samedi 24 novembre 2018
Un témoignage d’un « zoreilles » :
Sur l’île, alors que 40% de la population est sous le seuil de pauvreté et 60% des moins de 25 ans sont au chômage, la montée des prix du carburant a mis le feu aux poudres et ravivé les protestations récurrentes contre la vie chère.
Il y a des barrages partout, au nord, au sud, à l’est, à l’ouest. Ces barrages sont très mobiles, ils bougent au fur et à mesure de la journée. Les ’gilets jaunes’ communiquent via les réseaux sociaux. Par exemple, jeudi, des gendarmes ont été appelés pour libérer un rond-point et il y a eu immédiatement un afflux massif de gens venus de partout. Les forces de l’ordre ont dû faire marche arrière.
Il y a longtemps que La Réunion n’avait connu un mouvement social de cette ampleur. Tous les gens ayant de faibles revenus sont touchés par les taxes et l’augmentation du carburant.
Il n’y a pas de représentant, les syndicalistes sont dépassés. C’est un mouvement issu de la base, des réseaux sociaux. Ce n’est pas structuré. Il n’y a pas de leader, ce qui complique tout pour le pouvoir et les classes possédantes. C’est seulement au bout de sept jours de conflits que les ’gilets jaunes’ se sont entendus sur des revendications comme d’aligner les prix sur ceux de la métropole
Tout est parti du ras-le-bol contre l’augmentation du prix de l’essence, puisque nous avons très peu de transports en commun ici : les gens sont obligés de prendre leur voiture et il y a des embouteillages partout même en temps normal. Puis ça s’est changé en une protestation contre la vie chère : vivre ici coûte beaucoup plus qu’en métropole, les produits sont importés et taxés et leur prix sont 30 à 50 % plus élevés. Au départ, les manifestants étaient les gens qui travaillent et utilisent leur voiture pour cela. Puis, ça s’est étendu à toute la population.
Le mouvement est très populaire à La Réunion, le soutien est général, à plus de 70%. Les gens mettent leur gilet jaune dans leur voiture pour témoigner leur sympathie, car tout le monde en a marre de ces prix élevés. Même les gens venus de métropole à la retraite se sentent solidaires.
Il y avait beaucoup d’emplois aidés ici, qui ont été supprimés. Bien des gens se sont retrouvés au chômage.
Le sentiment ’anti-zoreilles’ ressort. Les ’zoreilles’, ce sont les blancs venus de métropole.
Pour tenter de calmer la colère, la région Réunion a annoncé mardi que l’augmentation de la taxe sur le gazole et le sans-plomb serait gelée sur l’île jusqu’en 2021. C’était la première demande des « gilets jaunes » de l’île… mais pas la seule, d’où la poursuite des blocages. Le sujet des hydrocarbures est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Mais la revendication du prix des hydrocarbures est dépassée. Aujourd’hui, les revendications portent plus largement sur « la vie chère », l’emploi, les retraites. Et bientôt sur le colonialisme français…
En envoyant l’armée comme force de répression et en se déclarant intraitable contre les émeutiers, l’Etat français reprend la longue histoire des répressions coloniales...
Note : "Z’oreille" aurait été attribué aux chasseurs d’esclaves, payés au nombre d’esclaves enfuis (surnommés "marrons") qu’ils tuaient, rapportant alors leurs oreilles comme preuve pour se faire payer. Il a été élargi aux métropolitains qui habitent dans ce territoire colonisé.