samedi 6 avril 2019, par
édito
Comme chacun sait, en France comme en Algérie, le peuple travailleur est dans la rue, conteste le pouvoir et met en cause non seulement le chef de l’Etat mais tout le système, y compris les classes possédantes, les profiteurs, mais encore les élections et les politiciens élus. Qu’ils partent tous, est un slogan mondial ! Et le peuple travailleur rajoute que c’est au peuple de gouverner ! Ce ne sont plus seulement des mouvements revendicatifs auxquels on assiste. Le peuple travailleur ne veut plus seulement être entendu des gouvernants et des élus. Il veut tout le pouvoir et les richesses. Le monde est entré dans une phase des révolutions (et des contre-révolutions).
C’est dans d’autres phases révolutionnaires que la notion de « peuple souverain » a été employée, notamment par le peuple français en révolution de 1789 à 1793 et elle signifiait que ce sont les petites gens qui ont le pouvoir et pas le système gouverné au service de l’infime minorité des classes possédantes. C’est le peuple travailleur, et pas les profiteurs, et pas l’Etat, a dit une nouvelle fois le peuple travailleur de Paris et de France en 1871, lors de la Commune. Il affichait alors le texte suivant :
« Citoyens,
Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se considérer comme indispensables. Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à l’action ; ils sacrifieront tout à un beau discours, à un effet oratoire ou à mot spirituel. Evitez également ceux que la fortune a trop favorisés, car trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le travailleur comme un frère. Enfin, cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à choisir leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter. Citoyens, Nous sommes convaincus que si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considèrent jamais comme vos maîtres. »
Aujourd’hui, le mouvement des Gilets jaunes en France a la même signification sociale et politique. Il ne se contente pas de mettre quelques revendications en avant, il veut changer tout le système social et politique. Il s’établit « en permanence » comme lors de la révolution française. Il s’organise pour refonder la démocratie et toute la société.
C’est aussi ce qui est remarquable dans le mouvement de masse de l’Algérie. Il est permanent. Il ne se contente pas de vouloir le départ du président ou des gouvernants. Il fait chuter tous ceux qui ont eu du pouvoir au sein du système.
A l’annonce de la démission du président Bouteflika, le chef d’Etat-major des armées d’Algérie s’étant glorifié d’avoir exigé cette démission, le peuple travailleur a annoncé vouloir aussi la démission de ce général, pourtant jusque là jamais cité dans les personnalités haïes des manifestants. Le peuple algérien exige en fait la démission de tous les généraux, de tous les chefs de partis politiques, de tous ceux qui ont gouverné. Sous la pression du peuple travailleur, les maires du parti FLN démissionnent en masse. Les syndicalistes exigent la démission du chef de l’UGTA, centrale syndicale du pouvoir. A l’annonce que de nouvelles élections présidentielles vont être organisées, le peuple a exigé des candidats de n’avoir jamais été élus ! Dès qu’un dirigeant politique, syndical ou social prétend se mettre à la tête de ce peuple, il est immédiatement dénoncé. Un ancien général et des chefs politiques ont été rapidement éjectés des manifestations. Les chefs intégristes religieux sont dans ce cas, ayant prétendu que les femmes ne devraient pas participer aux manifestations. Les manifestants ont répondu que les intégristes ne doivent plus y participer !
Le peuple travailleur ne se laisse dicter aucune revendication, aucune forme d’action, aucun dirigeant, aucune forme d’organisation, aucun avenir du pays. Il a récusé plusieurs fois des formes d’action dont il était la principale victime, comme les « villes mortes » avec fermetures des magasins, ou le blocage des transports des villes. Il a imposé que les transports servent à emmener les manifestants à Alger !
Le pouvoir est contraint non seulement à faire valser les anciens ministres, les anciens chefs des grandes sociétés, mais aussi à arrêter le patron du syndicat patronal, à bloquer tous ceux qui voudraient partir avec des valises d’argent ou faire sortir du pays des sommes colossales pour fuir la révolution !
Ce n’est pas seulement quelques gouvernants, c’est toute la classe possédante, tous les profiteurs du système qui sont mis en cause personnellement, et menacés. La peur a changé de camp ! Le peuple commence à faire tellement confiance dans sa propre force que jamais un tel climat de fraternité au sein du peuple n’a régné dans ce pays ! Les classes possédantes s’y entendaient tellement à semer la zizanie entre des fractions du peuple que ce dernier jouit clairement de ce nouveau climat incroyable dont il est le seul bâtisseur.
Tous pourris, tous dehors, tous interdits de sortir, tous arrêtés, leurs comptes surveillés ou confisqués, qu’ils rendent tous l’argent qu’ils ont volé au peuple, qu’ils rendent tout le pouvoir, clame le peuple travailleur d’Algérie massivement et festivement dans les rues !
Et, comme dans toutes les grandes révolutions, les aspirations populaires révolutionnaires ont un caractère universel. On imagine aisément les Gilets jaunes de France s’emparant de tels slogans !
En n’ayant encore aucun pouvoir politique reconnu dans le système, le peuple algérien a actuellement plus de pouvoir sur les gouvernants et les possédants que dans aucune prétendue démocratie, plus qu’en France par exemple !
Le système électoral n’est pas là pour permettre au peuple travailleur de s’exprimer et de participer aux décisions, mais, au contraire, de couvrir la dictature des classes possédantes, de détourner la colère populaire vers des voies de garage, de la tromper, de la diviser, d’empêcher le peuple travailleur de choisir réellement ses propres dirigeants, de s’exprimer véritablement, de décider lui-même.
Qu’il s’agisse de la future élection présidentielle algérienne ou des élections européennes en France, les peuples travailleurs n’ont rien à en attendre. Les systèmes électoraux ont été mis en place par les classes possédantes. Les média sont aux mains des classes possédantes. Les armées et les polices sont liées aux classes possédantes. Les syndicats y sont également liés. Dans ces conditions, une élection mise en place dans le cadre du pouvoir en place ne risque pas d’y changer quoi que ce soit. Les généraux n’ont pas été élus. Les chefs de la police non plus. les chefs des banques non plus, y compris les banques centrales et publiques. Les chefs de l’administration d’Etat non plus. Les dirigeants des grandes entreprises publiques, semi publiques et privées non plus. Les chefs des média non plus. Les préfets non plus. Les chefs religieux non plus.
Dans ce conditions, le vote qui est organisé n’exprime en rien les aspirations du peuple travailleur et ne peuvent pas l’exprimer. Le peuple ne peut se laisser tromper par de telles élections dans lesquelles ses propres candidats ne peuvent même pas apparaître, dans lesquelles ses propres aspirations ne peuvent même pas être mises aux voix.
On l’a bien vu en France où le pouvoir a organisé un « grand débat » pour que tout le monde puisse s’exprimer sans que s’exprime en réalité autre chose que la volonté du pouvoir de l’infime minorité de possédants. Il suffit de voir que toutes les attaques antisociales se poursuivent avec un gouvernement qui casse l’enseignement public, qui casse les retraites, qui casse la gériatrie publique, qui casse l’hôpital public, qui casse les transports publics, qui casse l’énergie publique, qui casse la recherche publique, etc.
En Algérie, si la classe possédante enrichie par l’argent du gaz et du pétrole est restée occulte, incapable d’officialiser ses vols et prévarications, le peuple travailleur ne supporte plus d’être pauvre dans un pays au riche sous-sol, ne supporte plus les vols des possédants qui se cachent derrière le pouvoir et blanchissent leurs profits illicites à l’étranger de manière mafieuse, ne supporte plus de vivre en miséreux, avec une jeunesse sans emplois, sans logements, sans avenir, sans santé, sans éducation, alors que la richesse sort du pays en masse.
Oui, les problèmes sociaux et politiques qui éclatent ainsi au grand jour sont de nature révolutionnaire et pas seulement de revendication sociale ou économique réformiste. Ils sont révolutionnaires parce que le peuple ne se laisse plus berner. Ils sont révolutionnaires parce que le peuple ne veut plus revenir dans le rang. Ils sont révolutionnaires, surtout, parce que les classes possédantes ne peuvent plus gouverner comme avant et ne peuvent plus non plus gouverner face à un tel mouvement de masse. La situation est bloquée et les classes possédantes s’interrogent même : est-ce qu’une répression sanglante calmerait le peuple ou le pousserait au contraire vers l’insurrection et la prise du pouvoir ?
Les classes possédantes de France se posent la même question que celles d’Algérie, et toutes deux hésitent sur la réponse répressive à donner…
Devant la profondeur du mouvement, il est clair que la base même des forces de répression pourrait basculer si la répression devenait violente. Il n’a pas été facile au gouvernement français de faire cesser la contestation des policiers du rang. Il n’a pas été facile au gouvernement français d’annoncer que l’armée participait au maintien de l’ordre et nombre de soldats s’y sont refusés, dont ceux de la « force Sentinelle ». Il a fallu faire appel aux légionnaires !
Si la répression en France devenait sanglante, les classes possédantes ne sont pas sures de leurs troupes. Elles se demandent si elles ne feraient pas basculer la classe ouvrière des grandes entreprises, elle qui n’a pour l’instant manifesté que des sympathies passives, notamment du fait de l’hostilité des syndicats aux Gilets jaunes et à toute révolution sociale.
Plusieurs fois, des mouvements prolétariens en France ont faillit basculer en faveur des Gilets jaunes et les syndicats ont œuvré pour l’éviter. C’est le cas des hôpitaux, de la psychiatrie, des Ephad, des cheminots, des entreprises qui licencient ou qui ferment, ou encore des enseignants. Mais, à chaque fois, se sont manifestés aussi des travailleurs qui appelaient à rejoindre les Gilets jaunes, à s’insurger en somme, au lieu de rejoindre bien sagement les journées d’inaction des fédérations syndicales.
En Algérie, ce sont tous les cadres qui enfermaient les mouvements sociaux qui ont explosé, les partis politiques, les élus, les pouvoirs nationaux et locaux, les syndicats. Bien sûr, certains essaient de reconstruire un nouveau cadre réformiste à grande vitesse. Rien ne dit qu’ils y parviendront.
A un moment ou à un autre, se posera pour le pouvoir la nécessité d’en finir avec le soulèvement du peuple qui se considère comme souverain. Ou le pouvoir du peuple travailleur ou celui de l’infime minorité des possédants, les deux ne peuvent coexister durablement. Le double pouvoir, cela n’a qu’un temps ! L’armée algérienne, pas plus que l’armée française d’ailleurs, ne peut laisser son encadrement être discrédité, être dissous, et d’autant moins qu’en Algérie le pouvoir d’Etat est la source des revenus et prébendes !
Pour gouverner lui-même, le peuple travailleur va devoir s’organiser en masses, en assemblées, en comités, en coordinations, en conseils, dans les quartiers et les entreprises.
Face à l’Etat des classes possédantes, il va devoir mettre en place son propre Etat, celui des exploités et des opprimés, ses formes d’organisation de masse ne peuvent qu’être les embryons d’un tel pouvoir du peuple travailleur.
Il n’y a pas d’autre véritable démocratie à espérer d’aucune réforme constitutionnelle ou électorale, politicienne ou administrative, d’aucune modification de pure forme du pouvoir.
Il n’y a pas de raison de penser que les forces de répression accepteront éternellement d’être remises en cause par le soulèvement permanent du peuple travailleur.
L’affrontement violent sera, un jour ou l’autre, mis à l’ordre du jour par les généraux et ces derniers estimeront alors qu’au soulèvement, qu’à l’insurrection, qu’à la révolution sociale, ils ont la légitimité d’opposer la répression sanglante, la terreur blanche, la répression de masse. L’armée algérienne l’a déjà pratiquée. L’armée française l’a pratiquée en Algérie ou dans les guerres extérieures. Mais, comme le disaient Hollande et Valls, même masquées par le but prétendu de l’antiterrorisme, les guerres extérieures ont les mêmes que la guerre intérieure, c’est-à-dire une guerre des possédants contre les peuples.
Les possédants nous ont déclaré la guerre ! Plus tôt, nous nous organiserons en masse pour y répondre, moins elle sera violente. Si nous sommes organisés en comités, nous pouvons appeler la base des petits soldats et de la police à s’organiser eux aussi eet à ne plus obéir à leur encadrement.
Une seule solution l’organisation révolutionnaire de masse du peuple travailleur ! Une seule solution, la révolution sociale au pouvoir ! Voilà ce qui peut non seulement offrir une solution face au capitalisme en voie d’effondrement final mais aussi offrir un avenir à l’humanité pour en finir avec le pouvoir du un pourcent de profiteurs et d’assassins !
Certes, les exploités et les opprimés pâtissent d’années pendant lesquelles ils n’ont jamais donné leur avis, jamais été organisés par eux-mêmes, n’ont jamais décidé de rien, n’ont jamais discuté de leurs propres perspectives sociales et politiques et les peuples travailleurs du monde tirent à toute vitesse des leçons politiques de situations déstabilisées des gouvernants capitalistes. Il faut mettre les bouchées doubles et nous préparer au gouvernement révolutionnaire du peuple travailleur. La seule alternative c’est cela ou l’armée sanguinaire et fasciste au pouvoir. Le choix est clair !