mardi 5 mars 2019, par
Tout a commencé pour une question d’impôts et de taxes qui révoltaient la population, les dépenses de l’Etat étant somptueuses pour financer les plus riches parmi les classes possédantes, elles-mêmes de plus en plus gourmandes alors que le peuple devenait plus pauvre, et de plus en plus insuffisantes quand il s’agissait d’aider les plus démunis et de développer des services publics (eau, voirie, santé, etc.).
L’aile marchante du mouvement s’est trouvée non parmi les bourgeois mais dans les milieux les plus pauvres, ceux qui ne mangeaient pas tous les jours à leur faim, ceux qui craignaient de ne plus avoir de quoi subvenir aux besoins de leurs familles.
Ce n’était pas un simple coup de colère, violent mais passager. C’était un mouvement de fond, durable, modifiant la conscience collective. L’événement le plus remarquable n’était pas « une émotion » collective, « une révolte ». C’était une vague d’auto-organisation des plus démunis, événement remarquable dans toute société de classe, car la classe inférieure n’y est que très exceptionnellement désireuse de s’organiser par elles-même, de tout décider par elle-même, non seulement pour ses revendications et ses modes d’action mais pour tout le fonctionnement de la société.
Et ce mode d’organisation s’est caractérisé en plusieurs points : sur des bases géographiques et non professionnelles, en masse et pas par des minorités, sur l’ensemble du territoire, jusque dans les régions reculées, et surtout « en permanence » et pas de manière discontinue.
Que les plus démunis se réunissent pour discuter et que leurs débats mènent à des décisions, qu’ils tiennent à débattre à fond de toutes les questions les concernant mais aussi concernant l’ensemble du fonctionnement de la société, y compris de l’Etat à son plus haut sommet, voilà qui a caractérisé ce mouvement.
Disons encore que les femmes étaient en tête, les plus pauvres mais aussi d’autres qui les rejoignaient et qui militaient avec elles, et on trouvera décidément que le parallèle entre les Gilets jaunes et la Révolution française n’était pas superficiel.
L’idée principale qu’on trouve dans ce parallèle consistait à dire que les plus démunis se considéraient comme une manifestation plus représentative de l’intérêt général de la population que ne l’étaient la classe des nantis, profiteurs, grands bandits, seigneurs et saigneurs du peuple !
La deuxième idée de fond affirmait qu’on n’arrêterait qu’en supprimant la misère ! Que des classes possédantes puissent dépenser des fortunes pendant que le peuple travailleur ne pouvait plus s’en sortir empêchait les plus démunis d’abandonner la lutte. Celle-ci devenait donc permanente.
Un autre point consiste dans la prise de conscience par les plus démunis de la dimension historique de leur mouvement, de son caractère révolutionnaire, non par sa violence mais par sa profondeur, par le fait qu’il s’attaquait au mal par la racine.
Un autre point remarquable, c’est que les pauvres, les gueux, les misérables, non seulement ne se cachaient plus, ne craignaient plus la répression, mais qu’ils tenaient la place publique, tenaient la rue, étaient sur le devant de la scène, eux qui avaient pourtant appris, de génération en génération, que, pot de fer contre pot de terre, ils devaient céder le pas aux plus riches.
En finir non seulement avec la pauvreté mais aussi avec l’Etat au service des riches, voilà encore un point déterminant qui rapproche les deux mouvements.
Bien sûr, on pourrait se dire que la République est depuis longtemps installée solidement en France et que le peuple n’a plus besoin de détrôner la royauté. Mais c’est là que l’on ferait une erreur dans la comparaison : le système capitaliste est bien moins démocratique que son système politique électoral voudrait le faire croire. Au sein des entreprises, dans l’économie capitaliste, on nage en pleine dictature des plus riches et de domination violente de ceux qui ne vivent que de leur travail. Autrefois, c’étaient les sans culottes et les bras nus qui s’étaient unis dans les comités de piques et qui avaient mené radicalement la révolution. Aujourd’hui, ce sont les travailleurs, les chômeurs, les travailleurs précaires, ceux qui n’ont que des emplois à temps partiel et à paies encore plus partielles, les femmes seules qui se sont retrouvés avec les petits bourgeois ruinés ou menacés, les auto-entrepreneurs et auto-exploiteurs ruinés ou menacés.
Au lieu des comités de sans culotte, de bras nus, de piques, on a eu les rassemblements de ronds-points.
Un autre point remarquable, c’est que rapidement la répression a été dépassée, devenant incapable d’arrêter le mouvement. La peur des forces de l’Etat a vite cessé de faire de l’effet. La force de la colère sociale et la conscience de la profonde signification du mouvement l’ont largement emporté. Les semaines ont passé et la lutte s’était organisée pour durer, personne ne pouvant dire jusqu’où elle allait entraîner la société…
Oui, le capitalisme a un caractère de royauté jusqu’au plus haut sommet de l’Etat !
« Les ouvriers découvrent soudain que le capital est aussi tyrannique qu’une monarchie absolue » écrivait déjà Herbert G. Gutman dans « Work, Culture and Society in Industrializing America » en 1973.
Et, sur ce point, le capitalisme ayant atteint ses limites, mourrant de son propre succès, dépassé même par la trop grande quantité de ses capitaux, incapable de proposer des investissements nouveaux à des sommes d’argent aussi colossales, rejoint le capitalisme des débuts, de l’accumulation primitive et violente.
Il est tout aussi destructeur de la vie humaine, de la société humaine, de la bonté humaine, de la vie sociale, du bien-être social. Et il est tout aussi violent qu’à l’époque où on pendait en masse les pauvres, ou on les traitant de barbares et de bandits pour les envoyer aux galères, à l’époque des « Misérables » d’Hugo !
Aujourd’hui, le grand capital fait gouvernants arrache des yeux, des joues, des nez, des visages, des bras, des mains, des jambes, détruit des vies, handicape à vie, gaze des enfants et des vieillards en fauteuils, assassine des vieilles femmes dans leur maison !
Une autre remarque conclura ce rapprochement historique entre 2019 et 1789 : le peuple travailleur a décidé de ne plus suivre mais de dicter les événements, de décider du cours des choses, et cela jusqu’au plus haut sommet, de changer l’ordre établi, de modifier les constitutions, les lois, le droit, le pouvoir…
Ainsi parlait Dostoïevski :
« Si un grand peuple ne croît pas que c’est en lui seul qu’il doit trouver la vérité… S’il ne croît pas que lui seul peut et doit élever et sauver tout le reste par cette vérité, il perd aussitôt sa qualité de grand peuple… »
Donnons pour finir, et pour donner une perspective au mouvement des Gilets jaunes, la parole au contre-révolutionnaire Edmond de Goncourt qui expliquait le caractère profond de la révolution du peuple travailleur, à propos de la Commune de Paris de 1871 :
« Le gouvernement quitte les mains de ceux qui possèdent pour aller aux mains de ceux qui ne possèdent pas, de ceux qui ont un intérêt matériel à la conservation de la société à ceux qui sont complètement désintéressés d’ordre, de stabilité, de conservation… Peut-être, dans la grande loi du changement des choses d’ici-bas, les ouvriers sont-ils ce qu’ont été les Barbares pour les sociétés anciennes, de convulsifs agents de dissolution et de destruction. »
Goncourt aurait été, de nos jours, un très bon journaliste des média du pouvoir, un suppôt des Macron des banquiers et des milliardaires !
Comme on le voit, ce n’est pas d’aujourd’hui que les puissants et les exploiteurs estiment que les pauvres sont violents, sont destructeurs, sont des casseurs et des barbares.
Le un pourcent de saigneurs du peuple a changé de classe sociale, ce n’est plus la noblesse, mais c’est toujours la même révolution sociale qui peut les renverser, celle du peuple travailleur !
Tant que celui-ci se contente de belles paroles, de promesses, de discours, il n’y aura pour lui que des répressions violentes et des politiques violentes des classes possédantes. Il faudra qu’il se persuade qu’il est capable de changer tout l’ordre politique et social en prenant lui-même en charge tout le pouvoir ! Certes, le peuple des prolétaires n’est qu’une minorité mais il est bien plus important en nombre et en utilité sociale pour toute la population que le un pourcent des milliardaires, profiteurs et prévaricateurs, détourneurs de fonds publics, et bandits de grand chemin, ainsi que de ses pantins politiciens !
Le grand capital à la lanterne !
Les gueux au pouvoir !
Et finissons-en avec la misère et la dictature des milliardaires !
Allez ! Que le gouvernement quitte les mains de la petite minorité qui possède toutes les richesses pour aller à ceux qui ne possèdent pas !