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La LIT, un courant trotskyste, né en Amérique latine

jeudi 6 mars 2008, par Robert Paris

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Pourquoi ce site ?

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Ce point de vue sur l’histoire de la LIT est exposé par une dirigeante de ce courant. La LIT est moins connue en Europe qu’en Amérique latine. Le seul fait que la plupart des militants européens ignorent une partie importante des courants d’Amérique latine justifierait d’y faire référence, quelles que soient les divergences que l’on peut avoir avec le courant moréniste.

Suit un texte de Moreno.

Une brève ébauche de l’histoire de la LIT

par Alicia Sagra (dirigeante de la LIT)

Introduction

Depuis les années 40, nous menons une longue et difficile bataille pour construire des partis révolutionnaires ayant une influence de masse dans tous les pays et pour bâtir l’Internationale. Cette lutte s’inscrit dans la continuité de celle menée par Marx, Engels, Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht, Lénine et Trotsky, lorsqu’ils construisaient la première, deuxième, troisième puis quatrième Internationale.
Nous revendiquons la première et la deuxième Internationale comme un héritage de notre passé ; mais, notre modèle de parti mondial, c’est la troisième Internationale, connue sous le nom d’Internationale Communiste. Elle répond aux nécessités de l’époque impérialiste que nous vivons, non seulement par les propositions programmatiques de ses quatre premiers congrès, mais aussi par son régime interne, le centralisme démocratique.
La IIIème Internationale a été dégénérée et ensuite dissoute par le stalinisme. L’Opposition de gauche, puis la IVème Internationale, ont réuni les révolutionnaires qui ont su affronter de manière conséquente la dégénération staliniste. Aujourd’hui de nombreuses organisations revendiquent la IVème, organisent des forums, des actions d’ensemble, mais la Quatrième Internationale, en tant qu’organisation centralisée, n’existe pas. Les revers de la lutte des classes et les déformations de ses dirigeants, après l’assassinat de Trotsky, ont provoqué sa dispersion. C’est pour cela que nous défendons sa reconstruction.
Nombreux sont ceux qui s’interrogent : “Pourquoi reconstruire la IVème, si elle est uniquement devenue synonyme de trotskysme ?” Trotsky a toujours été opposé au terme “trotskyste”, parce qu’il ne considérait pas représenter um secteur différent du marxisme. Le nom “trotskyste” a été imposé par le stalinisme à ceux qui soutenaient Trotsky quand il affrontait Staline. Le courant de Trotsky préférait se faire appeler bolchévique-léniniste. Il a donné naissance à l’Opposition de gauche et ensuite à la IVème Internationale, née pour défendre les principes du marxisme et du léninisme – c’est-à-dire l’internationalisme, la démocratie et le pouvoir ouvrier... – et proposer une politique offensive pour affronter le nazisme et la Deuxième Guerre Mondiale, face à la capitulation de Staline.
La IVème Internationale se place dans la continuité de la IIIème Internationale, dirigée par Lénine, et se veut synonyme d’une lutte consciente contre la contre-révolution staliniste. Il faut la reconstruire et non construire une Internationale différente, parce que ses principes et ses bases théoriques et programmatiques, exprimées dans “Le Programme de Transition” et dans la “Théorie de la Révolution Permanente”, sont toujours valables, au-delà des évidentes actualisations nécessaires. Le “Programme de Transition” systématise les résolutions des quatre premiers congrès de la IIIème Internationale : contrôle ouvrier, front unique prolétarien, milices, soviets, gouvernement ouvrier et paysan, dictature du prolétariat. De plus, il intègre la nécessité de faire une nouvelle révolution en URSS, une révolution politique, contre la bureaucratie. Le “Programme de transition”, suivant en cela l’orientation du IVème Congrès de la IIIème Internationale, surmonte la division entre programme-minimum et programme-maximum. Il propose une méthode pour élever les masses jusqu’au programme de la révolution socialiste, à travers l’élaboration d’un système de revendications de transition, qui part des nécessités et du niveau de conscience actuels, pour conduire à la conquête du pouvoir par le prolétariat.
La théorie de la Révolution Permanente revendique la combinaison de tâches démocratiques et socialistes dans le processus de la révolution, souligne de plus la nécessité que ce soit la classe ouvrière qui dirige ce processus et que le processus soit international.
L’actualité de ces considérations montre qu’il est aujourd’hui impossible d’élaborer un programme révolutionnaire, sans partir du Programme de Transition et de la Révolution Permanente. C’est pourquoi, tout révolutionnaire qui veut lutter pour la défaite de l’impérialisme et des bureaucraties et pour le triomphe du socialisme international se rapproche, même inconsciemment, des principales positions de la IVème Internationale.
Aujourd’hui, par exemple, en analysant les luttes au Mexique, en Bolivie, au Vénézuela, en Argentine, au Brésil, qui constituent des ripostes variées face aux plans néo-libéraux de l’impérialisme, nous voyons l’impuissance créée par l’absence d’un parti révolutionnaire mondial, capable de diriger la lutte des masses en Amérique Latine. C’est pour cela que la reconstruction de la IVème Internationale est centrale pour avancer dans la lutte contre l’impérialisme.
Cette reconstruction n’incombe pas exclusivement à ceux appelés “trotskystes”, mais à tous ceux qui sont d’accord avec les bases programmmatiques de la IVème. Trotsky n’a pas envisagé la construction de la IVème Internationale comme la responsabilité exclusive des membres de l’Opposition de Gauche (les “trotskystes” de l’époque) mais de tous ceux qui étaient d’accord avec les principes léninistes et prêts à mener une lutte mortelle contre la bureaucratie. L’avancée du nazisme et du stalinisme dans les années trente a provoqué la capitulation des organisations et des dirigeants avec lesquels Trotsky travaillait pour construire une nouvelle Internationale. C’est pour cela, que, dans l’urgence de matérialiser une organisation centralisée qui conserve les principes marxistes révolutionnaires, la IVème Internationale n’a été fondée que par ceux qui faisait partie de l’Opposition de Gauche Internationale. Trotsky, néanmoins, n’a jamais abandonné son objectif de lutter pour une IVème Internationale de masses, où les “trotskystes” étaient disposés à ne constituer qu’une minorité.
Nous ne nous sommes jamais considérés comme les uniques révolutionnaires du monde. Nous ne croyons pas non plus que la solution de la crise de direction révolutionnaire passe par la croissance végétative de notre courant. Au contraire, notre préoccupation, voire notre obsession, a toujours été d’arriver à des accords révolutionnaires, aussi bien au niveau national qu’international. C’est pourquoi notre histoire est une histoire de fusions, de tentatives de fusions et aussi de ruptures, provoquées par les principaux événements de la lutte des classes.
Dans cette longue et douloureuse bataille pour construire une Internationale, nous avons parfois vu juste, mais aussi commis de nombreuses erreurs. En janvier 1982, au moment de la fondation de la LIT-QI, Nahuel Moreno déclarait : “... Les dirigeants du mouvement trotskyste pensaient être des colosses qui ne se trompaient jamais. Néanmoins, le trotskysme tel qu’ils le dirigeaient était lamentable...” ; “Cette expérience gênante de ne fréquenter que des “génies” nous a conduits à faire une propagande indirecte sur les militants de base de nos partis pour les convaincre, bien au contraire, que nous nous trompions souvent, et qu’ils devaient penser par eux-mêmes, car la direction ne garantissait en aucun cas une disposition au génie... Nous voulons par tous les moyens inculquer un esprit auto-critique, marxiste, et non une foi religieuse dans une modeste direction, provinciale par sa formation et barbare par sa culture. C’est pour cela que nous croyons dans la démocratie interne et en faisons une nécessité... Nous avons progressé à travers les erreurs et nous n’avons pas honte de le dire...”
“Le problème, c’est de savoir comment commettre moins d’erreurs, qualitativement et quantitativement. Selon moi, la tendance est de commettre chaque fois moins d’erreurs, si nous avons une organisation internationale, qui fonctionne selon le centralisme démocratique. Cela, c’est un fait pour moi. J’affirme catégoriquement que tout parti national qui n’est pas dans une organisation internationale bolchévique, dotée d’une direction internationale, commet chaque fois davantage d’erreurs et surtout une erreur qualitative : étant trotskyste national, ce parti finira inévitablement par renier la IVème Internationale et par adopter des positions opportunistes ou sectaires, pour finalement disparaître...”


Nos origines

Le courant qui aujourd’hui est appelé LIT-QI existe sous différents noms depuis 1953. Il a surgi en 1944 d’’un petit groupe dirigé par Nahuel Moreno, le GOM (Groupe Ouvrier Marxiste), en Argentine. L’objectif central était d’aller vers la classe ouvrière en cherchant à surmonter le caractère marginal, bohème, et intellectuel du mouvement trotskyste argentin. Durant les premiers temps, nous avons connu une dérive ouvriériste, sectaire et propagandiste. On ne militait pas auprès des étudiants et le centre de notre activité était de donner des cours sur le Manifeste Communiste, et autres textes classiques. Entre 1944 et 1948, nous avons aussi connu une dérive nationale trotskyste, en croyant qu’il existait des solutions pour les problèmes du mouvement trotskyste à l’intérieur de notre propre pays. C’est seulement en 1948 que nous avons commencé à intervenir au sein de la IVème Internationale, en participant au Deuxième Congrès.
L’intervention dans les luttes ouvrières et dans l’Internationale nous a permis de surmonter ces dérives et de renforcer le groupe. La participation en 1945 aux grandes grèves des travailleurs des entreprises frigorifiques (principale catégorie en Argentine à ce moment-là) a été très importante et nous a permis de gagner presque tous les camarades du comité de l’usine. Nous avons surmonté notre sectarisme et notre caractère propagandiste, mais nous sommes tombés dans une dérive syndicaliste, qui sera ensuite surmontée grâce à notre participation à l’Internationale.
Puis, nous nous sommes consolidés dans d’autres usines. Nous avons dirigé des usines de tubes de ciment, de cuir, et même le club d’un quartier ouvrier (celui de Villa Pobladora). Bien que nous n’étions qu’un petit groupe, de près de cent militants, nous nous sommes imposés dans le nouvement ouvrier et avons gagné les principaux cadres ouvriers, qui font aujourd’hui partie de notre courant.
Le parti argentin est parvenu à devenir, avec le SWP créé sous l’orientation de Trotsky, le parti le plus ouvrier du mouvement trotskyste.
La participation à la IVème Internationale
La direction de la IVème Internationale, après la Deuxième Guerre Mondiale, composée par le SWP (EUA), Pablo (Grèce), Mandel (Belgique) et Frank (France) était très jeune, sans expérience, et n’avait pas réussi à surmonter l’affaiblissement qualitatif provoqué par l’assassinat de Trotsky en 1940. La caractéristique centrale de la IVème Internationale, à cette époque, était le sectarisme. Le IIème Congrès s’était déroulé au milieu de grands changements : la Révolution Chinoise avait eu lieu ; en Tchécoslovaquie, les ministres bourgeois avaient été écartés du gouvernement et l’expropriation de la bourgeoisie avait commencé ; en Yougoslavie, s’était produit un processus similaire à partir de 1947. Le Congrès ignora ces faits et centra ses débats sur le caractère de classe de l’URSS : fallait-il ou non la défendre contre les attaques de l’impérialisme ? Cette polémique avait pourtant été tranchée dans le parti américain en 39-40, alors que Trotsky était encore en vie.
Malgré le caractère sectaire et propagandiste de ce Congrès, y participer constitua une avancée qualitative pour le GOM. Il se mit à donner beaucoup plus d’importance à l’impérialisme et particulièrement à la relation des bourgeoisies nationales avec l’impérialisme dans ses analyses politiques ; il prit acte de l’importance des caractérisations internationales, comme cela fut le cas lors de la prise de position en faveur de la Corée du Nord, dans son affrontement avec la Corée du Sud.

Le débat sur les nouveaux états de l’Est.

En 1949, commence le débat sur le caractère de classe de ces états. Moreno revendiquait la manière dont avait été mené le débat, qui avait donné un grand exemple de centralisme démocratique. Il existait deux positions. Pour Mandel et Cannon (USA), ces états étaient capitalistes. La position de Pablo, défendue par Hansen (mais avec des différences) et par Moreno, soutenait qu’étaient nés de nouveaux états ouvriers. La polémique fut résolue relativement rapidement. Mandel et Cannon reconnurent qu’un véritable processus révolutionnaire s’était produit dans l’Europe de l’Est, et que de nouveaux états ouvriers déformés avaient surgi. Ce succès politique augmenta le prestige de Pablo et c’est ainsi qu’eut lieu le Troisième Congrès en 1951.
La lutte contre le pablisme
En 1951, en pleine guerre froide, tous les commentateurs internationaux affirmaient être inévitable le choc armé entre les USA et l’URSS. Pablo et Mandel proposèrent de faire de l’“entrisme sui generis” dans les partis communistes et les partis nationalistes bourgeois, partis qu’il aurait fallu accompagner sans critiques, jusqu’à la prise du pouvoir. La majorité du trotskysme international, dirigé par la majorité de la section française, se refusa à appliquer cette politique. À partir du POR argentin (l’ancien GOM), nous avons dénoncé cette position, qui ne considérait plus la bureaucratie staliniste comme contre-révolutionnaire et abandonnait la lutte contre elle, ce qui était une révision de points essentiels du programme trotskyste. Nous affirmions que ces positions étaient motivées par le caractère petit-bourgeois et intellectuel des dirigeants européens.

La révolution bolivienne – La division de la IVème Internationale

En raison de cette caractérisation, Pablo s’opposa à la consigne de retrait des tanks russes quand eut lieu le soulèvement des travailleurs de Berlin en 1953, et apporta un soutien de fait à la bureaucratie soviétique. Cependant, la conséquence la plus tragique de cette politique, ce fut la trahison de la révolution bolivienne.
En 1952, en Bolivie se produit une révolution ouvrière classique. Les travailleurs organisèrent des milices, infligèrent une défaite militaire à la police et à l’armée, et c’est alors que surgit la COB (Centrale Ouvrière Bolivienne) comme organisme de double pouvoir. En 1953, se produisit une révolution paysanne qui envahit les latifundios et occupa les terres.
Depuis les années quarante, l’organisation trotskyste, le POR, était en train de gagner une énorme influence dans le mouvement ouvrier. Il comptait dans ses rangs d’importants dirigeants mineurs, ouvriers ou paysans. Le principal dirigeant, Guillermo Lora, avait rédigé les “thèses de Pulacayo”, une adaptation du Programme de Transition à la réalité bolivienne, adoptées par la Fédération des Mineurs. Lors des élections de 1946, Lora fut élu sénateur par un Front dirigé par la Fédération des Mineurs. Lors de la révolution de 1952, le POR co-dirigea les milices et fut co-fondateur de la COB. Il avait un poids de masse en Bolivie.
Malheureusement, le POR, suivant les orientations du SI de Pablo ne proposa pas une politique de prise du pouvoir à la COB. Au contraire, il apporta son soutien critique au gouvernement du MNR (Mouvement nationaliste bourgeois). Sans une orientation révolutionnaire, le mouvement de masse fut démobilisé et désarmé. De plus, cette trahison à la révolution amena une détérioration du trotskysme bolivien, qui entra dans un processus de divisions successives.
Répudiant la ligne de l’ “entrisme suis generis”, avec la majorité des trotskystes français (dirigés par Lambert) et anglais (dirigés par Healy), le SWP (USA), ainsi que les trotskystes d’Amérique du sud (à l’exception du POR bolivien et du groupe de Posadas en Argentine), nous avons rompu avec le SI dirigé par Pablo, en 1953, et avons créé le Comité International (CI).

Le SLATO : la révolution péruvienne

En Amérique du Sud, à partir du POR argentin, avec des trotskystes du Chili et du Pérou, nous menions une polémique contre cette politique en Bolivie. En avril 1953, Moreno affirmait dans Deux lignes que l’appui critique au MNR était une trahison et qu’il fallait exiger que la COB prenne le pouvoir. En même temps, nous exigions que le Comité International agisse comme une organisation centralisée, unique manière de mettre en échec le révisionnisme de Pablo. Le refus des forces majoritaires du Comité International d’agir de manière centralisée, avec une politique offensive, a provoqué une avancée des positions de Pablo, bien que la majorité des trotskystes s’y opposaient. Face à cette réalité, nous avons commencé à agir comme une tendance, au niveau latino-américain, et, en 1957, nous avons formé, avec les dirigeants péruviens et chiliens, le SLATO (Secrétariat Latino-Américain du Trotskysme Orthodoxe).
L’existence du SLATO nous a permis de participer de manière centralisée au processus de révolution agraire au Pérou. Hugo Blanco, un jeune étudiant militant du POR argentin, a été envoyé, pour participer au processus de Cuzco, au Pérou. Hugo Blanco, orienté par le SLATO, a pris la tête du processus d’occupation de terres et d’organisation syndicale dans les campagnes. Le SLATO a envoyé plusieurs cadres pour appuyer ce travail. Dans ce processus, s’est construit le FIR (Front de Gauche Révolutionnaire), orienté par les trotskystes, et qui a donné naissance à notre actuelle section péruvienne. En 1963, Hugo Blanco a été capturé par l’armée. De 1963 à 1967, il était incommunicable, En 1967, il a été inculpé par la justice militaire. Face au risque de le voir condamné à mort, une campagne internationale a été réalisée, avec l’adhésion de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Issac Deutscher, des syndicats français, anglais, indiens, des parlementaires français, anglais et d’autres pays encore. Cette campagne a empêché sa condamnation à mort, mais il a été condamné à vingt-cinq ans de prison. Une autre campagne internationale a pu obtenir sa liberté en 1970. Durant cette période, les paysans péruviens continuèrent à élire Blanco comme leur dirigeant dans tous leurs congrès.
La révolution cubaine et la réunification de 1963
La base de la réunification de la IVème Internationale en 1963 a été la reconnaissance de la révolution cubaine et sa défense. Naît alors le SU (Secrétariat Unifié), dirigé par Mandel et par le SWP (Pablo était resté en dehors de la IVème). Dans le SU, se retrouvèrent toutes les forces trotskystes qui reconnaissaient qu’était né un état ouvrier à Cuba. À l’extérieur du SU, se trouvaient les trotskystes anglais et français qui n’octroyaient pas la même signification à la révolution cubaine. Nous avons attendu un an avant d’entrer, parce que nous avions de nombreuses différences avec la politique de Mandel et parce que nous exigions un bilan de la méthode politique peu rigoureuse qui avait conduit à la trahison de la révolution bolivienne, afin d’éviter de nouvelles dérives dans le futur. Cependant, en 1964, nous décidons d’entrer, convaincus, malgré toutes les divergences, qu’une réunification, sur la base du soutien à une révolution, était positive.

La lutte contre les dérives guérilléristes . Le développement du parti argentin. La révolution portugaise.

La méthode approximative de Mandel n’avait pas été surmontée et, à la fin des années soixante, une nouvelle capitulation se produisit. Cette fois-ci par rapport au castrisme, à la guérilla et à la stratégie du foquisme (construction de foyers de guérilla rurale).
Avec le SWP, le PST argentin (prédécesseur du MAS) et tous les autres groupes d’Amérique Latine, nous avons pris la tête d’un courant qui a mené une grande bataille contre ces positions. Nous disions que la théorie du foquisme était une politique élitiste, isolée du mouvement de masse, et qui provoquerait de grands désastres. Malheureusement, les faits nous ont donné raison, Le trotskysme a perdu d’innombrables militants de valeur qui ont suivi cette ligne erronée, principalement en Argentine, mais aussi dans d’autres pays. A partir de ce moment, le SU a commencé à se transformer en une fédération de tendances. Chacune appliquant sa propre politique. L’ascension de 1968 ouvre de nouvelles opportunités et l’existence d’une organisation mondiale unifiée, le SU, permet de les exploiter. En France, par exemple, où le trotskysme avait pratiquement disparu, à cause de l’“entrisme sui generis”, surgit la LSR qui organise jusqu`à cinq mille militants et publie un journal quotidien. En Amérique Latine, le PST argentin connaît un grand développement et aux États-Unis, le SWP se renforce énormément avec sa participation contre la guerre du Vietnam.
Mais, malheureusement, il a fallu affronter une nouvelle capitulation de Mandel. Ce fut cette fois-ci par rapport à la nombreuse avant-garde, surgie lors de Mai 68 en France et influencée par le maoïsme. Notre polémique avec Mandel est développée dans Le Parti et le révolution de Nahuel Moreno. Au cours de cette bataille contre les capitulations à la guérilla et à l’avant-garde, notre parti argentin, le PST, surgi de la fusion avec un secteur qui avait rompu avec la social-démocratie, s’est développé, devenant un parti d’avant-garde important. Ce développement s’est fait justement grâce à une politique opposée à celle de Mandel : en intervenant dans le processus du “Cordobazo” et en participant au processus électoral. À la même période, nous avons organisé le parti en Urugaye et au Vénézuela.
Quand éclate la révolution portugaise en 1974, le PST envoie des cadres pour participer au processus. Nous avons mené une politique pour la prise du pouvoir, centrée sur l’appel au développement et à la centralisation des organismes de double pouvoir qui avaient surgi ; nous avons pu alors gagner un secteur de lycéens et organiser le parti portugais, qui fournira des cadres importants pour l’Internationale.
Cette révolution montra, une fois de plus, la capitulation de Mandel, qui suivit le maoïsme et donna son appui au MFA (Mouvement des Forces Armées), qui co-gouvernait l’empire portugais. En 1975, ce processus provoqua la rupture de la FLT (Fraction que nous avions formée avec le SWP pour s’opposer au mandélisme) face à l’impossibilité d’arriver à une politique commune pour la révolution. Pour eux, le plus important était d’agiter des mots d’ordre démocratiques et d’éditer des œuvres de Trotky.
La majeure partie des organisations et militants de Colombie, du Brésil, d’Urugaye, du Portugal, d’Espagne, d’Italie et du Pérou, se retirent de la FLT, et avec le PST argentin, forment une tendance qui, tout de suite se déclare fraction du SU ; c’est la Fraction Bolchévique (FB), qui sera à l’origine de la LIT-QI.
La participation à la révolution portugaise et les polémiques avec le mandélisme et le SWP nous ont fait avancer dans l’élaboration théorique, par rapport à la construction du parti durant des processus révolutionnaires, et cela apparaît dans l’ouvrage “Révolution et contre-révolution au Portugal”.
Le parti brésilien
Un groupe de jeunes brésiliens exilés au Chili entre en contact avec notre courant. Après le coup d’état, ils se rendent en Argentine et commencent à militer dans le PST. En 1974, ils reviennent au Brésil pour construire le parti. Surgit alors la Ligue Ouvrière et ensuite Convergence Socialiste. Le groupe commence à se développer en contact avec la direction de la FB, et élabore la politique de construction d’un parti des travailleurs.
La jeune organisation brésilienne s’est développée durant douze ans à l’intérieur du PT, sans se dissoudre ni capituler à la direction bureacratique. Cela a été possible parce qu’elle appartenait à un courant international qui l’orientait dans cette politique d’entrisme dans le PT, et l’encourageait à centrer son travail dans les oppositions syndicales de la CUT, lui indiquant clairement le caractère bureaucratique de la direction de Lula.
Grâce à tout cela, la CS a pu sortir du PT qualitativement plus forte, en proposant une politique de Front Unique Révolutionnaire, adressée aux secteurs d’avant-garde qui rompait avec le parti de Lula.
Le parti colombien
En 1976, se produisit le coup d’état militaire en Argentine qui donna naissance à la dictature semi-fasciste de Videla. Le PST dut retirer de ce pays d’importants dirigeants et en profita pour renforcer l’Internationale. C’est à cette période que nous avons construit nos organisations en Bolivie, au Chili, en Équateur, au Costa Rica, au Panama, et renforcé notre travail au Portugal et en Espagne. Mais le processus le plus important est celui de Colombie où nous entrons alors en contact avec le Bloc Socialiste, une organisation qui se rapprochait de positions révolutionnaires avec des militants issus de l’Eglise et du castrisme. C’est de là que surgit le PST colombien, qui rapidement se consolide comme une forte organisation d’avant-garde et devient un des pilliers de notre travail International.

La lutte contre la dictature argentine

Pendant ce temps, en Argentine, le PST jour un rôle héroïque dans la résistance à la dictature génocide. À peu près 250 militants emprisonnés et plus de cent morts et disparus. Malgré tout, agissant dans la plus stricte clandestinité, le PST a maintenu l’édition de son journal et développé un travail dans le mouvement ouvrier, la jeunesse et les intellectuels.
Quand a commencé la guerre des Malouines, la haine contre la dictature n’a pas empêché le parti de suivre une politique de principes et d’attaquer l’impérialisme envahisseur comme étant le principal ennemi. Dès le premier moment, sans cesser de dénoncer la dictature, le PST, s’est placé dans le camp militaire argentin et a milité pour la défaite de l’impérialisme. Le PST est sortie de la dictature avec un grand prestige dans l’avant-garde et avec 800 cadres solides qui se sont consacrés à la construction du MAS, incorporant à leur travail un groupe de cadres venus d’un autre courant socialiste.
La révolution du Nicaragua. La Brigade Simon Bolivar.
En 1979, quand éclate la révolution au Nicaragua, notre courant malgré des différences politiques avec le sandinisme, décide de participer physiquement à la lutte contre Somoza. A travers le PST colombien, une grande campagne pour construire une Brigade Simon Bolivar est lancée. Elle est formée de militants de notre courant et de révolutionnaires indépendants, de Colombie, du Panama, de Costa Rica, des USA, et d’Argentine. Maintenant une indépendance politique complète, la Brigade entre dans l’armée sandiniste et joue un rôle héroïque dans la libération de la région sud du Nicaragua, ce qui lui coûte des morts et des blessés. Avec le triomphe de la révolution, les membres de la Brigade sont reçus comme des héros à Managua. Nous exigions alors que le sandinisme rompe avec la bourgeoisie et prenne le pouvoir avec les syndicats ouvriers. Le sandinisme, suivant la politique de Castro, participait d’un gouvernement de coalition avec Violeta Chamorro. La Brigade encourage la création de syndicats et en une semaine en organise plus de 70. Cela provoque une réaction de la direction sandiniste qui l’expulse du Nicaragua. Plusieurs membres de la Brigade sont prisonniers et torturés par la police de Panama, alliée au gouvernement sandiniste.
Le SU envoie une délégation à Managua pour dire que nous étions un groupe d’ultra-gauche, avec lequel, ils n’avaient rien à voir et vote une résolution interdisant la construction de partis en dehors du sandinisme. Le refus de défendre des militants révolutionnaires torturés par la bourgeoisie et le fait d’avoir voté cette résolution interne qui, en pratique, était un décret d’expulsion de notre courant, a conduit à une rupture définitive avec le SU.
Ces faits révèlent la véritable polémique au sein du SU. Nous défendions la nécessité de construire un parti révolutionnaire au Nicaragua et eux non. Ce fut la même discussion pour Cuba, tant par rapport à la construction du parti que par rapport à la nécessité de la révolution politique. Tout cela démontrait une capitulation croissante du SU au castrisme et au sandinisme.

Notre relation avec les Lambertistes.

Le courant dirigé par Pierre Lambert a affirmé sa solidarité envers la Fraction Simon Bolivar. C’est à partir de là qu’a commencé notre relation politique avec le lambertisme, avec lequel nous n’avions plus de contacts depuis 1963. Commence alors une série de discussions, avec de grands accords de principe et de programme, tels qu’ils sont exprimés dans les Thèses pour l’actualisation du Programme de Transition de Nahuel Moreno. Dans ce travail, le stalinisme et le castrisme sont définis comme des agents contre-révolutionnaires ; les processus de l’après-guerre (Europe de l’Est, Chine, Cuba) sont définis comme des révolutions, bien que n’ayant pas été dirigés par la classe ouvrière et son parti révolutionnaire.
En même temps, la nécessité d’encourager la révolution politique contre les états ouvriers dégénérés, surgis de ces processus, apparaît. La stratégie de guérilla et la politique opportuniste des directions sont analysées ; une importance particulière est donnée à la défense du droit à l’autodétermination des nationalités opprimées et aux tâches démocratiques ; le début du processus de crise des appareils révolutionnaires, en particulier du stalinisme est identifié, ce qui ouvre des possibilités de lutte pour les partis trotskystes et pour une IVème Internationale de masse. Un comité paritaire est alors formé et il culminera en 1980 avec la formation d’une organisation : la Quatrième Internationale- Comité Internationale (QI-CI). Nous réalisons une campagne de soutien à Solidarnosk en Pologne. Tout indiquait qu’un grand pas pouvait être franchi sur le chemin de la reconstruction de la IVème.
Mais cette tentative s’est soldée par un échec. Notre insertion insuffisante en Europe nous a fait commettre une grave erreur. Nous n’avons pas vu que le lambertisme entretenait des liens forts avec la bureaucratie syndicale, ce qui le conduisit à capituler au gouvernement de Front Populaire. Juste après la victoire de Miterrand en France, Lambert se refuse à discuter une politique pour la France et des expulsions de militants, opposés à cette politique, commencent, ce qui provoque la rupture de la QI-CI.
La polémique avec le lambertisme nous a obligés à avancer dans notre élaboration sur le Front Populaire, ce qui s’est reflété dans le livre La Trahison de l’OCI de Nahuel Moreno.
La fondation de la LIT-QI
En janvier 1982, une réunion internationale avec les partis de la FB et deux importants dirigeants du lambertisme, Ricardo Napuri, du Pérou et Alberto Franceschi, du Vénézuela, est réalisée. Un des points principaux de la réunion était d’organiser une campagne en défense de la probité révolutionnaire de Napuri, attaqué moralement par Lambert parce qu’il avait exprimé ses différences politiques avec celui-ci. Un autre point important était d’avancer dans la construction de l’Internationale.
La réunion, après avoir approuvé la campagne a résolu, à l’unanimité de devenir une conférence de fondation d’une nouvelle organisation internationale. Les thèses de fondation sont alors approuvées et les statuts de la LIT-QI. La LIT-QI n’est pas simplement la FB, affublée d’un autre nom, puisqu’elle intègre Franceschi et son parti, le MIR prolétarien, qui avaient rompu avec le lambertisme. Peu après, Napuri s’incorpore, avec la moitié du parti péruvien qui rompt aussi avec Lambert.
En 1985, le parti dominicain rejoint la LIT-QI. Ce groupe ne vient pas du trotskysme, mais d’une rupture de l’Eglise. En 1987, s’intègre le groupe de Bill Hunter en Angleterre, qui n’est pas de tradition moréniste et un groupe de jeunes trotskystes indépendants du Paraguay, qui donnent origine au PT, la plus grande organisation de gauche de ce pays.
En 1985, le manifeste de la LIT-QI lance un appel pour construire un FUR (Front Unique Révolutionnaire), à partir d’un programme minimum révolutionnaire pour affronter le front-contre-révolutionnaire mondial de l’impérialisme, les bourgeoisies nationales, l’Eglise, le stalinisme, le castrisme, le sandinisme et les bureaucraties syndicales.
Les principales campagnes politiques de la LIT-QI
La première campagne c’est celle pour la victoire de l’Argentine dans la Guerre des Malouines, par laquelle nous sommes intervenus dans le processus anti-impérialiste qui s’est ouvert en Amérique Latine. La campagne pour le non-paiement de la dette externe nous a permis d’avoir un rôle dans les grandes mobilisations en Bolivie, qui ont obligé le gouvernement de Front Populaire à suspendre le paiement de la dette. La campagne contre les accords de Esquípula et Contadora (accords impulsionnés par l’impérialisme et appuyés par le castrisme et le sandinisme pour arrêter le processus révolutionnaire en Amérique Centrale), a eu une grande importance. En 1991, nous avons réalisé une campagne pour la défaite de l’impérialisme dans la Guerre du Golfe.
La crise de 90
Après la chute de la dictature argentine, la direction de la LIT décide de prioriser le travail dans ce pays, où s’ouvrait une possibilité objective et subjective pour que le MAS devienne le parti le plus fort de la gauche argentine. Le MAS gagne alors une grande insertion dans les principales usines et quartiers ouvriers, dirige des listes d’opposition à la bureaucratie dans les principaux syndicats, réalise des manifestations de 20 à 30 mille personnes, élit le premier député trotskyste argentin, et parvient à lancer et diriger une manifestation d’opposition au gouvernement de cent mille personnes.
Au milieu de ce processus, la LIT-QI, est durement frappée en 1987, par la mort de son fondateur et principal dirigeant, Nahuel Moreno. Son absence a provoqué un affaiblissement qualitatif dans notre direction internationale. La nouvelle direction apporte des réponses erronées aux processus d’Europe de l’Est de 1989-1990. Elle définit correctement ces processus comme révolutionnaires, mais ne voit pas les contradictions, faisant ainsi une caractérisation unilatérale. Elle adopte alors une attitude auto-proclamatoire et une politique avec des traits opportunistes de capitulation à la réaction démocratique.
Parallèlement, la LIT connaît une dérive nationale trotkyste : la direction internationale était de fait, monopolisée par la direction du parti le plus fort, l’argentin, qui se met à agir comme un “parti-mère”.
Tout cela a provoqué la plus grande crise de notre histoire qui aura pour conséquence la rupture et le recul du parti argentin, la rupture du parti espagnol et la sortie du parti colombien de la LIT-QI. On arrive presque à la destruction de la LIT-QI.

Le Vème Congrès de la LIT-QI

A partir du Vème Congrès de la LIT-QI (juillet 1994), les premiers efforts pour résoudre cette crise sont faits. Lors de ce congrès, se combinent une situation objective favorable (Chiapas, résistance du peuple bosniaque, le “Santiaguenhaço”, la montée en puissance du mouvement ouvrier européen, le processus de réorganisation au Brésil qui donne origine au PSTU) avec la disposition subjective de l’ensemble des dirigeants pour faire tous les efforts pour tirer la LIT-QI de la paralysie.
Dans ce congrès, sont votés : une campagne de soutien ouvrier à la Bosnie, la régularisation de notre revue Courrier International , la construction d’un secrétariat international avec des dirigeants de divers pays, une priorité accordée au travail au Brésil et en Europe, et enfin une politique pour renforcer l’élaboration théorique et programmatique. Toutes ces mesures visent à reconstruire la LIT-QI, afin qu’elle puisse envisager la reconstruction de la IVème Internationale.
Par rapport à ce travail stratégique, le Congrès fait un premier pas en votant un comité de rapprochement avec Workers International (Angleterre, Afrique du sud, Namibie et quelques pays d’Europe de l’Est). La campagne victorieuse du soutien ouvrier à la Bosnie, notre participation au processus révolutionnaire au Mexique, la construction d’un parti ouvrier en Ukraine, la fusion de notre parti espagnol, la régularité de notre revue internationale en espagnol, anglais et portugais, les avancées dans la construction du PSTU, le renforcement de notre travail en Europe, le fait que nous ayions fait une proposition de programme pour le Comité de rapprochement avec le WI, nos efforts d’élaboration théorique sur Cuba, la Bosnie, l’Afrique du sud, les discussions sur de nouvelles formes de travail militant, sur les états d’Europe de l’Est... Tout cela montre que nous avançons dans la perspective des résolutions du dernier Congrès Mondial. Et que la LIT-QI est sortie de la paralysie et de la crise ouverte en 1990.
Notre projet actuel
Ce qui nous a toujours permis de surmonter les erreurs commises au cours de notre histoire, c’est une étroite relation avec la classe ouvrière et une permanente relation avec l’Internationale. De plus, notre courant s’est toujours caractérisé par une action qui allie une grand flexibilité dans les tactiques et une extrême rigidité dans les principes.
Cette permanente relation avec l’Internationale se démontre dans le fait de n’avoir jamais été abstentionnistes par rapport au mouvement trotskyste. Au contraire, nous avons mené une dure bataille pour corriger la politique du POR bolivien, les dérives d’avant-garde de la LCR française, la dérive guérillériste qui a provoqué la mort de tant de trotskystes argentins.... Nous voulions éviter la destruction de ces partis et dirigeants, importantes conquêtes du mouvement ouvrier mondial. Cette bataille a porté ses fruits. Nous avons réussi à tirer de nombreux cadres de ces dérives et, dans la chaleur de ce combat et de la participation à la lutte des classes, nous avons construit notre courant, la LIT-QI, qui, aujourd’hui compte des partis, groupes, ou militants, en Argentine, au Brésil, au Paraguay, en Urugay, en Bolivie, au Pérou, au Vénézuela, au Costa Rica, en République Dominicaine, au Mexique, aux USA, au Portugal, en Espagne, en France, en Angleterre, en Pologne, en ex-URSS, en Australie et en Allemagne.
Cette construction a été faite en recherchant les meilleures manières de nous lier au mouvement de masse, en adoptant des mots d’ordre de lutte adaptés au niveau de sa conscience pour parvenir à des mobilisations. Cependant , nous n’avons jamais renoncé à notre programme ou hésiter à affronter la conscience des masses, quand il s’agissait de défendre une politique de principes. Nous avons affronté la conscience pro-castriste de l’avant-garde latino-américaine dans la campagne contre Contadora et, aujourd’hui, nous faisons la même chose en défendant notre politique pour Cuba : la lutte pour une révolution politique contre la bureaucratie de Castro. Nos petits groupes en Europe ont affronté la conscience pro-impérialiste de l’avant-garde européenne lors de la guerre des Malouines, respectant notre principe marxiste de placer en premier lieu la défaite de son propre impérialisme. C’est pourquoi nous avons aussi maintenu notre politique pour la Bosnie, puisque c’est un principe du marxisme révolutionnaire de s’opposer à n’importe quel génocide et d’être du côté de la nation opprimée, face à l’attaque d’une nation opprimante.
C’est pour cela que, malgré des erreurs commises, nous sommes fiers de notre histoire. Bien sûr, nous ne prétendons pas que tous les militants du PSTU, par exemple, soient d’accord avec tout ce que nous avons fait durant ces presque 50 ans. Nous avons des trajectoires différentes et probablement, nous aurons des divergences dans l’interprétation de nombreux faits. Bien sûr, il y aura sûrement aussi des différences par rapport à certaines définitions théoriques, différences qui existent au sein de la LIT-QI, car elles sont liées à des faits qui ont changé la face du monde et ont provoqué de grandes polémiques au sein du marxisme mondial. De plus, nous ne voulons pas d’une Internationale où il y aurait l’unanimité sur tout. Nous voulons une organisation centralisée sur des aspects programmatiques centraux, mais vivante, avec des polémiques sur les divers aspects théoriques et politiques qui rendent possible une avancée permanente.
Ce que nous voulons, c’est arriver à un accord autour du travail militant qui nous attend. Notre projet est fondé, en premier lieu, sur le constat que, la définition de Trotsky : “La crise historique de l’humanité se résout à la crise de la direction révolutionnaire” a acquis une dramatique actualité. C’est cela qui permet à l’impérialisme, malgré une crise chronique et de grandes luttes de résistance, de continuer à rogner le niveau de vie des masses. Ainsi, l’absence d’une direction révolutionnaire explique l’avancée de la restauration à l’Est et met en péril les actions révolutionnaires des masses cubaines contre la bureaucratie castriste, qui risquent d’être détournées au profit de la bourgeoisie gusana , accélérant le processus de restauration capitaliste déjà entamé par Castro.
De plus, en second lieu, nous considérons la déroute du stalinisme, malgré toutes ses contradictions, comme un événement révolutionnaire. La chute de l’appareil central staliniste a provoqué deux effets opposés. D’un côté, les directions traditionnelles se sont repositionnées à droite et s’incorporent de plus en plus au régime bourgeois. De l’autre, cela provoque des repositionnements à gauche (encore minoritaires), de militants en quête d’une nouvelle organisation révolutionnaire. Ce phénomène se produit aussi au sein du trotskysme, où les courants les plus forts et les plus traditionnels (le SU et le lambertisme) avancent vers une intégration aux appareils contre-révolutionnaires, provoquant des ruptures dans les secteurs qui affrontent cette capitulation.
La construction du PSTU est le fruit de ce processus de réorganisation provoqué par la chute du stalinisme. La construction du POI en Ukraine s’inscrit aussi dans ce processus, ainsi que la fusion en Espagne, le comité de rapprochement avec le WI, entre autres... Ce processus de réorganisation explique aussi le fait que la LIT-QI, malgré sa crise, soit aujourd’hui en contact avec des dirigeants et des organisations révolutionnaires comme jamais auparavant dans son histoire. Tout cela nous conduit à affirmer que la chute du stalinisme a ouvert des possibilités meilleures dans la perspective de la reconstruction de la IVème Internationale. Ce qui ne signifie pas que cela soit une tâche facile, de la même manière que le processus de construction du PSTU n’a pas été, et ne sera pas, facile.
Notre projet est donc d’avancer dans ces relations avec divers dirigeants et organisations à partir d’une discussion de programme et une intervention en commun dans la lutte des classes. De cette manière, nous testons si existent les principaux accords de principe, programmatiques et méthodologiques pour construire une nouvelle organisation internationale qui surpasse la LIT-QI et avance dans la reconstruction de la IVème Inernationale. Nous ne prétendons pas créer cette nouvelle organisation seulement avec des trotskystes, ou avec tous ceux qui se revendiquent trotskystes, mais avec ceux, avec lesquels, quelle que soit leur origine, nous puissions arriver à un accord révolutionnaire.
Nous assumons la tâche de donner une impulsion à la reconstruction de la IVème Internationale. Nous avons une histoire, une expérience accumulées, un programme et un embryon d’organisation révolutionnaire internationale, la LIT-QI. Nous mettons tout cela à disposition du mouvement de masse, pour avancer dans la reconstruction de la IVème Internationale. Pour gagner des forces dans la réalisation de cette tâche historique difficile, nous invitons tous les militants de la LIT-QI et tous ceux qui sont d’accord avec notre projet à venir renforcer cet embryon révolutionnaire. "

Nahuel Moreno

Un document scandaleux

V. Les stratégies décennales

4. Une conséquence tragique : la Bolivie en 1952-55.

Si un jeune trotskyste essaie d’étudier l’histoire de notre mouvement faite par le camarade Frank, il aura des difficultés presque insurmontables pour savoir quelle fut notre orientation en Bolivie. Bien que notre action y ait été la plus importante de notre Internationale pendant des années (avec Ceylan), selon les déclarations mêmes de Pablo et ses amis, un secret jalousement gardé entoure son histoire. On dirait qu’une section importante comme celle de la Bolivie n’a jamais existé.

La raison de cette conspiration du silence est très simple : il y eut en Bolivie la plus grande, la plus parfaite, la plus classique révolution ouvrière de notre époque. Elle eut une forte influence dans notre Internationale et il s’y est exprimé, dans sa forme la plus claire, le terrible danger que comporte la « stratégie » de l’entrisme « sui generis ». Mais assez de qualificatifs, voyons les faits.

L’échec du nationalisme bourgeois

La Bolivie connaissait une situation analogue à celle de l’Argentine péroniste mais sans les bases économiques qui permirent l’épanouissement du péronisme. La Bolivie est un pays très pauvre avec un prolétariat minier très fort et concentré à Oruro et La Paz, un prolétariat industriel et une petite bourgeoisie presque totalement concentrés dans la ville la plus importante, La Paz.

La tentative par la bourgeoisie d’instaurer un gouvernement bonapartiste militaire, soutenu par le mouvement ouvrier afin de résister aux pressions américaines, comme cela s’était fait en Argentine avec le péronisme, échoua du fait de la condition misérable de l’économie bolivienne. En Argentine, ce projet bourgeois eut le vent en poupe grâce à son exceptionnelle place commerciale et financière (la 3ème place mondiale dans l’après-guerre), et Peron put faire de grandes concessions économiques aux masses et acquérir ainsi un grand prestige à leurs yeux. En Bolivie, par contre, la situation économique déplorable enleva toute marge de manœuvre au gouvernement bourgeois et celui-ci ne put pas faire de grandes concessions. La croissance du prestige du trotskysme fut massive et fulgurante.

Le trotskysme gagne une influence de masse

Les trotskystes boliviens devinrent ainsi une direction d’un grand prestige politique dans le mouvement ouvrier et des masses boliviennes, sans réussir toutefois à consolider cette influence au niveau organisationnel - les organes officiels de notre Internationale l’ont reconnu plusieurs fois - et notre influence se refléta dans les faits mêmes de la lutte de classes. Les fameuses Thèses de Pulacayo, la base programmatique du mouvement syndical bolivien, en sont un bon exemple : En no­vembre 46, à Pulacayo (une ville minière), se réunirent les délégués de toutes les mines de Bolivie, qui adoptèrent à l’unanimité les thèses élaborées par les trotskystes, rejetant celles du MNR et des staliniens. Ces thèses, qui s’intitulaient « Programme de revendications transitoires », avançaient parmi d’autres ces positions : 1) salaire minimum vital et échelle mobile des salaires 2) semaine de 40 heures et échelle mobile des heures de travail 3) occupation des mines 4) contrat collectif 5) indépendance syndicale 6) contrôle ouvrier des mines 7) armement des travailleurs 8) caisse de grève 9) réglementation des aliments de base 10) suppression du travail contractuel. Ce programme, et particulièrement la partie concernant l’armement du prolétariat dans des milices ouvrières, fut popularisé massivement par le trotskysme et l’organisation syndicale des mineurs pendant six ans, jusqu’à la révolution de 52.

Après cette fantastique victoire trotskyste parmi les mineurs, un bloc ou front ouvrier se constitua pour la présentation de candidats aux élections. Alors que 90% de la population bolivienne ne votait pas à ce moment-là (seuls pouvaient voter ceux qui savaient lire et écrire), le bloc ouvrier gagna dans les districts miniers et obtint un sénateur et 5 députés. Le plus grand leader trotskyste, Guillermo Lora, fit avec d’autres camarades une violente utilisation du parlement bourgeois en attaquant l’armée et en préconisant la nécessité de la détruire et d’imposer les milices ouvrières.

La révolution bolivienne

En 51, il y eut des élections présidentielles et le MNR les gagna, mais il ne put pas accéder au gouvernement, car face à cette victoire les militaires firent un coup d’Etat et instaurèrent un régime dictatorial, extrêmement répressif. Le 9 avril 1952, la police et un secteur de l’armée, en accord avec la direction du MNR tentèrent un contrecoup d’Etat, mais ils échouèrent et leur chef militaire se réfugia dans une ambassade. La police, se voyant vaincue par les militaires, remit des armes aux travailleurs des usines et au peuple de La Paz, pour qu’ils résistent à la contre-offensive militaire. Pendant ce temps, les mineurs commencèrent à descendre sur La Paz et, après s’être emparés d’un train militaire plein d’armements, ils liquidèrent totalement l’armée bolivienne. A La Paz, par exemple, les travailleurs battirent totalement 7 régiments (la base de l’armée bolivienne) et prirent toutes les armes. Le gouvernement dictatorial tomba et un gouvernement du MNR prit sa place.

Les milices ouvrières et paysannes étaient les seules forces armées en Bolivie après le 11 avril 1952 et elles étaient dirigées, en majeure partie, par les trotskystes. Ce n’est que le 24 juillet, plus de 3 mois après, que le gouvernement décréta la réorganisation de l’armée.

Nos camarades trotskystes, en s’appuyant sur les milices armées ouvrières et paysannes - entre 50 et 100 000 hommes (les milices paysannes à elles seules en avaient 25 000) - et sur les organisations syndicales fondèrent et organisèrent la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB), qui regroupa toutes les milices et toutes les organisations ouvrières et paysannes de Bolivie.

Le mot d’ordre de Pablo : « Tout le pouvoir au MNR ! »

Face à cette situation, unique dans ce siècle - une révolution qui liquide l’armée bourgeoise et organise sa propre armée prolétarienne, avec une direction et un programme trotskyste -, que font Pablo et ses amis ? Ils appliquèrent une de leurs tactiques décennales : l’entrisme. Cette ligne était imposée à l’échelle mondiale, et là où il n’y avait pas de parti stalinien, on le remplaçait par des partis socialistes ou bourgeois nationalistes, puisque c’est d’eux que naîtraient les tendances centristes qui allaient diriger la révolution. Voici les prévisions de Pablo et ses amis en 51 :

« Par ailleurs, en cas de mobilisation des masses sous l’impulsion ou l’influence prépondérante du MNR, notre section doit soutenir de toutes ses forces le mouvement, ne pas s’abstenir mais au contraire intervenir énergiquement en vue de l’amener le plus loin possible, y compris jusqu’à la prise du pouvoir par le MNR, sur la base du programme progres­siste de front unique anti-impérialiste. » (3°Congrès de la IVème Internationale : tâches générales et spécifiques du mouvement prolétarien marxiste révolutionnaire en Amérique latine, QI août 51) [*].

Pas un seul mot sur le mouvement ouvrier et ses organisations de classe, les syndicats et les futures milices et soviets ! Le camarade Pablo proposait cela tout en définissant le MNR comme un parti de la basse bourgeoisie minière, c’est-à-dire comme un parti bourgeois. Donc, selon Pablo, nous ne devions pas utiliser les mobilisations pour démasquer le MNR, pour dénoncer son rôle inévitable, en dernière instance, d’agent de l’impérialisme. Nous ne devions pas lui opposer les organisations de classe, les futures milices ou soviets. Au contraire, nous devions le pousser à « prendre le pouvoir ». Et il déguisait cette capitulation devant un parti nationaliste bourgeois derrière le programme du front unique anti-impérialiste.

En réalité, cette politique allait directement contre la tactique de front unique anti-impérialiste. La base fondamentale de cette tactique consiste à proposer des actions communes qui démasquent les hésitations et les trahisons de bourgeoisies nationalistes ; et son objectif est de gagner l’indépendance politique du mouvement ouvrier par rapport à ces directions bourgeoises. L’autre face, encore plus grave, de cette dénaturation de la tactique de front unique anti-impérialiste est le renoncement à la lutte pour l’organisation et la politique indépendante des travailleurs. Pablo proposait au mouvement ouvrier de suivre un parti bourgeois, ce qui est exactement le contraire de l’objectif de cette tactique.

La capitulation totale : "gouvernement commun" du MNR et des trotskystes

Cette capitulation totale, exprimée dans un autre paragraphe de la résolution, dégage une odeur nauséabonde :

« Si contradictoirement, dans le cours de ces mobilisations des masses, notre section constate qu’elle dispute au MNR son influence sur les masses révolutionnaires, elle avancera le mot d’ordre de gouvernement ouvrier et paysan commun aux deux partis, toujours sur la base du même programme, gouvernement s’appuyant sur les comités ouvriers et paysans et sur les éléments révolutionnaires de la petite bourgeoisie. » (id.p.56).

Autrement dit, si nous commençons à battre le MNR à la tête du mouvement des masses, nous n’avons pas à mener cette tâche jusqu’au bout mais nous devons proposer un gouvernement partagé entre le MNR et nous. Ce gouvernement en toute logique ne devait pas être celui des comités ouvriers et paysans, puisqu’il devait « s’appuyer » sur eux.

Pour arriver à une telle position, Pablo a dû réviser la position léniniste sur le gouvernement ouvrier et paysan. Lénine était d’accord pour impulser la prise du gouvernement par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires (quand le parti révolutionnaire n’avait pas encore les forces pour le faire), mais il affirma catégoriquement que l’on ne doit jamais faire un gouvernement commun (et il n’entra pas dans le gouvernement kérenskyste des mencheviks et socialistes-révolutionnaires). L’essence de la position léniniste était de se maintenir hors du gouvernement justement pour rester la seule alternative quand le réformisme serait démasqué aux yeux des masses par la démonstration de son impuissance au pouvoir.

Le soutien d’un gouvernement bourgeois qui n’avait ni armée ni police

Si en tant que ligne politique, l’orientation de Pablo et ses amis fut révisionniste et capitulatrice, en tant que prévision des événements, elle fut catastrophique. La révolution de 52 ne suivit aucun des schémas qu’ils avaient prévu en 51, au contraire. La classe ouvrière, à travers ses organisations de classe, les syndicats et les milices, liquida le régime militaire. Mais, comme toujours, même si la réalité est autre que prévue, Pablo poursuit sa stratégie. Et c’est alors que la direction du mouvement ouvrier bolivien (les trotskystes, qui faisaient ce que Pablo leur ordonnait, en première ligne) mit le MNR bourgeois au pouvoir et lui donna son soutien critique.

Nous insistons : Pablo et ses amis ont soutenu en Bolivie un gouvernement bourgeois qui n’avait ni police ni armée pour le maintenir, parce qu’ils avaient adopté cette stratégie à long terme au Congrès de 51. Pour preuve, voici ce que disait après avril 52 notre section bolivienne, directement contrôlée par Pablo et ses amis :

« Dans le moment présent, notre tactique consiste à regrouper nos forces en soudant le prolétariat et les paysans en un bloc pour défendre un gouvernement qui n’est pas le nôtre. » « Loin de lancer le mot d’ordre de renversement du régime de Paz Estenssoro, nous le soutenons pour qu’il résiste à l’attaque de la "rosca" » « Cette attitude se manifeste d’abord comme pression sur le gouvernement pour qu’il réalise les aspirations les plus vitales des ouvriers et des paysans. » (X° Conférence du POR, 10-6-53, cité par L. Justo, "La revolución derrotada").

Un an de révolution : notre mot d’ordre était « Tout le pouvoir à la COB et aux milices armées », celui de Pablo... « Soutien critique au MNR ! »

Alors que nous défendions en Bolivie le mot d’ordre de « Tout le pouvoir à la COB et aux milices armées », les camarades Frank et Germain, sans aucune honte disaient ceci, un an après la révolution de 52, dans QI :

« Le POR commença par un soutien juste mais critique au gouvernement du MNR. Cela veut dire qu’il évita de lancer le mot d’ordre « A bas le gouvernement du MNR », il le soutint critiquement contre toute attaque de la part de l’impérialisme et de la réaction, ainsi que pour toute mesure progressiste. » (QI, avril 53, p .25).

Entre parenthèses, nous ne voyons pas la relation entre ne pas lancer le mot d’ordre immédiat de « A bas le gouvernement » et le soutien critique, puisque nous pouvons ne pas le lancer sans que cela signifie soutenir le gouvernement, ni de manière critique ni autrement.

En juillet 53, la revue officielle de notre Internationale, Quatrième Internationale, dans son édition espagnole (supervisée à la virgule près par Pablo et ses amis), faisait de la situation bolivienne le tableau suivant :

« L’organisation des milices ouvrières s’amplifie parallèlement à celle des masses paysannes... » « Le régime a évolué en effet vers une espèce de « kérenskysme » très avancé, beaucoup plus accentué que celui de Mossadegh en Iran, par exemple. » (p.74).

Et dans cette situation de « kérenskysme avancé », nous continuions à ne pas lancer le mot d’ordre de « Tout le pouvoir à la COB et à ses milices ».

Deux ans de révolution : « Tout le pouvoir à la gauche du MNR », « Défense armée du gouvernement de Paz Estenssoro ! »

Un an de plus passa - deux depuis la révolution - et le IV° Congrès de l’Internationale se réunit. Pablo et ses amis y poursuivirent leur stratégie décennale, ils ne perdirent en rien leur goût profond pour les organisations non prolétariennes et pour les tendances centristes et continuèrent à refuser d’appeler la COB, l’organisation ouvrière par excellence, à prendre le pouvoir. Ils avaient trouvé une autre organisation centriste digne de leur « soutien critique » : la gauche du MNR.

« En Bolivie, le tournant à droite et réactionnaire de la politique du MNR, cédant à la pression de l’impérialisme et à la réaction indigène, rend plus impérieuse que jamais une franche dénonciation de ce tournant par le POR, qui doit enlever toute sa confiance à ce gouvernement, comme aux ministres ouvriers, en appelant constamment la COB et en travaillant systématiquement en son sein afin d’appliquer une véritable politique de classe indépendante du MNR et d’engager la centrale dans la voie du gouvernement ouvrier et paysan ; la campagne systématique pour cette perspective, ainsi que pour le programme d’un tel gouvernement, la campagne pour des élections générales, avec droit de vote pour tous les hommes et les femmes de plus de 18 ans, pour élire une assemblée constituante et la présentation de listes ouvrières de la COB à ces élections. Cette politique est la seule qui puisse provoquer une différenciation au sein du MNR et obliger son aile gauche très diffuse et désorganisée à rompre définitivement avec la droite et avec ses dirigeants « ouvriers » bureaucratisés, et à s’engager dans la voie du gouvernement ouvrier et paysan. » (Résolution du IVème Congrès, QI juin 54, p.54).

La ligne aurait été parfaite, avec une modification : pour garantir tout cela (constituante, élections, etc.), il faut que la COB prenne le pouvoir. Mais Pablo et ses amis ne le disaient pas. Qui allaient donc appeler à cette constituante ? Si ce n’était pas la COB au pouvoir, il ne restait que le gouvernement de Paz Estenssoro ou un prétendu gouvernement de la gauche du MNR. Cette ligne confirmait celle que s’était donnée la section bolivienne un an plutôt, exprimée dans un manifeste publié le 23 juin 53, avec la bénédiction de Pablo et ses amis.

« La menace de conspiration réactionnaire est devenue permanente... par conséquent nous devons... défendre le gouvernement actuel... par la... défense armée du gouvernement ».

Bien que cela paraisse incroyable, c’est bien du gouvernement bourgeois qu’il s’agit, du gouvernement bourgeois de Paz Estenssoro. Peut-être que le danger de « conspiration réactionnaire » justifiait le fait de ne pas avancer momentanément le mot d’ordre de « Tout le pouvoir à la COB » et de le remplacer par le mot d’ordre décisif de « Front ouvrier contre la réaction ». Mais la stratégie consistant à ce que la COB prenne le pouvoir restait en vigueur, et en aucun cas on ne pouvait avancer le mot d’ordre de « défense » d’un gouvernement bourgeois. Cependant, quel était le mot d’ordre de pouvoir par lequel se terminait ce manifeste ?

« Toute cette lutte doit tourner autour du mot d’ordre « Contrôle total de l’Etat par l’aile gauche du MNR ! ». » (BI du POR, mai 56, p .262, dans "La revolucion derrotada").

Quatre ans de révolution : nos positions triomphent mais il est trop tard

Le temps passa et la gauche du MNR échoua. Ainsi, quatre ans après la révolution, alors que l’armée avait réussi à se restructurer, étant donné que l’on ne pouvait plus faire confiance au MNR - comme au début - ou en son aile gauche - comme ensuite - Pablo et ses amis adoptèrent la ligne pour laquelle notre parti avait lutté systématiquement depuis le début. Dans une résolution du CE du POR bolivien de mai 56, enfin (mais trop tard) il est dit :

« En renforçant et en développant tous les organes de double pouvoir, face aux conflits avec le gouvernement, avec la bourgeoisie, l’oligarchie et l’impérialisme, face au parlement et aux tentatives du gouvernement Siles pour prendre de l’influence dans les syndicats, nous impulserons la tendance des masses en lançant : « Que la COB règle tous les problèmes ! » et « Tout le pouvoir à la COB ! ». »

Enfin, ils se rendaient compte de ce que nous répétions depuis des années. C’était une victoire, tardive, de notre lutte et de notre polémique. La capitulation de Pablo et ses amis était découverte, les terribles dangers qui nous guettaient derrière les fameuses « tactiques » à long terme, basées sur des hypothèses concernant l’avenir et non la réalité présente, étaient mis en lumière.

[*] Le délégué du SWP (Clark) vota pour cette résolution. D’autres résolutions de la même teneur furent votées par le SWP. En laissant de côté le fait que Clark rompit avec le SWP pour soutenir Pablo, l’important est que le SWP soutint et contribua à construire le Comité International de la IV. Le SWP soutenait ainsi implicitement et explicitement la bataille menée par notre parti et le SLATO (l’organisation du Comité International pour l’Amérique latine) contre cette ligne en Bolivie.

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