide que de transformer les Soviets en quelque chose de figé, que d’en faire un but en soi. Plus nous devons nous affirmer résolument aujourd’hui pour un pouvoir fort et sans merci, pour la dictature personnelle dans telles branches du travail, dans tel exercice de fonctions de pure exécution, et plus doivent être variés les formes et les moyens de contrôle par en bas, afin de paralyser la moindre déformation possible du pouvoir des Soviets, afin d’extirper encore et toujours l’ivraie du bureaucratisme. »

Lénine, Les tâches immédiates du pouvoir des soviets

En novembre 1920

« Du fait que le niveau de culture de notre paysan et de notre masse ouvrière ne correspondait pas à la tâche réclamée, et qu’en même temps nous étions pour les 99 % absorbés par les problèmes militaires et politiques, il s’est produit une renaissance de l’esprit bureaucratique. La chose est reconnue de tous. Le but du pouvoir des Soviets est de détruire entièrement l’antique appareil de l’État, comme il fut détruit en novembre 1917 pour transmettre tout le pouvoir aux Soviets : mais nous avouons déjà dans notre programme cette reconnaissance de la bureaucratie, et nous reconnaissons que les fondements économiques nécessaires à la vraie société socialiste n’existent pas encore. Les conditions de culture, d’instruction, et en général de niveau intellectuel nécessaires à la masse ouvrière et paysanne n’existent pas. La faute en est à ce que les exigences militaires ont accaparé toute l’élite du prolétariat. Le prolétariat a consenti de gigantesques sacrifices pour défendre la Révolution, des dizaines de millions de paysans y ont été sacrifiés, et il a fallu appeler à collaborer avec nous des éléments pénétrés d’esprit bourgeois, parce qu’il n’en restait plus d’autres. Voilà pourquoi nous avons dû déclarer dans notre programme, dans un document aussi important que le programme du parti, que la bureaucrate renaît et qu’il faut la combattre systématiquement. Évidemment, cette bureaucratie dans nos administrations soviétistes n’a pas pu ne pas exercer son influence néfaste au sein même de nos organisations communistes, puisque le sommet de notre parti est en même temps celui de l’administration soviétiste. Si nous avons reconnu le mal, si cette vieille bureaucratie a pu se glisser dans notre organisme communiste, il est clair et naturel que les organes de notre Parti portent tous les symptômes du mal. Et puisqu’il en est ainsi, la question a été mise à l’ordre du jour du congrès des Soviets ; elle occupe une grande partie de l’attention de la présente conférence, et fort justement, car la maladie reconnue dans notre parti par les résolutions de la conférence panrusse4 n’existe pas seulement à Moscou, mais s’étend à toute la République, elle est due à la nécessité où nous étions de tout donner au labeur militaro-politique, d’entraîner à tout prix les masses paysannes, sans pouvoir exiger un plan plus large, lié au développement de la culture paysanne et à l’élévation du niveau général des masses paysannes.
Je me permettrai en concluant de dire quelques mots de la situation intérieure du Parti, de nos débats intimes et des manifestations d’opposition que connaissent admirablement tous les assistants et qui ont coûté à la Conférence provinciale de Moscou tant d’attention et d’efforts, peut-être même plus qu’il n’eût été désirable pour nous tous. Il est naturel que la difficile transition que nous accomplissons aujourd’hui dans l’épuisement de nos forces vives, que la république a été obligée d’enlever sans cesse au prolétariat et au parti pendant trois années de lutte, nous a placés dans une situation pénible vis-à-vis d’un problème que nous ne sommes pas même en état d’évaluer exactement. Mais cette opposition n’a rien de mauvais. Nous devons reconnaître que nous ne connaissons pas exactement l’étendue de la maladie, nous ne pouvons pas déterminer l’importance et la situation relative des groupements adverses. Le grand mérite de notre conférence aura été de poser la question, de découvrir le mal existant, d’attirer sur lui l’attention du parti et d’inviter tous ses membres à s’efforcer de le guérir. Il est trop clair que du point de vue du Comité Central et aussi, je pense, de l’énorme majorité des camarades (dans la mesure où je connais les opinions, que personne n’a reniées), cette crise de notre parti, cette opposition qui se manifeste non seulement à Moscou mais dans toute la Russie renferme beaucoup d’éléments sains, indispensables et inévitables aux époques de croissance naturelle du parti, à une époque comme la nôtre, où, après avoir eu toute notre attention réclamée par les problèmes politiques et militaires, nous abordons une ère de construction et d’organisation où nous devons embrasser des dizaines d’administrations bureaucratiques et où le niveau de culture de la majorité du prolétariat et des paysans ne correspond plus à la tâche. L’Inspection Ouvrière et Paysanne, on le sait, existe plutôt comme un idéal, il a été impossible de la mettre en marche parce que l’élite des ouvriers était prise par le front et que le niveau de culture des masses paysannes ne leur permettait pas de fournir des militants capables…. Si nous voulons lutter contre la bureaucratie, nous devons appeler à nous les masses. Nous devons connaître l’expérience accumulée par telle ou telle usine, savoir ce qui a été fait par elle pour chasser tel ou tel bureaucrate, profiter de l’expérience de chaque pâté de maisons, de chaque société de consommation. Il nous faut mettre en mouvement avec le maximum de vitesse tout le mécanisme économique. Or, de cela, vous n’entendez pas un mot, tandis que des criailleries et des disputes vous en aurez tout votre soûl. Il est trop clair qu’une aussi gigantesque Révolution ne peut manquer de soulever de la poussière, et de produire une écume qui n’est pas toujours propre. Il est temps de parler, non plus de la liberté de critique, mais du contenu de cette critique. Il est temps d’affirmer que sur la base de notre expérience nous devons faire une série de concessions, mais que nous ne permettrons plus à l’avenir aucune déviation aboutissant à de vaines disputes. Il nous faut faire une croix sur notre passé et nous mettre délibérément à l’œuvre économique. Il nous faut transformer toute l’activité du parti afin qu’il devienne le guide économique de la république et que les succès pratiques deviennent sa meilleure propagande. Aujourd’hui, les mots ne suffisant plus à convaincre l’ouvrier ou le paysan, il leur faut l’exemple. Il faut les convaincre qu’ils pourront améliorer leur exploitation en se passant de capitalistes, que les spécialistes sont là pour leur service, que les conflits peuvent être résolus sans un bâton de policier, sans la famine capitaliste, mais qu’il faut la direction des gens du parti. Voilà le point de vue que nous devons adopter, et alors nous obtiendrons dans notre construction économique un succès qui donnera à notre victoire dans le domaine international son achèvement définitif. »

Lénine, Notre situation extérieure et intérieure et les tâches du parti -
Conférence de la province de Moscou du PC(b)R

En 1921

« Au 5 mai 1918, le bureaucratisme ne figurait pas dans notre champ visuel. Six mois après la révolution d’Octobre, alors que nous avions détruit de fond en comble l’ancien appareil bureaucratique, nous ne ressentions pas encore les effets de ce mal. Une année encore se passe. Le 8ème congrès du P.C.R. (bolchevik), qui se tient du 18 au 23 mars 1919, adopte un nouveau programme où nous parlons franchement, sans crainte de reconnaître le mal, mais désireux au contraire de le démasquer… - où nous parlons d’une « reconnaissance partielle du bureaucratisme au sein du régime soviétique ».

Deux années s’écoulent encore. Au printemps de 1921, après le 8ème Congrès des soviets, qui a discuté (décembre 1920) la question du bureaucratisme, après le 10ème Congrès du P.C.R. (bolchevik) en mars 1921, qui a dressé le bilan des débats étroitement rattachés à l’analyse du bureaucratisme, nous voyons ce mal se dresser devant nous encore plus net, plus précis, plus menaçant.

Quelles sont les origines économiques du bureaucratisme ? Ces origines sont principalement de deux sortes : d’une part, une bourgeoisie développée a besoin, justement pour combattre le mouvement révolutionnaire des ouvriers, et en partie des paysans, d’un appareil bureaucratique, d’abord militaire, ensuite judiciaire, etc. Cela n’existe pas chez nous. Nos tribunaux sont des tribunaux de classe, dirigés contre la bourgeoisie Notre armée est une armée de classe, dirigée contre la bourgeoisie. La bureaucratie n’est pas dans l’armée, mais dans les institutions qui la desservent. Chez nous, l’origine économique du bureaucratisme est autre : c’est l’isolement, l’éparpillement des petits producteurs, leur misère, leur inculture, l’absence des routes, l’analphabétisme, l’absence d’échanges entre l’agriculture et l’industrie, le manque de liaison, d’action réciproque entre elles. C’est là, dans une mesure considérable, le résultat de la guerre civile… le bureaucratisme, héritage de l’ « état de siège », superstructure basée sur l’éparpillement et la démoralisation du petit producteur, s’est révélé pleinement.

Pour provoquer un afflux de forces nouvelles, pour combattre avec succès le bureaucratisme, pour surmonter cette inertie nuisible, l’aide doit venir des organisations locales, de la base, de l’organisation exemplaire d’un « tout »… Il faut une attention maximum accordée aux besoins des ouvriers et des paysans ; sollicitude infinie pour le relèvement de l’économie, augmentation de la productivité du travail, développement des échanges locaux entre l’agriculture et l’industrie… »

Lénine, Sur l’impôt en nature

Mars 1921

A propos de l’ « Opposition ouvrière »

« Nous avons incontestablement besoin d’aide pour lutter contre la bureaucratie, pour défendre la démocratie, pour resserrer nos liens avec les masses réellement ouvrières. Dans cet ordre d’idées, nous pouvons et nous devons faire des « concessions ». Ils auront beau répéter qu’ils n’acceptent pas les concessions, nous, nous disons : nous les acceptons. Ce ne sont pas du tout des concessions, c’est une aide au parti ouvrier. Ainsi, tout ce qu’il y a de sain et de prolétarien dans 1’« opposition ouvrière » rejoindra le parti ; les auteurs des discours syndicalistes, les gens « animés de la conscience de classe », eux, resteront en dehors. (Applaudissements.) Cette voie a été suivie à Moscou. En novembre, la conférence de la province de Moscou s’est terminée dans deux locaux : les uns par ici, les autres par là. C’est la veille de la scission. La dernière conférence de Moscou a dit : « Nous prendrons dans l’opposition ouvrière ceux que nous voulons et non ceux qu’ils veulent », parce qu’il nous faut le concours de ceux qui sont liés aux masses ouvrières, qui nous apprendront pratiquement à combattre la bureaucratie. C’est une tâche difficile. Je crois que le congrès devra tenir compte de l’expérience de Moscou et procéder à l’examen, non seulement de ce point, mais de toutes les questions à l’ordre du jour. Finalement, à ceux qui disent qu’ils « n’acceptent pas les concessions », le congrès devra répliquer : « Le parti, lui, accepte des concessions », il faut que le travail soit concerté. Grâce à cette politique, nous séparerons les éléments sains des éléments malsains de l’« opposition ouvrière » et le parti s’en trouvera renforcé… Ceux qui emploient une expression comme « inciter à la discorde » oublient le point n°5 de la résolution sur l’unité qui reconnaît les mérites de l’« opposition ouvrière ». N’est-ce pas côte à côte ? D’une part, « présentent une déviation », et d’autre part, lisez le paragraphe 5 : « Le congrès déclare en même temps que sur les points qui ont particulièrement retenu l’attention, par exemple du groupe dit de l’« opposition ouvrière », l’épuration du parti des éléments non prolétariens et peu sûrs, la lutte contre la bureaucratie, le progrès de la démocratie et de l’initiative ouvrière, etc... toutes les propositions constructives, quelles qu’elles soient, doivent être examinées avec le plus grand soin », etc. Est-ce là inciter à la discorde ? C’est reconnaître des mérites. Nous disons : d’une part, vous avez révélé, au cours de la discussion, une déviation qui présente un danger politique ; même la résolution du camarade Medvédev le reconnaît en d’autres termes ; ensuite, on dit : quant à la lutte contre la bureaucratie, nous sommes d’accord, nous ne faisons pas encore tout ce qui est possible. C’est là reconnaître les mérites et nullement inciter à la discorde !... Nous devons lutter contre la bureaucratie, il nous faut des centaines de milliers auxiliaires.
Le problème de la lutte contre la bureaucratie s’est posé dans notre programme comme un travail de longue haleine. Plus la paysannerie est morcelée plus la bureaucratie est inévitable au sommet. »

Lénine, conclusions du 10ème congrès du parti bolchevik

Janvier 1923

« Notre appareil d’Etat, excepté le Commissariat du Peuple aux Affaires étrangères, constitue dans une très grande mesure une survivance du passé, et qui a subi le minimum de modifications tant soit peu notables. Il n’est que légèrement enjolivé à la surface ; pour le reste, c’est le vrai type de notre ancien appareil d’Etat. Et pour rechercher les moyens de le rénover réellement, il faut faire appel, je crois, à l’expérience de notre guerre civile… »

Lénine, Comment réorganiser l’Inspection ouvrière et paysanne ? Proposition faite au XIIe congrès du parti

Mars 1923

Critique directe du commissariat à l’Inspection ouvrière et paysanne (tenu par Staline)

« Les choses vont si mal avec notre appareil d’Etat, pour ne pas dire qu’elles sont détestables, qu’il nous faut d’abord réfléchir sérieusement à la façon de combattre ses défauts ; ces derniers ne l’oublions pas, remontent au passé, lequel, il est vrai, a été bouleversé, mais n’est pas encore aboli ; il ne s’agit pas d’un stade culturel révolu depuis longtemps. le pose ici la question précisément de la culture, parce que dans cet ordre de choses, il ne faut tenir pour réalisé que ce qui est entré dans la vie culturelle, dans les mœurs, dans les coutumes. Or, chez nous, ce qu’il y a de bon dans notre organisation sociale est saisi à la hâte, on ne peut moins médité, compris, senti, vérifié, éprouvé, confirmé par l’expérience, consolidé, etc. Il ne pouvait certes en être autrement à une époque révolutionnaire et avec un développement tellement vertigineux qui nous a amenés, en cinq ans, du tsarisme au régime des Soviets…

Parlons net. Le Commissariat du peuple de l’Inspection ouvrière et paysanne ne jouit pas à l’heure actuelle d’une ombre de prestige. Tout le monde sait qu’il n’est point d’institutions plus mal organisées que celles relevant de notre Inspection ouvrière et paysanne, et que dans les conditions actuelles on ne peut rien exiger de ce Commissariat. Il nous faut bien retenir cela si nous voulons vraiment arriver à constituer, d’ici quelques années, une institution qui, premièrement, sera exemplaire, deuxièmement, inspirera à tous une confiance absolue, et troisièmement, montrera à tous et à chacun que nous avons réellement justifié les activités de cette haute institution qu’est la Commission centrale de contrôle. Toutes les normes générales du personnel de ses administrations doivent, à mon avis, être bannies d’emblée et sans recours. Nous devons choisir les cadres de l’Inspection ouvrière et paysanne avec un soin particulier, en leur faisant subir le plus rigoureux examen, pas autrement. En effet, à quoi bon fonder un Commissariat du Peuple où le travail se ferait tant bien que mal, qui, derechef, n’inspirerait pas la moindre confiance, et dont l’opinion n’aurait qu’une infime autorité ? Je pense que notre tâche principale est de l’éviter lors de la réorganisation que nous projetons actuellement.

Les ouvriers que nous désignons comme membres de la Commission centrale de contrôle doivent être des communistes irréprochables, et je pense qu’il faudra leur consacrer un long effort pour leur apprendre les méthodes et les objectifs de leur travail. Ensuite, il devra y avoir un nombre déterminé de secrétaires comme auxiliaires à qui l’on aura soin de faire subir un triple contrôle avant de les admettre. Enfin, ceux des postulants que nous aurons décidés, à titre d’exception, d’engager d’emblée à l’Inspection ouvrière et paysanne, devront répondre aux conditions ci après :
premièrement, ils seront recommandés par plusieurs communistes ;
deuxièmement, ils subiront une épreuve attestant qu’ils connaissent notre appareil d’Etat ;
troisièmement, ils subiront une épreuve attestant qu’ils connaissent les éléments de la théorie relative à notre appareil d’Etat, les principes de la science administrative, les écritures, etc ;
quatrièmement, ils devront œuvrer en bonne intelligence avec les membres de la Commission centrale de contrôle et avec leur propre secrétariat, de façon que nous puissions répondre du bon fonctionnement de l’appareil tout entier.
Je sais que ce sont là des conditions hors de pair, et je crains fort que la majorité des « praticiens » de l’Inspection ouvrière et paysanne ne les déclarent irréalisables, ou ne les accueillent avec un sourire dédaigneux. Mais je demande à n’importe lequel des dirigeants actuels de l’Inspection ouvrière et paysanne ou des personnes rattachées à ce Commissariat : peut il me dire franchement quelle est l’utilité pratique de ce Commissariat du Peuple qu’est l’Inspection ouvrière et paysanne ? Je pense que cette question lui permettra de trouver le sens de la mesure. Ou bien il ne vaut pas la peine de procéder à la réorganisation nous en avons tant vu de cette entreprise désespérée qu’est l’Inspection ouvrière et, paysanne ; ou bien il faut vraiment se donner comme tâche de créer par un effort lent, difficile, inaccoutumé, non sans recourir à de nombreuses vérifications, quelque chose de vraiment exemplaire, susceptible d’inspirer le respect à tous et à chacun, non pas seulement parce que titres et grades obligent.
Si l’on ne s’arme pas de patience, si l’on ne consacre pas à cette œuvre plusieurs années, mieux vaut ne pas l’entreprendre.
Je pense que parmi les établissements que nous avons déjà enfantés, en fait d’instituts supérieurs du travail etc., il faut choisir un minimum, vérifier s’ils sont organisés avec tout le sérieux requis, et continuer le travail, mais seulement de façon qu’il soit réellement à la hauteur de la science moderne, qu’il nous fasse bénéficier de toutes ses acquisitions. Dès lors, ce ne sera pas une utopie d’espérer avoir, dans quelques années, une institution qui sera en mesure de s’acquitter de sa tâche, c’est à dire de perfectionner notre appareil d’Etat avec méthode, sans défaillance, en jouissant de la confiance de la classe ouvrière, du Parti communiste de Russie et de toute la population de notre République.
L’action préparatoire pourrait commencer dès maintenant. Si le Commissariat de l’Inspection ouvrière et paysanne acceptait le plan de cette réforme, il pourrait entamer tout de suite les préparatifs et continuer d’agir systématiquement pour les faire aboutir, sans se presser et sans refuser de refaire ce qui aura été fait une fois. »

Lénine, Mieux vaut moins mais mieux

Contre la bureaucratie xénophobe

Lire encore sur Lénine et Trotsky contre Staline

Messages

  • « Prenez la question du bureaucratisme et examinez-la du point de vue de l’économie. Au 5 mai 1918 le bureaucratisme ne figurait pas dans notre champ visuel. Six mois après la Révolution d’Octobre, après que nous avons détruit de fond en comble l’ancien appareil bureaucratique, nous ne ressentions pas encore les effets de ce mal.

    Une année encore se passe. Le XIIIe congrès du Parti communiste russe, qui se tient du 18 au 23 mars 1919,adopte un nouveau programme où nous parlons franchement, sans crainte de reconnaître le mal, mais désireux au contraire de le démasquer, de le dénoncer, de le clouer au pilori, de stimuler la pensée et la volonté, les énergies et les activités pour combattre ce mal, — où nous parlons d’une « renaissance partielle du bureaucratisme au sein du régime soviétique ».

    Deux années s’écoulent encore. Au printemps de 1921, après le VIIIe congrès des Soviets, qui a discuté (décembre 1920) la question du bureaucratisme, après le Xe congrès du Parti communiste russe (mars 1921), qui a dressé le bilan des débats étroitement rattachés à l’analyse du bureaucratisme, nous voyons ce mal se dresser devant nous encore plus net, plus précis, plus menaçant. Quelles sont les origines économiques du bureaucratisme ? Ces origines sont principalement de deux sortes : d’une part une bourgeoisie développée a besoin, justement pour combattre le mouvement révolutionnaire des ouvriers (et en partie des paysans), d’un appareil bureaucratique, d’abord militaire, ensuite judiciaire, etc. Cela n’existe pas chez nous. Nos tribunaux sont des tribunaux de classe, dirigés contre la bourgeoisie. Notre armée est une armée de classe, dirigée contre la bourgeoisie. Le bureaucratisme n’est pas dans l’armée, mais dans les institutions qui la desservent. Chez nous, l’origine économique du bureaucratisme est autre : c’est l’isolement, l’éparpillement des petits producteurs, leur misère, leur inculture, l’absence de routes, l’analphabétisme, l’absence d’échanges entre l’agriculture et l’industrie, le manque de liaison, d’action réciproque entre elles. C’est là, dans une mesure considérable, le résultat de la guerre civile. Lorsque nous étions bloqués, assiégés de toutes parts, coupés du reste du monde, et puis de notre midi fertile en blé, de la Sibérie, des bassins houillers, nous ne pouvions pas rétablir l’industrie. Nous avons dû ne pas reculer devant le « communisme de guerre », ne pas craindre d’employer les mesures les plus extrêmes : nous étions résolus à supporter une existence de demi-famine, et pis encore, pour sauvegarder le pouvoir des ouvriers et des paysans, coûte que coûte, en dépit de la ruine la plus inouïe et de l’absence d’échanges. Et nous ne nous sommes pas laissés intimider comme l’ont fait les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks (qui en réalité ont suivi la bourgeoisie surtout parce qu’ils étaient apeurés, intimidés). Mais ce qui était la condition de la victoire dans un pays bloqué, dans une forteresse assiégée, a révélé son côté négatif précisément au printemps de 1921, quand les dernières troupes de gardes blancs ont été définitivement chassées du territoire de la R.S.F.S.R. Dans une forteresse assiégée, on peut et l’on doit « bloquer » tous les échanges. Et les masses ayant fait preuve d’un héroïsme particulier, on a pu supporter cet état de choses trois années durant. Mais après cela, la ruine du petit producteur s’est encore aggravée, le rétablissement de la grosse industrie a été encore différé, retardé. Le bureaucratisme, héritage de l’« état de siège », superstructure basée sur l’éparpillement et la démoralisation du petit producteur, s’est révélé pleinement.

    Il faut savoir reconnaître le mal sans crainte, afin de le combattre avec plus de fermeté, afin de recommencer par le commencement autant de fois que cela sera nécessaire. Dans tous les domaines de notre édification, il nous faudra encore bien des fois recommencer par le commencement, pour corriger ce qui n’aura pas été achevé, en essayant divers moyens d’aborder la tâche. Il est devenu évident que le rétablissement de la grosse industrie devait être différé, qu’il n’était plus possible de laisser « bloqués » les échanges entre l’industrie et l’agriculture ; et donc qu’il fallait nous atteler à une tâche plus proportionnée à nos forces : le rétablissement de la petite industrie. C’est de ce côté que doit venir notre aide, c’est ce flanc de l’édifice à moitié démoli par la guerre et le blocus que nous devons étayer. Par tous les moyens et à tout prix il faut développer les échanges, sans craindre le capitalisme, puisque le cadre qui lui est assigné chez nous (par l’expropriation des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie dans l’économie, par le pouvoir ouvrier et paysan en politique) est assez étroit, assez « modéré ». Telle est l’idée fondamentale de l’impôt en nature, telle est sa signification économique.

    Tous les militants du Parti et tous les travailleurs des administrations soviétiques, doivent employer tous leurs efforts, toute leur attention pour créer, pour susciter plus d’initiative à la base : dans les provinces ; plus encore dans les districts ; plus encore dans les cantons et les villages, afin de favoriser l’oeuvre de construction économique justement du point de vue du relèvement immédiat de l’économie paysanne, fût-ce par de « petits » moyens, dans de faibles proportions, en l’aidant par le développement de la petite industrie locale. Le plan économique unique de l’Etat veut que cette tâche précisément soit au centre de notre attention et de nos soins, au centre des travaux « de choc ». Une amélioration obtenue ici, c’est-à-dire tout près des « fondations », de la base la plus large et la plus profonde, nous permettra à bref délai d’entreprendre avec plus d’énergie et de succès le rétablissement de la grosse industrie.

    Le travailleur du ravitaillement ne connaissait jusqu’ici qu’une seule directive essentielle : fais rentrer à 100 % les prélèvements en nature. Aujourd’hui la directive est autre : fais rentrer l’impôt en nature à 100 % dans le plus bref délai, puis fais rentrer encore 100 % par l’échange contre des produits de la grosse et de la petite industries. Celui qui aura fait rentrer 75 % de l’impôt en nature et 75 % (de la seconde centaine) par l’échange contre des produits de la grosse et de la petite industries, aura fait oeuvre d’Etat plus utile que celui qui aura fait rentrer 100 % de l’impôt et 55 % (de la seconde centaine) par l’échange. La tâche du ravitailleur se complique. D’une part, c’est une tâche fiscale. Faire rentrer l’impôt aussi rapidement, aussi rationnellement que possible. D’autre part, une tâche économique générale. Il doit s’efforcer d’orienter la coopération, de favoriser la petite industrie, de développer les initiatives, les énergies à la base, de façon à augmenter et à renforcer l’échange entre l’agriculture et l’industrie. Nous ne savons pas encore nous acquitter de cette tâche, tant s’en faut ; à preuve le bureaucratisme. Nous ne devons pas craindre d’avouer qu’ici nous pouvons et devons encore beaucoup apprendre des capitalistes. Comparons les résultats pratiques obtenus dans les provinces, les districts, les cantons et les villages : dans telle localité, des particuliers, capitalistes et petits capitalistes, sont arrivés à tel résultat. Ils ont réalisé approximativement tel bénéfice. C’est un tribut, un droit que nous payons « pour l’apprentissage ». On peut payer pour l’apprentissage, à condition qu’il donne des fruits. Dans la localité voisine, les coopératives ont obtenu tel résultat et ont réalisé tant de bénéfices. Et dans une troisième localité, telle entreprise d’Etat, par des méthodes essentiellement communistes, a obtenu tel résultat (ce troisième cas sera, à l’heure actuelle, une exception rare).

    Il faut que chaque centre économique régional, chaque conseil économique provincial fonctionnant près le comité exécutif, envisage immédiatement, comme une tâche urgente, l’organisation d’expériences de toute sorte ou de systèmes d’« échanges » contre les excédents qui restent aux paysans après qu’ils ont acquitté l’impôt en nature. Au bout de quelques mois on aura des résultats pratiques que l’on pourra comparer et étudier. Sel d’extraction locale ou venant d’autres régions ; pétrole que l’on aura fait venir du centre ; industrie artisanale du bois ; industries artisanales utilisant les matières premières locales et fournissant certains produits qui, sans être essentiels, sont nécessaires et utiles aux paysans ; « houille verte » (utilisation des cours d’eau d’importance locale aux fins d’électrification), etc., etc., — tout doit être mis en oeuvre pour stimuler coûte que coûte les échanges entre l’industrie et l’agriculture. Celui qui, dans ce domaine, aura obtenu le maximum de résultats, fût-ce par la voie du capitalisme privé, voire sans coopérations, sans transformation directe de ce capitalisme en capitalisme d’Etat, — se sera rendu beaucoup plus utile, à l’oeuvre de construction du socialisme dans l’ensemble de la Russie, que celui qui « pensera » à la pureté du communisme, rédigera des règlements, des instructions pour le capitalisme d’Etat et les coopératives, mais ne fera pas avancer pratiquement les échanges. »

    Lénine, 21 avril 1921, Le rôle de la nouvelle politique et ses conditions

  • Lénine dans "Discours au onzième congrès du parti bolchevik de mars-avril 1922, combatttant la bureaucratisation de l’Etat ouvrier :

    « Vous, communistes, vous, ouvriers, vous, partie consciente du prolétariat, qui vous êtes chargés de gouverner l’Etat, saurez- vous faire en sorte que l’Etat, dont vous avez assumé la charge, fonctionne comme vous l’entendez ? Nous avons vécu une année, l’Etat est entre nos mains ; eh bien, sur le plan de la nouvelle politique économique, a-t-il fonctionné comme nous l’entendions ? Non. Nous ne voulons pas l’avouer : l’Etat n’a pas fonctionné comme nous l’entendions. Et comment a-t-il fonctionné ? La voiture n’obéit pas : un homme est bien assis au volant, qui semble la diriger, mais la voiture ne roule pas dans la direction voulue ; elle va où la pousse une autre force - force illégale, force illicite, force venant d’on ne sait où -, où la poussent les spéculateurs, ou peut-être les capitalistes privés, ou peut-être les uns et les autres, - mais la voiture ne roule pas tout à fait, et, bien souvent, pas du tout comme se l’imagine celui qui est au volant. (...) Et il faut poser nettement cette question : qu’est-ce qui fait notre force et qu’est-ce qui nous manque ? Le pouvoir politique, nous en avons autant qu’il faut. Il ne se trouvera probablement personne ici pour dire qu’à l’endroit de telle ou telle question pratique, dans telle ou telle institution, les communistes, le Parti communiste n’ont pas suffisamment de pouvoir. Il y a des gens qui ont constamment cette pensée en tête, mais ce sont des gens tournés désespérément vers le passé, qui ne comprennent pas qu’il faut se tourner vers l’avenir. La force économique essentielle est entre nos mains. Toutes les grandes entreprises clés, les chemins de fer, etc., sont entre nos mains. Le bail, si largement qu’il soit pratiqué en certains lieux, ne joue, dans l’ensemble, qu’un rôle minime. C’est, dans l’ensemble, une part tout à fait insignifiante. La force économique dont dispose l’Etat prolétarien de Russie est tout à fait suffisante pour assurer le passage au communisme. Qu’est-ce donc qui manque ? C’est clair : ce qui manque, c’est la culture chez les communistes dirigeants. De fait, si nous considérons Moscou - 4700 communistes responsables - et si nous considérons la machine bureaucratique, cette masse énorme, qui donc mène et qui est mené ? Je doute fort qu’on puisse dire que les communistes mènent. A dire vrai ce ne sont pas eux qui mènent. C’est eux qui sont menés. Il s’est passé là quelque chose de pareil à ce qu’on nous racontait dans notre enfance, aux leçons d’histoire. Il arrive, nous enseignait-on, qu’un peuple en subjugue un autre, et alors le peuple qui a subjugué est un peuple conquérant, et celui qui a été subjugué est un peuple vaincu. Voilà qui est simple et compréhensible pour chacun. Mais qu’advient-il de la culture de ces peuples ? Cela n’est pas si simple. Si le peuple conquérant est plus cultivé que le peuple vaincu, il lui impose sa culture. Dans le cas contraire, il arrive que c’est le vaincu qui impose sa culture au conquérant. Ne s’est-il pas produit quelque chose de pareil dans la capitale de la R.S.F.S.R. et n’est-il pas arrivé ici que 4700 communistes (presque toute une division, et des meilleurs) ont été soumis à une culture étrangère ? Il est vrai qu’on pourrait, ici, avoir l’impression d’un niveau culturel élevé chez les vaincus. Erreur. Leur culture est misérable, insignifiante. Mais, tout de même, elle est supérieure à la nôtre. Si piètre, si misérable qu’elle soit, elle surpasse celle de nos communistes responsables, parce que ceux-ci ne savent pas suffisamment diriger. Les communistes qui se mettent à la tête des institutions - parfois des saboteurs les y poussent habilement, à dessein, pour se faire une enseigne -, se trouvent souvent dupés. Aveu très désagréable. Ou, tout au moins, pas très agréable. Mais il faut le faire, me semble-t-il, car c’est là, à présent, le nœud de la question. C’est à cela que se ramène, selon moi, la leçon politique de l’année, et c’est sous ce signe que la lutte se déroulera en 1922.
    Les communistes responsables de la R.S.F.S.R. et du Parti communiste de Russie sauront-ils comprendre qu’ils ne savent pas diriger ? Qu’ils s’imaginent mener les autres, alors qu’en réalité c’est eux qu’on mène ? S’ils arrivent à le comprendre, ils apprendront certainement à diriger, car c’est possible. Mais, pour cela, il faut étudier, or, chez nous, on n’étudie pas. On lance à tour de bras ordres et décrets, et le résultat n’est pas du tout celui que l’on souhaite. (...)
    Bâtir la société communiste par les mains des communistes est une idée puérile s’il en fut. Les communistes sont une goutte dans l’océan, une goutte dans l’océan populaire. Ils ne sauront conduire le peuple dans leur voie qu’à la condition de la tracer d’une façon juste non pas seulement du point de vue de l’orientation historique mondiale. »

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