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Nabila, notre coeur saigne toujours de ta perte et cette révolution qui vient est la tienne ...

mardi 15 février 2011

Nabila, avec les centaines de milliers de manifestants, des femmes, des jeunes, des travailleurs, Nabila tu n’es plus seule !!!

Tu n’aurais pas souhaité un plus beau 15 février que de voir toutes ces femmes et tous ces hommes dans les rues du Maghreb et du monde arabe défier le pouvoir sans pour autant tomber dans les griffes du fascisme se revendiquant de l’islam...

L’hommage de Karim :

Il y a quinze ans de cela, mourrait dans un attentat mon amie Nabila. C’était le 15 Février, 1995. De retour d’Alger, où je m’étais rendu pour préparer une expos de livres que nous devions organiser à Ath Yanni, je me suis arrêté à Tizi Ouzou parce que j’avais rendez-vous avec elle.

Elle c’était Nabila Djahnine militante de gauche, syndicaliste, activiste du Mouvement culturel berbère, et surtout l’une des leaders les plus en vue des mouvements féministes du moment.

Nabila était à la tête d’une association locale de femmes "Thighri Netmettuth » (Le cri de la femme), mais a essayé avec d’autres militantes de lancer une grande coordination nationale des associations féminines. Coordination catapultée à l’époque, entre autre, par celle que les médias Français vendront au monde comme la « passionaria algérienne » : Khalida Messaoudi. Une passionaria qui roulait déjà en voiture blindée et accompagnée de nombreux gardes du corps.

Dans la petite ville de Tizi Ouzou Nabila était presque partout. Grèves, manifestations, rencontres syndicales, réunions de femmes ... Elle était au côtés de tous ceux qui luttaient pour une cause juste. Elle était souvent le seul soutien des femmes ouvrières, considéré par tous comme la dernière roue de la charrette. Elle a combattu aux côtés des femmes sans domicile fixe, chassées de leurs maison en raison d’une loi profondément injuste ...

La politique, Nabila, née à L’Houma Oubazin, le plus populaire quartier de Béjaïa, elle était tombée dedans dès l’enfance. Son père, un homme de discrète culture, ouvert d’esprit et de cœur a toujours encouragé ses nombreux enfants à chercher à comprendre, à tout remettre en discussion, à ne jamais jamais se contenter des réponses faciles.

Ce fut par contre le frère aîné qui entrainât toute la chiourme de frères et sœurs dans le giron du Groupe Communiste Révolutionnaire (GCR), un parti de gauche radicale (IV Internationale) clandestin à l’époque. Très jeune, Nabila découvre qu’on peut être de gauche sans accepter la limitation des liberté et les contradictions de l’URSS et des partis communistes orthodoxes.

Elle suit le chemin de ses grands frères, mais bientôt, les surpasse en activisme et en perspicacité. Quand je l’ai rencontrée elle était le point de référence du mouvement en Kabylie du Djurdjura et faisait partie de la direction nationale du parti.

Entre temps, C’était déjà la fin des années 80, et l’ère du parti unique était terminée. Le GCR étaient désormais régulièrement inscrits à la liste des partis politiques reconnus sous le nom de Parti socialiste des Travailleurs (PST). Elle en était la figure principale dans notre région et moi j’avais à peine décidé de m’y inscrire. C’est avec elle que j’ai appris l’ABC du militantisme.

Ce jour-là, en 1995, lorsque nous avons décidé de nous rencontrer pour parler de certains projets communs, tous les deux pour des raisons très similaires, nous n’étions plus militants du PST depuis quelques temps, mais nous étions restés très actifs et notre relation depuis de nombreuses années avaient dépassé la simple sphère du « co-militantisme » pour se développer en une tendre et sincère amitié.

En début d’après midi je suis arrivé d’Alger et je l’ai attendue sur le lieu du rendez-vous. La journée était belle. Le printemps en Kabylie est une véritable explosion de couleurs et de parfums et en ces premiers jours de Février on le sentait déjà arriver. La guerre qui faisait rage dans diverses régions du pays, les massacres, les assassinats, la nervosité, la peur, l’angoisse quotidienne... tout cela, assis à siroter une limonade à la terrasse du café de la poste de Tizi, en profitant du soleil, semblait si loin. Même si l’horreur était là, à quelques enjambées seulement.

J’ai attendu longtemps, mais aucune trace de Nabila. Je suis allé à une cabine publique et j’ai appelé son bureau ... aucune réponse. En partant j’ai entendu quelqu’un dire à un autre, à haute voix, sans s’arrêter : "Il y a eu un attentat. Paraît qu’ils ont tué une architecte, près de la prison ! "

Cette phrase m’a frappé. Elle me ramena brutalement en plein dans la violence du quotidien dans lequel nous étions immergé pendant ces années-là. « Encore ! -me suis-je dit- Cette histoire ne finira donc jamais ! » Mais l’idée que « l’architecte » puisse être Nabila, mon amie, ne m’a même pas effleuré

Après avoir attendu longtemps, je suis reparti un peu fâché contre elle. Mais nos moyens de communication étant très maigres à l’époque, je me suis dit que peut-être elle a eu à faire et n’a pas pu me prévenir. La nouvelle ne m’est parvenue que lorsque je suis arrivé à la maison, par un ami qui l’avait entendue à la radio.

Le lendemain matin à l’aube, j’étais sur le bus pour Bejaia. Mes larmes n’ont cessé de couler, tout le long du voyage. M tète était pleine de « pourquoi ». Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi ici ? Que des questions, et aucune réponse. Je suis arrivé après l’enterrement. Je n’ai pas pu voir mon amie une dernière fois. Mais on m’a dit que personne ne l’a vue. On lui avait tiré en plein visage. Il valait mieux comme ça. Nous gardons tous d’elle l’image d’une femme forte, belle et souriante.

Aujourd’hui, quinze ans plus tard, personne ne sait qui l’a tuée. Peut-être était-ce des intégristes déguisés en policiers ou des policiers déguisés en intégristes. Mais je crois que j’ai enfin compris le « pourquoi ». Nabila était une figure de femme combative et indomptable qui a refusé de se soumettre au diktat des intégristes mais n’a d’autre part jamais renoncé à dénoncer la violence la corruption du régime. Elle ne s’est jamais rendue à la logique du moindre mal.

Adieu l’amie. Je ne t’ai jamais oubliée.


« Nabila Djahnine, ma sœur, a été assassinée le 15 février 1995 à Tizi-Ouzou, une ville importante de la Kabylie. Nabila était présidente de l’association de défense et de promotion du droit des femmes "Thighri N’tmettouth" (Cri de femme) basée dans cette ville. En 1994 Nabila m’avait écrit une lettre, elle me racontait l’escalade de la violence, la répression, les assassinats, les espoirs si maigres et son désarroi face à l’action quasi impossible en ces années de plomb. J’étais alors partie vivre pour quelques temps dans une ville du Sahara Algérien. Dix ans après l’assassinat de Nabila, je retourne en Algérie pour faire ce film. " Lettre à ma sœur " est ma réponse à sa lettre de 1994, une manière de raconter ce qui s’est passé depuis dix ans. Je veux retourner sur les lieux pour voir ce que sont devenus Tizi-Ouzou et les gens qu’elle connaissait et avec lesquels elle militait. Je veux leur demander pourquoi l’assassinat et le massacre de civils sont devenus les seules réponses au conflit qui opposent les Algériens ? Pourquoi le dialogue est-il devenu impossible ? »

Habiba Djahnine

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Présidente de l’association féminine Tighri Ntmettouth de Tizi ouzou, Nabila Djahnine est assassinée dans la matinée du 15 février 1995. Elle avait 29 ans. Elle est issue d’une famille populaire de Bejaïa, qui lui a enseigné l’ouverture d’esprit et l’a mise en contact avec le monde militant. Elle se radicalise très vite quand la vague obscurantiste qui submerge le pays menace d’emprisonner sa propre vie. Elle rejoint le PST vers la fin des années 80.

Etudiante à Tizi ouzou, elle contribue à la fondation du Syndicat national des étudiants algériens qui s’était constitué après la grande grève générale de 87

Elle prend une part active au travail de construction du deuxième séminaire du Mouvement Culturel Berbère, en 1989, qui fit émerger le MCB comme acteur essentiel de l’ouverture politique.

Membre de la commission femmes de son parti, elle est parmi les membres fondatrices de l’AEF (association pour l’émancipation de la femme) et construit l’association de Tizi ouzou, Tighri ntmettouth (le cri de la femme) qui essayait de faire parvenir le message de l’émancipation jusqu’aux villages les plus enclavés sans déserter les étudiantes de Mdouha ou les travailleuses.

Membre de la direction de ville de Tizi ouzou, elle n’hésitait pas à faire face à une société particulièrement conservatrice.

Elue à la direction du PST en mai 1991, elle s’investit activement dans les débats consécutifs à la victoire électorale du FIS et se retire de son parti au courant de l’année 92 pour se consacrer à son activité féministe locale et à son travail d’architecte.

Après le meurtre de la jeune Katia Bengana, lycéenne de Meftah, tuée le 28 octobre 1994 pour avoir refusé le diktat vestimentaire des intégristes, le lâche assassinat de Nabila a eu un impact considérable parmi celles qui n’avaient pas déserté l’Algérie dangereuse des années 90,

Car elle était de celles qui ont continué à vivre, à circuler, à travailler, à militer refusant d’abandonner les espaces que les femmes avaient conquis dans une Algérie qui restait dominée par le conservatisme patriarcal,

Elle était de celles qui avaient continué à rêver à haute voix d’un avenir meilleur qui bannisse l’oppression des femmes mais qui abolisse aussi l’exploitation sociale et l’oppression politique.

A Katia, à Nabila, à ses adorables parents tous deux morts de tristesse quelques mois après leur fille, et à celles qui ont résisté et tenu à leurs valeurs malgré la peur, nous disons merci pour la part de notre liberté que vous avez préservée. Nous leur devons aussi de continuer le combat contre l’oppression. Salhi Chawki

Nabila, les femmes qui luttent aujourd’hui dans le monde pour la liberté, te saluent !

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