mardi 21 octobre 2014
Dans "Le Parisien 92" du 21 octobre 2014 :
La veuve d’un salarié décédé en 2010 d’un cancer bronchopulmonaire recevra 90 000 € de dommages et intérêts.
Dès 2004, André Lancteau, du Collectif de défense des victimes de l’amiante Renault Ile-de-France, a alerté sa direction, inquiet de la présence d’amiante dans l’environnement de travail des salariés basés au centre technique de Rueil-Malmaison. « Nous avions déjà vu plusieurs collègues mourir de cancers », explique le sexagénaire. Depuis, d’autres techniciens ont aussi perdu la vie, frappés par des pathologies cancéreuses.
A la retraite depuis onze ans, André Lancteau continue son combat au sein du Collectif de défense des victimes de l’amiante Renault Ile-de-France. Il a recensé une dizaine de morts pour le seul site de Rueil-Malmaison. « A Billancourt, cela concerne encore beaucoup plus de monde », estime-t-il. André Lancteau entend aussi alerter celles et ceux qui ont pu se trouver au contact de l’amiante chez Renault. « Ils doivent être prévenus du danger encouru et passer un scanner », insiste-t-il. Ces examens, il aimerait que Renault les prenne à sa charge. « C’est bien le minimum que la direction de l’entreprise puisse faire. »
Paris (XVe), le 16 octobre. André Lancteau, ancien du site de Rueil et membre actif d’une association de victimes de l’amiante, et Christine Cavé, qui a perdu son mari voilà quatre ans.
Malade en 2008, à 51 ans, d’un cancer broncho-pulmonaire dû à l’inhalation d’amiante suite à des usinages de pièces amiantées, Monsieur Cavé, salarié de Renault travaillant sur le site de Rueil-Malmaison, est décédé le 3 août 2010. La cour des affaires sociales de Nanterre a jugé que Renault avait commis une faute inexcusable à son égard en l’exposant ainsi sans protection, sans formation particulière, sans examens de santé particuliers, sans aucun respect de la législation sur l’amiante en cours à l’époque des faits. Le tribunal a reconnu que Renault était coupable et alloué les indemnités demandées par sa veuve, soit 90.000 euros pour le dommage physique et moral. Il faut remarquer que la direction de Renault a prétendu, une fois de plus, être totalement blanche de toute accusation affirmant que monsieur Cavé ne « travaillait pas sur l’amiante », qu’il n’y avait donc aucune raison que la direction applique à son égard la législation sur l’amiante. Ces arguments ont été rejetés en totalité par le tribunal qui a estimé que « La victime exerçait des fonctions d’électricien et d’électromécanicien sur les bancs moteurs de prototypes automobiles et a été régulièrement amené à manipuler des pièces automobiles contenant de l’amiante (joints de culasse, joints de collecteurs d’admission, joints d’échappements,…), ces travaux étant directement associés à la pose et dépose de matériaux contenant de l’amiante et, d’autre part, qu’elle a travaillé dans différents bâtiments du site Renault de Rueil-Malmaison qui comportaient des surfaces amiantées (flocage dans les faux plafonds), précisant que le bâtiment B4 dans lequel elle travaillait a été fermé en 2004 pour cause de bribes d’amiante dans l’air et que, de 1984 à 2000, alors qu’elle travaillait dans le bâtiment B6, elle a été exposée à l’inhalation de poussières d’amiante. »
Le tribunal a rajouté que « Sur la faute inexcusable, la société contestait avoir eu connaissance du danger, faisait tout d’abord valoir que le salarié ne rapportait pas la preuve que les réglementations successives depuis 1913 n’auraient pas été respectées… En tout état de cause, elle (la direction de Renault) arguait de ce que le salarié n’intervenant pas directement sur l’amiante, elle n’avait pas et ne pouvait pas avoir eu connaissance du danger auquel elle exposait ses salariés, dans la mesure où seul le travail sur l’amiante faisait l’objet d’une réglementation. » A quoi le tribunal a répondu : « La société aurait dû avoir conscience du danger auquel ses salariés étaient exposés… La conscience du danger doit être reconnue, non seulement à l’égard de l’employeur qui produit ou fabrique de l’amiante, mais également à l’égard de celui qui utilise de l’amiante ou des produits à base d’amiante dans le cadre de son activité, dès lors qu’il apparaissait que l’entreprise seulement utilisatrice d’amiante avait, ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié… Il est établi, notamment à travers les différents témoignages d’anciens salariés produits, qu’aucune mesure de protection mise en œuvre par l’employeur, qu’elle soit individuelle (masques, tenues spéciales) ou collectives (aération inexistante des ateliers confinés). Par ailleurs, l’employeur ne rapporte pas la preuve que les salariés avaient été informés du danger encouru. »
Interviewé par Le Parisien (édition des Hauts de Seine), André Lancteau rajoute : « Dans le secteur B, nous avions pour mission de tester les moteurs. Lors des essais, nous changions l’embrayage, les joints de collecteurs d’admission et de culasse. Des pièces contenant toutes de l’amiante… Nous avions déjà vu plusieurs collègues mourir de cancers liés à l’amiante. Les salariés doivent être prévenus du danger encouru et passer un scanner, examens qui doivent être pris en charge par Renault. C’est bien la minimum que le patron qui est responsable des risques encourus permette aux salariés d’en être informés et de s’assurer s’ils ne sont pas atteints. La reconnaissance à temps d’un cancer broncho-pulmonaire permet un traitement alors que, sinon, le malade en meurt ! »
La liste des salariés (et retraités) de Renault (le site de Rueil n’est pas le seul touché, les anciens de Billancourt ou du Mans pour ne citer qu’eux meurent également du cancer de l’amiante). La liste serait encore bien plus longue si les salariés qui meurent du cancer étaient examinés, si la reconnaissance du caractère de leur maladie était explorée, ce qui n’est généralement pas le cas, les salariés ayant été maintenus jusqu’au bout dans l’ignorance des risques encourus. Et il faudrait y rajouter encore les sous-traitants et les précaires qui n’osent même pas faire mentionner qu’ils ont travaillé en étant exposés à l’amiante, ne serait-ce que parce qu’alors ils ne pourraient plus bénéficier des prêts bancaires !!!
Aujourd’hui encore, la plupart des salariés qui ont été exposés, y compris ceux de bâtiments qui ont été évacués pour cause d’amiante dans l’air, n’ont pas été contactés par la direction de Renault et n’ont pas bénéficié d’un scanner pour voir s’ils avaient un risque de cancer lié à l’amiante. La direction, qui tient à repousser sa responsabilité, préfère prendre le risque qu’ils en meurent plutôt que leur donner la possibilité d’être traités en acceptant qu’elle n’a pas pris les précautions légales et indispensables.
Il s’agit bel et bien d’un crime patronal !