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Qui était Grandizo Munis ?

jeudi 14 juillet 2011, par Robert Paris

GRANDIZO Y MARTINEZ Manuel Fernandez, dit MUNIS

Né le 18 avril 1912 à Torréon (Mexique), mort le 4 février 1989 à Paris ; de nationalité espagnole, joua un rôle international dans l’Opposition de gauche trotskiste, en Espagne, au Mexique et en France, de 1934 à 1948 ; animateur d’un groupe ultragauche (Fomento Obrero Revolucionario), depuis les années cinquante jusqu’à sa mort, en France comme en Espagne.

Manuel Fernandez Grandizo y Martinez, plus connu sous le nom de Grandizo Munis, appartenait à une famille politisée. À l’âge de deux ans il quitta le Mexique pour l’Estrémadure espagnole, où il resta jusqu’en 1923, date à laquelle il retourna au Mexique. Très jeune, dès 1927-1928, il contribua à la fondation clandestine de l’opposition trotskiste. Mais arrêté pour participation à un meeting, il dut retourner en Espagne en 1928. Il intervint activement dans les grèves des ouvriers agricoles de Llerena. Il fut l’un des fondateurs de l’opposition communiste de gauche. Il collabora à la presse de la Izquierda comunista (trotskiste) espagnole, qui publia La Antorcha (la Torche), El Soviet, Comunismo.

En 1932 et 1933, il était membre du groupe Lacroix. Début 1934, alors qu’il accomplit son service militaire, il fut nommé représentant de la gauche communiste à l’Alliance ouvrière (Alianza Obrera) de Madrid. Il fut jeté en prison au moment de l’insurrection ouvrière d’octobre 34. Partisan de la politique de Trotsky d’entrisme dans les Jeunesses socialistes, il suivit la tendance dite de Fersen et Esteban Bilbao. Mais cette politique échoua complètement lorsque fut décidée la fusion des jeunesses socialistes et communistes.

Au début de 1936, Munis était au Mexique. Dès l’annonce des événements révolutionnaires de juillet, il s’embarqua par le premier bateau chargé d’armes pour l’Espagne, qui arriva à Cartagena à la fin d’octobre. Avec ses camarades, il participa aux combats des milices sur le front de Madrid, celles des socialistes. En novembre, Munis avec ses camarades fonda une nouvelle organisation : la Section bolchevik-léniniste d’Espagne. Il y avait, malgré le petit nombre de partisans de Trotsky, deux groupes trotskistes : El Soviet et La Voz leninista. C’est à ce second groupe qu’appartint Munis, qui publia son Boletin. À ce groupe militaient Jaime Fernandez Cid, Hans Freund (Moulin), Benjamin Péret, les Italiens Adolfo Carlini et Lionello Guido, ainsi que le poète surréaliste cubain Juan Brea.

À partir d’avril 1937, le Boletin du groupe de Munis prit le nom de Voz leninista et critiqua la CNT et le POUM pour leur collaboration avec le gouvernement républicain. Il proposa la formation d’un Front ouvrier révolutionnaire pour prendre le pouvoir, accomplir la révolution et gagner la guerre contre les forces nazi-fascistes. Lors des événements de mai 37, le groupe de Munis et Péret fut seul avec Los amigos de Durruti (les amis de Durutti) à lancer des tracts proposant la continuation de la lutte contre le gouvernement républicain socialo-stalinien.

La chute du gouvernement Caballero, la main-mise totale de l’appareil stalinien signifèrent la mise hors-la-loi non seulement du POUM mais aussi des trotskistes. Au moment où étaient assassinés Andres Nin, Camilo Berneri, Kurt Landau, des militants du groupe de Munis tombaient victimes de la même répression : Hans Freund, l’ex-secrétaire de Trotski Erwin Wolf, et Carrasco, un ami personnel de Munis. Munis avec la majorité de ses camarades fut emprisonné en février 1938. Ils étaient accusés dans la tradition des procès de Moscou de sabotage et d’espionnage au profit de Franco, et de tentative d’assassinat de Negrin, Prieto, la Pasionaria, Diaz, etc. Munis et ses amis étaient accusés en outre d’assassinat sur la personne du capitaine russe Narvich, agent du NKVD infiltré dans le POUM. Munis fut jugé avec ses compagnons à huis clos par un tribunal semi-militaire, et au début sans avocat. Le procureur exigea la peine de mort contre Munis, Carlini et Jaime Fernandez. Les pressions internationales, la volonté des autorités de dissocier ce procès de celui du POUM, retardèrent le jugement jusqu’au 26 janvier 1939.
Jaime Fernandez fut interné dans un camp de travail dont il réussit à s’échapper en octobre 1938 grâce à une erreur bureaucratique. Munis fut incarcéré dans la forteresse de Montjuic, dans le quartier des condamnés à mort, et réussit à s’évader au dernier moment, alors qu’un ordre avait été donné d’exécuter tous les prisonniers politiques révolutionnaires avant la chute de Madrid. Carlini, clandestin dans la Barcelone tombée aux mains des franquistes, réussit à passer en France où il fut interné dans un camp de concentration. Réfugié en France avec le flot de réfugiés, Munis publia son témoignage dans La lutte ouvrière (trotskiste) des 24 février et 3 mars 1939. À la fin de l’année, Munis s’embarqua pour le Mexique. Il devint ami de Trotsky et de Natalia Sedova. Trotsky lui confia la direction de la section mexicaine. En mai 1940, il prit un rôle actif dans la « conférence d’alarme de la IVe Internationale ».

Lorsque Trotsky fut assassiné, il prit la parole lors des funérailles, et se chargea de représenter la partie civile contre Ramon Mercader. Il affronta les parlementaires staliniens qui accusaient Munis comme Victor Serge, Gorkin et Marceau Pivert, d’être des agents de la Gestapo, et leur demanda de renoncer à leur immunité pour s’affronter à lui devant un tribunal.

À partir de 1941, avec Benjamin Péret, exilé lui aussi au Mexique, et Natalia Sedova, il se livra à une critique du Socialist workers party (SWP) aux États-Unis qu’il accusait d’être tombé dans l’antifascisme pour mieux soutenir un « camp impérialiste », celui des démocraties en guerre. Le groupe trotskiste espagnol de Munis critiqua aussi avec vigueur les groupes français et anglais, appuyés par la direction de la IVe Internationale, qui étaient favorables à une participation dans les mouvements de résistance nationalistes. Munis et ses amis dénoncèrent la qualification de l’URSS comme « État ouvrier dégénéré », qui était en fait selon eux un système capitaliste d’Etat et impérialiste. Leur mot d’ordre était la transformation de « la guerre impérialiste en guerre civile » sur tous les fronts.

Bien que minoritaires, Munis et ses amis rencontrèrent quelque écho dans des sections de la IVe Internationale : le Partito operaio comunista (POC) de Romeo Mangano en Italie ; en France la tendance de Pennetier et Gallienne du Parti communiste internationaliste ; la majorité des sections anglaise et grecque. Le groupe espagnol de Munis au Mexique édita deux numéros de 19 de julio (« Le 19 Juillet »), et à partir de février 1943 la revue théorique Contra la corriente. En mars 1945 lui succèda une nouvelle publication : Revolucion. La direction de ces publications qui dénoncaient le stalinisme et l’Etat russe était assumée conjointement par Munis et Péret (sous le pseudonyme de Péralta).
À partir de juin 1947, Munis -avec Péret et Natalia Sedova- commencèrent leur rupture avec la IVe Internationale. Furent publiés des textes importants : « Lettre ouverte au parti communiste internationaliste, section française de la IVe Internationale » ; « la Quatrième Internationale en danger », en vue du IIe congrès mondial de celle-ci. En 1948, alors que Munis et Péret étaient établis en France, ce fut la rupture alors que la IVe internationale proclamait la « défense inconditionnelle de l’URSS » et son caractère d’« État ouvrier dégénéré ». À l’hiver 1948, Munis fut cofondateur avec Benjamin Péret, Jaime Fernandez, Paco Gomez, Sania Gontarbert, Sophie Moen, Edgar Petsch, Agustin Rodriguez et Maximilien Rubel (voir ces noms) de l’Union ouvrière internationale. Le groupe, qui comportait aussi un petit noyau de militants vietnamiens, comptait une cinquantaine de militants tant à Paris qu’en province. Il publia un bulletin ronéotypé, La bataille internationale.

Simultanément, Munis avec ses amis espagnols fondait le Grupo comunista internacionalista de Espana, qui avait des ramifications à Barcelone et diffusait la littérature du groupe en pleine clandestinité. En mars 1951, le groupe diffusa des appels révolutionnaires contre le franquisme et le stalinisme lors d’une grève spontanée des traminots de Barcelone. Munis, très actif lors de la grève, fut emprisonné en même temps que ses camarades. Il resta en prison jusqu’en 1958. Munis reprit aussitôt son activité politique en France avec Benjamin Péret et Jaime Fernandez. Se constitua alors en 1958 le Fomento obrero revolucionario (FOR – Ferment ouvrier révolutionnaire) auquel Munis contribua jusqu’à sa mort par le biais des revues Alarma et Alarme. En 1960, le gouvernement français expulsa Munis du territoire comme menaçant l’ordre public. Il se réfugia à Milan et entra en étroit contact avec le Parti communiste internationaliste d’Onorato Damen, ancien dirigeant du parti communiste italien au début des années 20 et ancien compagnon de Bordiga. Les thèses de Munis furent défendues par le groupe italien Azione comunista. C’est à Milan que Munis rédigea -secondé par la plume de Péret- deux de ses ouvrages théoriques qui eurent une profonde influence sur « l’ultragauche » : Les syndicats contre la classe ouvrière et Pour un second Manifeste communiste (1961). En 1962 Munis fut à nouveau autorisé à séjourner en France. Il s’occupa de mettre en place le groupe espagnol, se lançant dans une activité de révolutionnaire professionnel. Il écrivit une histoire de la révolution en Espagne : Jalones de derrota, promeses de victoria. Après 1968, le groupe Alarme de Munis joua un petit rôle dans la réorganisation du courant ultragauche en France à l’occasion de conférences internationales.

Poursuivant une oeuvre théorique sur la question de l’Etat, Munis mourut à Paris le 4 février 1989.

ŒUVRE :

Textes choisis de Munis et de son courant, de 1936 à 1950, in Agustin Guillamon, Documentacion historica del trotsquismo espanol (1936-1948), Ediciones de la Torre, Madrid, 1996. —

El Socialist Workers Party y la guerra imperialista, Editorial Revolucion, Mexico, 1945. — Los revolucionarios ante Rusia y el estalinismo mundial, editorial Revolucion, Mexico, 1946 – Jalones de derrota, promesa de victoria, Editorial Revolucion, Mexico, 1948. — Grupo Comunista Internacionalista : Explicacion llamamiento a los militantes, grupos y sectiones de la IV Internacional, Paris, septembre 1949. — Textes de Munis dans sa revue Alarma, primera y segunda serie, 1958-1976, et Fomento obrero revolucionario, réédition à Barcelone, sans date. — Pour un second manifeste communiste (édition bilingue, français et espagnol), Eric Losfeld, Paris, 1965. — Munis et Péret, Les syndicats contre la révolution, Eric Losfeld, « le Terrain vague », Paris, 1968. — Fomento Obrero Revolucionario : Llamamentio y exhorto a la nueva generacion, FOR, Paris, 1966. — Trayectoria quebrada de Révolution internationale, Alarma, 1974. — Parti-Etat, stalinisme, révolution, Spartacus, Paris, 1975. — Analisis de un vacio. Cincuenta anos después del trotskismo, supplément à Alarma n° 15, Barcelona, 1983.
SOURCES : F. Bonamusa, Andreu Nin y el movimieno comunista en Espana (1930-1937), Anagrama, Barcelona, 1977 – Pierre Broué, Léon Trosky. La revolucion espanola (1930-1940), Fontanella, Barcelona, 1977. – Pierre Broué, Staline et la révolution. Le cas espagnol, Fayard, Paris, 1993. – Andrew Durgan, Dissident Comunism in Catalonia 1930-1936, thèse de doctorat, Londres, 1989. – Pelai Pages, El movimiento trotskista en Espana (1930-1935), Peninsula, Barcelona, 1977. – Agustin Guillamon, « Los bordiguistas en la guerra civil espanola », Balance n° 1, novembre 1993 – Agustin Guillamon, « G. Munis, un révolutionnaire méconnu », in Cahiers Léon Trotsky, no 50, mai 1993. – Agustin Guillamon, « Relaciones y correspondencia entre Nin y Ambrogi, 1930-1931 », Balance, mars 1994, Barcelona. – Agustin Guillamon, La Agrupacion de Los Amigos de Durruti (1937-1939), Barcelona, mai 1995. – Guy Prevan ed., Benjamin Péret, Oeuvres complètes tome 5, Textes politiques, Librairie José Corti, Paris, 1989 – Ngo Van, « 1954-1996 : une amitié, une lutte », in Maximilien Rubel… Combats pour Marx, « les amis de Maximilien Rubel », L’Insomniaque Editeur, Paris, 1997. – Archives de la IVe Internationale, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, cote Fo rés. 552 et 553, dossiers Mexique (1942-1947).

Agustin Guillamon (révisée par Philippe Bourrinet)

Messages

  • Bonjour
    Je travaille actuellement une thèse de Lettres sur Péret. J’ai lu avec la plus grande attention votre article. Pouviez-vous me préciser la phrase suivante, très peu claire me semble-t-il : "C’est à Milan que Munis rédigea -secondé par la plume de Péret- deux de ses ouvrages théoriques qui eurent une profonde influence sur « l’ultragauche » : Les syndicats contre la classe ouvrière et Pour un second Manifeste communiste(1961)" ?
    D’une part, Péret est mort en 59 ; l’écrit "les syndicats contre la révolution" est de Péret.
    D’autre part, sous quelle forme exactement "Pour un second manifeste communiste" aurait bénéficié de la collaboration de Benjamin Péret ? Pouvez-vous me préciser tous ces points et peut-être pourrions-nous trouver ensemble, si cela vous intéresse, une formulation autre de la collaboration entre ces deux authentiques révolutionnaires, qui le méritent bien ? Amicalement. Guy

  • Cher lecteur, merci de ton message. Désolé d’avoir tardé à répondre. Pour un second Manifeste communiste est effectivement un texte qui a été travaillé avec Muniz bien avant de paraître (en 1961). C’est Muniz seul qui lui a donné la dernière touche mais il était conçu collectivement.

    Lire ici le texte

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